Take the right decision [Eliott #12]

« Elle est morte, c’est ça ? Maman est morte ? » Prenez ça dans les dents, bande d’adultes qui prennent les enfants pour des crétins. On n’a finalement pas eu besoin d’épiloguer plus que ça. Et on est là, comme deux connes, assises sur ce canapé, face à une petite fille de trois ans, diablement intelligente, vive d’esprit, qui comprend presque mieux que nous le monde qui l’entoure. Pourquoi ? Pourquoi il lui arrive quelque-chose comme ça ? Personne n’est capable de le dire, et nous sommes les seules personnes responsables qu’elle connaît. Si ça, ça ne ressemble pas à un coup de pression…
Elle demande l’autorisation d’aller jouer. On ne se voit pas la lui refuser, et la lui accordons d’un simple hochement de tête. Eliot a l’air dépitée. Et moi, je ne comprends même pas ce qui me tombe sur le coin du nez. Léo se hisse jusqu’au bord du canapé pour se faire glisser sur le sol, et repartir dans le jardin, pour retrouver ses jouets, en silence. A-t-elle compris que ça n’était pas un jeu ? Peut-être a-t-elle besoin d’accuser le coup, comme nous ? Je n’en n’ai pas la moindre idée. Mais c’est la main d’Eliot que je prends dans la mienne, elle tremble entre mes doigts. « Ça va aller, d’accord ? »
Je me lève pour nous préparer un café chacune, que je pose sur la table de la cuisine. Un dossier trône sur la table, c’est celui que les services sociaux nous ont envoyé. J’ai imprimé le tout, tout à l’heure, comme pour préparer ce moment, celui où on devrait lui parler franchement. Je n’étais pas réellement pour lui mentir, les enfants le sentent. On aurait dit qu’elle était partie en voyage ? Combien de temps ? Combien de temps l’aurions nous fait vivre dans le mensonge ? Eliot doute, je le sens bien. « Elle avait le droit de le savoir Eliot. » Je ne dis pas savoir mieux qu’elle ce qui est le mieux pour une petite fille de son âge, mais au moins les choses sont claires et nous pouvons commencer à avancer. Parce qu’il reste tout un tas de questions à régler.
Je prends sa main dans la mienne, puis la guide contre moi, pour un câlin. Ça vient rarement d’elle, mais de plus en plus, alors j’essaye de la guider, de l’aider à lâcher prise en lui faisant remarquer que c’est naturel, et que ça fait un bien fou quand on en a besoin.
« Les services sociaux doivent passer tout à l’heure. On a trois options ma chérie. On la laisse partir, parce qu’on se sent pas de l’élever. On se constitue famille d’accueil et on la garde jusqu’à ce qu’elle soit adoptée ou transférée ailleurs. Soit on la garde… » C’est cru et pragmatique, et j’en suis désolée mais là il s’agit de la vie d’un enfant et je ne peux pas tourner autour du pot longtemps, comme j’ai pu le faire pour identifier notre relation à Eliot et moi. Ça a duré des mois, ça va même faire plus que ça. Sauf que nous n’avons pas ce temps-là devant nous, c’est un fait… « Ecoute ma puce, je suis prête à te suivre, dans ce que tu choisiras. Mais c’est pas à moi de trancher. Pas que en tout cas. Alors on fera comme tu le voudras, mais on le fera bien. » J’observe la petite jouer dehors, enfin jouer… elle est assise sur les marches de la terrasse, et Woody se frotte à elle, quémandant quelques caresses, que la petite fille lui donne.

