Zaïn - Avec ma guitare à la main, j'ai peur de rien (Completed)

- Papa, pourquoi ta guitare elle est abimée ?

- Parce que je l'utilise beaucoup, Finn... et intensément, regarde...

Ses doigts agiles se mirent alors à parcourir les cordes avec une dextérité surprenante, pour jouer un court morceau très rock. Son fils se plaça devant et commença à bouger dans tous les sens, le faisant sourire, de façon un peu béate. Un père qui pouponne son garçon, en quelque sorte. A un moment il s'interrompit, pour tendre une corde. Tous les jours, il accordait sa gratte, d'oreille. C'était comme ça, ça lui venait naturellement. Finn vint s'asseoir à côté de lui et poursuivit son petit interrogatoire innocent :

- Elle a quel âge ?

Bonne question que celle-là ! Zaïn fronça les sourcils pour réfléchir et se souvenir.

- Elle a... 20 ans... oui c'est ça, ça fait pratiquement 20 ans qu'on me l'a offerte.

- Qui ?

- Mémé... enfin tu sais, ma maman. C'était mon cadeau d'anniversaire, pour mes 10 ans. J'avais une autre guitare avant mais elle était pour les enfants. Il m'en fallait une pour les grands.

- Quand j'aurais 10 ans, j'voudrais avoir une guitare de grands moi aussi !

- Mais, ça se pourrait bien, mon coeur... il faut que t'apprenne à jouer d'abord ! Allez, viens là, papa te montre.

Il invita Finn à monter sur ses genoux. Son fils bien calé contre lui, il passa la guitare et positionna ses petites mains sur l'instrument résolument trop grand. Malgré tout, il lui fit jouer deux accords très basiques. Puis Finn s'amusa à jouer un peu n'importe comment, redoublant d'énergie quand il vit que son père riait aux éclats. Le silence revint doucement. Le doigt du petit garçon vint se poser sur une fissure bien visible au niveau du manche. Il demanda alors :

- C'est quoi ?

Silence. Zaïn fixa la fissure, comme s'il était soudain déconnecté de la réalité. Il finit par soupirer. Il connaissait Finn. Il allait demander encore plein de choses, parce qu'il avait soif d'apprendre. Autant parler franchement des choses.

- Tu te rappelles quand papa t'a expliqué qu'il y avait des gens pas très gentils dans la vie ?

Le garçon hocha timidement la tête, ne sachant pas si c'était un reproche adressé à son encontre ou le début d'une histoire. Il fut vite fixé.

- Et tu te rappelles quand je t'ai dit que mon papa n'est pas quelqu'un de gentil ? Et bien tu vois, mon papa n'aime pas vraiment les guitares... il boit beaucoup d'alcool, ce qui le rend encore moins gentil... un jour, il a pris la guitare et l'a cassée...

- Mais... c'est...

- Oui, ce n'est pas très gentil. Mais bon, regarde un peu, elle est comme neuve ! Et elle fonctionne toujours ! C'est qui le meilleur ?

- Toi !!!!

Moment câlin. Finn retourna ensuite près de la fenêtre, alors que Zaïn se leva pour aller leur chercher de quoi boire. Dans la cuisine, il souleva son t-shirt pour dévoiler une énorme balafre sur son flanc droit, mesurant plus de quinze centimètres, légèrement irrégulière. Elle partait du bas des côtes vers son aine. Son regard se perdit à nouveau dans le vide, alors qu'il semblait se plonger dans le mutisme. Finn n'avait pas besoin de savoir que son grand-père avait fracassé la guitare sur son propre fils, au point de lui fracturer deux côtes et de le conduire aux urgences pour recoudre la plaie ouverte par le bois dur dans sa chair. Trop jeune, trop innocent. Il découvrait le monde et pour quelques années encore, il préférait le préserver de certaines horreurs. Il en découvrirait bien assez en grandissant. La voix de son fils le fit sursauter.

- Papa, papa ! Viens vite !!! Y'a un arc-en-ciel !

Le sourire revint sur son visage, il récupéra les deux verres d'eaux et regagna le salon pour se mettre à la fenêtre et admirer le spectacle. Un bel après-midi père-fils, comme lui-même n'en avait jamais connu.


