Trouble ~Zacharia & Philippe~

Je sens le poids du corps de Philippe sur moi et j’aime cette sensation. J’aime aussi ces paroles qui remettent le contexte à sa place. Il me rassure en me disant qu’il me voit moi, et non son fantôme chérit, même si cela ne doit pas être facile tant on se ressemble. Je ne peux que le trouver encore plus désirable. Tellement humain et prévenant. Je me rends compte de la chance qu’a eu Marius d’avoir pu passer sa trop brève existence à côté d’un tel homme. Tout comme je me rends compte de la chance que j’ai de l’avoir croisé. Rencontre éphémère, mais inoubliable. Un sourire étire mes lèvres tandis que je plonge dans ses iris clairs. Je me noie dans sa gentillesse et je regrette de l’avoir pris pour un fou. Mes mains caressent son dos, survolent sa peau. Aussi bizarre que cela puisse paraître, je suis bien et j’ai l’impression d’être à ma place, avec lui, ce soir. Comme si je revendiquais une légitimité à laquelle je n’ai pas droit.
« Je veux que tu saches que sans ce quiproquo, je serai en train de retravailler mes présentations ce soir. »
Je ne sais pas pourquoi il me semble important de me justifier. Je crois surtout que je n’ai aucune envie de passer pour ce que je ne suis pas, alors j’enchaîne
« Je travaille énormément sur l’élaboration des vins du domaine et dans les vignes aussi. Et même si je t’ai parlé de Las Vegas, c’est juste une courte parenthèse dans une vie de labeur. »
Je me tais et le fixe.
« S’il n’y avait pas eu cette rencontre sur la plage, je serai en train de bosser et non dans un bar, en train de chercher quelqu’un à ramener ici. Je ne suis pas comme ça même, je ne mène pas une vie monacale pour autant. Je tenais à ce que tu le saches. »
C’est presque primordial pour moi qu’il comprenne qui je suis. Du moins, qu’il entrevoit une petite part de ma personnalité. Mes propos semblent déplacer dans cette atmosphère feutrée et intime, mais j’avais besoin de les dire afin de pouvoir continuer sereinement cette nuit avec cet homme.
Mes mains s’arrêtent sur ses épaules et apprécient la carrure toute masculine. Athlétique. Les muscles fins et bien dessinés. Le désir que je lis dans ses yeux et qui ne fait que renforcer mon désir.
J’apprécie sa prévenance aussi et je lui adresse un sourire avant de répondre.
« Je dois t’avouer que n’ayant que peu de relations suivies, je suis plutôt du genre … dominant lorsque je suis avec un homme, ce qui n’est pas toujours le cas. »
Je suis du genre à ne pas me poser de questions sur le sexe de mes partenaires. Je  ne suis pas sectaire.
« Après, ce n’est pas un point définitif. Tout dépend de l’autre et lorsque l’autre, c'est toi, j’ai envie de vivre plus intensément. Je ne veux pas me poser de questions et je préfère me laisser guider par mes envies, car elles sont multiples. Infinies. »
Mes lèvres reviennent sur les siennes, avides.
« J’ai très envie de toi. De faire partie de toi. De partager ce moment. De vivre cette expérience. »
Je suis conscient que cela ne ressemblera à rien de ce que j’ai déjà pu vivre. Pas dans l’acte, mais dans l’essence même de l’acte. Ça va au-delà du sexuel. Je crains juste qu’il ne fasse apparaître le vide qui règne dans ma vie lorsque je ne travaille pas. Je crains de rester comme une coquille vide sur le bord de la route. Je crains d’en vouloir plus alors que ce n’est pas possible.
Alors je me rassure en me disant que je suis seul depuis tellement longtemps que plus rien ne peut m’atteindre. Que j’ai choisi cette vie et qu’elle me convient parfaitement.
Mes pensées voguent et au-dessus de moi, la chaleur du corps de Philippe m’indique que je ne fais que me mentir. Le poids du corps de Philippe m’indique que la solitude peut être réversible, qu’il me suffirait de le vouloir et de faire le nécessaire pour que le soir, je ne sois plus jamais seul. Ce poids qui m’ancre dans cette chambre. Dans ce lit. Des Philippe, il en existe d’autres, même si celui-ci frôle la perfection.
Mes doigts ont repris les frôlements sur la peau chaude du français et mes mains s’arrêtent sur ses fesses. L’épiderme frissonne et mon visage se niche dans la tiédeur de son cou. Je m’enivre de son odeur.
« On devrait peut-être se laisser guider par nos envies sans plus se poser de questions »
Je rajoute afin que rien ne vienne entraver cette nuit
« Quoique tu fasses, je vais apprécier. J’espère qu’il en sera de même pour toi.  »
Je l’attire encore un peu plus contre moi tout en l’embrassant. Je sens chaque parcelle de son corps contre le mien.
« Les préservatifs sont dans ma valise, quelque part, jetés au fond d’une poche … Il se peut que l'on trouve des ... surprises mises là par ma bande de potes ... »
J’en ai toujours ou presque. Cela ne veut pas dire que je les utilise forcément. Souvent ce sont mes potes qui les cachent dans mes affaires et m’envoient ensuite des messages en me demandant quelles saveurs a été appréciées ou si  ceux avec certaines particularités sont plus orgasmiques … je suis toujours épaté par leur imagination débordante tout en avouant que parfois, cela m’a bien arrangé. Je me demande ce qu’ils ont bien pu mettre cette fois... craignant un peu de découvrir ce que me réserve ma valise transformée en pochette surprise comme ils disent.
J’adresse un sourire taquin à Philippe même si le désir est toujours là.