Je redoutais ce moment, où il allait falloir mettre des mots exacts sur la situation. Cette enfant est loin d’être idiote, on ne pouvait plus lui cacher la vérité plus longtemps. Mais ma gorge est serrée, et même si je n’ai jamais eu à apprendre la mort d’un de mes parents, je sais quand même le sentiment de se sentir seul, abandonné, incompris. Je ne sais pas si à son âge elle peut ressentir ce genre de chose, à quel niveau est la compréhension. Mais j’ai le sentiment d’être liée à elle, de ressentir ce qu’elle ressent, et à ce stade, je suis liquéfiée. Leo demande si elle peut aller jouer, et Ellen et moi nous contentons d’un signe de la tête pour lui donner notre accord, évidemment. Qu’est-ce que tu veux qu’on dise de plus après ça. Moi, j’ai les yeux dans le vague, j’ai peur, de ce qui va lui arriver et de ce que je vais pouvoir encaisser. De ce que ça va faire renaître en moi, aussi. J’ai changé, grandit, mais je reste au fond cette gamine qui a une peur bleue de l’abandon, au point de ne jamais vouloir s’attacher à quiconque. Aujourd’hui, je vis avec une femme que j’aime, j’ai un chien, et une enfant est même entrée dans ma vie, et j’y suis attachée bien plus que de raison. « Ça va aller, d’accord ? » me rassure Ellen comme elle peut. Je n’ai jamais été confrontée à la mort. Elle oui. Elle est peut-être la seule à pouvoir comprendre ? J’en sais rien. J’arrive plus à être au clair dans mes pensées, je me contente de ressentir, et c’est pas plus agréable pour autant. « Elle avait le droit de le savoir Eliot. » « Oui. » que je lui réponds un peu abruptement. Pas que je lui en veuille, mais j’essaie juste de me convaincre.
Ellen m’attire à elle pour me prendre dans ses bras et je n’émets aucune résistance, je me laisse aller contre elle, les yeux encore dans le vague. « Les services sociaux doivent passer tout à l’heure. On a trois options ma chérie. On la laisse partir, parce qu’on se sent pas de l’élever. On se constitue famille d’accueil et on la garde jusqu’à ce qu’elle soit adoptée ou transférée ailleurs. Soit on la garde… » Je fronce les sourcils. Je savais Ellen pragmatique, mais à ce point, je suis presque un peu surprise. Je me redresse un peu pour la regarder. Ces questions là, je ne me les suis même pas posées, parce que je ne sais pas ce qui est possible, ce qui est légal. Tout ce que je voudrais, c’est que cette gosse ne soit pas remise à l’administration ou ne tombe entre les mains de n’importe qui. « Ecoute ma puce, je suis prête à te suivre, dans ce que tu choisiras. Mais c’est pas à moi de trancher. Pas que en tout cas. Alors on fera comme tu le voudras, mais on le fera bien. » J’ai juste envie de chialer, de me barrer pour me recroqueviller dans un coin et finir par m’endormir de fatigue. Tout ça c’est trop de responsabilités pour moi. Je m’assieds sur le bord du canapé et prends ma tête entre mes mains, passant ces dernières dans mes cheveux, tout en soupirant. « Je sais pas, j’en sais rien. Comment tu veux que je sache ? » Ma voix est tremblante, mais je n’ai ps envie de craquer. Sois une adulte bordel ! « Je sais pas si je serai capable d’être une image parentale pour elle, je suis encore une gamine putain… Toi tu as été une mère parfaite et tu serais une merveilleuse figure maternelle pour elle, mais moi… » Je lâche un rire acerbe, me foutant de ma propre gueule. C’est ridicule cette idée de devenir la mère de substitution de cette gamine. Et pourtant, j’ai fait la promesse de m’en occuper. Et maintenant ?

