Zee | Say something, I'm giving up on you

Morning routine • Tu termines à la hâte une tasse de café noir. Debout dans la cuisine familiale, tu déposes le mug vide dans l'évier et attrapes un dernier dossier sur la table que tu coinces sous ton bras. "Caleen, mon coeur, on y va !!" Aujourd'hui, c'est toi qui déposes la petite à l'école ayant accepté de laisser Neela se concentrer sur un éventuel futur projet graphique. Elle devait préparer ses croquis ainsi que son rendez-vous de fin de matinée. Elle te tend la lunchbox de Caleen que tu attrapes en un mouvement machinal. Tu te rapproches du visage de ta femme et lui déposes un chaste baiser sur les lèvres. De ceux qui font plus partie des habitudes qu'autre choses. "Tu rentres tard ce soir ?" Ton regard est rivé sur le bout du couloir duquel tu espère voir arriver ta fille fissa. "Hm, quoi ? Hein ? Non ! Enfin si. Ca risque d'être une grosse journée." Ton visage se détourne de celui de Neela, juste avant que tu ne puisses y déceler la déception dans son regard. Ton instinct te pousse malgré tout à ajouter : "Mais j'essayerais d'être là avant que Caleen ne soit couchée". Pour ta fille. Cela devenait la norme. Tu ne te rendais même plus compte qu'il ne s'agissait plus de voir si ta femme avait peut-être, elle, envie de te voir avant d'aller dormir. Envie de passer un peu de temps dans tes bras même si c'était pour s'endormir devant un film. Ou même envisager un repas en tête à tête.
Enfin la petite arrive trainant son cartable. Elle trottine souriante et vient se serrer contre le corps de Neela pour un dernier câlin avant de partir. Elle commence aussitôt son bavardage enfantin à ton attention, ce qui - à ton tour - te fait sourire. Tu réponds à ses questions en farsi tout en dirigeant, de ta main libre, l’enfant vers la porte. Reprenant l’anglais, tu envoies un dernier salut à ton épouse et de justesse avant que la porte ne claque : “Bonne merde pour ton rendez-vous !”. Tu lâches tes propres affaires dans le coffre de la voiture, viens t’assurer que Caleen est bien attachée et tu t’installes aussitôt au volant. Alors que déjà le moteur vrombit, tu ne remarquera pas la présence de Neela derrière la fenêtre. Un regard triste que seul votre fille viendra soulager d’un signe de la main. Le tien ne viendra pas. Il ne vient plus depuis un moment. Tu as perdu l’habitude, tu ne t’en rends même plus compte.

Blurry work • Lorsque tu avais parlé à Neela de cette soirée, elle avait d’abord vérifier son calendrier afin de s’assurer de ses disponibilités professionnelles. L’automatisme avait été sans hésitation et révélateur de bien des dysfonctionnements. Le mal-entendu mis à jour, tu te presses de lui expliquer ne pas avoir besoin de ses services de photographe mais bien de sa présence de femme à tes côtés. Quelques secondes de silence s’étaient installées avant que Neela n’accepte. “C’est le fameux cocktail de récolte de fond pour le lancement de la prochaine campagne.” Tu appliques avec soin ton mascara devant le miroir de la salle de bain. “La soirée casino dont je t’ai déjà parlé”. Effectivement. Tu en avais déjà parlé. De la soirée, de son organisation, de son importance, de tes divers énervements, de son symbolisme. Tu avais évoqué le candidat sénateur, ses projets, ses envies futures de présidence. Tu évoquais ta propre implication, tes ambitions, ton support à l’équipe. Tu te vantais des talents de la plus jeune élue à la chambre des représentants. L’une des vôtres. Une arme redoutable dans la course à la victoire. … Oui tu en avais déjà parlé. Encore et encore. D’ailleurs, en son temps, cette passion et ce feu pour les justes causes ainsi que ton implication politique, avaient su séduire Neela. Aujourd’hui,  ton assurance de requin n’avait plus que du positif. Ton job vous volait trop de temps et tes manipulations devenaient dangereuses.

Terminant ton maquillage léger par une touche vive de rouge à lèvre, tu rejoins la chambre dans laquelle Neela enfile une petite robe jaune près du corps. Avant qu’elle ne soit entièrement remontée le long de son corps, tu observes sa silhouette et les sous vêtements noirs particulièrement à ton goût. Un moment de latence te rappelle soudainement la beauté de la femme avec qui tu partages ton quotidien. Tu te rapproches d’elle, venant te poster dans son dos. D’une voix pressée par le temps et ignorant la vue qu’elle offrait, Neela demande : “Tu peux m’aider avec la fermeture s’il te plait ?” Tes mains se déposent sur le tissus, frôlant la peau encore à vue. Tu remonte la fermeture éclair dans un geste lent et sensuel. L’un de ceux devenu trop rares entre vous. Neela tourne le visage, croisant ton regard de biais. “Tu es … superbe” Un compliment. Ça aussi c’était devenu très rare. A tel point que ta femme est prise de court. Un sourire en coin a pris naissance sur son visage mais, lèvres légèrement entre-ouvertes, rien ne sort. Pas de réponse. Tu t’éloignes alors préférant ne pas insister, comme prise de peur que le retour ne te soit pas favorable. Pas ce soir. Tu te devais d’être au mieux.

