Live fast. Love hard. Die young.

That’s part of the rule. Never quit. Never let them see you’re afraid. Above all—never let them see you’re hurt. Never let them see you cry. Never.

Rien n’avait changé. Tout était gris, alors que le soleil rendait l’herbe brune et le béton mou. Hespéride gara sa voiture sur une des places du parking des visites. La première fois qu’elle était venue ici, elle n’en avait pas eu un très bon souvenir. C’était il y a cinq ans déjà, et pourtant, elle pensait qu’une éternité s’était écoulée. Son père avait été enfermé lorsqu’elle avait vingt ans. Elle se souvient encore des regards que lui jetait l’avocat commis d’office durant la séance, comme s’il savait que la sentence allait tomber et qu’il ne pouvait rien faire. La main de sa mère dans la sienne, elle l’avait senti vibrer lorsque le maillet du juge avait frappé sur son bureau, annonçant le point définitif de cette séance. Les deux femmes s’étaient battues corps et âme pour plaider son innocence, se ruinant mentalement et physiquement, alors que père et mari était détenu jusqu’au verdict. Les au-revoir avaient été déchirants. Et Hespéride n’arrivait pas à se faire à l’idée à l’époque. Malgré tout ce qu’il lui avait fait, son père restait son père. Elle l’aimait comme la petite fille qu’elle avait été.
Ravalant l’amertume de ses songes, elle sortit de la voiture, sac en main, ses talons résonnant sur le sol chaud. Déjà plusieurs personnes attendaient à la porte. Quelques duos, beaucoup de personnes seules et elle. Le temps semblait long sous le soleil de midi. Elle aurait pu s’allumer une cigarette, réchauffant un peu plus l’air autour d’elle. Elle l’aurait fait si la porte ne s’était pas ouverte, invitation à entrer pour voir les prisonniers. Le protocole était habituel pour elle maintenant. Le fessier posé sur la chaise, elle attendait patiemment l’arrivée de son père, de l’autre côté de la vitre. Posé sur ses genoux, un bouquin d'adolescent, dont elle voyait déjà la conclusion finale. Il s’agissait du plus petit livre qu’elle n’avait pas encore lu dans sa bibliothèque, et même si l’histoire en restait étrangement sans grand rebondissement, à part la mort d’une des protagonistes, l’écriture lui plaisait, libérant son esprit qui pouvait totalement se projeter dans cette histoire. Sa période de lycée miroitait avec ce qu’elle lisait. Première cigarette, première petite-amie, première blague. Pour elle qui ne voulait pas rentrer chez elle le soir, cela avait été un bon début. A seize ans, alors qu’elle séchait un cours de trigonométrie, elle avait été alpaguée par le patron d’un bar. Il ne l’avait pas engueulée comme elle l’aurait pensé. A la place, il lui avait présenté son travail et lui en avait proposé un. Elle était en âge de faire serveuse. Avec les économies de son salaire, elle avait loué son premier et unique appartement, qu’elle occupait toujours actuellement, à la sortie du lycée.
Un son de l’autre côté du plexiglasse l’obligea à fermer le livre, le glissant dans son sac tandis que son père s'installait devant elle. CeeCee Jones se tenait devant elle. Dans son uniforme monochrome, il ressemblait presque à un vrai gangster. Mais pour elle, Hespéride, il était son père. Même s’il n’avait pas toujours été tendre avec elle, refusant d’entendre ses discours jusqu’à la fin, il l’avait aimé inconditionnellement. Un instant, le silence les enveloppa, comme une couverture calme, sans préjugés, sans haine. Puis, la fille leva la main pour attraper le téléphone accroché de son côté, le décrochant calmement pour le porter à son oreille. “Bonjour papa.” dit-elle doucement dans le combiné lorsqu’il eut pris le sien. La discussion commença, dans une étrange paix, presque anormale au vu du décor. Elle lui parla de sa mère, qui allait bien, malgré la douleur constante d’être séparée de son amour. Elle lui dit qu’elle n’avait pas pu venir car elle faisait des heures supplémentaires mais qu’elle fera son possible la prochaine fois. Puis il enchaîna, discutant des repas fades de la cantine et de son partenaire de chambre qui avait un fils qui ne venait jamais le voir. Hespéride eut de la peine pour l’homme, se disant que les blessures avaient dû être tellement profondes que même derrière les barreaux, il ne fera pas le déplacement pour lui. “Tu ne me feras pas ça, pas vrai, ma fille ?” Hespéride secoua la tête, faisant remuer ses cheveux autour de son cou. Malgré toutes les insultes qu’il avait pu lui dire, elle ne pouvait pas.
En sortant de la salle, elle ressentit une petite main dans la sienne. Sans baisser les yeux, elle comprit qu’il s’agissait d’elle, enfant, qui la regardait avec attention. Après chaque entrevue avec l’homme qui lui avait donné vie, elle revivait un court instant d’enfance. Ses cheveux retenus en pompons sur sa tête, alors que sa mère passait des heures à les étirer dans tous les sens pour qu’ils rentrent dans le moule. Toutes les fois où son père s’était fait arrêté, alors qu’il marchait avec elle pour aller à la maison des associations du quartier. Cette journée où elle avait eu une fièvre tellement grave qu’il était resté à côté d’elle, la berçant pour qu’elle ne pleure pas en dormant. Son entrée au collège, avec ses cheveux lâchés dont elle était si fière qui avaient fait rire certains de ses camarades de classe. Le soir même, elle les avait coupés avec des ciseaux, des larmes coulant sur son visage de poupée. Il l’avait grondé, pensant qu’elle voulait lui faire honte, jusqu’à comprendre. Tous ses instants, où la petite Hespéride n’avait pas compris dans quel monde elle vivait. Prenant un inspiration, elle resserra sa main sur celle invisible de son enfance avant de sortir de la prison. Les démons blancs la poursuivaient encore aujourd’hui. Mais elle ne pleurait plus pour ses cheveux. Elle ne pleurait plus pour personne.