J’ai toujours eu à cœur de prendre des gants avec Eliot, parce que je savais qu’elle allait finir un jour ou l’autre par me glisser entre les doigts, disparaître et que je n’aurais aucune prise sur tout ça. Sauf qu’il ne s’agit pas que de moi, mais d’une enfant de trois ans à qui on ne peut visiblement pas cacher grand-chose. Eliot va devoir grandir d’un coup, bien que ça ne soit pas ce qui me fait le plus plaisir, au contraire. J’aurais voulu la conforter dans cette idée que je suis là, quoi qu’il arrive et qu’il ne peut rien lui arriver tant qu’elle ne se met pas en danger. Force est de constater que tout peut arriver. La preuve. Et j’entends aussi le fait qu’elle ne sache pas quoi faire. Pour autant, le rôle de guide, je l’ai endossé dès le début. La figure solide, c’est moi, parce que j’ai quelques années de plus, sans doute un passé qui me force à relever la tête sans me poser plus de questions, et un besoin effréné de continuer à avancer, sans quoi, je m’écroule. Malgré tout ce que je montre à voir, je suis fragile, mon deuil ne se fera sans doute jamais, mais Eliot m’a aidé à tenir le coup, bien que je ne puisse pas lui dire en ces termes sans la faire fuir. Ce serait trop de pression pour elle que de savoir tout ça. Alors je dose, tout le temps, au compte-goutte, pour ne pas prendre le risque de l’effrayer ou de lui donner l’envie de faire un pas en arrière.
Alors je suis on ne peut plus pragmatique et même un peu brutale. Mais nous avons peu de temps devant nous et nous allons devoir prendre une décision, et pour ça, il est indispensable d’avoir une vue d’ensemble claire et précise. Je sais que je la bouscule, et je sais aussi que tout ce qu’elle voudrait faire c’est partir en courant le plus loin possible, fuir cette réalité. Qu’est-ce que j’aurais fais à son âge et avec sa vie ? Sans doute pareil, non ?
« Je sais pas, j’en sais rien. Comment tu veux que je sache ? » « Je sais que ce n’est pas facile Eliot, et ça n’est facile pour personne. La seule chose dont je sois sûre, c’est que tu en es capable. » Si elle décide de vouloir élever la petite, elle n’aura d’autre choix que de redoubler d’efforts pour y parvenir et elle le peut, je le sais. Sinon je ne lui proposerais même pas. Je pense au bien être de la petite fille, bien avant tout le reste. « Je sais pas si je serai capable d’être une image parentale pour elle, je suis encore une gamine putain… Toi tu as été une mère parfaite et tu serais une merveilleuse figure maternelle pour elle, mais moi… » « Non, Eliot, c’est fini ça, tu n’es plus une enfant. Arrête de croire que tout le monde peut mieux faire que toi. » Je glisse une main dans son dos, embrasse son cou, avec beaucoup de tendresse. « Et surtout, arrête de penser que je suis la solution à tout, là où tu es le problème à tout. C’est faux. C’est à toi qu’elle a confié sa fille Eliot, pas à moi. C’est en toi qu’elle avait confiance. » Je la prends dans mes bras, l’entourant de toute mon affection et de toute ma confiance. « Et si tu crois que les enfants sont livrés avec un mode d’emploi, tu te plantes. Personne n’a jamais trouvé le bon. Mais on essaye, on tente des trucs, parfois on se plante. Ça pleure, ça crie, ça rit aussi. Et ça évolue. Tout ça, on le fait tous ensemble, et ça s’appelle une famille. » Je relève son visage pour essuyer ses larmes. « On va pas rire tous les jours, on va pas pleurer non plus. Mais ce sera dur, on se posera des millions de questions, on remettra tout en cause. Mais on le fera ensemble. » J’embrasse sa joue en caressant son visage du mien. « Tu en es capable Eliot, je suis sûre de toi. Sois-le toi aussi, tu n’es pas seule. » Quoi qu’elle puisse prendre comme décision, je suis avec elle, c’est aussi ça l’intérêt de partager sa vie…

