I promise baby, it could be worse // Liang He

Il existe un mythe chinois racontant le voyage d’un roi vers l’occident. « Mu Tianzi Zhuan » ou « Chronique du Fils du Ciel Mu ». Ce roi, issu d’un roman datant de plus de deux cents ans après le fils du dieu monothéiste, aurait traversé l’Asie, pour atteindre ces pays encore non explorés, dans un pèlerinage long, et douloureux. Un roi, relégué à la tâche simple d’un voyage rude, entouré d’hommes prêt à donner leur vie pour arriver à la fin de cette aventure. Notre héros n’aurait pas été ce roi. Il aurait été celui qui le porte, soulevant le prince né dans son idée absurde. Il aurait trimé, souffert le martyre de la température, de la faim, du mal. Mais évidemment, ce n’est pas de lui que s’occuperont les historiens, sortant de la tombe cet ouvrage inestimable. Ils n’auront d’yeux que pour le personnage principal. Et, à la limite, l’auteur. Oubliant alors, supprimant de l’histoire et de la mémoire, cet homme de main. Pourtant, sans lui, il n’y aurait pas eu d’histoire à découvrir.

C’est à Hangzhou, en 1996, que Liang voit le jour, à une date des plus ordinaires et banales. Il va pourtant passé une grande partie de son enfance dans les valises de son père. Militaire de métier, c’est donc toute la famille qui le suit dans ses départs. Il ne s’en rendait pas compte à cette époque-là, mais déjà, cela ne l’amusait pas. Devoir passer un temps considérable entre deux endroits, ne jamais connaître personne, ne jamais ou s’éprendre d’un trop grand intérêt pour quelqu’un. De plus, toutes les attentions que lui portait son père étaient minimes. Mais cela devait faire partie des principes de la famille. Enfant premier, garçon, Liang avait tout pour être celui qui le rendrait fier. Alors, il lui fallait un challenge, quelque chose qui le pousse à toujours vouloir l’impressionner. Et c’est ce qu’il fit. Au début. Il faisait toujours de son mieux. Mais bien sûr, ce n’était jamais assez. Car, il fallait toujours plus, pour être le digne fils. Mais digne de quoi exactement ? Ils étaient toujours dans les familles les plus pauvres lorsqu’ils déménageaient. Et ces détours incessants n’aidaient en rien. Bien sûr, contrairement à d’autres, ils avaient à manger, de quoi se vêtir et se soigner. Ce n’était pas la problématique principale. Non, celle d’origine, beaucoup plus prenante, était tout simplement que leur père n’en faisant qu’à sa tête, voulant vivre son métier pour passion. Et cela, Liang s’en rendit compte extrêmement tôt. Mais peut-être pas assez. Sans doute trop tard. Car le mal était déjà fait. Et cela, aux yeux aveugles des autres.

De toutes ses découvertes, il n’en est pourtant pas ressorti que du mal. Pour exemple, sa faculté hallucinante à apprendre des langues vivantes. Enchaînant les sauts entre continents, le petit garçon sait déjà écrire, parler et lire trois langues. Chinois, japonais et coréen. Mais bien sûr, on veut qu’il apprenne l’algèbre, la géométrie, la physique. Il ne sait qu’en faire, mais il apprend. Il se laisse mener par le bout du nez, ne pouvant rien faire de toute façon. Mais ses yeux ne sont pas cachés derrière un bandeau d’espoir. Son père, cet homme dont il maudit parfois la vie pour lui avoir donné celle-là, l’insupporte déjà. Liang ne restait jamais longtemps dans la même pièce que lui. Il ne le comprenait pas encore, à cet âge, mais il ne pouvait tout simplement pas s’accommoder de la présence de celui qui rendait ses jours invivables. Au fils du temps, l’aîné apprend plus de langue, se documente des pays qu’ils ne font qu’effleurer pour repartir quasiment immédiatement.  Il aimerait bien lui, pouvoir s’amuser dans tout ce qu’il découvre. Mais non. Il faut qu’il suive gentiment le reste du troupeau. Oui, déjà si jeune, il refuse l’autorité parentale. C’est dur de l’élever dans le bon sens des choses lorsqu’il assume déjà ses bêtises et  tient tête aux grandes personnes. Ce ne sont plus des yeux d’enfants qu’il pose sur le monde. Mais bien ceux ouverts d’une envie de liberté complète et totale. Car, passer sa vie dans un avion, est bien loin d’être la liberté que tout le monde désire.

