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Cette discussion mère/fille est à noter dans les annales, parce que ça fait bien longtemps que ce n'était pas arrivé. Et en même temps je crois que ça commençait sérieusement à me manquer. Elle a beau être maladroite, et tout faire pour me faire enrager depuis toujours, ma mère c'est ma mère quoi. Et en ce moment avec mes histoires de coeur, Gioia, tout ça, j'ai l'impression que j'ai encore plus besoin d'elle. Alors j'essaye de mettre de côté mes rancunes et de faire des efforts. A croire que ça fonctionne plutôt bien aujourd'hui. Nous avions peut-être toutes les deux besoin de briser la glace. Clôturer le chapitre Rayan, aller de l'avant. Je lui demande juste de faire attention à elle, de ne pas lui faire de mal. Ce n'est pas mes histoires, mais ça n'empêche pas que je tiens à elle. Aussi étrange que cela puisse paraitre, Rayan est importante à mes yeux. Je ne la vois pas comme une simple prof. « Je fais du mieux que je peux. C’est pas toujours facile, je l’ai déjà blessée, elle m’a déjà blessée, mais ce qu’il y a au fond de nous c’est… indescriptible. » Vous croyez que c'est possible que les histoires entre adultes soient encore plus compliqué que nos histoires d'ado ? Apparemment y'a du level là. « Je ferai attention je te le promets. » Un petit sourire discret se dessine sur mes lèvres. Très bien, c'est tout ce que je voulais entendre. Je me focalise à nouveau sur mes crêpes lorsque mon portable émet le son d'un message. Mon coeur s'affole un peu, espérant secrètement que ça puisse être Gioia. Je meurs d'envie d'aller voir, juste pour vérifier, mais je ne veux pas rompre le pacte que nous venons de faire avec ma mère. Si je recommence déjà à en faire des miennes, ça va pas le faire. Et pourtant… rhaaa j'ai besoin de savoir. Je croise le regard de ma mère dans une petite moue suppliante. « Va voir si c’est elle. Tu as le droit de répondre seulement si c’est elle. » On peut considérer cette exception comme une urgence non ? « Merci. » Ni une ni deux je me précipite vers le canapé pour zieuter mon téléphone. Et je crois que mon regard s'illumine instantanément lorsque je vois son prénom s'afficher sur l'écran. Elle s'excuse pour ne pas avoir donné de nouvelles, elle n'avait plus de batterie et n'était pas chez elle. Elle précise avoir passé une bonne soirée, même si elle a beaucoup pensé à moi. Bon ok, là, je crois que je suis en train de sourire comme une conne. Je réponds rapidement, avant de revenir auprès de ma mère qui me questionne du regard. Inutile de lui dire que c'était effectivement bien elle, je crois que ça s'est vu. « Elle avait juste plus de batterie. » Je hausse un peu les épaules, consciente d'avoir peut-être réagit un peu trop impulsivement tout à l'heure. Je crois que la distance me fait imaginer tout et n'importe quoi. Genre je sais pas, j'ai l'impression que c'est en train de me rendre dingue. Si seulement elle pouvait être ici, à L.A, ça changerait pas mal de choses. Ça serait peut-être bien aussi qu'on se parle toutes les deux… genre vraiment. Parce qu'on l'a jamais vraiment fait, et je sais pas trop quoi en penser. « Ouais je sais… je me suis peut-être un peu enflammée. » Je ris un peu, ma mère me connait, elle sait comment je suis. Aucune demi mesure. Mais bizarrement ça va déjà bien mieux maintenant. On va pouvoir profiter d'une journée mère/fille sans encombre ou presque. Ça va nous faire du bien.

C'est quoi exactement cet endroit ? Je comprends facilement qu'il s'agit là d'un lieu abandonné, mais ça ne m'aide pas à savoir ce que ma soeur d'accueil (on peut dire ça non ?) fout ici. Et ça, ça m'intrigue. Je ne m'en irais pas d'ici tant que je ne saurais pas ce qu'elle trafique. C'est possible qu'elle soit là pour retrouver quelqu'un. Même si, entre nous, c'est un peu glauque comme lieu de rendez-vous. Mais pourtant, je suis intimement convaincue qu'il ne s'agit pas de ça. Ou alors ce n'est pas de Sacha que l'on parle. Quelqu'un d'autre ? Peut-être suis-je à deux doigts de mettre la main sur un scoop, qui sait ? Ouais mais non. A en voir sa réaction, elle ne s'attendait pas à avoir de la compagnie. Raté, je suis là maintenant. Toujours en première ligne pour lui pourrir la vie. Lou, à votre service. Je m'amuse de la situation, en faisant mine de chercher Sacha dans les parages, joignant les actions à la parole. Elle me regarde d'un air réprobateur, et je ne peux m'empêcher de sourire. « Arrêtes. Il n’est pas là et il ne viendra pas. » Oh non, tristesse. « Quel dommage. » Je fais une moue faussement dépitée. « Personne ne viendra. Enfin