• topic commun : #black lives matter

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’invitation au rassemblement pacifiste est passée via les réseaux sociaux. Les manifestants se réunissent pour une procession silencieuse le long de la côte Pacifique. Munis de leurs pancartes et autres banderoles, ils avancent dans un même mouvement vers le nord. La marche débutée non loin de l’aéroport de LAX longe Venice pour finalement s’arrêter sur Santa Monica. Les manifestants déposent un genou à terre lorsqu’ils arrivent face au Pier. Unis dans un même but. L’atmosphère se trouve chargée d’émotions.


Précisions :
• Ce topic commun se déroule en marge des manifestations musclées, afin que tout le monde puisse y participer. Si l'atmosphère y est forcément un peu pesante, merci toutefois de respecter le côté pacifiste.
• Il vous est possible de participer au sujet en tant que manifestant ou policier. Toutefois, pour les forces de l'ordre, merci de ne pas agir contre la manifestation. C'est le parti pris que nous souhaitons prendre, par respect pour les mouvements en cours à travers le monde.
• Pour ceux qui souhaitent intégrer les événements sans prendre part au topic commun, n'hésitez pas à créer un sujet à part.
• Si vous souhaitez faire entendre votre voix en dehors du forum, n'hésitez pas à jeter un œil à [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], qui recense les ressources utiles  
• Pour tous vos questions, n'hésitez pas à mpotter l'une des admins (comptes présents sur la PA).    

« Non, Molly, il ne t’a pas regardée de travers je te promets. » Malgré tes pourparlers, tu sens ton amie essayer de se propulser vers l’avant. Ta main réagit avant ton cerveau et agrippe son poignet. Elle n’ira nulle pas, not on your watch. Fermement, tu entrelaces tes doigts et les siens, affirmant ton emprise sur elle. Ainsi tu peux mieux anticiper et contrôler ses mouvements. Au milieu de la foule pacifique, tu n’hésites pas à hausser le ton pour te faire entendre. « Tu te battras pendant la pride, si tu veux. Aujourd’hui on est là en supportrices, en invitées, pas pour foutre le bordel. Casser la gueule d’un flic n’aidera personne. » D’une voix inaudible elle maugrées et tu la laisses râler à son aise, sentant bien qu’elle s’est ravisée. Tu connais trop bien ton amie qui s’enflamme à la moindre occasion, c’est toi qu’elle a en speed dial sur son téléphone quand on doit venir la chercher au commissariat. C’est peut-être d’ailleurs pour ça que tu es la seule à oser lui tenir tête, mais la seule également qu’elle n’envoie pas systématiquement bouler. Si ce n’était pas clair en tout cas, ton rôle dans cette manifestation vient de t’apparaître, clair comme de l’eau de roche : tu seras le garde-fou de Molly, déterminée à ne pas la lâcher d’une semelle et à l’empêcher de s’attirer des ennuis.

Autour de toi, tu observes les manifestants avant de t’arrêter sur le visage de tes amies, toutes concentrées, toutes passionnées, et une vague de fierté et d’amour inconditionnel te réchauffe le cœur. Pour une fois, le brassard violet aux couleurs de Cassandra’s Corner n’enserre pas vos bras. Vous êtes là sans étendard, marchant juste au sein de la fraction féministe en début de cortège. Toujours accrochée au bras de la boule de feu qui s’agite à tes côtés, tu chantes, tu cries, tu obéis à la foule. Tu t’autorises à ressentir la colère et l’indignation qui t’entourent et auxquelles tu aurais probablement dû être plus attentive, te disant que tu as encore beaucoup de chemin à parcourir, toi qui te pensais jusque là irréprochable. Profitant d’un instant de calme relatif, tu te tournes vers celles avec qui tu es venue : « Ca va, les filles ? » Au premier abord, une question innocente, voire naïve et totalement inutile. Mais tu sais à quel point ces moments peuvent être éprouvants, vous en avez tant vécu ensemble pour que tu en sois consciente. Baby et Lila sont en première ligne, directement concernées et c’est pour elles qui tu te soucies le plus. Kate… tu ne sais pas comment elle est encore debout au milieu de tant de bruit et de gens. Tu sais que Barb tient le choc, elle est votre homme fort dans la tempête, envers et contre tout, mais ça ne coûte rien de demander. Il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire ici, mais leur apporter un peu de soutien, quelle que soit la forme que ça prend, et aussi maladroitement que ta tentative puisse paraître, ça c’est dans tes cordes.

