if you don't trust me... // kezai #14

Visiblement, l’image de ce connard qui mange ses dents semble la faire rire. Tant mieux, j’ai pas envie de rester dans une énergie aussi pourrie, ça ne m’a pas réussie jusqu’à maintenant. Je préfère passer à autre chose, changer de sujet, et je suis presque sûre que Kezia ne m’en tiendra pas rigueur, maintenant qu’elle sait ce que j’ai vécu aujourd’hui. « Tu as raison, on a du temps à rattraper. » Exactement, je n’aurai pas dit mieux. Je lance pourtant un sujet un peu épineux, je me dis que tant qu’à faire, autant balayer de suite tout ce qui fâche, et finir la soirée de manière plus légère. Et puis, j’ai aussi envie d’avoir des nouvelles de mon père. Pendant plusieurs années je n’ai vécu qu’avec lui, alors depuis que je ne mets plus les pieds là bas, il me manque. Kezia semble optimiste, elle dit que c’est en train de s’arranger. J’aimerai la croire, mais je n’ai toujours pas eu d’appel de mon père, ou une visite, rien qui y ressemble. « Ton père m'a demandé de tes nouvelles il y a quelques jours. » Oh. Mon coeur se serre. D’un côté ça me fait plaisir, et d’un autre côté, j’ai un peu de colère et de rancoeur qu’il ne vienne pas me poser la question directement. Mais je me radoucis en pensant qu’il a encore besoin de temps, probablement. « Ils ont quand même tous les deux du mal à en parler, c'est un peu devenu un sujet tabou. » Je hoche la tête, le regard rivé vers un point indéfini, dans le vague. Je soupire alors, lâchant un simple « Ouais.. », tout aussi vague que mon regard est fuyant. Cette situation est difficile, et parfois j’ai du mal à imaginer que ça puisse aller mieux. Mais je préfère continuer d’y croire. « Mais j'imagine que c'est normal. » Cette fois c’est en hochant les épaules que je traduis mon sentiment. Je pensais que les parents se devaient d’être simplement heureux pour leurs enfants quand ces derniers l’étaient. Mais ça ne suffit pas. « On va espérer que ça dure pas des années quoi… » Surtout que Kezia est au milieu, entre sa mère, mon père, et moi. Et j’imagine que ça ne doit pas être une situation évidente pour elle. Même si, je ne le répète pas parce que je sais qu’elle en est consciente, je ne comprends pas qu’elle ait choisi de rester chez eux. Mais c’est encore autre chose. Bref. « Bon.. on en a fini avec les sujets épineux je crois. J’ai plus rien à confesser, si toi non plus, je propose qu’on passe à quelque chose d’un peu plus gai. » Je m’arrête un instant et tente un trait d’humour « Sans mauvais jeu de mot. » Il vaut mieux en rire après tout. J’assume petit à petit, même si c’est pas toujours évident. « J’ai un truc pour toi. » Pas grand chose, mais en passant devant cette boutique il y a deux jours, j’ai pensé à elle. Je me lève pour aller chercher paquet. Un kimono en soie tout doux, avec de jolies fleurs de cerisier. J’espère seulement que ça lui plaira.