Dans un craquement sinistre, le bois vola en éclats. La guitare électrique était en train de partir en lambeau, projetant des bouts de bois dans l'appartement. Zaïn continua son acharnement, guidé par la fureur et la rage. Il fracassa l'instrument contre les cadres décorant le mur. Le bois se mélangea au verre. Puis ce fut le tour des vases, de la table basse, de la télévision. Chaque coup était donné avec une telle puissance que ça lui arrachait un grognement sinistre. En quelques minutes le salon d'ordinaire si bien rangé, se retrouva dans un chaos total. N'ayant plus que le bout du manche de sa guitare dans la main, il le laissa tomber à terre en regardant tout autour de lui, les lieux dévastés. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, il lui fallut quelques minutes avant de pouvoir bouger. Quand il le put, il se rendit dans la salle de bains pour se passer de l'eau froide sur le visage. Ses mains blessées, laissaient des légères traces rouges sur sa peau. Ses yeux se posèrent sur son reflet. Moment de choc... là, dans ce miroir, il voyait le visage d'un homme fou de colère, les traits si agressifs qu'ils en devenaient infréquentables. Il eut l'impression terrible de voir son père. Dans un sursaut qui le prit au corps, il défonça le miroir de plusieurs coup de poing, jusqu'à ce que celui-ci vole en éclat. Voilà qui n'arrangea pas l'état de ses mains. En voyant tout ce sang, il eut un haut le cœur. Il sortit précipitamment de la salle de bains pour gagner les toilettes et y vomir à vide. Il n'avait pas mangé depuis la veille, et n'avait pas bu non plus depuis le matin. Son estomac était noué, comme si quelqu'un lui avait mis un étau.

Il appuya son dos contre le mur. Son costume trois pièces était taché de sang, désormais... il transpirait de dans, comme s'il venait de faire une séance intense de sport. Peu à peu son rythme cardiaque retomba. Voilà... l'enterrement avait eu lieu... aujourd'hui, il venait de mettre en terre son petit frère, Ethan. Il avait prononcé un discours improvisé, dont il ne se rappelait même plus la teneur. Incapable de revoir ce moment où il avait vu le cercueil en bois descendre dans le caveau familial à côté de leur mère. Requiescat in pace... La logique voulait qu'il accueille les condoléances des gens chez son père, où un buffet était offert... mais il ne fut incapable. Il attendit que les gens aient le dos tourné pour rentrer chez lui. La suite, vous la connaissez... Submergé par l'émotion, par la colère, il avait mis à sac son appartement. Désormais, il se sentait vidé de toute énergie. Il se releva, en titubant, pour prendre une cigarette et l'allumer. Un petit verre de gin, ça permettrait peut-être de faire passer la pilule. Il ouvrit la bouteille et ne prit même pas la peine de prendre un verre. Il arpenta l'appartement, marchant sur les débris, s'entaillant les pieds, sans aucun but précis. A un moment, sentant une vive douleur causée par un éclat de verre dans l'un de ses orteils, il s'assit sur le canapé. C'est alors que sa porte d'entrée s'ouvrit. Face à lui, Roman regardait tout ce foutoir avec des yeux écarquillés. Son meilleur ami possédait la clé de son appartement... depuis toujours. Il était de la famille après tout, pas celle du sang mais celle du cœur. Il avança prudemment jusqu'à lui. Le silence était pesant. Roman s'assit et posa une main sur son épaule. Et là, à cet instant et uniquement à ce moment, Zaïn laissa sortir ses larmes et ses sanglots, en se blottissant contre son frère de cœur.

- C'est de ma faute... j'aurais du être là... j'aurais du être présent... c'est entièrement de ma faute...

En dépit des mots de Roman, il continua de répéter ces mots, inlassablement. Son petit frère était mort d'une overdose. Comment ne pas y voir une faillite personnelle, alors qu'il avait été plus occupé par la musique que par son état ? L'abandon, voilà qu'il pensait avoir commis... et lui qui ne pardonnait jamais rien à personne, il était encore plus dur envers lui-même. Finalement, il n'avait fallu qu'une personne pour qu'il laisse éclater sa tristesse. Roman. Encore et toujours lui. Son pote d'enfance, son ami, son deuxième frangin. Son épaule. Son confident. Sa lumière dans l'obscurité.