ça, c’est ce que je croyais. » Alors que fait-elle ici exactement ? « Si tu veux rester ici, arrêtes de faire du bruit. Si nous nous faisons arrêter, nous pourrions finir la journée au commissariat. Logiquement, nous n’avons pas le droit d’être là. » Je me doutais bien par sa réaction que j'aurais mieux fait de me taire. Arrêter de faire du bruit en faisant la conne. Mais ça ne m'empêche pas de rester surprise que la jeune fille soit capable de faire un truc 'interdit'. « Si ça te fait peur, tu peux toujours partir. » Elle est sérieuse là ? « Oh mon dieu, je suis morte de trouille. » Je joue les pleureuses avant de rire un peu. « Tu m'as inconsciemment fait venir ici pour te débarrasser de moi, c'est ça ? » Genre elle a fait exprès d'agir bizarrement, pour attiser ma curiosité et que je la suive jusqu'ici. Bien joué. Je suis sûre qu'au fond, elle en rêverait. Même pas peur. « Si tu restes, ne fait rien d’idiot. Ce lieu est abandonné, mais il appartient à quelqu’un, alors dans l’idéal, il ne faut rien abîmer. » Je me mets alors au garde à vous en faisant l'incontournable salut militaire. « Ok capt'ain. » Ouais… je suis fatigante. Mais elle ne va pas se débarrasser de moi comme ça. Elle continue son chemin sans se soucier de moi, et j'empresse le pas. Il fait sombre, on voit rien, mais Yumi a apparemment tout prévu puisqu'elle sort une lampe torche de son sac. Ok, c'est une experte. « Ça doit rester entre nous. Tu dois bien te douter que mes parents ne sont pas au courant. » Ah ça, oui. « T'es déjà venue dans ce genre d'endroit ? » J'ai plus ou moins déjà entendu parler de cette pratique, l'urbex je crois. Mais je ne savais absolument pas que Yumi était une adepte. On en apprend tous les jours. En soit, je ne la connais pas en profondeur. Je ne sais pas grand chose sur elle, mais je ne demande qu'à en apprendre plus. Ouais c'est un peu bizarre pour moi que de l'avouer, mais si je suis là, ce n'est peut-être pas vraiment un hasard. Je l'entends soupirer, et avant même qu'elle prenne le temps de répondre je viens rajouter. « Bon ok, je peux me taire si tu préfères. » Et pourtant j'enchaine déjà. « Mais c'est une grande première pour moi alors forcément ça m'intéresse. » Je fais pas semblant là, ça m'intéresse vraiment. Comme quoi, tout arrive. Ça serait si étonnant que ça de nous voir partager un truc ensemble ? En dehors des cours et de la natation j'entends. Quelque chose de plus personnel, plus intense.

La situation n'est pas plus facile pour moi, mais elle n'est pas pire non plus. Entre mes rendez-vous "obligatoires" chez le psychologue, les conflits avec Yumi et les journées de cours interminables… ouais ça fait pas rêver. Même si pour Yumi, il faut dire que je cherche un peu aussi. Mais c'est plus fort que moi, ça m'amuse de la faire chier. J'adore la gueule qu'elle tire quand elle me voit, je vous jure c'est vraiment trop drôle. Et récemment j'ai trouvé un nouveau terrain de jeu pour la faire chier ; son petit frère. Ouais parce que je l'aime bien celui-là. Et j'ai pu remarquer que ce n'était pas au goût de la jeune fille que de me voir me rapprocher de lui. Jalousie ? Et oui encore. Mais à côté de ça, je me sens chaque jour sombrer un peu plus. Je ne vais pas bien, j'en suis consciente mais je ne fais rien pour que ça change. Parce que s'auto-détruire est beaucoup plus facile que de continuer à se battre. Lutter, à quoi bon ? Je n'ai plus réellement de raison de le faire à présent. Même si je ne suis théoriquement pas seule, je le suis profondément. Entièrement. Et c'est ce qui me rend surement aussi conne avec les gens. Je n'ai envie de m'attacher à personne, et encore moins que quelqu'un puisse ne serait-ce s'attacher à moi. Hors de question. Alors je joue les filles insupportables, la meuf hautaine que rien ne semble atteindre. Qu'on me déteste pour me faire sentir vivante. C'est un peu ça quand on y pense. Bref, c'est moi. A prendre ou à laisser. Mais aujourd'hui au lycée, je préfère me faire un peu discrète. Je tente même de jouer les invisibles, jusqu'à ce que la sonnerie retentisse et que l'empressement de Yumi m'intrigue. C'est pas comme si on devait forcément rentrer l'une avec l'autre, même si c'est ce que sa mère aimerait en soit. Mais là, elle ne prend pas le chemin de la maison. Et c'est ça qui titille ma curiosité. Est-ce qu'elle se précipite aussi vite pour rejoindre son parfait petit ami ? Je n'y crois pas une seule seconde. Mais alors où va-t-elle ? Je reste à quelques longueurs d'elle pour la suivre, intriguée. Après une petite demi-heure, je la vois finalement pénétrer dans ce lieu abandonné. Et