Le seul brin de bonheur qui lui tombe du ciel fut Tian, son petit frère de sept ans plus jeune que lui. Il arrive de nulle part, apparaissant dans la même ville que lui, comme un miracle. Le même mois que lui. Mais à plusieurs jours d’écarts. C’est un bon présage d’après sa mère, qu’il sera aussi fort que son grand frère. Et Liang vécu la plus grande peur de sa vie durant cette période. Enfin, la première. Tian tomba malade, attrapant une pneumonie encore dans le berceau. Il crut l’avoir perdu. Mais en réalité, effectivement, Tian était plus fort qu’il ne le laissait croire. Malgré cette fragilité des poumons, il résista, s’accrochant de ses petites mains à la vie. Depuis, Liang voue un amour indéfectible pour son frère. La peur de le perdre primant sur tout le reste de ses sentiments lui faisant alors prendre conscience que cet être bégayant était la personne la plus précieuse au monde. Et qu’il fallait le protéger. Et lui offrir toutes les possibilités d’être heureux. Mais de nouveau, il y eu un problème. Liang se rendit bien compte que quelque chose clocher. Leur père, qui, pour lui, n’avait montré qu’un intérêt limiter à ses passions, souriait à chaque chose que le plus jeune lui offrait. L’amour qui se propage dans la maison n’est plus le même. Et cela ne le rend que plus en froid avec l’homme. Oui, Tian était le chouchou, le bébé qu’il ne fallait pas blesser. Et Liang ? Qu’était-il ? Le grand frère. C’est tout.

A peine âgé de huit ans, alors que Tian en avait un, Liang comprit qu’il détestait l’armée et les militaires. Ce fut à une de ses parades impressionnantes et gigantesques fait par le dirigeant du pays. Pour l’évènement, ils avaient fait le voyage jusqu’à la capitale. Tian, dans un couffin rouge, dormait lorsque les chars sont passés. Il ne doit en avoir aucuns souvenirs d’ailleurs. Mais Liang lui, s’en souvient très bien. De ces hommes et de ces femmes, marchant au pas devant la foule en extase face à la force chinoise. Lui, en fut plutôt indifférent. Mais il ne put s’empêcher de froncer du nez. Ces personnes, touts si bien rangés, comme des marionnettes, comme des êtres parfaits. Comme ce que son père avait voulu faire de lui. Mais qu’il n’avait pas réussis. Et qu’il ne réussira jamais. Préférant alors détourner les yeux de la scène, longue et brillante, de la marche militaire au pas, l’enfant se penche sur son petit frère, surveillant que tout ce raffut inutile ne le réveille pas. Sa mère l’observe du coin de l’œil, le surveillant tout de même. Liang n’est pas facile. Elle ne sait pas ce qu’il va devenir. Mais sans aucun doute, il ne suivra pas l’exemple de son studieux de père. Et elle s’effraie de cela. Elle n’avait pas tord. Mais elle aurait dû s’effrayer un peu plus tôt et un peu plus fort. Car il sombrera bien plus tôt et bien plus vite qu’elle ne le songe.

Et dans l’oubli de ce pauvre garçon, il en fut de même pour tous les autres. Tous ceux qui avaient contribué, par leurs pieds, leurs bras, leurs armes, leurs courages, leurs valeurs, à amener l’homme au bout du monde. Le souvenir, devenue arme de puissance, de dévouement, de pouvoir, restreint tout dans une bulle de connaissance effaçable. Seul le livre, retrouvée dans une tombe datant de la période des Royaumes combattants, aurait pu permettre que cette protubérance de savon éclate et libère son savoir. Mais ce n’est néanmoins qu’un roman. Qui ne raconte peut-être pas la vérité. Si cela se trouve, le roi voyageait seul. Et à ce moment-là, le petit homme n’existe pas. Et son souvenir également. Peut-être l’auteur a-t-il enjolivé le mythe, le rendant à son possesseur beaucoup plus prodigieux ? Personne ne le sait. Et personne ne le saura jamais.

Quelques années plus tard, ils se retrouvent au Japon. En connaissant déjà la langue, il ne souffre plus de ces échanges sans fin et de ses distances entre lui et les autres enfants. Observant alors son frère faire ses premiers pas dans ce style de vie en différé, il est satisfait de le voir y prendre ses marques facilement. Ils y restent un petit moment. Mais déjà, les soupçons que portent Liang sur son père s’enhardissent. Mais il ne fait que fabuler, pour sa mère. L’homme qu’elle a épousé est bien plus sage que Liang ne le voit. Et c’est uniquement de sa faute s’il n’arrive pas à l’accepter. Tian y arrive bien lui, à comprendre qu’il vit pour protéger la Chine, et plus particulièrement sa famille. Mais s’il avait réellement voulu les protéger, peut-être ne les laisseraient-ils pas galérer à sortir un loyer tous les mois. Mais Liang est juste rancunier de cette enfance dure qu’il lui a infligée. C’est sur ce simple argument qu’il abandonne. Et puis, c’est en regardant son Tiannie grandir qu’il s’avoue ne pas vouloir briser cette famille. Alors, il se promit que si cela devait arriver, ce ne sera pas de sa faute à lui. Mais celle de cet homme imprudent et irrespectueux de leur vie, qui joue avec la sienne dans le but de sauver la patrie. Cela le ferait bien rire, le petit Liang qui se moque bien de toute cette histoire de nation. Lui, ce qu’il veut, c’est un lieu où il pourra réellement s’attacher à quelqu’un. Sans devoir partir dès qu’un semblant de choses apparait réellement. Mais c’est sans doute trop demander face à un homme ambitieux. Trop ambitieux pour le reste de sa famille.