On s’approche. On se découvre. On fixe quelques règles du jeu. On établit des accords implicites. Des désirs explicites. Je souris avec la sensation de lever des voiles sur la personnalité de Philippe au fur et à mesure que les minutes filent. L’homme qui se profile me plaît énormément et j’en viens à envier son défunt époux d’avoir eu la chance de partager son existence avec une telle personne. Cette rencontre m’a fait perdre mes repères. Elle a chamboulé ma vision des choses et j’essaie de reprendre pied, malgré mon apparente tranquillité. Trop d’irrationalité dans mon existence sage et plutôt bien réglée.

Il l’a finalement ce petit brin de folie que je prenais pour de la folie pure et dure. Je sens le sourire qui étire mes lèvres à l’infini. Qui plisse le contour de mes yeux en une myriade de fines lignes. Qui accentue et creuse la cicatrice qui barre ma joue. Je sens toutes mes imperfections remonter à la surface. Je me demande s’il m’aurait accosté sur la plage si je n’avais pas été le sosie de son époux. Il est tellement beau et moi, tellement banal. Mais il arrive à me rendre beau au travers de ses regards.

Je décide de me laisser faire, car son toucher est envoûtant. Il me relie à l’instant présent. Je prends conscience de mes failles et de mes faiblesses. De ma force aussi. Toujours ce sourire qui barre mon visage. Sous ses doigts, je revis. Je gémis. Ma peau frissonne et mon corps s’agite sans que je puisse le contrôler. Lui aussi est fébrile. Le désir est palpable.
Un rire arrive et je ne peux m’empêcher de dire

« Je pense que même sans ces artifices, j’aurai la même réaction »

Ma voix est rauque. Troublée par l’envie. Le désir. Je n’ai pas la force de résister. Mes pensées s’embrouillent dans mon esprit. Mes sens me perdent et je n’arrive pas à me décider, car je veux tout et lui en particulier.

