Un baiser sur les lèvres de Naomi en guise d'au revoir, elle se détourne et il la regarde partir. L'adolescent a du mal à fermer la porte de sa maison derrière sa petite amie, elle se retourne quelques mètres plus loin et lui fait un signe de la main. Il y répond avec précipitation, comme un benêt, sourire béat aux lèvres de sortir avec la demoiselle la plus populaire du lycée. Elle est brillante, drôle, aussi casse-cou et aventurière que lui. Hier encore, ils avaient escaladé une clôture pour plonger dans une piscine privée. Aujourd'hui, il venait de la présenter à ses parents et à sa grande soeur Joana. C'était la première petite amie qu'il présentait officiellement à ses parents, autour d'un repas et tout ça. Ils l'avaient déjà surpris en train d'embrasser des mecs, jeu auquel il s'amusait à la maison pour provoquer les deux militaires qui lui servaient de parents. Naomi, c'était différent, elle était différente, importante. Le coeur comblé et pitoyablement amoureux quand elle rentrait enfin dans la voiture de son grand frère qui était venu la chercher, il ferma la porte. Il se tourna et se retrouva en face de vers son père qui lui fit signe de le suivre dans le salon. Sa mère et sa soeur faisaient la vaisselle dans la cuisine et il se retrouva seul avec l'homme au visage doux et pourtant si froid. Depuis quand n'avait-il pas été seul tous les deux, depuis quand avait-il eu une conversation ensemble ? Jamais de mémoire d'Alessandro, pas depuis la mort de sa cadette, Iara. Son père s'éclaircit la gorge et la félicité imbécile d'Alessandro retomba.
« — Elle ne te plaît pas c'est ça ? » Il demanda sur la défensive, d'un ton qui disait clairement que son avis importait peu, qu'il continuerait à la voir quoiqu'il arrive.
« — Quoi ? Oh, bien sûr que si. Elle est charmante ! Je me demandais juste, enfin... je croyais que tu aimais les garçons. » Alessandro ne s'était pas attendu à cela, mais son regard se fonça et il sentit la colère lui monter à la gorge. C'était ça, il allait le féliciter d'être rentré dans le droit chemin.
« Ben tu vois, je ne suis pas gay ! T'es content ? » cracha-t'il à la figure de son père avec hargne.
« Non, non, je ne suis pas content... je... c'est ton bonheur qui me rend content. Mais je ne peux pas nier que je ne suis pas un peu rassuré. » « Espèce de... » jura Alessandro qui en avait trop entendu, il tourna les talons pour filer dans sa chambre, détestant son père pour lequel cette partie de lui, celle qui appréciait le corps des hommes, qui les désirait, serait toujours une tare.
Pourtant, son père bloqua la porte du salon d'un bras au dessus de sa tête.
« -Je me suis mal exprimé ! » avait dit le militaire bien peu habile avec les mots, avec les sentiments. Il avait élevé ses enfants à la dure, dans une discipline militaire qu'il était la seule organisation qu'il connaissait. Jamais il ne parlait de son amour pour ses enfants, il avait à peine pleurer à la mort de sa fille pourtant ça avait été bien pire que de perdre un camarade. Coeur de pierre, disait-on qu'il avait. Ce n'était pas vrai, il saignait de l'intérieur, il se murait dans le silence, dans la rigueur rassurante de son travail à la caserne. Il ne savait pas comment communiquer avec le sensible et rebelle adolescent. Mais sa femme avait dit qu'il perdait Alessandro, qu'il les fuirait par incompréhension et qu'aujourd'hui il avait fait un pas vers eux en présentant Naomi.
« -Je suis rassuré car j'avais peur chaque fois que tu ne rentrais pas que l'hôpital ou les pompiers nous appelle, qu'on te retrouve tabassé ou... » il n'osa pas prononcé le mot, ce châtiment, son cauchemar : perdre un second enfant.
« ... pire à cause de la bêtise humaine. »Alessandro avait regardé son père en levant la tête vers lui comme s'il le voyait pour la première fois, comme si enfin il le comprenait. C’était parce qu'il avait peur de le perdre qu'il lui faisait la morale quand il rentrait tard, parce qu'il était mort d'inquiétude qu'il le disputait quand il ne rentrait pas du tout de la nuit. Il n'avait jamais parlé de ces garçons qu'il embrassait sous son nez parce qu'il l'aimait tout autant, que ça ne changeait rien.
«- Je suis bi, papa. » Il avoua doucement, à voix basse.
« J'aime les deux, mais maintenant j'aime surtout Naomi. » Son père hocha a tête.
