Il est difficile de dire adieu lorsqu'on veut rester (Rubried 04)

Le galeriste se sent encore plus perdu dans l’immensité du salon. Rien de réconfortant n’est là pour l’aider et même si ce décor est celui qui fut le leur, aujourd’hui, il lui semble encore plus froid et impersonnel. Malgré tout, il reste déterminé à ne pas flancher. À garder sa décision bien en tête. Il ne veut plus lui faire du mal et cela commence par résister à son envie. À ce besoin. À éviter de se dire que cela sera la dernière fois… avant la prochaine... sortir de ce cercle vicieux une fois pour toutes. Réussir à enfin se regarder dans un miroir, à croiser son regard sans qu’il ait honte de ses actes. Qu’il puisse enfin voir ce qu’il est sans détourner les yeux. Sans avoir envie de briser cette image qu’on lui renvoie.

Il y a pourtant le corps de Ruben qui crie son besoin et le sien, qui est prêt à y répondre mais il y a aussi sa conscience qui, elle, lui crie de rester à sa place, hors de la vie de son ex-amant. Il y a toutes ces choses qui s’affrontent et qui lui filent la migraine.

Ils ont mis un peu distance entre eux afin de résister mais, ils leur suffiraient de tendre la main pour que leurs doigts se touchent. S’entrelacent. Pour qu’il l’attire à lui et l’emprisonne. Instinctivement, il glisse ses mains dans ses poches, histoire de ne pas les laisser vagabonder. Ses muscles sont tendus et il fait son possible pour garder une posture droite et déterminée. Décontractée. Il se doute que c’est peine perdue mais, Wil persévère. Il ne veut pas s’avouer vaincu par ses pulsions. Il sait où elles l’ont déjà menées et c’est à cause d’elles qu’ils sont là, ce soir.

Alors, même si la réalité lui déplaît et qu’il préférerait de loin se mentir en se disant qu’ils peuvent se donner une autre chance, il n’en fera rien. Sa chance, il l’a eu mais, il n’en était pas digne et les paroles de Ruben n’y changeront rien pour le moment.

Un faible sourire vient brièvement chasser la morosité de ses traits et il se retient de tendre la main pour le toucher. Sa voix est réconfortante lorsqu’il dit « Tu ne vas pas tout gâcher avec cet homme. Notre histoire t’aura fait mûrir et voir la vie et ses options différemment. Je ne dis pas que cela va être facile, mais, je sais que tu ne voudras plus reproduire les mêmes erreurs que nous avons faites. » Son sourire s’accentue même s’il n’a aucune envie de continuer. Il aimerait lui hurler qu’il peut le rendre heureux. Que lui aussi a compris et qu’il ne compte plus jamais le faire souffrir mais, son tour est passé et les mots sont désormais inutiles. Il ne veut plus les dire. Se mentir. Il ne rendra jamais Ruben heureux malgré l’amour qu’il lui porte toujours et il se sent soulagé d’en avoir pris conscience.  « Laisse votre histoire naître tranquillement et tu verras bien où cela te mène » soudain un rire s’échappe de ses lèvres tandis qu’il lance « je n’arrive pas à croire que c’est moi qui dit ce genre de choses » Finalement, une de ses mains s’est libérée de la poche dans laquelle il l’avait enfouie pour venir se perdre dans sa chevelure mise à mal par les trop nombreux passages des doigts.

En deux enjambées, il se retrouve près de Ruben et l’enlace. Le serre contre lui. S’imprègne une dernière fois de son odeur avant de murmurer, tout près de son oreille, comme si le sérieux des mots ne leur permettait pas de s’envoler ailleurs que dans l’oreille de l’hispanique « Je  sais ce que le poids de la culpabilité fait dans une existence. Les dégâts qui sont là et qui font de ta vie un champ de bataille et ce combat que tu perds inlassablement. Je ne veux pas que cela t’arrive alors, permets-moi d’être égoïste une dernière fois et de te protéger grâce à ma mauvaise expérience. Appelle ce taxi et va le rejoindre. C’est la meilleure solution pour toi. Pour vous. Pour tout le monde » Son étreinte s’est relâchée aussi vite que ce qu’elle s’était formée et il s’est éloigné de quelques pas. Sur ses lèvres, un sourire pour encourager celui qu’il considère toujours comme sien à partir et à ne pas regretter. Il n’y aura pas de dernière fois. Wil s’y refuse.

Debout sur le perron, il regarde les feux arrières du taxi s’éloigner et disparaître dans l’obscurité. Derrière lui, l’immense bâtisse, prête à accueillir sa solitude. À l’intérieur, seul le parfum de Ruben atteste que les minutes qu’il vient de vivre ne sont pas issues de son imagination. Il se sent seul et triste. Ses épaules s’affaissent tandis qu’il sent tout le poids de son amour le faire ployer. Le dévaster. Mais il y aussi, une sorte de fierté à avoir fait ce qu’il devait faire.  Ne pas avoir cédé à ses envies qui ne les auraient mené qu’à la chambre. Le plaisir passé, seuls les regrets, encore plus amers de le voir partir, seraient restés et se seraient greffés à sa culpabilité, assez pesante sans qu’il en rajoute.

Autour de lui, le décor est toujours le même mais, il sait que plus rien ne sera jamais plus comme avant. Qu’un pan de sa vie vient d’être tourné. Tout a changé malgré les apparences. Lui, le premier. Il est prêt à devenir un homme meilleur.