Cela faisait bien une heure que Roman, Zaïn et Wielfried étaient attablés sur le terrasse de ce restaurant, qui offrait une belle vue sur le pacifique. Clope au bec, Kerlyne avait un peu déconnecté de la conversation pour regarder son téléphone. Non pas qu'il n'était pas intéressé, mais il estimait qu'il était peut-être préférable de laisser les deux hommes discuter entre eux, histoire que l'alchimie prenne. Il se rappelait de sa conversation avec son meilleur ami, au sujet de sa bisexualité. Objectivement, celle-ci crevait les yeux, quand on le connaissait. Mais allez savoir pourquoi, Rosario ne l'assumait pas vraiment. Sa confidence avait déclenché une réaction spontanée chez son frère de cœur. Zaïn lui avait répondu un "Ouais, ouais, je sais" si naturel que ça les avait bien fait rire. Pour le coup, il avait pu compter sur son soutien. Et puis cette conversation avait permis d'en débloquer d'autres. Après ça, ils parlèrent plus ouvertement de leurs ressentis, leurs émotions. Surtout Kerlyne, qui ne perdait pas l'occasion de partager quelques détails croustillants sur sa vie sexuelle, que ça soit avec des hommes ou des femmes. Lui, sa bisexualité, il l'assumait, il la revendiquait presque. Il n'aimait pas qu'on le catalogue ou qu'on lui impose un choix. Choisir, ça revenait à renoncer. Pas question de privilégier un plaisir par rapport à un autre. Ce n'était même pas dans sa façon de penser.

Que de chemin parcouru ensemble ! Il repensait à leur enfance. Dire qu'ils s'étaient connus sur les bancs de l'école et que de là, leur amitié continuait encore de se développer. Heureusement que la famille de Roman fut présente. Après que son père lui ai fracassé la guitare sur le corps dans un accès de colère sous fort taux d'alcoolémie, Zaïn avait fini à l'hôpital. Les services de protection de l'enfance décidèrent de les éloigner de leur père. Les Rosario avaient pris soin de lui et de son frère. Le destin avait fait que ce dernier s'était peu à peu éloigné du chemin... ce souvenir restait toujours douloureux quand il revenait. A tel point que l'on évitait d'en parler. Un peu comme l'attirance évidente qui s'opérait entre Roman et Wilfried à ce moment-là. Les attitudes parlaient pour eux. Quand l'un regardait l'autre, l'intensité restait palpable. Et pourtant, Roman avançait si prudemment qu'une tortue aurait pu le dépasser. Zaïn, qui n'était pas très patient, avait parfois envie de le secouer un peu. Mais il se ravisait parce qu'il trouvait plus respectueux de laisser faire le temps. Bon, peut-être qu'un jour, sous le coup d'une impulsion, il leur paierait un séjour romantique quelque part, avec toute l'atmosphère qui va avec pour qu'ils puissent s'amuser un peu. Pour l'instant, Wilfried était un prétendant plutôt sérieux en apparence. Il l'aimait bien, il avait une belle personnalité.

- Je dois filer les gars ! C'était sympa, on se refait ça quand vous voulez, mais la prochaine fois, prenez vos tenues de bain, on ira piquer une tête !

Il leur fit un clin d’œil, les salua et sortit du restaurant pour appeler Kate, la mère de son fils. Celle-ci ne tarda pas à décrocher :

- Salut.

- Salut Kate ! J'ai eu ton SMS. Pas de problème pour venir chercher Finn plus tôt. J'espère que ça va aller pour ta mère. Si tu as besoin, tu sais que tu peux compter sur moi.

- Ah c'est cool ! Merci Zaïn ! Je lui passerai le bonjour de ta part. Pour l'instant, ça va. Les médecins la gardent sous surveillance. Elle devrait sortir mercredi si tout va bien. Je ne préfère pas que Finn voit tout ça...

- Hé, c'est pas un souci, d'accord ? T'as pas à te justifier ! Je le récupère cette semaine et puis on alterne pour la suivante, ok ? Le plus important c'est ta mère. Finn, je m'en occupe.

- T'es un amour, Zaïn... j'ai de la chance de t'avoir.

- Fais gaffe, je me suis fait désenfler les chevilles dernièrement, faudrait pas que ça revienne ! Allez, j'arrive dans une heure. Je t'aime, colibri.

- Merci. Je t'aime aussi, Kerlyne.

Il raccrocha. Entre Kate et lui, il n'y avait plus rien d'autre que de l'affection platonique. Un truc que peu de gens comprenaient. En fait, ils s'aimaient vraiment, ils ne manquaient jamais de tendresse l'un pour l'autre, sauf que ça n'avait aucune portée sexuelle ou intime. Tout ça, c'était derrière eux. Aujourd'hui, Zaïn menait une vie sentimentale au gré de ses envies et Kate, elle, s'était mis en couple avec une femme. Tout allait bien. Ils étaient heureux ainsi et ils éduquaient leur petit garçon de leur mieux. Le plus important, ça restait Finn et son équilibre.


