erin | last breath

I. T'as toujours eu une santé fragile. Petite, déjà, tu restais enfermée en regardant la neige tomber alors que les autres allaient s'amuser. T'as tenté, un jour, et t'es sortie contre l'avis de tes parents. Tu t'es laissée tomber dans la neige. Ta sœur t'avait dit que c'était doux mais froid. Elle t'avait aussi dit à quel point c'était agréable de pouvoir s'allonger sur ce manteau blanc et de regarder la neige te tomber dessus. Ca avait été agréable, oui... sauf que t'as fini à l'hôpital quelques jours plus tard.

II. T'as toujours eu une santé fragile. T'étais toujours la première à tomber malade dans la famille et la dernière à guérir. Un simple rhume peut te mettre ko pendant plusieurs jours. Ton corps n'a pas un système immunitaire de combattant et il n'y a pas de raisons à ça. C'est tombé sur toi. Ca aurait pu tomber sur ta sœur. Sur ce plan là, ta sœur est ton total contraire. Si toi tu tombes malade au moindre coup de vent, elle, il lui faut presque une tornade pour ne serait-ce qu'éternuer.

III. Tes amitiés n'ont fait qu'aller et venir. T'avais des ami.e.s, puis t'en avais plus pour en avoir à nouveau. C'était difficile de te suivre. Une fois ça allait et le lendemain t'étais clouée au lit. Parfois tu pouvais sortir, d'autres fois tu ne pouvais pas. On ne comprenait pas toujours et toi non plus. T'étais allée contre tes parents à plusieurs reprises, surtout pendant ton adolescence. Parce qu'ils étaient trop protecteurs, et que toi, tu voulais vivre et tu ne pouvais pas.

IV. T'es en sucre. C'est ce que ta sœur t'a toujours dit. Non seulement t'as une santé que t'aimerais revendre mais t'as aussi un corps pour lequel t'attends toujours le remboursement. T'es du genre à te faire mal sans aucune raison. T'es aussi le genre qui va réussir à se casser un truc de la façon la plus bête qu'il soit. Comme cette fois où tu t'es tordue le doigt en voulant plier un carton. Ou celle où tu t'es fissurée le poignet en trébuchant sur rien. Ou encore ce moment où t'as eu le dos bloqué en plein cours de sport parce que tu t'étais juste penché pour récupérer le ballon. Tu détestes ton corps et il te le rend bien.

V. Tes problèmes de santé ont un coût, et tes parents t'aident encore aujourd'hui pour payer certains soins. T'aimes pas ça, leur demander. Ca te donne l'impression d'être encore trop dépendante. (Honnêtement, t'as déjà pensé à aller vendre un rein... mais t'es sûre qu'on te donnerait pas grand chose pour tes organes)

VI. T'essaies de garder le sourire.. mais il t'arrivait et t'arrive encore de te demander ce que tu fais là. Pourquoi t'es ici si tu peux pas vivre pleinement, comme les autres ? T'as toujours remis en question ton existence et aujourd'hui encore tu comprends toujours pas. Pourquoi t'es là ? Dans quel but ? Pourquoi tu subis tout ça ? Il y a des jours où t'es juste incapable de bouger, clouée au lit parce que ni ton corps ni ton moral n'arrivent à suivre. Mais tu tiens bon. T'espères, du moins. Tu finis par te relever.

VII. T'as toujours essayé de garder ton moral au plus haut même quand ton corps était au plus bas. Sauf qu'en grandissant, t'as eu du mal à garder cette habitude ou à suivre le rythme. Aujourd'hui, ton moral oscille tout comme ta santé, l'un suivant l'autre. Tu dis cependant que tout va bien, que tu gères, que t'es habituée, t'en plaisantes même... mais t'aimerais juste pouvoir dire que ça va pas, que t'en peux plus sans qu'on te demande des explications. Tu voudrais répondre « non » quand on te demande si ça va sans avoir besoin de te justifier.

VIII. T'es quelqu'un de plutôt sociable. Ta sœur et toi êtes identiques là-dessus. T'as aucun mal à aller vers les autres pour faire la conversation et rire. On t'a toujours décrit comme une personne solaire – t'es pas vraiment sûre de ce que ça veut dire, ou si c'est vraiment le cas mais t'aimes ça, aller vers les autres. Malgré tes nombreux échecs amicaux et amoureux. T'aimes la compagnie. T'as besoin d'avoir de la compagnie. Et pour éviter que les gens te laissent, t'as tendance à masquer ton côté plus effacé, plus sombre. Tu ne fais que briller ton côté jovial en pensant maladroitement que cela va faire rester les gens à tes côtés.

IX. Tu chantes comme une casserole... pourtant ça t'empêche pas de pousser la chansonnette dès que tu peux. Chez toi, en faisant les courses, durant une session shopping... T'es pas non plus une super danseuse et ça t'empêche pas de bouger sur ta musique préférée. T'es du genre à citer tes films favoris, aussi. Parfois parce que la citation s'y prête bien, d'autres fois... juste parce que t'as envie.

X. T'as vécu quelques instants de ta vie par procuration : comme ton dix-huitième anniversaire que t'as passé à l'hôpital pendant que ta sœur le fêtait tranquillement à la maison. T'as vécu la chose le lendemain, quand elle te l'a raconté, quand elle t'a montré les photos, les vidéos, les cadeaux. T'as vécu beaucoup de choses comme ça.

XI. T'as pas vraiment été super présente au lycée. T'étais dans une période où tu te sentais mal – dans ta peau, avec les autres, dans la vie, et t'avais du mal à gérer ta mauvaise santé. T'as vécu quelques mois loin de la ville, tes parents pensant que te faire suivre un nouveau traitement approuvé t'aiderait – mais non, rien n'avait changé. Quitter la ville et être loin de tout et de tout le monde t'avait même faite tomber en dépression. Depuis, t'es un peu effrayée à l'idée de partir d'ici. Donc tu restes.

XII. On t'a tellement fait la blague du « Oh t'es nouvelle ? » au lycée que t'as arrêté de compter. La première fois, t'avais trouvé ça drôle, tu pensais qu'on te taquinait gentiment. Ce qui était le cas... pour une partie, pour l'autre, non, on se moquait vraiment de toi. T'as fini par en avoir marre et mordre dès qu'on t'attaquait – ça a pas toujours été une réussite, t'avais pas forcément la meilleure répartie.

XIII. Tu dessines bien, très bien même. Et c'est pour ça que t'as choisi ce métier. C'est pour ça que t'es graphiste et web designer. Tu te débrouilles tout aussi bien avec une feuille de papier qu'un ordinateur. Tu travailles de chez toi. Au vu de ta condition, ça semble logique. Tu peux bosser depuis ton salon, enrouler dans une couette beaucoup trop épaisse, une tasse de chocolat chaud à la main et en pyjama. T'as pas besoin de rester derrière un bureau toute la journée à écouter tes collègues se plaindre – mais dans le fond, t'aimerais bien.