Midnight sky (( Seyeon ))

Pyongyang, année 1994. Le 20 avril 1994, tu as vu le jour. Un jour heureux pour tes parents, toi, Seyeon, fille unique qui le restera à jamais. Princesse d’un papa soldat, et d’une maman infirmière. La petite princesse qui a pourtant passé ses années dans un pays très dur. La Corée du Nord. Les règles imposées ne t’ont pas permis de t’épanouir autant que d’autres enfants du reste du monde. Tu devais faire attention à tes fréquentations, choisir un bon métier pour bien gagner ta vie. Et ne pas tomber dans l’illégalité qui a pu coûter la vie à certaine personne. Jeune, il t’arrivait d’avoir des phases de rébellion. Sortir le soir, boire, t’amuser tout simplement. Comme toute jeune fille qui arrive à l’adolescence. Ta vie de petite fille a bien été trop molle, trop morne. Tu te devais de libérer ce poids qui t’oppressait la poitrine. Pourtant, tu as quand même réussi à ne pas dépasser les limites. Tes parents t’y ont aidé. Ces derniers savent bien que ce n’est pas une vie, eux aussi souffre. Mais ils font avec. Et tu dois faire de même. Tu t’es donc concentré sur tes études de médecine en premier lieu. La médecine est une voie que beaucoup souhaite prendre. Tes notes à l’école t’ont permis d’y accéder sans soucis. Ce n’est pas ce que tu souhaitais faire au départ, vraiment. Toi, tu rêvais de devenir tatoueuse. Tu as pu en voir une fois, il y a quelques années déjà. Malheureusement, tu doutes fort que ce rêve se réalisera si tu te trouves en Corée du Nord. Haha.

Cette première année d’études s’est donc résumé en : travail, travail, travail. Ah oui, et un peu de flirt aussi. Car évidemment, tu n’es pas un robot. Et tu as vite ressenti des choses pour tes camarades. Féminines. Encore une chose mal vue, mais à quoi bon ? ça te connaît il faut dire. Et tu ne peux pas réfréner ces émotions en toi. Tu voyais des femmes en cachette, et sortait avec un jeune garçon pour rentrer dans les rangs. Lui t’aimait sincèrement, mais toi, tu te jouais de lui. Tu aurais préféré ne pas en arriver là, mais tu n’avais pas le choix. Enfin, de toute manière, tu n’as pas vraiment eu le temps de laisser cette relation durer. Cet homme a soudainement disparu de la circulation durant plusieurs semaines, assez pour que tu t’inquiètes réellement. Et c’est par hasard lors d’une conversation à l’université que tu as su qu’il était mort. Assassiner. Pour quelles raisons ? tu n’en as strictement aucune idée. Un sentiment de peine t’a envahi durant les premiers jours suite à cette nouvelle, mais tu as vite repris tes esprits pour ne pas sombrer de trop. Puis, tu as été entourée, ça t’a grandement aidé à faire le deuil.

Tout a dérapé pourtant, quelques mois plus tard. Encore une fois, tu n’as jamais su comment. Juste que ton père s’est fichu dans la merde. Ta famille et toi avez donc dû d’urgence s’enfuir de là, le plus loin possible, en abandonnant tout. Peu de personnes ont réussi oui, mais vous avez tenté. Grâce à l’aide d’un passeur. Tentative qui malheureusement, a échoué. Du moins, à moitié. Tu as pu t’en sortir de là vivante, mais tes parents non. Ils ne sont jamais venus au point de rendez-vous avec le passeur. Et ce dernier ne pouvait pas prendre le risque d’attendre plus longtemps. C’est donc à contre cœur que tu as dû t’en aller sans eux. Parce que tu le savais : ils étaient déjà morts. Durant le voyage, tu n’as pas pleuré. Tu te sentais simplement vide. Tu as tout perdu et il fallait que tu t’en remettes, que tu construises une nouvelle vie.

Ta tante t’a recueillie les premiers mois, et t’a aidé autant niveau administratif que financier. Elle t’a soutenue émotionnellement aussi, surtout lorsque tu as bien eu la preuve que tes parents se sont fait exécuter le jour de ton départ de Corée du Nord. Il t’a fallu un peu de temps pour digérer tout ça, et une fois fait, tu as préféré prendre ton envol. Loin de là. Là où on ne pourra jamais te retrouver. Une chance que ta tante soit gentille et qu’elle ait pu te donner les clés de sa maison à Los Angeles. Enfin, maison… Son penthouse plutôt. Tu savais qu’elle était riche, mais autant que ça… Tu as eu du mal à t’y faire, toi qui avant vivais dans un appartement de moins de 15m² pour trois personnes. Pourtant cette nouvelle vie s’offrait à toi. Et tu n’as pas hésité à l’attraper. Tes parents l’auraient voulu.

Aujourd’hui, tu peux enfin vivre ta vie tant rêvée. Pouvoir assumer pleinement le fait d’être lesbienne, te faire tatouer (deux tatouages en tout pour le moment : un serpent sur ta nuque, puis des fleurs de lys et roses rouges entourées d'épines sur ta fesse droite), et travailler en tant que tatoueuse dans un salon tout récent. Cette sensation de liberté, jamais tu ne t’en lasseras. Et tu le sais mieux que quiconque, toi qui as vécu l’enfer sur Terre, en Corée du Nord.  Si on t’avait proposé de vivre une autre vie que la tienne, tu aurais sûrement accepté. Les années passées, ont été les plus dures. Par moment, tu aurais voulu finir comme tes parents et ton ex petit-ami. Dans une tombe, pour ne plus souffrir du tout. Mais ta joie de vivre et ton envie de te battre t’as empêché de suivre la même route. Il te reste beaucoup de choses à découvrir, et surtout : profiter de ta belle vie à fond, sans rien regretter.