pas très rassurant en soit. En vrai ça m'inquiète, et je crois qu'inconsciemment j'ai même un peu peur pour elle. Comme un sentiment incontrôlé de protection à son égard. Pourquoi devrais-je m'inquiéter pour elle ? Je vous jure, des fois je suis un peu bizarre. J'entre à mon tour, essayant de voir ce qu'elle compte trafiquer ici, mais je me prends les pieds dans un truc au sol. Yumi se retourne à cause du bruit, alors que je lève les bras au ciel en mode "surprise". Grillée. « Tu m’as fait peur ! Tu es folle ou quoi. » Je laisse échapper un petit rire amusé d'entre mes lèvres. « Tu m’as suivi depuis l’école ? Mais il faut te trouver une vie. » C'est vrai que ça fait un peu glauque dit comme ça. « C'était pas vraiment prévu mais ouais je suis là. » Comme si c'était tout à fait normal en soit de l'avoir suivi. Ouais… ou pas. « C’est bon, tu as vu, tu peux partir maintenant. » Ah non, pas tout de suite. C'est maintenant que ça devient intéressant. « Pour me faire chier, tu fais de mieux en mieux quand même. Tu devrais avoir une médaille je pense. » Un large sourire se dessine sur mes lèvres, victorieuse. « Tu m'expliques ce que tu fais ici ? » Bah ouais, ça m'intéresse. « C'est ton repère secret ? Genre tu viens là pour retrouver Sacha en douce ? » Je fais mine de jeter un œil aux alentours comme si je pensais sérieusement qu'il se cachait là quelque part. « Je suis prête à filmer vos retrouvailles, il peut sortir de sa cachette. » Je sors mon téléphone portable, activant le mode vidéo avant de crier le prénom de son petit ami sans aucune discrétion. « SACHA ! » Ma voix résonne entre les murs, et à en voir la réaction de Yumi je crois que je devrais plutôt me taire. Je suis pas certaine que notre présence ici soit légitime. Je mets une main sur ma bouche en rigolant un peu, dans une grimace pas tellement désolée.

Ouais je suis pas au bout de mes peines quoi. Ce n'est que le début des emmerdes je crois. Génial, on adore. Si seulement il n'y avait pas toute cette distance entre Gioia et moi, les choses seraient sans doute plus simples. C'est pas quelques kilomètres de rien du tout, on parle là de l'autre bout du monde ou presque. C'est la merde. Et pourtant, je crois que si j'avais le choix de tout oublier et d'effacer ces deux semaines avec elle, je ne le ferai pas. Enfin j'en sais rien, mais je reste tout de même heureuse d'avoir pu faire sa rencontre. Bref ça reste compliqué et je ne veux pas spécialement continuer de parler de ça avec ma mère. Parlons plutôt d'elle un peu. D'elle et Rayan. Parce que le temps est passé, et je suis plus autant affectée par leur relation que j'ai pu l'être. Disons que je commence un peu à me faire à l'idée. Un peu seulement, ne nous enflammons pas non plus. Est-ce qu'elle est amoureuse d'elle ? Du côté de Rayan, j'ai pu comprendre que ça en avait tout l'air, ou presque. La jeune femme semble vraiment être attachée à elle. Et je veux savoir ce qu'il en est du côté de ma mère. « Je crois, oui. C’est compliqué, à cause du travail, à cause de Cora, et puis toi… » Je grimace un peu, malgré moi. « On a essayé de mettre un terme à tout ça, plusieurs fois. Mais à chaque fois qu’on se voit, c’est plus fort que nous, j’avais jamais ressenti ça avant elle. » D'un côté, ça me rassure de l'entendre. Parce que j'avais un peu peur que Rayan ne soit qu'une "victime". Enfin je me comprends. Mais je connais un peu ma mère, son arrangement avec Cora, tout ça quoi. Et Rayan ne mériterait pas de souffrir. « Mais je sais que si je veux vivre vraiment quelque chose avec elle, je vais devoir faire beaucoup de concessions, et je ne suis pas sûre d’en être prête. Et puis, je me sens toujours coupable vis à vis de toi, même si j’ai essayé de taire ce que je ressentais pour elle, ça n’a pas fonctionné. » Son discours est quasiment le même que celui que j'ai pu entendre de la bouche de Rayan, et ça me conforte dans l'idée que ce qu'il se passe entre elles est réellement sérieux. « C'est ce que j'ai pu comprendre oui. » Je ne sais pas si elle attendait ma bénédiction, ou quelque chose du genre, mais si ça peut l'aider à se sentir mieux, il faut que je le dise. Parce que je ne suis personne pour me mettre en travers d'une réelle histoire. « Ne t'en fais pas pour moi, je crois que je me suis fait une raison. » Je ris un peu, consciente que mon crush d'adolescente n'était pas vraiment sérieux. « Rayan est quelqu'un de bien, et si je peux juste te demander de me promettre une chose, c'est de ne surtout pas lui faire de mal. » C'est pas mes histoires et pourtant ça, j'y tiens. Après tout elle me doit au moins ça.