La soirée bat son plein. Le champagne coule à flot, presque autant que l’argent déversé dans le jeu. Tu souris, particulièrement satisfaite de la réussite de l’évènement. Tu réfléchis déjà aux retours presse, aux communiqués qu’il serait bon de préparer. Tu virevoltes d’un collaborateur à l’autre. Tu t’entretiens tantôt avec le sénateur, tantôt avec la jeune représentante, à peine quelques années de moins que toi. Régulièrement, tu t’assures que Neela n’est pas seule et tentes au mieux de ponctuellement retrouver ses côtés. Elle aussi t’observe. Elle te regarde évoluer et s’attarde sur tes rires. Certains plus sincères que d’autres. Comme ceux que tu offres à la socialiste démocrate. Des rires rayonnant accompagnés de quelques gestes dont tu ignores encore la portée.
A ton retour aux côtés de ta femme, tu lui tends une nouvelle coupe et viens lui déposer un baiser sur la joue. Mains gauche posée dans le bas de son dos, tu observes le monde d’un air victorieux. “Elle est jolie, pas vrai ?” Ton regard interrogateur se tourne vers Neela qui s’empresse de t’indiquer la brune avec laquelle tu semblais si bien t’entendre. “Hein ? Heu … oui, je suppose. Ça va.” Un petit mouvement d’épaules tente de signer ta décontraction. Vaine tentative de noyer la réalité. La brune était belle et bien jolie. Même - très - jolie. Il n’y avait pas à discuter et n’importe qui présent ce soir pourrait clairement attester de la chose, ajoutant même qu’elle était “plus belle encore en vrai qu’à la tv”. Tu te racles la gorge comme si de rien était. Tu savais le terrain miné et tu n’avais pas envie de t’attirer des ennuis pour rien. Trop tard ? “Pourquoi ?” Neela ne te répondra que par un seul regard. Perçant, presque noir. Elle n’avait plus besoin de mots. Alors oui, trop tard Zahara. Trop tard …

Strong temptation • La journée a été longue. Elle a commencé tôt et se termine tard. Si tous les vendredis ne se ressemblent pas, toutes les fins de semaine sont en général un rien plus légères. Pas celle-ci. Il y avait eu du pain sur la planche et tu n’avais pas eu une seule minutes à toi pour souffler. Ton lunch - pourtant déjà professionnel - avait été interrompu tant de fois que tu avais préféré oublier l’idée de te nourrir correctement pour aujourd’hui. Tu verrais bien ce soir. Les appels et les réunions s’étaient enchainés à une cadence soutenue et, bien qu’il en faille beaucoup pour t’assommer, tu te sentais épuisée. Lorsque enfin vous quittez les bureaux, deux trois collègues te poussent à venir prendre un verre. “Je ferais mieux de rentrer. Je suis K.O et j’ai promis à Neela de ne pas la faire tard” On ne pourra pas te rapprocher d’avoir essayé mais les insistances autour de toi, finiront par avoir raison de ta personne. Au final, tu avais bien envie de ce verre. De te poser. Dehors. Tu avais envie de ne plus penser à rien, de te laisser aller, de te détendre. Tu avais besoin de renouer avec la légèreté et l’apaisement que tu ne retrouvais plus vraiment à la maison. Ainsi, après un message laconique envoyé à ta femme, tu laisses tes talons venir frapper les pavés de la rue piétonnes d’à côté, et tu te laisses conduire au petit bar du coin où vous étiez plusieurs à avoir vos habitudes. Les heures défilent, les verres aussi. Les conversations légères vont bon train et les rires prennent le dessus sur le reste. Soudain, ton collègue et supérieur, Erik, prend la parole plus sérieusement. “Zahara, je suis désolée de gâcher ta soirée mais on a besoin de toi au QG démocrate”. Tu déposes ton verre lourdement sur la table en bois dans un souffle d’agacement non dissimulé. “Sérieusement ?! A cette heure là ?” Erik hausse les épaules et invoque un problème d’encodage de discours, devant partir à l’impression pour le lendemain matin. Tu grognes, persuadée qu’il se servait là de son rang hiérarchique pour ne pas se gâcher sa propre soirée. Il était plus facile de t’envoyer t’occuper des emmerdes de dernières minutes. “T'as intérêt à me payer un verre de grand cru quand je reviens !” Levant sa bière à ton encontre, il répond avec assurance : “Une bouteille même !”.