Mon corps agit et réagit. Je me laisse aller. Guider par mes instincts avec l’impression de renaître. Je suis bien avec cet homme malgré nos débuts houleux et complètement fous. J’oublie l’endroit. J’oublie le jour. Plus rien n’a d’importance. Les choses reprendront leur place plus tard.
Je le fixe. Je ne sais pas si je souris ou si j’ai l’air sérieux. Désireux. Un peu envieux de sa vie malgré les malheurs.
Je suis perdu et ancré en même temps. Avec son corps, il me retient et évite que je m’égare dans mes regrets.
Il y a sa bouche que j’embrasse. Avide.
Son corps que j’explore. Impatient et patient.
Moi aussi, je me laisse couler avec lui. Un besoin incompréhensible.
Puis, il me touche et me déroute. Mon souffle se coupe. Mon cœur s’arrête. Mon sang cogne contre mes tempes. Tout se fige durant une micro seconde qui s’étire comme si elle durait mille ans.
Je n’ai pas l’habitude que l’on me touche de la sorte. Je suis perdu. Mon ancrage a disparu. Seul le regard bleu qui me fait face me retient. Je ne veux pas briser l’harmonie. Je me rends compte que ma respiration s’est calquée sur la sienne. Que je chasse les a priori qui pourraient venir ternir ce moment. Il me suffirait de dire ‘non’ pour que Philippe arrête mais, je ne le fais pas. Au fond de moi, je ne veux rien arrêter. Rien perturber. Je veux juste vivre le moment présent comme il s’écrit.
Je ne suis pas un dominant, ni un dominé. Je suis simplement un homme qui agit au fil de ses envies et ce soir, j’apprends de nouvelles choses me concernant. Philippe me fait découvrir sa façon d’aimer et cela me plaît.
Mes paupières se ferment. Une seconde ou une éternité, je ne sais. Le temps vibre à notre rythme. Je suis chamboulé. Émerveillé. Un sourire se dessine lentement. Remonte mes commissures tandis que le plaisir pulse plus fort. Comme jamais auparavant. Mes gestes ne m’appartiennent plus. Je ne contrôle plus rien. Je coule dans ce corps qui s’offre. Ma bouche vient embrasser la sienne. Je veux tout de cet homme. Chaque parcelle de son corps. Je sens son excitation qui frotte contre mon ventre et cela m’emporte dans une abîme de plaisir dont je crains de ne jamais revenir indemne. Le plaisir me ravage. Mon bassin remue et s’unit de plus en plus profondément à celui de Philippe. J’aimerais me répandre en lui tout en essayant de retarder ce moment où je devrais quitter son corps, mais le plaisir est trop présent. Nos râles emmêlés suggèrent qu’il est temps. La pièce vibre de notre désir. De notre attente. Mes mains fébriles caressent la peau chaude et humide de mon partenaire. Sous ma langue, le goût de sa peau. Salée de plaisir.
Entre deux râles de félicité, je murmure
« C’est bon. Terriblement bon »
Ma voix semble venir de loin. Enrouée de désir fébrile.
Je crois que ce sont les derniers mots que j’ai prononcés avant de l’embrasser et de sentir mon corps s’emballer en un ultime assaut. Violent. Déroutant. Me laissant vidé et épuisé.  Rassasié de cet homme comme jamais auparavant.
Je prolonge encore un peu notre union, pas vraiment désireux de rompre le lien que l’on a tissé.

Haletant. En sueur. Le corps fourbu de m’être donné complètement et sans réserve, je gis contre son flanc. Toujours affamé de son contact. Je me surprends. Il est vrai que rien n’est banal entre nous.  Je ne peux m’empêcher de songer à ce qui se serait passé dans un autre contexte. Ma main, posée sur son torse se soulève au gré de sa respiration. J’ai la sensation d’avoir oublié ma vie et de n’être que ce moment présent que l’on partage. Je souris en repensant à ce qu’il m’a dit – qu’il me laisserait travailler ma présentation entre deux rounds – cela m’amuse maintenant, incapable que je suis de me concentrer sur autre chose que sur cet homme. Tout me semble loin et flou. Des raies de lumières filtrent à travers les rideaux, hachant nos corps d’éclairs lumineux. Les enveloppant d’un habit scintillant. Recouvrant la nudité d’un voile pudique.

Il sera toujours temps demain de reprendre mon boulot et ma vie.

La soif me taraude. La faim aussi s’invite dans mon esprit. Mon corps est rassasié de certaines choses, mais mon estomac, non. J’ai aussi envie de fumer, mais là, je sais que si j’allume la moindre clope, l’alarme va hurler et je ne vais récolter que des problèmes.
« Que dirais-tu de dîner ? Au départ, c’était le propos de mon invitation »
Un rire arrive, léger, car là encore, il me semble que cela fait une éternité que l’invitation a été lancée alors qu’il n’en est rien.
« Si tu veux, il y a la salle de bain à ta disposition. Il y a des serviettes supplémentaires ainsi que tout le nécessaire pour se laver. »
Je m’arrête, penche la tête sur le côté avant de murmurer
« C’est juste histoire de reprendre des forces. Je compte bien continuer à découvrir ta façon de ... me faire adhérer à ta cause »
Mon sourire s’est agrandit. Ma main est toujours sur son torse. Ma cause est perdue. Je le sais. Il le sait, mais j’aime faire comme si j’avais encore des doutes quant au fait que je puisse me laisser faire. Ce que j’ai déjà fait. Un accord muet.
« Je peux commander de quoi nous restaurer au room-service en attendant que tu ailles te rafraichir »
Je m’empresse de rajouter
« Si cela te convient, bien sûr »
Puis, sur un ton résolument joueur et taquin
« Il y a encore pas mal de choses dans ma valise que l’on pourrait explorer ensemble ... »

