andrea • i got guns in my head

Il est beaucoup trop tôt pour que ce téléphone ne sonne. Le coeur tambourinant dans ma poitrine, je ne peux m’empêcher de pester, dégageant d’une main mon portable, initialement posé sur la table de nuit. Mais c’est sans compter la robustesse de l’engin qui continue de vibrer contre le parquet, me faisant grimacer. Je plaque mon oreiller sur ma tête mais les tintements de plus en plus aigus de ma sonnerie de téléphone ne sont pas stoppés par le coussin. Il va bien finir par s’arrêter ? Une fois fait, je me détends à nouveau et sors de mon bouclier pour respirer. Evidemment, c’est au tour de mon jeune malinois, Cobain, de venir réclamer son repas, maintenant qu’il me sait réveillée. Quelqu’un sonne à la porte de mon appartement, et mon téléphone reprend sa course folle. Je crois que je vais en descendre un ou deux avant de me recoucher. Cette simple idée noircit encore plus le tableau. Cobain a bien senti mon énervement, il n’insiste pas, il aura sa gamelle quand j’aurai passé mes nerfs sur l’abruti qui continue de sonner à la porte. J’enfile un long t-shirt de base-ball et quitte mon lit douillet pour rejoindre la porte d’entrée que j’ouvre à la volée, le visage renfrogné et encore endormi. « Recommandé ! » annonce presque gaiement le jeune petit facteur avec sa casquette vissée sur le crâne. « A cette heure-ci ? T’es sérieux là ? » Le garçon porte un regard à sa montre avant d’annoncer. « Onze heures quarante-huit. C’est une heure indécente pour signer un recommandé ? » Il me tend la lettre en question, et le papier que je dois signer. Je le fusille du regard, signe et lui referme la porte à la gueule. Il l’a bien mérité. Mon téléphone reprend sa mélodieuse sonnerie, agrémentée d’un bruit significatif de vibreur contre le parquet. Je suis à deux doigts de la rupture, quand Cobain vient se lover contre mes jambes, me regardant de son regard adorable. Je sais qu’il n’est pas entré dans ma vie par hasard. J’ai vécu tellement de choses avec lui. Je le gratifie d’une caresse sur le haut de la tête tout en hochant la mienne. « T’as raison, ça sert à rien de s’énerver. » Et sans tarder, je lui donne sa ration matinale de croquettes hors de prix.
Il est temps d’aller voir qui me harcèle. En voyant le nom de l’appelant, mon coeur se comprime et s’accélère. Mon ancien commandant semble très déterminé à me joindre. Il ne laisse aucun message, se contente de rappeler, encore une fois. Téléphone entre les mains, je me décide à décrocher. « Flores. J’ai besoin de toi, retrouve-moi dans une heure au Blue Palms, à Santa Monica. » Et il raccroche sans même attendre de voir si je vais accepter ou non son invitation. Ça n’en est pas vraiment une. C’est un rendez-vous, presque une obligation.

***

Lorsque j’arrive sur la baie, je trouve le café sans aucun problème, c’est celui dont la terrasse prend le plus de place. Je me faufile entre les tables après avoir reconnu mon rendez-vous, et rejoins le sexagénaire, m’asseyant en face de lui. Il me remercie d’être venue, et je me contente d’un hochement d’épaules. « Tu te souviens de ma fille ? » Je plisse un peu les yeux, il entre dans le vif du sujet sans tourner autour du pot. Je le reconnais bien là. « Elle a assisté à une grosse altercation entre deux trafiquants contre son gré. Elle était au mauvais endroit au mauvais moment. Son témoignage a écroué l’un des deux chefs de gang pour trois décennies. » Je fronce les sourcils. « Pourquoi elle a ouvert la bouche ? » J’ai toujours trouvé cette fille diablement belle, mais foutrement casse burnes. Le genre de fille de laquelle je ne me serai jamais approchée, de peur de soupirer ou de lever les yeux au ciel chaque fois qu’elle allait ouvrir la bouche. Elle est loin d’être conne, elle a juste exactement tout ce qui me sort par les yeux, à part son physique avantageux. « Elle n’a pas eu le choix. » Sous titre, il l’a poussée à le faire, pour pouvoir coffrer ceux qui devaient l’être. Il a toujours fait passer la loi et la justice avant toute chose. C’est en ça qu’on se comprenait tous les deux. Et c’est aussi pour ça qu’il m’a fait confiance toutes ces années. « Andy. On cherchait ces mecs depuis un bail, tu le sais. » C’est de l’histoire ancienne tout ça pour moi. « Je juge pas. » Il a fait ce qu’il avait à faire, mais maintenant, sa fille est en danger. « Elle va avoir besoin de ta protection. » Je lâche un rire con, incontrôlé. « Arrête tes conneries. » Il a pas l’air de se marrer. « Tu fais de la protection aussi maintenant, non ? » « Sur des courts trajets, pour des ambassadeurs étrangers, quand la police n’est pas à même de faire son boulot correctement. » Je ne parle pas de notre section. Les stups, c’est autre chose. Mais la protection des témoins, ça n’a jamais trop fait ses preuves à la LAPD. Enfin, ça c’est que mon avis. Mais visiblement, il a le même. « C’est ma fille. J’peux pas la laisser entre les mains de n’importe qui. J’ai besoin de toi. » « Combien de temps ? » « Si tout va bien, le procès est dans six mois. J’ai accéléré les démarches. » « SIX MOIS ? » Je crois que j’ai un peu hurlé. « J’ai une vie, un appartement à payer, je peux pas arrêter de bosser pendant 6 mois pour m’occuper de ta gamine ! » Gamine qui soit dit en passant, n’a que quelques années de moins que moi. Mais je l’ai toujours vue comme une gamine capricieuse, c’est plus fort que moi. « Et puis pourquoi moi ? » « Parce que t’es douée. Tu l’as toujours été. Tu n’aurai pas dû rendre ta plaque. » Mon corps se raidit. C’est un choix réfléchi. Enfin je crois. De toute manière, je ne pourrai pas faire machine arrière. La police, c’est terminé pour moi. J’ai du sang sur les mains, et malgré la thérapie, je n’arrive toujours pas à passer au dessus. C’était il y a trois mois, et je revois encore ce corps étendue au milieu de la rue. Cette pauvre femme qui n’avait rien demandé, mais qui, comme la fille de mon commandant, était ‘simplement’ là au mauvais endroit au mauvais moment. Sauf que la balle était celle de mon chargeur. Et le doigt qui a pressé la gâchette était le mien. Rien n’est plus pareil depuis. Je ne serai plus jamais la même. « Ok. » finis-je par abdiquer en soupirant. Peut-être que ça redorera un peu mon blason et que le karma arrêtera de me faire comprendre que je ne suis qu’une sombre merde.