Je suis en pleine période de doutes et de questionnements. Je me cherche un peu, et me découvre. Je crois que tout le monde passe par ce genre d'étape au moins une fois dans sa vie. Souvent à l'adolescence d'ailleurs, même si ce n'est pas systématique non plus. Mais de le savoir ne rend pas les choses plus faciles à vivre pour autant. Je suis en plein dedans et dans mon cerveau les questions fusent. C'est encore pire depuis ce qu'il s'est passé avec Gioia. Et quelque chose me dit que je suis pas au bout de mes peines. Alors c'est ça la vie d'adulte ? Aimer, se prendre la tête, souffrir aussi. Génial. Et pourtant tout le monde en redemande. Mais c'est quoi au juste d'être vraiment amoureuse ? Pas juste le petit béguin qu'on peut avoir sur telle ou telle personne. Comme j'ai pu avoir un crush d'adolescente sur Rayan par exemple. Ou une simple amourette de passage qui ne veut absolument rien dire. J'ose poser la question à ma mère. A croire que c'est la période des questions existentielles du genre. Après avoir demandé à Rayan si elle avait toujours aimé les femmes. Ouais on en est là, mais en même temps je me renseigne. Si ça peut m'aider à y voir plus clair. « Je dirai que ça dépend de pas mal de choses. Je pense qu’on ne ressent pas tous l’amour de la même façon. » L'amour, ça a l'air quand même compliqué quand on en parle. Je sais pas si je suis prête pour tout ça. « Mais en général il y a des signes qui ne trompent pas. Si ton coeur bat plus fort quand la personne est près de toi, si tu frissonnes quand elle te touche, si tu te sens engloutir dans ses yeux quand elle te regarde, si tu penses à elle très souvent dans la journée, si tu as envie d’être avec elle plus souvent… » Ah ouais... quand même. Bizarrement c'est un peu tous les symptômes que j'ai eu quand j'étais avec Gioia. Et que j'ai encore d'ailleurs, malgré qu'on ne puisse plus être physiquement ensemble. « Il y a encore tout un tas de facteurs qui pourraient te montrer que tu es probablement amoureuse, mais tu dois le sentir en toi surtout. » Si j'ai bien compris, il n'y a donc pas de science exacte. Mais quand on est amoureuse de quelqu'un, on le sent au plus profond de nous. Ok, alors peut-être que je suis réellement amoureuse d'elle. Parce que ce que je ressens à son égard, je ne l'ai encore jamais ressenti jusqu'à présent. « Et puis, tu verras en grandissant, que tu peux aimer de manière différentes, ça dépend aussi de l’être aimé. Je n’ai pas aimé Cora comme j’ai aimé ton père par exemple. » Et Rayan ? Ouais c'est plus fort que moi, mais je suis un peu obligée d'y penser. Surtout après la discussion que nous avons eu toutes les deux à ce sujet. « Ouais c'est compliqué quoi. » Si on peut aimer de différentes façons, ça commence à faire beaucoup. « Tu as l’impression que tu es amoureuse d’elle ? » Dans ma tête c'est encore un peu confus. Mais je ne peux nier l'évidence de notre complicité, il y a bien une connexion particulière entre nous. « J'avais jamais ressenti ça avant, pour personne d'autre. Enfin je sais pas, c'est bizarre. Je me suis juste sentie tellement bien avec elle pendant deux semaines que… ouais maintenant c'est dur. » Je supporte mal la distance, le fait de pas trop savoir ce que tout ça fait de nous aussi. Mais il faut peut-être que je me rende à l'évidence ; c'est impossible entre nous. « Et toi alors ? » Je dérive le sujet sur elle sans aucune transition. « Rayan. Est-ce que tu l'aimes ? » J'ai besoin d'en avoir le coeur net.

Je fais un pas vers ma mère sur le chemin des confessions. Un petit pas de rien du tout mais qui veut déjà dire beaucoup. Malgré notre relation un peu houleuse et toutes les tensions, elle reste tout de même l'un de mes seules repères. Il y a Rayan aussi, contre toute attente. J'ai réussi à m'ouvrir un peu à elle la dernière fois. C'est peut-être plus facile de parler à quelqu'un d'extérieur. Même si Rayan est quand même au centre même de mes problèmes. Enfin bref passons. L'avis de ma mère compte quand même à mes yeux, et ça me fait plaisir de tendre à essayer de retrouver notre complicité passée. Le chemin sera long, mais je suis prête à faire des efforts. Comme je suis justement en train de le faire. Même si c'est difficile pour moi que de parler de moi, et surtout de mes doutes. L'adolescence n'est pas une période de tout repos, surtout quand les histoires de coeur s'en mêlent. Je comprends mieux pourquoi maintenant. Ma mère n'est pas bête, et elle me connait un minimum. Elle sait très bien ce que je veux dire quand je lui dis que je l'aime bien. Apparemment elle avait même compris. Mais là n'est pas la question. « D’accord. Ce n’est pas la question. » Non, je ne devrais pas me poser de questions. Parce qu'il n'y a pas d'histoire en soit, tout ça n'a ni queue ni tête en fin de compte. Elle est en Italie, je suis ici. Tout est dit. « Tu sais, y’a pas de mal à être un peu perdue. Vous avez partagé beaucoup de choses en peu de temps, et maintenant vous devez apprendre à vivre avec la distance, et je sais que ce n’est pas facile. » C'est comme si les émotions partagées avec elle avaient été décuplées. Court mais tellement intense. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, parce que c'est encore nouveau pour moi. Encore plus fort que ce que je n'ai jamais ressenti. « Vous avez essayé d’en parler un peu, depuis qu’elle est rentrée ? » Un nouveau soupir s'échappe d'entre mes lèvres. C'est pas si facile que ça d'en parler. Surtout quand on est pas en face de la personne. Il y a la distance en terme de kilomètres, mais pas que. Ouais c'est pas pareil de se parler par écrans interposés quand même. « C'est un peu compliqué. » Et puis ne pas en parler laisse supposer que les choses ne sont pas réellement concrètes. Et ça, c'est peut-être plus facilement gérable. Enfin en théorie parce que c'est vite dit hein. « Maman ? » J'ai une question qui me brûle les lèvres depuis un moment, et je décide de me lancer. Après tout, ce n'est pas elle qui va me juger. « Comment on le sait quand on aime vraiment quelqu'un ? » Question existentielle. Tomber amoureuse, vraiment amoureuse. Pas juste une histoire de crush ou quoi que ce soit dans ce genre là. Non, le vrai amour. L'amour avec un grand A comme on dit. Parce qu'avec Rayan, ce n'était pas pareil. J'avais des sentiments pour elle, affectueux et sincères, c'était réel, mais avec Gioia, je crois que c'est encore un cran au dessus.