Du Japon, ils arrivent en France. C’est un nouveau monde, une nouvelle culture, bien loin de celle asiatique à laquelle il était habitué pour le moment. Mais étrangement cela lui plait. Entrant dans l’adolescence, il découvre des choses fortes sympathiques. A l’heure où Tian commence la composition, Liang s’amuse à voler les cigarettes des plus grands de l’école pour les fumer en cachette avec ses amis. Il s’est bien sûr fait prendre. La première fois, ce fut une claque, froide et sans émotion, de celui qui les avait amené en Europe. La deuxième fois un remontage de bretelle violant. La troisième fois, il avait tout simplement fini dans sa chambre. Ensuite, ils fermèrent les yeux. A quoi bon se débattre avec un cas pareil ? Le français n’ayant plus aucun secret pour lui, il découvre la joie de draguer dans la langue de l’amour. Et celle d’embrasser les jolis cœurs qui veulent bien se pendre à son cou. Il essaye un peu tout les styles, ne trouvant pas vraiment sa place. Mais après quelques déceptions, il se rend rapidement compte que seules les femmes le font frémir de désir. Se cantonnant à cela, il se fiche alors royalement de ce que font les autres de leurs nuits. Lui, celles contre le corps de ses petites-amies lui vont bien. Mais de nouveau, il se fait attraper. Et c’est sans doute trop pour son père qui le renvoie en Chine, lui ordonnant de faire son service militaire obligatoire. Il en a pour une année, à dix-huit ans, à devoir se lever au son des bottes et à marcher droit. S’il avait pu, il aurait refusé et aurait fuit. Mais essayez donc de fuir un camp militaire chinois…

Là-bas, entre deux exercices physiques, voisins de couchettes et camarades de section, Liang rencontre Haoyu. Le jeune homme qui changera sa vie du tout au tout. Contre la promesse de faire passer de la contrebande pour lui dans les rangs, Haoyu, ou Cloud, le recrute pour rentrer dans son équipe. Les explications sont claires. Ce n’est pas un travail de bon samaritain. Il ne lui promet ni bonheur, ni richesse. Mais juste une reconnaissance de ses compétences. Car Liang lui a en quelque sorte, tapé dans l’œil. Débrouillard, perspicace, les émotions cachées derrière un sourire de sucre, il s’agit bien de celui qui lui sauvera la mise. Mais il n’y pas que cela. Au cours de cette longue année de service, c’est une amitié forte, fait de traces de bouts, de combats rudes, de courses à n’en plus finir, qui les soudent. Peut-être que Liang aurait dû être plus prudent avec ce que lui proposait l’autre jeune homme. Car, ce n’était pas n’importe quoi. Ce faire repérer par une arme humaine, un membre éminent de la mafia chinoise qui contusionne le monde dans sa globalité, pourrait faire peur à n’importe qui. Mais pas pour l'aîné des He. Bien au contraire. Il y voit un moyen d’enfin quitter ce carcan insupportable de sa famille jouant à la perfection le rôle de poupée. A ne pas se m’éprendre. Il aime profondément son frère, tout comme sa mère. Mais cela ne l’empêche pas de serrer la main de l’autre. De celui au sourire froid et aux mains tâchées de sang.

Comme par miracle, à sa sortie de l’armée, les voilà qui déménagent aux Etats-Unis. Se retrouvant au bord de la plage de Santa Monica, cela ne peut qu’être trop beau. Hao voulait qu’il y aille dans les plus brefs délais pour faire ce qu’il savait faire de mieux. C’est-à-dire, jouer les hommes de mains. Quasiment aussitôt rejoint par ce nouvel ami – enfin, s’il ose l’appeler ainsi – il ne tarde pas à commencer son travail. Mais cette fois, on ne l’attrape pas. Surtout parce que son père disparait du jour au lendemain, emporté par une mission. Encore une. Mais cette fois-ci, c’est bien pour de vrai. Malgré la perte que désoriente complètement Tian, Liang n’en a que faire. Cela n’influence pas ses affaires. Et tant que rien ne touche au business, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Bien sûr, il se garde bien de prévenir les deux êtres qui l’accompagnent. Et malgré son désir de partir de la maison, il n’ose pas. Car Tian a besoin de lui. Il a besoin d’amour de tendresse. Sa maladie le rendant fragile, son grand frère est un rempart à tout. Et il endosse ce rôle sans aucun problème. L’année suivant leur arrivée à Los Angeles, Liang se fait tatouer. Dans le cou, descendant sur son torse, s’écartant légèrement sur son épaule. Un signe distinctif certes. Mais qui le libère de beaucoup de chose. Il ne doit plus rien à celui qui leur a bousillé la vie. Devant alors apprendre l’espagnol, l’italien et allemand pour toutes ces histoires, il s’y attèle. La langue anglaise, il n’en fait qu’une bouchée, l’ayant déjà travaillé dans tous ses précédents voyages. Cela l’amuserait presque. Et cela fait désormais quatre ans qu’il fait cela, caché aux yeux du monde. Avec pour seule reconnaissance, cette nouvelle liberté, enfin acquise et dont il ne pense pas se détacher si facilement.