Cette actualité me remue le cerveau et surtout l’âme et le coeur. Je me sens directement concernée, alors j’imagine toutes celles et ceux qui ont été victimes de toutes ces violences, que ce soit ceux qui sont morts, les familles de ces derniers, ou tous ceux qui ont un jour eu droit à ne serait-ce qu’un mot ou un regard de travers, juste à cause de leur couleur de peau. Lorsque j’ai décidé d’adopter, au départ seule, avant de rencontrer Zahara et de continuer cette démarche avec elle, la question a été posée. Est-ce qu’on devait axer notre demande sur les origines de notre bébé, pour qu’il nous ressemble un minimum à toutes les deux ? C’est la vie qui a décidé, et je suis fière que ma princesse puisse continuer de métisser ce monde. Pour autant, il n’y a pas un jour sans que je n’ai peur pour elle, pour son avenir, surtout en ce moment vu la tournure des choses. Il n’y a pas une seule personne de couleur ici, aux Etats Unis, qui n’ait pas un jour subi un acte, un regard, une parole raciste, et je le déplore. Je ne sais pas exactement comment se passent les choses dans les autre pays occidentaux, et parfois je me dis que les choses seraient sans doute plus ‘facile’ ailleurs. Mais peut-être pas. Toujours est-il que, de nature militante, je n’ai même pas hésité à prendre part à ces manifestations, ces marches, pour brandir haut le drapeau noir avec les lettres blanches. Black lives matter. Nous sommes des êtres humains, peu importe la couleur de notre peau, et nous avons les mêmes droits, en tant qu’êtres humains.

Ma main dans celle de Lila, et sans vouloir pour autant créer une alliance au milieu de notre petit groupe d’amies soudées, nous sommes pourtant les plus concernées, et c’est naturellement que j’ai pris sa main un peu plus tôt, au début du cortège. Peut-être aussi pour me sentir un peu plus rassurée, épaulée. Mon hypersensibilité se trouve être d’autant plus extravertie, enveloppée par cette cohésion de groupe, toute cette foule qui, unie, scande le même message depuis le début de la marche. L’espoir n’est pas vain, ils finiront par comprendre que nous ne sommes pas différents d’eux. Klara, marchant devant nous en tenant fermement le bras de Molly, se retourne pour nous demander si tout va bien. Je me contente d’un hochement de tête, la voix contenue dans ma gorge serrée. Sur mes joues, le [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] inscrit au crayon noir. Je tourne la tête en direction de Kate, un peu inquiète de la savoir serrée ici au milieu de la foule alors qu’elle ne supporte pas ça. « Tout va va bien, K ? »

Deux pas en avant, trois en arrière. Pourquoi faut-il que ce soit toujours comme ça ? On progresse pour les droits lgbtq+, on progresse pour l'égalité hommes/femmes, on comprends peu à peu l'importance de la lutte pour le climat... et puis ensuite on est frappés d'un coup: armes, attentats, meurtres de masse, radicalisation, racisme. On vit dans un monde cruel. Mais trop souvent cette cruauté est balayée, cachée sous le tapis, parce que ça fait pas beau. Pas cette fois. Je n'ai même pas ne serait-ce qu'hésité à venir à cette manifestation, protestation silencieuse, hommage, peu importe le nom qu'on y donnera. Je veux faire ce que je peux pour aider, et aujourd'hui, ce qui importe c'est montrer son soutien. Alors hors de question de passer mon tour, de me défiler. Je me rends sur les lieux et je suis ravi qu'une telle foule soit réunie. Ça me réchauffe le cœur et me redonne quelque peu foi en l'humanité de voir autant de gens réunis ici. Peu importent l'ethnie, la religion, la classe sociale, les origines, le statut, les orientations sexuelles, et compagnie. Je me retrouve côte à côte avec des gens que je ne connais ni d’Ève ni d'Adam, et on progresse tranquillement dans la ville. Un moment je trébuche et me rattrape à la personne devant moi ([Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] ). « Pardon ! J'ai tellement deux pieds gauches que j'sais même plus marcher ! » je lâche en esquissant un faible sourire.

black lives matter

blood on the leaves and blood at the root
black bodies swinging in the southern breeze
strange fruit hanging from the poplar trees

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Elle a toujours voulu croire en un monde meilleur. Et au fond d’elle se tapit l’intarissable optimisme qui la convainc qu’un jour viendra où tout ira mieux. Que chaque action compte, chaque geste fait une différence, chaque parole change une opinion. Elle y croit. De tout son cœur.