Pendant que Philippe occupe la salle de bain, j’en profite pour passer une commande. Heureusement que je connais le personnel en cuisine et je décide de commander, malgré l’heure tardive, un brunch. Je me dis que cela constituera la solution idéale pour un repas qui ne soit pas guindé. J’ai envie de simplicité. De plus, le choix des aliments pourra convenir aussi bien à Philippe qu’à moi. Pour la partie sucrée, j’ai là aussi opté pour un assortiment de desserts. Je ne suis pas très sucré mais, j’arrive à me laisser tenter parfois.
Côté boisson, thé et café, mais aussi une de mes créations qui se marrie très bien avec tous les plats. Un vin blanc parfait de l’entrée au dessert. Idéal avec le brunch servi ici. C’est avec le chef que nous l’avons sélectionné pour qu’il figure à la carte des vins.
Mes dossiers sont restés à leur place et mon regard est passé dessus en les ignorant royalement. Je suis distrait par le bruit de la douche. Les draps défaits. J’ai ouvert les baies vitrées afin que l’air de la nuit entre. La suite est climatisée, mais je préfère, de loin, l’air naturel. Les parfums des jardins. Le bruit des insectes aussi. Tout ce qui me ramène à la terre et à ma vie.
L’odeur du savon emplit soudain la chambre et je frissonne lorsque je sens les lèvres du français se poser sur ma nuque.
« J’ai commandé un brunch »
Je ris tout en disant
« J’ai trouvé ça plus à même de nous satisfaire et je ne voulais pas de repas guindé, car ils servent une cuisine … que l’on peut difficilement manger avec les doigts. Ce qui est proposé pour le brunch, oui. »
Je me suis retourné pour me retrouver face à lui. Il est magnifique et je ne peux m’empêcher de le dévorer des yeux.
« On va pouvoir s’installer dans le patio »
Je lui désigne ensuite la salle de bain d’un signe de la tête.
« Je file sous la douche. N’hésite pas à ouvrir pour réceptionner nos repas. »
Je me dis que la personne qui va amener la commande risque de rester figée face à cet homme à moitié nu et divinement beau. Je me dis que si elle savait ce qui l’attend, elle arriverait encore plus vite. Je ris tout en me lavant. La sueur et nos odeurs intimes se diluent et disparaissent pour laisser place à une senteur d’agrumes, fraîche et tonifiante. Exactement ce dont j’ai besoin pour continuer la soirée. J’entends le bruit étouffé des roulettes du chariot du room-service, mais je reste en retrait, hilare en songeant à la situation. Il y a aussi les odeurs qui viennent me chatouiller les papilles et me faire saliver. Une serviette enroulée autour de la taille, je déboule dans la pièce où il n’y a plus personne. Je file dans le patio où notre festin nous attend, hésitant à prendre mon paquet de clopes au passage. Je ne fume pas beaucoup, car le tabac détruit le palais et pour élaborer des vins, j’ai besoin que mes sens soient tous opérationnels. Finalement, je reste raisonnable et relâche le paquet avant de rejoindre Philippe, un sourire aux lèvres.
« La personne qui est venue apporter les repas à résister à ton physique et à ta quasi-nudité ? »
Je le taquine tout en riant.
« Pour me faire pardonner mon abandon, je vais faire le service »
Je m’incline cérémonieusement tout en déclochant les différents plats avant de m’asseoir sur le fauteuil face à Philippe, sans avoir au préalable déposer un baiser sur la bouche de mon amant d’un soir. La table est dressée pour deux. De la jolie vaisselle colorée met en valeur les aliments ce qui donne immédiatement envie.
« Bon appétit » avant de rajouter « Je suis affamé »
Un sourire barre mon visage et mes yeux sont plissés sous l’effet de la bonne humeur, mettant en avant les fines ridules qui marquent ma peau. Je contemple l’homme qui me fait face. Il irradie maintenant. Sa tristesse semble s’être momentanément atténuée.
J’ai l’impression d’avoir une autre personne devant moi. Il est encore plus beau. Je peux sentir sa fragilité, mais aussi sa force. Je mentirais en disant que demain je l’aurai oublié. Qu’il ne deviendra qu’une aventure parmi d’autres. Un visage parmi d’autres. Une nuit parmi tant de nuits. Je sais aussi qu’il ne pourra pas rester dans ma vie. Mon visage serait un souvenir perpétuel de son mari et je ne veux pas devenir un substitut.
Je secoue à peine la tête pour chasser ces pensées de mon esprit et revenir à l’instant présent. Je brandis ma fourchette qui pointe en l’air et je me demande, à voix  haute
« Par quoi je vais commencer … tout me donne envie... »
Je rajoute, une lueur taquine et amusée dans le regard
« Toi le premier, mais je vais rester raisonnable et opter pour cette assiette de légumes accompagnés de saumon grillé. J’en ai l’eau à la bouche »
En disant cela, la soif arrive.
« J’ai besoin de me désaltérer avant de boire de l’alcool si je ne veux pas piquer du nez dans mon assiette. Avoue que ça serait dommage quand on songe à la suite du programme... »
Je tiens toujours la carafe de thé en attendant de savoir si Philippe en veut ou s’il préfère une autre boisson. Un spectateur extérieur pourrait nous prendre pour un couple. Moi-même j’ai l’impression que la limite est ténue. J’ai envie de me laisser aller à rêver. À oublier la vie que je me suis construit pour vivre une autre existence le temps de quelques heures. Je me surprends à regretter qu’il ne soit pas ce mari oublié, épousé à Vegas, un soir de beuverie.
« Je te sers ? »
Ma voix me semble lointaine. Pleine d’une soudaine mélancolie qui n’a pas lieu d’être et que je tente de camoufler derrière un grand sourire. Je réalise à quel point ma vie est solitaire malgré l'animation qu'il règne quotidiennement sur le domaine. Je réalise que j'ai envie d'avoir quelqu'un à mes côtés avec qui je pourrai partager mon intimité.