Je me sens totalement paumée. Comment savoir ce qui est juste, ce qui sera bien pour cette pauvre gosse, et pour Ellen, pour moi aussi. Est-ce que je pourrai vivre en l’ayant laissée entre les mains de l’administration ? Est-ce que j’aurai les épaules assez solides pour assumer l’éducation d’un enfant alors que j’ai déjà pas l’impression d’être une adulte ? « Je sais que ce n’est pas facile Eliot, et ça n’est facile pour personne. La seule chose dont je sois sûre, c’est que tu en es capable. » Elle en est sûre, mais pas moi. Comment je pourrais en être sûre ? Je lui fais part de mes doutes, ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi, et encore moins facile. Mais c’est elle, et c’est différent. Ça l’a toujours été. « Non, Eliot, c’est fini ça, tu n’es plus une enfant. Arrête de croire que tout le monde peut mieux faire que toi. Et surtout, arrête de penser que je suis la solution à tout, là où tu es le problème à tout. C’est faux. C’est à toi qu’elle a confié sa fille Eliot, pas à moi. C’est en toi qu’elle avait confiance. » Je me repasse dans la tête ce moment où Millie m’a demandé de m’occuper de Leo, est-ce qu’elle savait déjà qu’elle allait passer à l’acte ? Pourquoi c’est à moi qu’elle a pensé, je n’ai jamais été très stable… « Et si tu crois que les enfants sont livrés avec un mode d’emploi, tu te plantes. Personne n’a jamais trouvé le bon. Mais on essaye, on tente des trucs, parfois on se plante. Ça pleure, ça crie, ça rit aussi. Et ça évolue. Tout ça, on le fait tous ensemble, et ça s’appelle une famille. » Ellen continue son speech en essayant de me faire comprendre certaines choses. Mais moi la famille j’y connais rien, j’y ai jamais eu le droit. Comment je pourrai savoir ce qui est bien ou ce qui est mal ? Ce qu’il faut faire ou ne pas faire ? Je sais que ma décision aura un impact sur la vie d’Ellen, un impact important. Et je dois le prendre en compte. « Tu en es capable Eliot, je suis sûre de toi. Sois-le toi aussi, tu n’es pas seule. » A l’entendre, on dirait qu’elle sait déjà quelle sera ma décision, ou peut-être qu’elle m’incite simplement et avec douceur, à prendre ce chemin là. Je ne sais même pas si notre demande pourra être acceptée. Est-ce qu’on peut adopter comme ça un enfant, du jour au lendemain ? Est-ce qu’ils ne vont pas estimer qu’elle peut avoir ailleurs une famille mieux que nous, avec un père et une mère, qui ont le même âge et qui vivent dans une petite maison en périphérie de la ville ? Ma gorge se noue, je regarde la petite fille au loin, qui caresse tendrement Woody. « Tu crois qu’elle pourra être heureuse avec nous ? » J’aime à le penser, et si je décide qu’elle reste ici, avec nous, je me battrai pour elle, je ferai tout pour qu’elle ne manque de rien. J’en ai fait la promesse. Je me suis attachée à cette gamine sans savoir pourquoi, ça ne fait que quelques jours que je la connais et pourtant, c’est comme si elle avait toujours été là…

Il ne m’est pas forcément aisé de rassurer Eliot, alors que moi-même je tente de le faire avec moi-même. Mais je suis à peu près sûre de ce que je dis. Je ne dis pas que ça risque d’être un long fleuve tranquille, bien au contraire. Autant pour notre couple que pour l’éducation de la petite. Mais est-ce qu’on peut vraiment la laisser dans la nature après ce qu’il vient de lui arriver ? Nous avons un foyer un peu trop vide, et elle a besoin d’une maison et de parents, d’adultes référents tout du moins. Pas des murs d’un foyer trop plein de gamins malheureux. C’est dur à dire, parce que je sais qu’ils sont nombreux, ces enfants laissés sur le bord de la route, n’ayant pas eu autant de chance que la plupart. Mais si on a une chance de changer la vie d’une d’entre eux, est-ce qu’on doit la laisser passer ?
