Wilfried Hoffman

Les notes de musique habitent toujours le silence qui l’entoure. Pesantes. Obsédantes. Énervantes. Il n’a pas bougé de place. Toujours installé dans son fauteuil. Il n’a pas la force de se lever pour arrêter la platine qui tourne inlassablement, comme ses pensées dans sa tête. L’air est empuanti par l’odeur de tabac. Les mégots débordent du cendrier qui gît sur la table, à côté de lui. Des particules de cendre recouvrent la marqueterie du guéridon. Il lui suffirait de souffler pour voir s’envoler la fine poussière mais, là aussi, il ne fait rien, sachant qu’elle ne fera que se déposer ailleurs. Il aimerait souffler sur sa vie pour que ses actes passés s’envolent. Disparaissent et ne reviennent jamais le hanter. Il aimerait souffler son regret. Son amour. Tout ce qu’il a sur le cœur.
Les notes de musique jouent leur air entêtant et martèlent son crâne. Tellement nostalgique qu’il pourrait pleurer. Tellement désolant. Sa vie avant n’est que fragment. Des images qu’il entrevoit. Un petit garçon qui coure dans les allées d’un grand musée à Hambourg. Des parents qui lui apprennent  l’amour de l’art. L’amour des œuvres et des détails. Des coups de pinceaux. Des aplats de matières. La souffrance qui suinte parfois derrière des visages. Des corps. Les artistes torturés et leur vie déglinguée. Ses études qu’il fera plus tard, vouées à l’art. Un sourire amer se dessine sur ses lèvres. Gâchis. C’est le seul mot qui lui vienne à l’esprit.
Des images fugace de corps emmêlés, d’étreintes passionnées viennent comme des flashs lui brûler les rétines. Il baisse la tête. Malheureux. Un nom prend forme dans la solitude. À peine murmuré. Ruben. Il s’affaisse un peu sous le poids des remords. Des non-dits. Des silences dévastateurs.
Il se déteste pour le mal qui lui a fait. Pour ce qui lui est arrivé. Il est seul coupable de cet horrible drame. Comment a-t-il pu perdre la tête pour un inconnu ... Sa jeunesse l’a grisé. Enivré. Il s’est senti flatté. Éternel. Désirable. Les années effacées.
Son poing s’abat sur l’accoudoir du fauteuil, faisant s’envoler un nuage de cendres.
Demain, il sera redevenu lui-même. En surface. Il ira à ses rendez-vous, recevra aussi des artistes dans sa galerie d’art. Il parlera tableaux. Argent. Vernissages et réceptions. Il sera charmant et distingué. Son Amour sera rangé le temps d’une journée dans un coin de sa mémoire, puis un soir, comme celui-ci, il le ressortira. Il écoutera sa musique et les émotions reviendront. Il reprendra vie à ses côtés le temps de quelques notes de musique. Il se sermonnera et se promettra qu’il ira le voir mais le matin emportera toutes ces belles résolutions. Encore une fois ou pour la dernière fois ...