La soirée se poursuit sereinement. Autour de la table du repas improvisé, la conversation reprend. Zach est détendu ainsi que Philippe. Il ne peut s’empêcher de le détailler encore une fois, mais avec l’impression de le découvrir. Il le trouve vraiment très beau. Tout à fait son type d’homme. Ses prunelles semblent avoir retrouvé l’éclat de vie qu’il leur manquait quelques heures plus tôt.
Il ne peut s’empêcher de songer à cette rencontre complètement délirante et lorsque le français réitère ses excuses, Zach secoue doucement la tête.
« Tu sais, n’importe qui aurait perdu le contrôle dans une telle situation. »
Il le regarde tout en suspendant son geste. Laissant sa fourchette en l’air avant de la reposer sur son assiette.
« Je suis désolé moi aussi d’être le portrait de ton mari. C’est tellement fou. Ressembler autant à une personne sans avoir la moindre parenté... Je me demande quelle probabilité il y a d’avoir une sorte de jumeau, quelque part sur le globe… »
Il secoue la tête, l’incrédulité se lit sur ses traits avant qu’il ne rajoute, un brin plus léger
« Il faudra tout de même que je demande à ma mère »
Cette fois, le rire pointe dans sa voix en imaginant la tête de sa génitrice et de son père aussi. Il rajoute néanmoins, avec plus de sérieux.
« Je suis surtout désolé de t’avoir fait souffrir. D’avoir réveillé ta douleur. Je regrette que ma vue t’ait fait douter de l’amour de ton mari. Je suis vraiment désolé pour ce malentendu. »
Faire souffrir cet homme après les épreuves qu’il avait vécues le rendait coupable, même s’il n’y était pour rien. Le quiproquo naît de son séjour à Vegas avait fini d’envenimer les choses, donnant un mauvais concours de circonstances. Les choses avaient été éclaircies et l’entente régnait entre eux.
« Honnêtement, je n’ai aucune idée pour la suite et je suis certain que l’on va trouver. J’aime les surprises »
Ses yeux pétillent tandis qu’un sourire étire ses lèvres.
« Et avec toi, j’avoue que je suis comblé. Jamais je n’aurai imaginé une telle … arrivée dans ma vie »
Passage éphémère, mais marquant. Zach sait qu’il n’oubliera pas de sitôt cet homme qui lui fait prendre conscience du vide de sa vie, pourtant bien remplie, mais pas forcément par l’essentiel.
« Je crois que j’ai trop mis le travail au centre de mon existence. »
Son regard regarde un point lointain, se perd dans les vignes de sa vallée, là où réside toute sa vie.
« J’aime ce que je fais. J’adore même mais, tu m’as fait prendre conscience que l’on pouvait allier passion de son métier et passion amoureuse. Je pense que je me contenterai d’amour »
Ses iris bleus sont revenus sur son partenaire.
« Alors non, pas de regret pour ma conférence. Elle est déjà écrite et... »
Du bout de l’index, il tapote sa tempe en souriant.
«  Tout est là, mais comme je suis un perfectionniste, j’ai besoin de revoir le moindre détail »
Un rire accompagne cet aveu.
« En résumé, je suis un chieur »
Il y a aussi l’enjeu de devenir l’associé du domaine. Une opportunité qu’il ne veut pas laisser passer. Après, il sait que son vin a une excellente réputation et qu’il a toujours les mots pour le défendre et le vendre.