Je sais qu’Eliot est tétanisée à l’idée de devoir devenir adulte, prendre des responsabilités, penser à deux, voir à trois, au lieu de penser à elle seule, même si je n’entends pas l’égoïsme par-là, mais la gestion d’elle-même. Je suis là, si elle en a besoin, prête à m’engager dans cette mission avec elle. L’éducation d’un enfant est pleine de défis et nous allons nous planter, certaines fois, être à côté de la plaque, flipper pour rien, et vouloir en faire beaucoup trop. C’est comme ça, ça fait partie du job de parents. Et on ne s’en rend compte qu’une fois qu’ils grandissent. Pour autant, le jeu en vaut nécessairement la chandelle. Une petite fille pout grandir un peu moins malheureusement que ce qu’elle aurait dû, étant donné les circonstances, et je pense qu’on se doit d’y prendre part. Mais je ne formule rien…
Je prends la main d’Eliot et l’encourage à me rejoindre, assise sur les marches de la terrasse, à regarder la petite fille jouer avec le chien, qui fait attention à ne pas la bousculer. « Tu crois qu’elle pourra être heureuse avec nous ? » Gardant sa main dans la mienne, je la caresse. « Oui, toujours plus que dans un foyer avec des inconnus et des enfants qui souffrent. » Mais je dois apporter un peu de légèreté à tout ça. « Je ne te dis pas que son équilibre mental sera garanti, mais comme nous même ne le sommes pas, ça ne se verra même pas. » Je lui souris, un peu amusée, et embrasse tendrement sa joue en prenant sa tête contre moi. « Ca fait peur, je le sais. Mais en même temps, tout fait peur, non ? » En tout cas ce que nous nous apprêtons à affronter. « A côté de ça, je te garantie que le fait de dormir ou non tous les soirs avec moi te paraîtra complètement dérisoire. » Je sais qu’elle se pose la question de l’engagement rien qu’en partageant mon lit tous les soirs. Mais elle fini par me rejoindre, c’est presque immuable, sauf quand elle sort, et encore. Elle a simplement la décence de ne pas me réveiller quand elle rentre avec un taux d’alcoolémie un peu trop important. Mais je m’en rends compte le matin en me levant quand je la vois sur le canapé, planquée sous un plaid.
« Mais je crois qu’on ne devrait pas lui mentir. Toujours tout lui dire, et lui expliquer. Ce sera peut-être difficile mais il n’y rien de pire que de se construire sur un mensonge. Et si tu veux que je t’aide, je suis là. » Je sais que c’est à Eliot que la mère de Léo l’a confiée, mais je sais aussi que je veux prendre part à cette éducation. « Woody s’est fait une copine. »

Evidemment que j’ai besoin d’être rassurée. Cette situation est nouvelle, inédite, inattendue. Et j’ai peur. Mais Ellen est là, et elle me rassure, comme toujours. Ça n’a pas toujours été évident entre nous, on a traversé pas mal de choses ensemble depuis qu’on se connaît, et je sais que je peux compter sur elle si j’en ressens le besoin. Aujourd’hui plus que jamais. « Oui, toujours plus que dans un foyer avec des inconnus et des enfants qui souffrent. » Elle ne sait pas vraiment de quoi elle parle, elle devine simplement, imagine. Moi, je sais. Parce que je l’ai vécu. « Je ne te dis pas que son équilibre mental sera garanti, mais comme nous même ne le sommes pas, ça ne se verra même pas. » Je souris légèrement en voyant qu’elle essaie de me faire rire, ou au moins de rendre les choses un peu plus légères un court instant. Ça fonctionne à peu près, en tout cas, je salue l’effort. « Ca fait peur, je le sais. Mais en même temps, tout fait peur, non ? A côté de ça, je te garantis que le fait de dormir ou non tous les soirs avec moi te paraîtra complètement dérisoire. » Cette fois, c’est un léger rire qui franchit la barrière de mes lèvres. Je soupire un peu et laisse tomber ma tête sur l’épaule de la quinqua. Evidemment que tout ça fait peur, mais est-ce qu’il ne serait pas temps pour moi de prendre un peu plus de responsabilités ? De grandir, enfin ? Je sais au plus profond de moi que si je la laisse partir, je m’en voudrais toute ma vie de ne pas avoir au moins essayé. Essayé de la rendre heureuse, ou au moins, moins malheureuse que si elle avait vécu dans un foyer, ou dans des familles d’accueil pas forcément toujours aussi accueillantes qu’on imaginerait. Ellen ponctue son discours d’une réflexion, sur la communication avec la petite fille. Elle est intelligente, je sais qu’on ne pourra de toute manière pas lui mentir.