Si on m'avait dit que la soirée allait permettre un rapprochement entre Gioia et moi, je crois que je n'y aurais pas cru. Pas parce que j'en avais pas envie, parce que clairement c'est pas ça, mais plus parce que je n'aurais jamais imaginé que les circonstances s'y prêtent. Bon ok j'avoue que l'idée de l'embrasser m'avait peut-être déjà traversé l'esprit depuis un moment. Faut dire que nous sommes très proches toutes les deux depuis son arrivée... proches bizarrement, pas comme je peux l'être avec mes autres amies. Et ce soir, à cause de ce défi débile, j'ai pu me rendre compte du pourquoi du comment. Gioia n'est pas comme mes autres potes. C'est... différent. Et de pouvoir goûter une nouvelle fois à ses lèvres, pleinement, comme ça, je suis aux anges. Ça dépasse toutes mes espérances. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir peur aussi. Parce que c'est tout nouveau pour moi, et que c'est un peu compliqué aussi. C'est pas comme si nous avions du temps devant nous. Mais je ne veux pas forcément penser à ça pour l'instant. Je profite de ce moment en toute intimité, juste elle et moi. Le coeur battant, je tente de me remettre doucement de mes émotions. « Pourquoi ? Parce que je sais maintenant ce qui te tracassait ou parce que j’ai enfin réussi à t’embrasser pour de vrai ? » Ça veut dire quoi ça ? Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres alors que je me surprends un peu à rougir quand même. Heureusement que la pièce est sombre, et que ça ne se voit pas. « Bon, faudrait sortir de là quand même. » Ouais, notre absence va finir par devenir suspecte à force. Et je ne veux pas leur donner plus de crédit encore. On arrive à s'éclipser l'une après l'autre sans que personne ne nous surprenne. Ni vu ni connu je t'embrouille. La soirée se poursuit, et je suis un peu sur mon petit nuage. Je crois que je vais avoir du mal à redescendre. Même Jenny n'arrive pas à me plomber le moral, je suis inatteignable maintenant. Les heures défilent, et il commence à se faire tard. La brune est clairement en train de lutter, et il est temps pour nous de tirer notre révérence. Si certains sont bien partis pour faire nuit blanche, très peu pour nous. « Y’a un canapé dans le bureau, j’crois qu’il est pas squatté, ça te va ? » Je hoche un peu la tête à l'affirmative. Il y a du monde un peu partout, dans les chambres, dans le salon, et le bureau me parait être une bonne option. Arrivées dans la pièce, je remarque rapidement que le canapé est un peu étroit. Ouais on est dans un bureau, c'est pas non plus le canapé du salon quoi. Mais ça fera très bien l'affaire. « Mode koala ? » Je la regarde en souriant, parce que je sais que c'est sa technique pour ne pas trop bouger pendant son sommeil. Si je veux pas me retrouver par terre pendant la nuit, il faut bien que je trouve des solutions. Et puis... dormir contre elle n'a jamais été un problème pour moi. Encore moins maintenant je crois. Je prends le temps de me changer pour me mettre à l'aise, dos à elle, enfilant un débardeur et un short en guise de pyjama. Maintenant qu'on se retrouve à nouveau seules toutes les deux, ça me fait un peu bizarre. Je sais pas trop si elle veut qu'on en parle, ou si elle préfère que ça reste comme ça. De mon côté, j'en sais trop rien non plus. Je crois que j'ai envie de me laisser porter. Je m'allonge de profil contre le dossier du canapé lui ouvrant mes bras pour qu'elle vienne me rejoindre. « Alors t'as passé une bonne soirée ? » Je tâte un peu le terrain avec ma question, pour voir si elle compte en parler d'elle-même. En parallèle, je laisse mes doigts courir le long de son bras pour lui faire des papouilles. Je ne réfléchis pas vraiment, c'est naturel.