- Zaïn... j'ai quelque chose à te dire... et je ne sais pas par où commencer...

- Ethan, j'te jure que si tu as encore bouffé du gras et toucher ma guitare sans te laver les mains, je t'engouffre tes putains de beignet dans les narines !

- Non... c'est pas ça... c'est important...

- Oh ?

Zaïn se redressa sur son lit et regarda son petit frère, qui était en pleine adolescence. La différence d'âge entre eux, elle se révélait parfois être une frontière, une sorte de barrière qu'ils ne franchissaient pas. Non par manque d'intérêt, plutôt par divergence. Ils ne pensaient pas aux mêmes choses. Ethan était encore un gamin, désireux de rester libre et de mourir con, sans doute, tandis que Zaïn lui, il cherchait un moyen de le lourder pour aller passer du bon temps avec d'autres personnes. Pour qu'ils en viennent à parler de choses importantes, c'est que ça atteignait un certain niveau. Il observa Ethan et à en juger par sa tête, il comprit que oui, c'était bel et bien sérieux.

- C'est papa c'est ça ? Je t'ai dit d'arrêter d'aller le voir... qu'est-ce qu'il t'a fait ? Dis-moi, Ethan ! S'il s'en est pris à toi, je te jure que...

- Non, non, ce n'est pas ça non plus...

- Alors qu'est-ce qu'il se passe ? On dirait que tu as... je sais pas... fait une énorme connerie ou va savoir !

Silence persistant. Zaïn claqua sa langue avec impatience.

- Ethan... crache le morceau, merde !

- J'aime les garçons...

Nouveau silence, brisé encore par Zaïn :

- Et ?

- Tu comprends pas... j'aime les garçons, je suis attiré par eux...

- Ah mais, si, je comprends parfaitement ! Tu les aimes au point que ça te titille dans le pantalon !

- C'est pas drôle...

- Je n'essaie pas d'être drôle. Je te dis simplement que je comprends parfaitement. Et tu me dis ça parce que tu penses que c'est un problème ? Mais ça n'en est pas un, tu sais... du moment que tu es heureux.

- Mais papa dit que...

- Tu veux que je te dise, papa, c'est juste un gros con raciste, homophobe et violent. Et tu sais quoi, toi et moi, on l'emmerde, bien profond ! Tu aimes les garçons et alors ? Où est le problème ? Tant que tu es heureux, c'est tout ce qui compte ! Il n'a même pas besoin d'être au courant !

Il le prit affectueusement contre lui, pour lui témoigner son soutien. Il demanda alors, intrigué :

- Alors, qui est l'heureux élu ?

- Thiago...

- Thiago ? Le gamin qui traînait toujours dans les parages quand t'étais dehors ?

- Ce n'est plus un gamin, tu sais... et il ne traînait pas, il m'aimait bien je crois.

- Ben ça alors ! J'aurais pas misé sur lui, moi ! Il a pas l'air méchant, tu seras plutôt bien avec lui, je pense. Et depuis quand vous êtes ensemble ?

- Pas très longtemps... je ne sais pas trop comment gérer...

- Laisse-toi porter ! Tu as tout le temps pour découvrir tout ça, crois-moi ! Bon, c'est une super nouvelle ! Je suis vraiment content pour toi !

- Merci, frangin...

Zaïn ouvrit son armoire et en sortit des préservatifs qu'il tendit à Ethan. Celui-ci vira au rouge pivoine ce qui fit bien rire son aîné :

- Tiens, prends-les, je m'en achèterais d'autres. Mais sors couvert. C'est important, ok ?

Léger hochement de tête, qui se ponctua par une tape sur l'épaule. Zaïn proposa un repas en extérieur, pour fêter la nouvelle. Il n'avait peut-être pas les mêmes centres d'intérêt qu'Ethan, mais il savait se montrer présent, autant que possible quand il le fallait. Et pourtant, à cette époque là, rien ne garantissait vraiment que les choses évoluent de façon favorable. Ils étaient loin de se douter ce que leur réservait l'avenir. Si ça avait été le cas, peut-être que Zaïn aurait agi différemment... en espérant lui sauver la vie.