« Je suis à L.A pour la promotion de mon dernier-né. Je travaille avec les grands chefs dont celui du Bel Air. C’est pour cela que l’on s’est croisé sur la plage. Je faisais une pause pour m’aérer la tête »
Un autre rire arrive en songeant que la pause avait été plutôt mouvementée.
« Il y a aussi ma famille qui vit dans cette ville. Mes parents tiennent un négoce de vins. En fait, j’ai toujours été dans ce milieu cependant, c’est avec mon oncle que j’ai vraiment découvert le travail de la vigne et la magie de la Napa dont je ne suis plus jamais parti »
Sa maison lui manque ainsi que sa vie en pleine nature.
« Je déteste cette ville. Je la trouve moche et surfaite. Honnêtement, je n’y viens que par obligation.  Si tu veux découvrir le domaine, c’est avec plaisir que je te recevrais chez moi. Rien à voir avec ici. Je te ferai découvrir San Francisco si tu ne connais pas. Rien à voir avec ici. Je trouve que la ville est plus ‘authentique’ »
Il pique quelques tranches de fruits frais qu’il engloutit avec plaisir tout en dégustant un verre de thé glacé.
« En fait, il y avait très peu de chance pour que l’on se rencontre… à croire que c’était écrit... »
Zach n’est pas du genre à croire au destin et tout ce qui tourne autour, mais aujourd’hui, il est pensif face à ce qui lui arrive. Leur arrive. Car Philippe a été le premier bouleversé, même si lui est un peu ébranlé.
« J’espère que cette rencontre va nous aider à avancer. Chacun à sa façon. Apporter du positif dans nos vies. Tu le mérites après toutes les épreuves que tu as vécues. »
Zach le pense sincèrement et il veut croire que cette rencontre va être le début d’une nouvelle page dans la vie de cet homme brisé par le chagrin.
Lentement, il se lève et vient se placer derrière Philippe. Se penche et dépose un baiser dans sa nuque tandis que ses bras glissent sur son torse. Ses mains effleurent les pectoraux sans descendre plus bas. Il mordille le lobe de son oreille et souffle
« Lorsque tu auras repris assez de forces, on pourra remettre ça. Je me sens d’attaque »
Un sourire éclaire son visage.
« Comme preuve de ma bonne foi, je vais te laisser choisir ce qui t’inspire le plus dans ma valise aux délices »
Son rire résonne dans le patio. La nuit est claire. Douce. Pleine de promesses.
Il doit avouer que parfois ses acolytes ont beaucoup d’imagination. Beaucoup trop à son goût. Il doit aussi dire qu’il ne se sert pratiquement jamais de leurs trouvailles. Ses préservatifs lui conviennent parfaitement. Zach est du genre classique. Fidèle à la même marque depuis des années.  Il a juste testé certains autres modèles pour avoir plus de sensations. L’effet ‘nude’ a gagné ses faveurs. Protégé tout en se sentant nu. James et Cam sont du genre inventifs et farceurs aussi. Il se souvient des préservatifs chauffants qu’il avait détesté avec une partenaire d’un soir. Heureusement, ils avaient fini par en rire.
Zach se laisse rarement faire. Il est du genre à prendre les commandes. Ce soir, l’ordre des choses est bouleversé. Il a envie de remettre en cause ses convictions.