Woody semble ressentir l’atmosphère étrange. Il est moins fou fou qu’il peut l’être, et il a l’air de vouloir prendre soin de Leo, lui aussi. Ça me fait sourire, parce que je trouve le tableau adorable, malgré la situation. « On va la garder. » Je sais qu’Ellen se doutait de ma décision, mais j’avais besoin de le dire à voix haute. Je tourne la tête vers elle, l’émotion palpable dans le regard. « Enfin, s’ils veulent bien qu’on la garde. Si elle n’a pas d’autre famille, ou j’en sais rien… » Et voilà qu’une nouvelle vague d’angoisse s’empare de moi. Mais je prends une grande inspiration et tente de me canaliser, alors que la petite fille approche, fixant mon regard humide. « Tu pleures ? » Je lui souris et hausse un peu les épaules. « Pas tout à fait. » Elle vient se coller à moi et entoure mon cou de ses petits bras. J’en fais de même et retiens mes larmes véritablement. « Leo, est-ce que tu aimerais rester avec Ellen et moi, maintenant que maman est partie ? » On a dit qu’il fallait parler avec elle, alors c’est ce que je fais. « Tu veux dire pour toujours ? » J’aimerai bien. « On aimerait bien, mais c’est seulement si toi tu as envie aussi. Et puis on va discuter avec des personnes qui vont venir tout à l’heure pour te poser des questions, et savoir ce que tu as envie, toi. » Elle hoche la tête, me regarde, regarde Ellen, puis Woody. « Moi j’aime bien être ici. » Ça me rassure, je ne vais pas le nier. Alors je la fais asseoir sur mes genoux, et attrape la main d’Ellen en lui adressant un regard tendre. Est-ce que c’est ça, une famille ?

C’est un peu mon rôle tout ça. De la rassurer, de l’épauler et de la guider quand elle en a besoin. Je ne prétends bien sûr pas savoir mieux qu’elle ce dont elle pourrait avoir besoin ou ce qu’elle devrait faire. Eliot est assez grande pour savoir, au fond d’elle-même ce qu’il lui faut. Elle peine juste à s’écouter. Mais ça ne demande qu’un peu de temps et de lucidité, ça va venir. Elle est encore trop jeune pour savoir tout gérer.
Quand elle pose sa tête contre moi, je passe un bras derrière elle et glisse une main dans ses cheveux, pour les relever sur son front. Je dépose un baiser sur le sommet de sa tête. Je crois qu’elle a surtout besoin de se rassurer et de savoir qu’elle n’est pas seule dans cette galère. Que de toute façon, nous seront dans le même bateau, et prêtes à affronter les choses ensembles. Ça n’est pas de la plus grande évidence pour moi non plus. Je tente encore de faire le deuil de la maternité, pour mieux y replonger. « On va la garder. » Je m’en doutais un peu, pour être tout à fait honnête, mais il fallait que ce soit elle qui prononce ces mots, qui prenne cette décision et la verbalise. « Enfin, s’ils veulent bien qu’on la garde. Si elle n’a pas d’autre famille, ou j’en sais rien… » « Ca va bien se passer. Elle n’ira pas en foyer. » Je sais ce que ça peut représenter pour elle, et c’est justement ce que je voudrais éviter à cette petite fille.