Je me lance sans trop réfléchir. Je crois que mon cerveau se met volontairement sur pause l'espace de quelques secondes. Je sais pas si c'est cette nouvelle proximité ou quoi, mais une vague de sentiments incontrôlables vient s'emparer inconsciemment de mon coeur. Encore pire que tout à l'heure. Parce que ce n'est plus un défi à la con, ce n'est plus un jeu. Il n'y a plus qu'elle et moi, ici, dans cette buanderie étriquée. Mais ma correspondante ne réagit absolument pas à ce baiser. Et merde, j'aurais pas dû faire ça. Quelle conne franchement. Là, tout de suite, j'ai envie de creuser un trou et me planquer dedans. Ou prendre mes jambes à mon cou et partir en courant. Ça y est, elle va plus jamais me regarder de la même façon maintenant. Je passe pour quoi encore ? La fille complètement gaga qui vient de se prendre un vent. Génial. « Eh… » Je suis prête à faire volte-face mais l'italienne se rapproche, venant poser sa main sur ma joue. Mon coeur manque un battement, et je n'ai pas le temps de réaliser ce qu'il se passe qu'elle m'embrasse à son tour. Waouh. Honnêtement j'ai pas les mots, c'est juste... magique. Je me laisse enivrer par l'émotion, et par toutes ces sensations nouvelles que je peux ressentir dans mon coeur. Dans mon corps aussi. Alors c'est ça l'effet papillons dans le ventre ? Ce n'est pas la première personne que j'embrasse, mais c'est la première fois que ça me fait cet effet là. Et puis le baiser en lui-même n'est pas comparable. C'est pas un smack de rien du tout à la va-vite qui ne veut absolument rien dire. Est-ce qu'elle ressent la même chose que moi ? J'ai l'impression que oui mais je ne veux pas me faire des films non plus. Pourtant Gioia intensifie encore un peu plus notre baiser, et je me laisse complètement envoûtée. « C’était donc ça… » Un sourire un peu cul-cul se dessine alors sur mes lèvres. J'ai l'impression de me sentir comme une gamine. « Ça m’arrange, je préfère ça plutôt que tu aies eu à me dire que tu faisais des rêves érotiques avec ta prof toutes les nuits. » Je lui pince un peu les côtes pour répliquer. « Hey te moque pas ! » C'est de bonne guerre. Et puis si elle veut tout savoir, oui, j'en ai déjà fait des rêves un peu étranges en pensant à Rayan. Bah quoi ? « Faudra que tu me la montres quand même, que j’vois si j’suis pas trop éloignée du genre qui te plait… » La brune a clairement tout pour me plaire si ça peut la rassurer. Elle est M.A.G.N.I.F.I.Q.U.E. Et ça, je le pense depuis la toute première photo que j'ai vu d'elle. Elle est encore plus belle en vrai d'ailleurs. Si, si, c'est possible. « Si je te la montre, tu vas baver dessus toi aussi. Je partage pas moi, t'es folle ! » Je rentre dans son jeu, pour la taquiner aussi. « Mais ça va t'es pas trop mal dans ton genre non plus, si on veut vraiment comparer. » Je fais mine de réfléchir quand même un peu avant de rigoler. En soit ça m'arrange qu'on prenne toutes les deux les choses un peu à la rigolade, parce qu'après ce qui vient de se passer dans ma tête, c'est un peu le bordel. Je veux surtout que les choses restent naturelles. « Bon t'es contente ? » J'ai craché le morceau, enfin plus ou moins, et il n'y a donc plus de raison qu'elle soit dans un mauvais mood à présent. Même si je préfère qu'on en parle pas vraiment en soit. Je sais pas, c'est quand même bizarre tout ça. Gioia repart en Italie dans quelques jours alors... voilà quoi.

Je remets les compteurs à égalité en me séparant à mon tour de mon téléphone portable. Tant pis si j'ai un message, même de Gioia, ça attendra. Faut que j'arrive à décrocher un peu, parce que si je continue comme ça je vais finir par me faire plus de mal qu'autre chose. C'est déjà un peu le cas d'ailleurs. Alors stop. Je profite de cette journée mère/fille pour faire un break. Enfin c'est vite dit d'ailleurs puisque la conversation dérive rapidement sur le sujet même qui me prend la tête. « Trop occupée c’est à dire ? » Trop occupée à passer du bon temps avec une autre fille ouais. Sérieux, je sais même pas qui c'est celle-là. Genre elle sort de nulle part, Gioia ne m'en a jamais parlé. Et pourtant elles ont l'air déjà bien proches. Rhoo putain je vais vriller si je continue de penser à ça. Je râle un peu d'entre mes lèvres avant de soupirer. « Du genre à préférer faire la fête. » Est-ce que c'est de la jalousie ? Ça y ressemble en tout cas. Et pourtant je n'ai jamais été du genre jalouse avant. Encore moins possessive. Mais là, ouais, ça me saoule. « Vous avez l’air très proches toutes les deux… » Notre complicité a été immédiate et je crois que ça a été flagrant. Ma mère a pu nous voir ensemble pendant quelques jours, c'est pas étonnant qu'elle l'ait remarqué. « J'en sais rien. » Tout ce que je sais, c'est que la distance c'est de la merde. Peut-être que si elle habitait L.A. les choses seraient différentes. En attendant, elle est à plus de 10000 kilomètres d'ici. Ouais rien que ça. Le décalage horaire qui va avec, et surtout les problèmes. « Je crois que je l'aime bien. » Peut-être plus que bien d'ailleurs. Mon coeur tambourine dans ma poitrine quand je repense à nos moments passés ensemble avant les vacances. Je sais pas pourquoi je me confie à elle, peut-être parce que ça me fait du bien d'en parler à quelqu'un. Ça reste ma mère, et elle est sans doute la mieux placée pour apaiser mes maux. « Enfin de toute manière c'est pas la question. » Je secoue la tête comme par réflexe. C'est pas comme s'il pouvait vraiment se passer quelque chose avec elle. Quand je vois comment la distance me monte déjà à la tête, c'est juste pas possible. C'est pas fait pour moi tout ça. Et pourtant, je ne contrôle pas les sentiments que mon coeur peut ressentir. Depuis qu'elle est partie, je ne fais que penser à elle. A nos baisers échangés aussi surtout. Pourquoi les choses ne peuvent pas être simples pour une fois ? Je crois que j'ai le don d'attirer les histoires de merde et les complications.