Ce n’est pas un moment habituel et Zach a malgré tout un peu de peine à lâcher complètement prise. Il se laisse rarement toucher. Ses rencontres d’un soir ne l’encouragent pas à donner de sa personne. Il préfère et de loin, prendre, dans tous les sens du terme.
Ce soir, l’occasion est particulière et il veut bien se laisser tenter, sans savoir où il va vraiment. Un sourire s’esquisse en songeant aux trouvailles. Ses acolytes sont plus des grands enfants, voire des ados attardés lorsqu’il s’agit de faire des blagues. Zach pioche rarement dans les gadgets mis plus là par provocation que par réelle envie de lui venir en aide, si on peut parler d’aide dans ce cas-là.
Là encore, il a décidé de jouer le jeu, espérant ne pas le regretter, à ses dépens. Il n’a rien dit en voyant. Après tout, ces trucs sont faits pour le plaisir. Il a tout de même maudit ces deux idiots en jurant de se venger à la première occasion. Il a pioché un préservatif perlé et un autre texturé et chauffant. Décidément, ils ne manquent pas d’humour les deux zouaves. Heureusement qu’ils ont autant d’imagination au boulot, sinon, ils auraient été relégué à la boutique. Il laissera Philippe choisir car il en serait incapable. D’ailleurs, la question sur ce qu’il désire le laisse muet. Sa première réponse serait de dire « comme tu avais l’habitude avec ton homme » mais il se rend compte que ce n’est pas humain de dire un truc pareil. Qu’il ne peut pas demander ça. Ça serait trop difficile pour cet homme brisé par le chagrin et qui semble reprendre vie lentement. De plus, ça ne l’avancerait pas à grand chose. Au pire, il se sentirait idiot. Il préfère sourire et venir l’embrasser et surtout être franc. Avec une voix hésitante mais un grand sourire gêné, il se lance.
« Tu sais, je n’ai pas l’habitude d’être dans cette position et donc... »
Il prend une grande inspiration pour se donner la force de continuer.
« On ne peut pas dire que j’ai des préférences. »
Il ne sait pas si c’est le fait d’être le clone de son époux mais, il se sent bêtement timide. Il a peur de dire ou de faire quelque chose qui puisse blesser Philippe. En règle générale, il est du genre entreprenant. La première partie de la soirée l’a prouvé. Son regard océan se perd dans celui de Philippe. Il le trouve beau. Touchant. Sexy aussi. Terriblement attirant. Rien ne devrait le freiner, au contraire. Il ne devrait pas se poser de question et foncer. Comme à son habitude. Alors pourquoi cette réticence. Est-ce la promesse de découvrir autre chose qui le tétanise et lorsqu’il pense à ça, c’est à la sensation d’être ‘aimer’ et ne pas être envisagé comme un sex-toy. Il y a trop de choses dans sa tête et ça l’effraie un peu.
« Je te laisse carte blanche. Choisis pour moi. Je suis convaincu que tu seras un amant extraordinaire »
L’émotion se traduit par une voix plus rauque. Un peu hésitante, mais Zacharia le pense vraiment.
Il laisse les choses s’enchainer. Offrant son corps. Évitant de penser aux conséquences. Philippe est un homme admirable et il sait qu’il n’oubliera pas cette nuit.