Tu gares ta voiture au parking privé de l’établissement et sors ton badge d’accréditation te permettant d’entrer et d’accéder à la majorité des étages. Sur place, quelques dernières âmes au travail mais en plein rangement et sur le point de quitter les lieux. Tu traverses l’open space, lance un ou deux saluts alors que les retardataires finissent par s’en aller et tu rejoins sans mal le bureau principal duquel tu penses venir le dit problème. A ta surprise, une lampe d’appoint est allumée et derrière le grand bureau de chêne près duquel un énorme drapeau américain est posé sur pied, une silhouette familière. Celle ci te sourit mais semble surprise. “Zahara ? Que faites vous là ? Il est tard …” Ta surprise est tout aussi palpable. Alors que tu t’apprêtes à lui répondre, un sms arrive sur ton iPhone. Erik. “Ne me remercie pas … ;)” . Un coup monté. Il n’y avait probablement aucun problème. Rien d’autre que le jeu malsain d’un putain de mec irrespectueux. Ta mine se chiffonne. Tu n’aimes pas te sentir ainsi instrumentalisée. Ce que tu détestes encore plus, c’est qu’il puisse y avoir une part de vérité dans les pensées de ton collègue. Qu’avait-il bien pu voir ou entendre pour en arriver là ? La jeune femme te faisant face se rapproche. Posant une main sur ton avant bras, elle demande concernée : “Est ce que tout va bien ?” Ce contact t’électrise. Ton regard quitte ton petit écran que tu glisses aussitôt dans ta poche. Tes pupilles se dilatent. Tu n’en as probablement aucune conscience mais c’est un fait biologique. Celui de l’attirance. De l’envie. Tu ignores sa question : “Vous ne deviez pas quitter Los Angeles pour Washington hier soir ?” Silence. Vos regards se cherchent. Il n’y a plus personne dans le bâtiment. Il fait presque noir autour de vous et le monde semble s’être arrêté. Vous êtes seules. Les calculs sont rapides dans ton esprit. Ils sont peut-être aidé par les verres avalés plus tôt dans la soirée. “J’avais quelques détails à régler. Je m’envole demain matin. Mais … je suis contente de vous recroiser avant mon départ.” Sa main n’a pas quitté ton avant bras. Tu n’as pas bougé non plus. Ce départ à Washington tombait plutôt bien. Il allait permettre de faire redescendre la pression construite ces dernières semaines de collaboration. Elle était dangereuse pour toi. Tu te sentais de moins en moins forte face à son attraction et son épisode à la capitale allait te permettre de reprendre de l’air. Vos échanges auraient été réduits. Par email, téléphone et visio uniquement. Il n’y aurait plus de soirée guindée, de robes de cocktail, de réunion en duo, de repas d’affaires, … Tu te félicitais d’ailleurs d’avoir si bien tenu. Washington, bien que le manque serait présent, c’était ta récompense ! Enfin … ça c’était sans compter sur l’intervention d’Erik et cette soirée imprévue.

Tu as le sang qui semble bouillir dans tes veines, des papillons dans le ventre comme une foutue adolescente. Sans comprendre comment, et dans une rapidité déconcertante, tu te retrouves collée à elle, tes mains se laissant aller le long de ses côtes, de sa taille, de ses hanches. Ta respiration est forte. La sienne, contre ton oreille, te fait bruler de désir. Tu sens ses mains dans ton dos, descendant lentement jusque’à rejoindre le haut de tes fesses. Vos visages se cherchent. Vos lèvres se frôlent, elles se touchent à peine et déjà tu as envie de commettre l’irréparable. Tu te vois céder. Diable que la luxure est bonne. …Mais dans un élan presque divin et juste avant que vous n’ayez pu vous emparer entièrement l’une de l’autre, tu esquives un mouvement de recul. “Je … je ne peux pas” Le visage de Neela est soudainement omniprésent. Son sourire, son innocence. Il y a celui de Caleen aussi. Tu sens ta gorge se serrer. Tu te mords la lèvre, déposes une main sur le haut de la poitrine de la tentatrice et la repousses doucement. “Je suis désolée.” Tu attrapes tes clés de voiture déposées sur un meuble en arrivant et tu quittes le bâtiment à la hâte.

Dans ta voiture toujours à l’arrêt, tu gardes le silence un instant avant de sentir les larmes embuer tes yeux. Tu plaques une main sur ta bouche et lâches un hurlement étouffé. Tu agrippes ton volant, laissant tomber ta tête contre ce dernier et lâchant enfin ces larmes ne demandant qu’à s’échapper depuis bien trop longtemps.