Je ne suis pas forcément à l'aise d'aborder le sujet de nos parents. Déjà parce que c'est un sujet douloureux pour elle, notamment par rapport à la réaction violente de son père, mais aussi parce que c'est délicat pour nous et notre couple. Nous sommes différentes, et nous réagissons donc pas de la même façon face à ce sujet. Je suis moins catégorique qu'elle, plus tolérante et peut-être plus compréhensive aussi. Kai est souvent dans les extrêmes, pour tout et n'importe quoi d'ailleurs, et c'est justement ce que j'ai toujours aimé chez elle. C'est une fille passionnée, et qui sait exactement ce qu'elle veut. Enfin ça, ça dépend pour quoi. Avec moi, elle a mis du temps à savoir - ou à comprendre plutôt. Mais je ne lui en veux pas. « On va espérer que ça dure pas des années quoi… » J'espère effectivement que ce ne sera pas le cas, sinon les choses risquent de se compliquer encore plus. C'est déjà pas facile pour moi de jongler entre les deux côtés sans que ma petite-amie ait l'impression que je ne veuille pas d'elle... c'est évidemment pas le cas, on est bien d'accord. « Bon.. on en a fini avec les sujets épineux je crois. J’ai plus rien à confesser, si toi non plus, je propose qu’on passe à quelque chose d’un peu plus gai. » Au moins, on a fait le tour et il n'y a plus de risque que l'ambiance de la soirée soit mise à mal. « Bonne idée ! » J'ai envie et besoin qu'on se retrouve sans penser à toutes les merdes de notre quotidien. « Sans mauvais jeu de mot. » Mon rire se mélange alors naturellement au sien. « J’ai un truc pour toi. » A ses mots, mes yeux s'illuminent instantanément. « Ah oui ? Mais en quel honneur ? » Ce n'est pas mon anniversaire, ni une date significative pour nous. Mais j'espère que je n'ai pas loupé un truc. Ma demi-sœur se lève pour récupérer le paquet qu'elle me tend. Je m'empresse de l'ouvrir, excitée comme une gamine de douze ans. Lorsque je découvre le kimono en soie, un large sourire se dessine sur mes lèvres. « Haaan mais il est trop beau ! » Et tout doux en plus. Je viens alors lui voler un rapide baiser au coin des lèvres pour la remercier. « Merci ! » Ni une ni deux, je l'enfile par dessus mes vêtements pour l'essayer avant de me lever et faire mine de défiler devant elle en prenant la pose. « Alors ? » Je me rapproche d'elle lui adressant un sourire charmeur. « J'espère que tu n'es pas déçue du résultat. » Peut-être qu'il rendait mieux dans le magasin, sait-on jamais. Sa petite attention me fait vraiment plaisir. Je suis contente, j'ai l'impression que depuis que Kai commence à plus assumer aux yeux des autres, elle est aussi plus démonstrative avec moi. J'ai même tendance à croire qu'en ce moment les rôles entre nous se sont un peu inversés. Pas que je l'aime moins ou quoi que ce soit, c'est juste que pendant un moment mes sentiments étaient comme à sens unique. Qu'elle veuille que j'emménage ici avec elle est aussi une preuve que les choses ont véritablement changées dans son cœur.

Je préfère de loin abandonner les mauvaises énergies de ces discussions qui font mal à la tête, et passer a quelque chose de plus joyeux. Autrement dit, le cadeau que je dois lui offrir. Il attend sagement dans ma chambre depuis que je l’ai acheté, et j’ai hâte de pouvoir lui donner. Je vois son regard s’illuminer quand elle voit le paquet. Ce n’est pas grand chose, mais disons que la pensée est le plus important. C’est ce qu’on dit souvent ‘c’est le geste qui compte’. Avant, je détestais cette phrase, parce que j’avais tendance à accorder plus d’importance au matériel. Force est de constater que j’ai changé. En bien j’espère. « Ah oui ? Mais en quel honneur ? » me demande Kezia sans tarder. « Pour rien, juste pour le plaisir. » Elle est excitée comme une puce et déchire le paquet que j’avais pris soin de faire. Après tout, c’est fait pour ça. Visiblement, à en voir son sourire, ça a l’air de lui plaire. Elle confirme, et je suis tout sourire, comme si le début de la soirée avait été balayé d’un coup de baguette magique. Elle m’embrasse à la volée et l’enfile par dessus ses vêtements avant de me faire un défilé improvisé. Je me marre, parce qu’elle est définitivement beaucoup trop mignonne. « Alors ? J'espère que tu n'es pas déçue du résultat. » Je continue de sourire, un peu comme une idiote, mais en même temps je ne peux pas faire autrement. « J’ai un peu de mal à me rendre compte, en fait. Tu as pas un autre gros pull, une doudoune et une combinaison de ski à mettre en dessous pour voir ? » Je la taquine, évidemment, mais il est vrai que ce genre de chose, appelé plus communément ‘déshabillé’, se porte plutôt sans rien en dessous, ou avec simplement des sous-vêtements. « J’aurai dû t’acheter les sous-vêts qui vont en dessous, si j’avais su que tu me ferais un défilé de ce genre… » Je lui souris encore plus largement, un petit air taquin sur le coin des lèvres. « La soirée n’est pas finie, j’espère que je le verrai sur toi autrement un peu plus tard… » Je ne vais pas lui demander de se déshabiller maintenant, puis ce serait un peu chelou, quand même. Ce n’est pas grand chose mais je suis contente que mon cadeau ait fait son petit effet. En même temps, c’est pas trop le genre de cadeau que je lui aurai fait il y a encore quelques mois, voire quelques semaines. « Hum, y’a un autre truc que je t’ai pas dit, dans le thème sujet chelou… » Ok, elle perd un peu de son sourire, j’espère que ça aussi sera vite balayé, mais en même temps, je me voyais pas lui cacher ce genre de chose, on sait jamais. « J’ai croisé Wyatt hier midi. Je voulais pas te le dire dans un simple message, et puis je voulais pas non plus te déconcentrer dans tes révisions… » Je crois que c’est le moment d’en dire un peu plus, non ? « On a pas échangé grand chose, c’était un peu chelou tu t’en doutes. Il m’a demandé de tes nouvelles, il m’a dit de te passer le bonjour. Evidemment, j’ai pas dit que je comptais te demander de vivre avec moi, tu t’en doutes… » Autant essayer de mettre un peu d’humour là dedans, non ?