Mais parfois, il ne reste que la colère. Parfois le monde lui rappelle brutalement qu’il est encore pétri d’intolérance et de violence. Que des femmes, et des hommes, meurent à cause de la couleur de leur peau. Tous leurs noms sont là. George Floyd est venu s’ajouter à la liste vertigineuse d’horreur de tous ceux qui sont morts abattus. Elle serre un peu plus fort la main de Neela dans la sienne, point de réalité dans cette foule qui les engloutit. Elle a l’âme en feu et le cœur qui tambourine au rythme des Black Lives Matter scandés par la foule, un BLM balafré en blanc sur les joues. Un fond de peur, peut-être aussi, quand elle voit glisser dans le coin de ses yeux les lignes de policiers qui canalisent cette manifestation pacifiste. Land of the free ou land of the fear, selon la couleur la réponse n’est pas la même. Sa tante l’a encore appelée après que George Floyd ait fait le tour du monde. La suppliant de rentrer à Londres. Le Royaume-Uni n’était pas épargné par le racisme, dans toute sa grandeur coloniale perdue ; mais la police était désarmée, et les citoyens ainsi réellement protégés. Elle aimait ce pays, envers et contre tout. Et aujourd’hui elle venait réclamer avec tous les autres le droit d’y vivre en sécurité.

Elle tourne la tête vers Klara quand elle s’inquiète de l’état de tout le monde, et laisse s'échapper un sourire qui fleurit dans un rire, « Tout ira bien pour nous... On a une Molly et on n'hésitera pas à s'en servir ! » Lila en rit et taquine son amie, mais c'est plus pour ne pas répondre à la question; car elle n'a pas encore réfléchi à comment elle trouvera la force de finir la journée. Peut-être qu’elle tiendra encore debout juste pour prouver quelque chose. Ou que la colère que partage toute cette foule lui fera tenir la journée. Pour l’instant elle s’en fiche éperdument. « Comment s'en retrouve-t-on à ça... ça ne s'arrêtera jamais, » souffle-t-elle, autant pour elle-même que pour les autres. 2020, et il faut encore se battre pour le droit de vivre en paix.

En voyant Neela tourner la tête, elle en fait de même, croisant le regard de Kate. Elle serre sa main qu’elle tient dans la sienne, et dit calmement « ça va aller. » et son regard ajoute un je suis là muet. Elle n’a pas posé la question, simplement constaté. Elle sait que Kate fait un effort monumental pour venir avec elles aujourd’hui, et elle sera là. Elle sera son ancre dans l’océan qui menace de la submerger. Comme elle l’a toujours été pour elle, et pour le groupe. Elles sont là les unes pour les autres. Toujours.

codage par aqua

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L'actualité n'avait pu que te toucher profondément. Tu avais passé des heures sur ton téléphone ou sur internet à faire défiler diverses images et videos. Tu avais écouté différents speechs, tu t'étais replongée dans une sombre partie de ton histoire. En réalité : de ton quotidien ! Tu avais fait le point sur ta propre situation, tes expériences. Tu avais versé beaucoup de larmes et tu n'avais surtout pas voulu rester silencieuse. Le monde se soulevait. Il y avait là une certaine lumière dans les ténèbres. Et comme muée de cette folle énergie ayant fait de toi une activiste acharnée par le passé, tu avais repris du service. Tes proches ne pouvaient pas en attendre moins de ta part. C'était une évidence. Pour eux, pour toi, pour tous ! Alors tu t'étais investie, ci et là. Tu avais rejoint une branche organisatrice des actions [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] de la ville. Tu avais besoin de te sentir utile, en action, au front. A tel point que, ces derniers jours, tes filles t'avaient prié de lever le pied. Juste de quoi reprendre un peu d'oxygène et de force pour la marche tant attendue. Chris ne s'était pas faite prier pour se joindre à la cause de Lean et Emma, bien qu'également touchée de plein fouet par ces heures incalculables dessinant un nouveau chapitre de l'histoire.

Vous vous souviendrez toutes de 2020. En famille. Vous aviez mangé ensemble la veille, Chris t'avait préparé la chambre d'amis mais vous étiez restées jusqu'aux petites heures du matin, dans le salon, à parler de tout et de rien. Un besoin partagé. D'être rassurées, peut-être. Besoin d'unité. De réelle compréhension. Besoin de protection. Vous vous étiez endormies là, sur l'énorme canapé. Le lendemain matin, vous vous étiez toutes préparées à 4, enchainant les aller-venues dans la salle de bain. Lean et Emma qui se chamaillent, les portes qui s'ouvrent et se ferment, les produits et les vêtements partagés, l'animation familiale, ... Tu ne l'avais plus vécue comme ça depuis un fameux bail ! Cela faisait du bien. C'était doux et nostalgique à la fois. Comme si, l'espace d'une journée, le passé n'existait pas.

Chris et toi au milieu. Main dans la main. Lean à ta gauche, Emma à la droite de Chris. Une lignée unie, un front solide. Des femmes noires parmi les autres. Le pas assuré et le regard empli d'émotion. Le tien, beaucoup plus qu'à ton habitude. Tu sens le trop plein, retenu jusqu'ici, monter de plus en plus. Tu as beau serrer la mâchoire, les premières larmes coulent sur ton visage. De joie dans l'unité mais également de tristesse, d'impuissance. Tu as plus de 50 ans et tes filles doivent encore se battre pour leur avenir et leur futur. L'idée est insoutenable. Tu ne pensais pas ressentir ça un jour mais ... tu es fatiguée de lutter.