Gioia me confronte, et je ne sais plus trop où me mettre. Pourquoi ne peut-elle pas simplement profiter de la soirée comme si de rien n'était ? Bon ok, j'arrive pas à le faire non plus... mais c'est pas une raison. Du coup, je me retrouve un peu comme prise à mon propre piège. Je ne sais pas trop quoi lui dire pour qu'elle passe à autre chose. Et en même temps, si je lui dis vraiment pourquoi je suis bizarre, ça peut foutre le bordel. Entre nous je veux dire. Dans notre amitié, parce que dans ma tête c'est déjà suffisamment la merde. J'essaye de lui parler de cette histoire avec Rayan. Maintenant que Jenny a balancé l'info, je ne peux pas vraiment faire comme si de rien n'était. Et je sais pas, je ressens comme le besoin de me justifier. Comme si j'avais des comptes à rendre à ma correspondante. Pourtant, non. Cette histoire ne regarde que moi. Alors pourquoi ça me fait autant bizarre qu'elle soit désormais au courant ? « Non on s’en fout pas ! » Je relève la tête pour croiser finalement son regard. En vrai elle est trop mignonne quand elle fronce les sourcils comme ça. Elle avoue elle aussi avoir eu des vues sur sa prof d'anglais l'année dernière, et cette information n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Ça veut dire que potentiellement... ouais ça y est, dans ma tête, je me fais déjà des putains de films. Ça n'aide pas mon coeur à se calmer tout ça. Oui, j'assume pas. Enfin pas totalement. Et alors ? On sait jamais trop comment les gens peuvent réagir alors bon. Même si ok, j'suis rassurée maintenant. Je sais que l'italienne ne me jugera pas sur ça. « Y’a autre chose que tu veux me dire ? Il s’est passé un truc avec elle ? » Je secoue instinctivement la tête à la négative. « Je m’en fous Maé sérieux, j’vais pas changer mon comportement avec toi juste parce que t’as eu un crush pour une de tes profs, et même si tu la kiffes encore… » Non, c'est fini tout ça. Rayan, je l'aime bien. Ça restera toujours Rayan quoi, mais avec tout ce qui s'est passé, voilà quoi. « Pourquoi t’es toute cheloue depuis tout à l’heure là ? » Elle ne lâchera pas l'affaire si facilement. « J'suis pas chelou. » A mon tour de froncer un peu les sourcils légèrement sur la défensive. Bon ok, peut-être que si. Mais juste un peu alors. Et en réalité c'est pas vraiment pour ça que je le suis. « C'est juste que... » Faut qu'elle arrête de me regarder comme ça, ça ne fait qu'empirer les choses. Le souvenir de notre baiser passe en boucle dans mon esprit. Je respire un grand coup essayant de chercher un peu mes mots. Mais la seule chose qui me vient en tête, là, tout de suite, c'est l'envie de recommencer. Sans réfléchir plus longtemps, je viens réduire la distance qui nous sépare, posant délicatement mes lèvres sur les siennes. Les actes valent bien plus que les mots n'est-ce-pas ? Voilà ce que j'avais à lui dire d'autre.