«- D'accord. Pour ta mère et moi, ca ne pose pas de problème. » Alors, l'adolescent se jeta dans les bras de son père dans une rare étreinte. Ils ne se prenaient jamais dans les bras, plus depuis qu'il devait avoir 5 ou 6 ans en tout cas. Les marques d'affection étaient rares dans cette famille ce qui n'ôtait rien à l'amour qu'ils se portaient. L'étreinte de son père était réconfortante et bouleversante. Des larmes s'échappèrent de ses yeux et il articula difficilement
« - Je suis désolé papa. Je suis désolé pour Iara. » Ce poids qu'il portait sur la poitrine, cette culpabilité qui l'empêchait de respirer, de regarder dans les yeux de ses parents. Parce qu'il avait été là quand elle était morte, parce qu'il avait vu ce petit trésor se faire percuter, son petit corps gisant, mort sur le coup.
«- J'aurais dû la protéger. » Il s'en voulait de ne pas l'avoir arrêter, de ne pas l'avoir retenue de courir après son chapeau qui s'envolait.
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Le 15 mars 2017
Mon amour,
Notre petit garçon est né ce lundi 13 mars 2017 à 08h05, il pèse 3,7 kg et mesure 53 cm. Je l'ai appelé Otavio, comme tu y tenais tant. C'est un petit bout de perfection avec ses grands yeux bleus et déjà quelques petits cheveux noirs et bouclés qui me rappelle les tiens. Il a le teint olive et des petites joues rondes à croquer. Je te joins une photo dans l'enveloppe. Ta mère dit que c'est ton portrait craché, mais la mienne jure qu'elle me ressemble davantage. Peu importe, c'est notre pépite, le plus beau de tous. Je l'aime déjà de toutes mes forces. Je suis impatiente de te le présenter comme je me doute que tu as hâte de le tenir dans tes bras.
Je vais bien, un peu fatiguée par l'accouchement. Il a été long et douloureux, j'ai attendu 18 h à la maternité en subissant de terribles contractions, car Monsieur ne voulait pas sortir. J'aurais aimé que tu sois avec moi, à mes côtés, j'ai pensé à toi à chaque instant et ça m'a donné la force de mettre notre enfant au monde. Il est là et c'est la chose la plus merveilleuse que tu puisses imaginer. Ta mère était avec moi, elle a attendu à mes cotés et selon ses dires n'a pas dormi de la nuit. Ce n'est pas vrai, mais tu connais ta mère, il ne vaut mieux pas la contredire et je suis heureuse qu'elle ait été auprès de moi.
Je sors de la maternité demain après midi avec notre petit Otavio, je vais passer les deux premières semaines chez mes parents pour avoir un peu d'aide avec le petit, puis je retournerais chez nous juste avant ta prochaine permission.
Je suis terriblement impatiente de te revoir, tu me manques tellement et je souhaite tant partager cette immense joie auprès de toi. Tu vas être un formidable père, je n'en doute pas un seul instant.
Je t'aime, mille bisous
Naomi, ta femme et heureuse maman d'Otavio
Alessandro n'avait pas lâché la lettre de sa femme, il l'avait lu et relu, le bonheur le gagnant un peu pus à chaque lecture. Un fils, il avait un fils qui venait de naître. Ce n'était pas une surprise, neuf mois qu'il attendait que ce petit être arrive dans sa vie, qu'il se préparait à l'accueillir. S'il était un peu triste d'avoir loupé sa naissance, de ne pas avoir pu être au côté de sa femme pour cet événement si important dans la vie d'un père, il était content et soulagé de lire qu'elle avait été bien entourée et qu'elle allait bien. Comme elle le disait il était déjà impatient d'être dans quinze jours, de rentrer chez eux et de découvrir ce petit être dont la photo le faisait fondre de tendresse et d'amour.
En attendant, il avait envie de chanter, de crier, de prendre dans ses bras tous les camarades qu'il croisait en lançant à la cantonade « Je suis père, je suis Papa ! » Les félicitations et les accolades pleuvaient sur le camp, ses camarades se réjouissaient avec lui de ce souffle de vie, de cette lueur d'avenir et d'espoir qui rappelait à chacun pourquoi ils allaient se battre. Il mit du temps à rejoindre sa chambre, à trouver celui qu'il voulait vraiment prendre dans ses bras, celui auprès duquel il pouvait vraiment laisser exploser sa joie. Il avait ouvert précipitamment la porte de leur chambre et la referma derrière lui avant de se jeter vers cet homme pour le prendre dans ses bras et le faire valser dans une enthousiaste ronde. Le bonheur à l'état pur qu'il voulait partager avec lui, lui seul.
«- Iago ! Iago ! C'est un garçon ! un fils ! je suis papa ! » disait-il d'une voix rieuse. Ils s'enlacèrent avec fermeté, avec tendresse. Le regard d'Alessandro se perdit dans le regard clair et intense de son meilleur ami, son frère d'armes. Ses lèvres se collèrent aux siennes sans qu'il ne sache vraiment qui était l'initiateur de ce baiser. Alessandro en mourrait d'envie, c'était une évidence. Il avait envie de Iago et y succomba tandis que la précieuse lettre de sa femme tombait sur le sol.
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« — Ne t’en va pas ! » murmura Naomi à l'oreille de son mari.