Mais ce fut sans compter sur la perspicacité de Léo. En quelques heures à peine, elle m’aura époustouflé plus d’une fois. « Tu pleures ? » « Pas tout à fait. » Alors pour la consoler, elle vient entourer son cou de ses petits bras. Et là je le sens, c’est un coup de foudre pour les deux. J’essuie du pouce la larme non pas de tristesse mais de joie qui vient de couler sur la joue d’Eliot, en lui souriant. Moi aussi les larmes me montent aux yeux, mais moi je pleure pour pas grand-chose, et surtout devant les films, ou un bouquin. « Leo, est-ce que tu aimerais rester avec Ellen et moi, maintenant que maman est partie ? » « Tu veux dire pour toujours ? » « On aimerait bien, mais c’est seulement si toi tu as envie aussi. Et puis on va discuter avec des personnes qui vont venir tout à l’heure pour te poser des questions, et savoir ce que tu as envie, toi. » Je sens la petite fille sceptique, mais elle ne relève pas, elle nous regarde tour à tour, éblouie par le soleil, et je lui tends la main pour qu’elle s’approche d’un pas et se mette à l’abri de ses rayons. « Moi j’aime bien être ici. » Alors je souris pour moi-même et partage ce sourire avec Eliot, qui attrape ma main. Je glisse l’autre dans les cheveux de Léo. « Ca voudra dire que tu auras ta propre chambre, avec tes jouets, et les affaires que tu avais déjà chez ta maman. Enfin, ce que tu veux prendre. Tu peux même tout prendre. » Je voudrais la rassurer elle aussi. « Et je suis sûre que Woody sera content de partager le jardin avec toi. » Je crois qu’elle l’aime déjà bien, et qu’elle s’invente un tas d’histoires en jouant dehors. On va devoir faire attention à ce qu’il ne mange pas les jouets de la petite mais la mission semble bien secondaire par rapport à ce qui nous attend. « Et si tu es triste, malheureuse, ou inquiète, même joyeuse, tu peux nous le dire. Tu as le droit de nous dire comment tu te sens, tout le temps, d’accord ma puce ? » Glissant une main sur sa joue. Combien de temps que je n’avais pas consolé un enfant ? En suis-je encore capable ?

Ellen réitère en me disant que Leo n’ira pas en foyer. Je l’espère, mais comment en avoir la certitude ? La petite fille s’approche en voyant que les larmes coulent sur mes joues. Je lui explique du mieux que je peux, en choisissant mes mots, la situation actuelle. Elle peut rester si elle en a envie. Le fait qu’elle me dise aimer être ici me rassure, bien sûr. Ellen prend le relais pour continuer les explications. Sa propre chambre, ses jouets, partager le jardin avec Woody. Je retrouve un léger sourire de les imaginer grandir ensemble tous les deux. « Et si tu es triste, malheureuse, ou inquiète, même joyeuse, tu peux nous le dire. Tu as le droit de nous dire comment tu te sens, tout le temps, d’accord ma puce ? » Elle est si petite… La pauvre. Elle hoche la tête et nous regarde tour à tour, comme si elle voulait nous consoler de son simple regard. Comment fait-elle ça ? Et puis sans un mot de plus, elle repart jouer avec le chien. Heureusement qu’il est là, lui aussi.
Il va me falloir un peu de temps pour m’acclimater à ce nouveau changement de vie. Ce n’est pas rien d’accueillir un enfant, d’en prendre soin et surtout d’en avoir la responsabilité. Je ne suis pas seule pour vivre ça, Ellen et là, et sans elle je n’aurai jamais été capable d’une telle décision. J’aurai probablement fait les mauvais choix, et je m’en serai voulu jusqu’à la fin de ma vie. Mais elle est là. Je me serre un peu plus contre elle sans jamais lâcher Leo des yeux, comme si j’avais déjà peur de la perdre. Est-ce que c’est ça, quand on devient parent ?