J'impose ma règle à ma mère sans aucune gêne. Pas de travail à la maison aujourd'hui. Notre relation a toujours été un peu comme les montagnes russes. Quelques bons moments passés malheureusement très vite rattrapés par le reste. Ses absences, sa maladresse aussi. Et puis cette histoire avec Rayan qui a été la cerise sur le gâteau. Je crois qu'on ne pouvait pas faire pire. Elle est loin d'être la mère parfaite, mais je suis loin d'être la fille idéale non plus. Je suppose que chacune de nous a ses tords. Et si on veut que les tensions s'apaisent, nous devons toutes les deux faire des efforts. Ça passe par sa présence à la maison, à 100%. Pas qu'elle soit juste physiquement présente comme elle peut l'être la plupart du temps. Mais que je puisse avoir la chance d'avoir toute son attention. Pas de parasite, pas d'appels téléphoniques du boulot. Rien. Juste elle et moi, une journée mère/fille comme nous avons pu avoir quand j'étais gosse. Et insouciante. Finalement à cette période-là, c'était cool. Plus léger. Je n'avais pas encore la maturité de comprendre totalement les choses. Ni de lui en vouloir comme j'ai pu le faire après. C'était bien moins compliqué. Mais j'ai mûri, et notre relation a évolué un peu malgré nous. Il est peut-être temps de rattraper toutes ces années perdues. « Oui. Je vois ça. Fais ce que je dis et pas ce que je fais hein ? » Ça, c'est la base. Je profite un peu d'avoir un minimum de pouvoir sur ma mère pour retourner la situation en ma faveur. « Tu attends des nouvelles de quelqu’un ? » Je soupire un peu, toujours les yeux rivés sur mon téléphone. Je jette un rapide coup d’œil sur les réseaux, mais rien de plus non plus. Toujours cette photo de Gioia avec cette fille. « Peut-être. » J'en sais rien en fait. Avec l'italienne, il ne se passe pas un jour sans qu'on ne s'échange au moins deux ou trois messages. Souvent beaucoup plus d'ailleurs. Mais c'est un peu étrange depuis qu'elle est rentrée en Italie. La sonnerie d'un message retentit et mon coeur s'affole. Sauf qu'il s'agit en réalité du portable personnel de ma mère. Fausse joie. « Interdiction pour le portable du boulot, mais le perso j’ai le droit ? » Je fais légèrement la moue. « Non, la règle est la même. » Je croise mes bras sur ma poitrine d'un air réprobateur. « Ok je range le mien aussi alors. » Il faut bien que j'y mette un minimum du mien quand même. « De toute façon c'est en train de me prendre la tête. » Je me lève furtivement pour le balancer plus loin dans les coussins du canapé. Ça me saoule de ne pas avoir de ses nouvelles. Le regard de ma mère devient interrogateur, et je me lance pour en parler. « Ouais... Gioia. » Pour rebondir sur sa question initiale. Je grimace un peu avant d'ajouter. « Elle a l'air bien trop occupée pour répondre à mes messages. » Je laisse échapper un petit soupir, me vengeant en prenant une nouvelle crêpe.

J'essaye de ne plus penser à ce qu'il s'est passé tout à l'heure, au baiser, à Jenny, tout ça quoi. J'ai pas envie de continuer à me faire des nœuds au cerveau, on est pas là pour ça. A la base la soirée était censée être fun. Pour s'amuser tous ensemble, profiter. Avant que nos correspondants ne retournent en Italie. Mon dieu. Rien que de penser à ça, ça me donne mal au coeur. Je n'ai pas envie que Gioia s'en aille. La soirée continue, mais je sens qu’il y a un truc qui coince. Autant de son côté que du mien. Tout à l'heure, j'étais à deux doigts de lui avouer un truc. De lui dire ce que j'ai ressenti pendant son baiser. Mais non. En réalité je ne sais pas trop quoi penser de tout ça, je suis perdue. Je sais pas trop ce que ça veut dire. Et en même temps j'ai pas envie que ça change quoi que ce soit entre nous. On est proches et notre amitié m'est précieuse, je n'ai pas envie de tout gâcher avec des conneries. Après tout on s'en fout de ce que j'ai pu ressentir non ? Je laisse tout ça dans un coin de mon coeur, et essaye de profiter un peu de la soirée. Je bois une nouvelle bière, tentant de faire comme si de rien n'était. Mais Gioia est étrangement distante, je le sens. Y'a un truc qui ne va pas. Et ça me fait chier. Parce que c'est tout ce que je voulais justement éviter. Tout mais pas ça. Je m'en fous que certaines filles de ma classe me cherchent des noises. Je peux tout endurer, ou au moins faire semblant, mais quand il s'agit de Gioia, tout est différent. Je la questionne du regard, cherchant à comprendre ce qui peut bien se passer dans sa tête. Est-ce que c'est à cause de tout à l'heure ? A cause de moi ? J'en sais rien, et c'est en train de me rendre dingue. Sans que je m'y attende, la brune me prend alors par la main pour me guider dans une autre pièce. Je sais même pas où on est, j'ai jamais mis les pieds ici même si je suis pourtant déjà venue chez Tom. La pièce ressemble à une espèce de buanderie, un peu sombre, avec des étagères de rangement un peu partout. « Bon dis moi. » Elle plante son regard dans le mien, et mon coeur s'emballe. « Tu voulais me dire quoi tout à l’heure ? » Alors c'est pour ça... Qu'est-ce que je peux bien lui dire moi maintenant ? « Rien d'important. » Je secoue un peu la tête sans assumer. Mais je comprends très vite dans son regard que Gioia ne compte pas lâcher l'affaire si facilement. Et merde. Pourquoi faut-il qu'elle soit aussi têtue quand elle s'y met ? Je sais qu'elle ne me laissera pas tranquille tant que je n'aurais pas craché le morceau. Il faut que je trouve quelque chose à dire. Un truc, n'importe quoi. Je soupire un peu, fuyant le regard en direction du sol. « Ce que Jenny a dit tout à l'heure avec cette histoire de prof... » Je grimace un peu. Je sais pas pourquoi, mais j'ai un peu honte maintenant. J'arrive pas à lui dire que c'est vrai. Comme si Gioia pouvait me voir d'un œil différent si je venais à lui avouer la vérité. On a jamais vraiment parlé de ça toutes les deux. « C'est pas vraiment ce que tu crois. » Pourtant, si. C'est exactement ce qu'elle croit. « Enfin bref, on s'en fout. » Je sais pas pourquoi mais j'assume pas.