Je suis bien contente de pouvoir mettre de côté tous les sujets sensibles de notre quotidien pendant l'espace d'une soirée. Le mieux serait de pouvoir le faire plus souvent d'ailleurs. Mais promis, pour ça, je vais faire des efforts. Je me dois de consacrer plus de temps à Kai. Surtout quand elle joue les petites amies parfaites à me faire des cadeaux inattendus. Ok, ça me fait encore plus sentir coupable de ne pas être suffisamment présente pour elle, mais on a dit qu'on ne parlait plus des sujets délicats. Donc stop. J'essaye son cadeau par dessus mes vêtements en lui improvisant un petit défilé. De l'extérieur, je pourrais facilement avoir l'air ridicule mais avec elle, je suis juste moi-même. Spontanée et vivante. Et je peux tout me permettre. « J’ai un peu de mal à me rendre compte, en fait. Tu as pas un autre gros pull, une doudoune et une combinaison de ski à mettre en dessous pour voir ? » Je ne peux m'empêcher de rire. « T'es con ! » C'est vrai que ce n'est pas l'utilité première d'un kimono de le mettre comme ça par dessus ses vêtements. Mais il va falloir qu'elle se contente de ça... pour le moment. « J’aurai dû t’acheter les sous-vêts qui vont en dessous, si j’avais su que tu me ferais un défilé de ce genre… » Je hausse les épaules l'air de dire "tant pis pour toi". « La soirée n’est pas finie, j’espère que je le verrai sur toi autrement un peu plus tard… » Si je veux être totalement honnête, cette idée m'a déjà traversé l'esprit. En même temps, quand elle me regarde comme ça, je ne peux pas lui résister. « C'était juste une petite mise en bouche. » Mon regard en dit long sur ce que je pense vraiment pour la suite des évènements. La soirée est encore longue, et je compte bien la remercier comme elle le mérite vraiment. « Hum, y’a un autre truc que je t’ai pas dit, dans le thème sujet chelou… » Ah. Bizarrement, là, tout de suite, je change un peu de tête. Je croyais qu'il n'y avait plus rien à dire ? « J’ai croisé Wyatt hier midi. Je voulais pas te le dire dans un simple message, et puis je voulais pas non plus te déconcentrer dans tes révisions… » Merde, je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle me parle de mon ex. Ex petit ami, mais surtout ex meilleur ami. Parce que depuis que nous sommes plus ensemble, nous ne nous voyons plus. Fini, plus un seul message, rien. Silence radio. Nous avons pourtant vécu de belles choses ensemble... notre amitié était importante à mes yeux, mais j'ai tout gâché. Je crois que ce n'est même pas tant Kai le problème en soit. Enfin si, un peu. Mais nous avons tous les deux eu du mal à nous remettre de la perte du bébé aussi. Et je crois que nous avions besoin de temps chacun de notre côté pour encaisser. « On a pas échangé grand chose, c’était un peu chelou tu t’en doutes. Il m’a demandé de tes nouvelles, il m’a dit de te passer le bonjour. Evidemment, j’ai pas dit que je comptais te demander de vivre avec moi, tu t’en doutes… » Je peux facilement imaginer la gênance du moment. Je grimace inconsciemment avant d'ajouter. « Je crois que je ne l'ai pas revu depuis l'accident. » Mon coeur se serre en reparlant de ce douloureux souvenir. « En vrai il me manque... » A cet instant, les mots se délient de mes lèvres sans aucun filtre. Je suis juste sincère, parce qu'il me manque. Pas en tant que petit ami, évidemment, mais en tant qu'ami. « C'est dommage qu'on en soit arrivés là quand même. » Mais la situation n'était pas facile pour lui. Mon coeur ne l'a pas choisi, et je pense qu'il aurait du mal à nous voir toutes les deux ensemble. « C'est de ta faute ça ! » Ajoutais-je en rigolant pour essayer de ne pas replomber l'ambiance. « Si t'avais pas mis 15 ans à te rendre compte que j'étais la femme de ta vie, on en serait pas là. » J'en rajoute un peu - beaucoup - pour l'embêter. Mais je préfère mille fois rire de la situation que de me focaliser sur des remords.