Le jour les cueille, nus et emmêlés dans les draps froissés. Les souvenirs remontent et un sourire arrive sur ses lèvres. Il est à peu près certain que ces acolytes vont vouloir connaître le fin mot de cette histoire hors du commun. Encore plus depuis qu’ils ont aperçu le français via la webcam. Il n’ose songer aux questions qui vont fuser et surtout à Beth-Ann. Il espère qu’elle ne va pas semer des pétales de roses rouges dans l’allée, pensant accueillir des nouveaux mariés. Depuis le temps qu’elle veut le caser…il se dégage avec précaution et presque à regret de l’étreinte du musicien pour   passer sous la douche. La journée va encore être bien remplie. Il lui reste des détails à peaufiner. Retour à la réalité. À sa vie. Il a l’impression de rendosser sa peau. C’est étrange comme pensée et pourtant, elle est assez représentative de ce qu’il ressent. Sous le jet, il se laisse happer par la chaleur qui l’enveloppe avant de se ressaisir et de filer se sécher et s’habiller. Avant toute chose, il commande un copieux petit déjeuner pour deux avant de vérifier ses messages. Comme il s’en doutait, ces deux idiots de potes ont saturé sa messagerie de leurs quolibets douteux. Ils ne changeront jamais.

Lorsque le chariot arrive, chargé de victuailles, seule l’odeur du café frais lui chatouille les narines. Il entend dans la chambre et la salle de bain, les signes qui prouvent que Philippe est réveillé. Il le laisse vaquer tranquillement à ses occupations. Ne trouvant pas légitime de le rejoindre. Leur aventure est trop particulière. Sans être gêné, Zach n’est pas vraiment à l’aise. Il n’oublie pas qu’il est le portrait craché du défunt mari, ce qui le met dans une position… équivoque. Depuis qu’il a ouvert les paupières, il est conscient que sa vie a repris son cours et que Philippe n’aura été qu’un beau moment. C’était écrit dès le départ même si, à la lueur du jour, il se prend à souhaiter de vivre quelque chose d’aussi fort que ce qu’ont vécu le français et son mari. Philippe lui a peut-être insufflé ce désir d’éprouver de vrais sentiments partagés. Finalement, chacun aura été un révélateur pour l’autre. Un sourire revient sur ses lèvres.
Il veut voir cette expérience comme un nouveau commencement. Mieux, une nouvelle chance.

Lorsque Philippe apparaît, Zach le trouve toujours aussi beau. Encore plus  beau même. Un chaleureux « Bonjour » vient rompre le silence suivit d’un « Café ? » qu’il lance en brandissant la magnifique cafetière en métal argenté. Il en a déjà bu deux tasses afin d’affronter la journée, boosté à la caféine.

À côtés des fines tasses en porcelaine qui reposent sur leurs soucoupes, Zach a installé son ordi portable et son téléphone. Tout son bordel pour bien bosser. Il les plie rapidement et les porte sur la console du salon. Quoi qu’ils disent, il sait qu’ils vont se séparer. Que chacun a sa vie et que rien n’est possible entre eux. En revenant, il adresse un grand sourire à Philippe.
« Mes obligations me rattrapent toujours »
Son rire arrive et emplit l’air.
« Mais promis, je n’ai pas oublié ce que tu m’as dit et je vais essayer d’accorder plus d’importance aux sentiments »
Il penche légèrement la tête sur le côté avant de continuer
« Merci pour cette rencontre. Pour ce que tu es. J’espère que pour toi aussi, les choses vont s’améliorer. Que j’aurai pu t’aider, à ma façon »
Zach est sincère. Cet homme mérite le bonheur.
« J’aimerai que l’on reste en contact, si tu le souhaites, bien évidemment. Comme des amis »
Un grand sourire éclaire ses traits.
« Tu pourrais venir me rendre visite sur le domaine. Je te ferai découvrir comment les californiens font le meilleur vin du monde »
Cette fois, c’est un rire franc qui éclate. Dire cela à un français a un petit côté provocateur mais Zach assume. Ses vins ont été primé, même en France. Il redevient plus sérieux pour dire
« Je vais devoir te quitter dans un moment. J’enchaine les rendez-vous toute la journée »
C’est sûrement mieux ainsi. Reprendre sa vie sans trop réfléchir. Avancer avec le sourire. Il pose sa main sur celle de Philippe, l’étreint avant de rompre le contact.
« Demain, je pars. »
C’est sa façon de dire qu’il ne croisera plus le fantôme de son mari sur la plage.