« Pas encore. » Alessandro se mordit la lèvre. Iago devait partir le lendemain, il partait à l'autre bout du pays, à Los Angeles. Il rentrait auprès de Zephyr, dans sa ville natale, chez lui et ça sonnait faux pour Alessandro. Comment pouvait il avoir un chez lui là où il ne se trouvait pas ? Mais il ne pouvait le retenir. Ca le tuait de le voir partir, il en mourrait intérieurement, mais ne pouvait en toucher mot à sa femme. Iago était déjà un sujet de dispute bien trop récurrent entre eux parce qu'il s'impliquait tellement dans la vie de son ancien compagnon d'armes. Il avait veillé sur lui à l'hôpital après lui avoir sauvé la vie pendant sa rééducation, il lui avait trouvé un appartement, s'était installé avec lui pour l'aider à revivre sans cette jambe.
Naomi n'était pas stupide, pas au point de ne pas voir l'attachement, l'amour que portait Alessandro à son compagnon. Ses mensonges l'avaient rassurée fut un temps. Elle avait tenté de se montrer compréhensive, conciliante face à la détresse de l'homme qu'elle aimait, son silence et son refus d'être touché, ses cauchemars éveillés, ses crises de paniques qui semblait s'apaiser en compagnie de Iago, mais plus maintenant. Alessandro allait mieux, il était en formation pour devenir ambulancier, Iago avait appris à vivre avec son handicap et Naomi pensait avoir été assez patiente. Il était temps que son époux se concentre à nouveau sur leur vie de famille, sur elle et sur leur fils Otavio. N'auraient-ils pas dû compter mille fois plus que ce type ? Naomi n'était pas dupe, mais au moins, il semblait que Iago allait se retirer et lui laisser son époux.
« — Il a besoin de moi, » souffla-t'il avec un soupir s'asseyant sur le bord du lit.
« Je dois l'aider à déménager. »« — Tu veux que je vienne vous aider ? » elle proposa encore allongée dans leur lit. «
Je peux mettre Otavio chez ta mère, des mains en... »« — Non ! » coupa Alessandro.
« Ce n'est pas la peine. » Le père se tourna vers sa femme, remarqua ses sourcils froncés et son air fâché. Et ça le rendait dingue.
« — Il s'en va ! Qu'est ce que tu veux de plus ? T'as gagné ! » Il demande avec exaspération. Iago partait et il avait envie de crier, de tout casser. Iago partait et ça le laissait misérable, ça lui comprimait le coeur de larmes qu'il ne pouvait pas verser devant à sa femme. Hier il avait couché son fils, il l'avait pris dans ses bras, l'avait serré avec amour et désespoir pour se rappeler pourquoi il le laissait partir, pour qui il se privait de l'homme qui faisait battre son coeur, l'homme qui le transcendait. Cette famille, il devait la choisir. Iago l'avait choisie pour lui, il s'effaçait de sa vie et Naomi gagnait. Elle gagnait un mari dévoué pour cette famille. Il demandait juste cette dernière journée seul avec lui.
« — Que ce n'est pas l'air d'être une punition pour toi de rester auprès de moi et de ton fils, Sandro. Je n'ai pas gagné si tu restes avec moi par devoir et non par envie ! Sois honnête avec toi même et dis-le-moi ! Tu veux être avec qui ? Lui ou nous ? » Nous: Otavio et Naomi. Son fils, son petit ange. Il était incapable de lui tourner le dos, il l'aimait de tout son coeur, de toute son âme. Il grandissait si vite sous ses yeux et ça l'enchantait, le sidérait, le terrifiait. Otavio dans l'équation et le petit bonhomme gagnait pour sûr. Le futur ambulancier se refusait de peser cette balance sans le gamin, car ça changerait tellement de choses.
« Vous, » souffle Alessandro en venant déposer un baiser sur le front de sa femme.
« Avec Otavio et toi évidemment. » Il ne pouvait en être autrement. Il fila vers la douche sans un mot de plus, le coeur serré, l'envie de s'effondrer. Il faisait le bon choix, lui, son fils, sa femme. C'est ce que tout le monde attendait, même Iago, même cet homme qu'il aimait. Pourquoi ça ne le rendait pas heureux ? Pourquoi ca ne lui suffisait pas ?
Quelques mois plus tard, la question qu'il n'osait se poser le mitraillait. Il avait tout pour être heureux, nouvellement diplômé comme ambulancier, il aurait pu avoir une vie normale à New York. Un travail, une femme, un fils, tout ce qu'on attendait de lui. Mais il y avait ce vide, cette absence qui le rongeait, qui annihilait chaque émotion. Alessandro était incomplet, malheureux sans Iago. Depuis plus de dix ans, il n'avait jamais été si longtemps sans lui, il avait besoin de lui dans sa vie. Il n'avait pas à choisir entre son fils et Iago, juste entre l'homme de sa vie et son épouse. L'équation se renversait .Il décida de quitter Naomi, de rejoindre la cité des anges rejoindre son âme sœur.