Je la fais rire. Et ça, c’est le plus beau des cadeaux qu’elle puisse me faire. Tous les cadeaux matériels que je pourrai lui faire en retour n’auraient autant de valeur à mes yeux. Mais je regrette quand même de ne pas lui avoir acheté les sous-vêtements qui auraient bien été en dessous. « C'était juste une petite mise en bouche. » J’arque un sourcil mutin. Mais le moment de gaieté est de courte durée, parce qu’en me rappelant quand j’ai acheté le kimono, j’ai croisé Wyatt. Et ça vient de me revenir, donc je ne dois pas garder ça pour moi, je sais d’expérience que ça se finit toujours mal quand je garde un truc pour moi. Je vois bien son énergie qui change, son sourire qui se perd. Et c’est normal, ça doit lui rappeler des souvenirs, pas tous très joyeux. « Je crois que je ne l'ai pas revu depuis l'accident. » Je me pince un peu les lèvres, j’ai mal au coeur pour elle et je m’en veux de lui avoir refait penser à tout ça. « En vrai il me manque... » Mon coeur se serre. Bien sûr que j’ai été jalouse de Wyatt même si je n’en avais pas vraiment conscience. Parce qu’il me volait ma semi-soeur, parce qu’il me volait la femme que j’aimais sans même m’en rendre compte. « C'est dommage qu'on en soit arrivés là quand même. » Je hausse un peu les épaules, maladroitement. « Peut-être que vous arriverez à vous retrouver, il vous faut sans doute juste encore un peu de temps. » Parce que j’imagine qu’on ne passe pas outre un évènement aussi important dans une vie. Ils ont failli être parents, tous les deux. Mais je n’arrive pas à me retirer de la tête que si ça avait été le cas, nous ne serions pas là, heureuses, à célébrer notre amour. « C'est de ta faute ça ! » Revirement de situation. « Quoi ? » Je rêve ! « Si t'avais pas mis 15 ans à te rendre compte que j'étais la femme de ta vie, on en serait pas là. » Je ris avec elle, contente de voir qu’elle revient chercher une ambiance plus légère. « Oui bah hein ! » Quelle répartie ! « D’ailleurs non. C’est de la faute de ma mère. Si elle avait pas trompé mon père avec Lise, les choses auraient probablement été différentes. » Oui, et avec des ‘si’ on referait le monde. Mais il est vrai que j’aurai peut-être eu moins de mal à assumer mon amour pour ma semi-soeur, si ma mère n’avait pas trahi mon père, avec une autre femme. « Enfin toute façon on s’en fout, puisque t’as eu ce que tu voulais… » Je lui fais un petit sourire malin, et lui saute dessus pour l’embrasser. « Tu sais, s’il te manque, peut-être que tu pourrais lui écrire pour lui dire ? J’ai plus peur de lui maintenant, je sais que c’est moi que tu as choisis. » A nouveau je l’embrasse pour lui traduire mon amour. C’est une véritable preuve d’amour et de confiance que je lui fais, j’espère qu’elle en a conscience.