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Les bruits. La foule. Les mouvements. Tu sens ton corps se faire bousculer de temps à autre. Ton esprit étouffe. Tes poumons tout autant. Les cris et les tambours transpercent tes tympans malgré les bouchons que tu as coincés dans tes oreilles. Ta gorge est sèche, tu as du mal à déglutir. Du mal à avancer. Ton regard est au sol, fixé sur tes pieds dont tu suis la cadence pour te forcer à te donner un point d’ancrage et un rythme régulier à suivre. Les médicaments que tu as exceptionnellement pris pour calmer tes angoisses semblent ne pas fonctionner. Ou peut-être serais-tu déjà en boule par terre sans eux. Probablement.
Tes deux mains sont agrippées à celle de Lila. Tu dois d’ailleurs lui faire un peu mal sans t’en rendre compte. Devant toi, la silhouette rousse de Klara se retourne. Tu relèves à peine le menton voyant qu’elle s’adresse à vous. Tu n’entends pas vraiment ce qu’elle dit mais tu peux lire sur ses lèvres sa question : « Ca va, les filles ? » Tu aimerais tenter un petit sourire rassurant mais c’est un échec. C’est au tour de Neela - à l’autre bout de Lila - de se pencher vers toi et d’accrocher ton regard : « Tout va bien, K ? » Ton coeur bat la chamade, tu as la nausée et tu ne rêves que de disparaitre loin de cette effervescence. Mais bien évidemment, la cause vous unissant ce jour est bien plus forte et bien plus importante que la plus violente de tes insécurités. Alors tu tiens bon, comme tu le peux. Tu hausses légèrement les épaules et hoches sobrement la tête.
Avoir redressé le regard te donne le tournis. Il y a plus de monde encore que lorsque vous aviez démarré. Une nouvelle vague de panique t’envahis mais Lila ressert aussitôt son emprise sur tes mains; comprenant en un seul silence, que tu as du mal à gérer tout ça. « ça va aller. » Son regard te transperce, t’hypnotise presque. Elle est là. Pour toi. Tu le sais. Et c’est d’autant plus important pour toi de tenir le coup car tu sais toute l’importance de ce jour pour elle. “Tu es là pour moi. Je suis là pour toi. Toujours. Ça ira …” Tes deux derniers mots sont à peine chuchotés car bien moins certains de l’assurance des premiers. Mais tu ne désires surtout pas être un poids pour qui que ce soit aujourd’hui. Surtout pas pour Lila. L’idée même de la tracasser n’aurait qu’ajouter angoisse et malaise à ton état. Alors, oui, tout irait bien … Pas vrai ?

Elle avait annulé quelques meetings et coup de fils pour ça, parce que pour une fois c’était plus important que le boulot, plus important que CC. Il était question du pays dans lequel elle avait grandi et du pays dans lequel elle comptait un jour peut-être fonder une famille. C’était l’avenir de ses enfants, celui de ses amies et de leurs familles aussi qui se jouait en ce moment. Alors elle avait rejoint la marche avec le reste de son groupe, marchant tout de même à un bon rythme, un peu agitée presque malgré elle. Parce que, aussi important soit ce moment et cette manifestation, elle ne pouvait s’empêcher de sortir son téléphone, pour lire ses mails lorsque ceux devant elle semblaient ralentir le pas. Elle entendait vaguement les filles se rassurer mutuellement, alors que ses yeux suivaient rapidement les lignes d’un énième email du boulot et que son esprit allait à mille à l’heure, notant tout ce qu’elle allait devoir faire une fois rentrer. « Concentration. » Se répétait-elle intérieurement en se forçant à remettre son téléphone dans sa poche, reportant son attention sur Klara et Kali qui marchaient non loin. « Y’a pas plus productif comme action que de marcher ? » finissait-elle par demander tout haut, ne supportant pas avoir cette impression de ne rien faire alors qu’elle pourrait être entrain de contacter tout un tas de féministe de couleur pour CC et d’organiser des rassemblements mieux organisés que celui-ci.

Traverser les océans, traverser les continents amènent à ce constat, on n’a pas la couleur qu’il faut, la chevelure qu’il faut, le dessin des yeux qu’il faut pour être d’ici, pire, être né ici ne suffit pas. Il suffit d’une personne qui a un uniforme, qui a une arme, qui décide d’une échelle de valeur entre les humains et tout bascule dans le drame.

Etre ici, tu ne sais pas quel sens tu peux accorder à ce fait. Non pas que ce combat ne te touche pas, bien au contraire, la question qui te hante est ta légitimité. Tu n’es pas née dans ce pays et tu y restes pour une raison que toi-même a du mal à cerner. Un homme noir est mort. Ce n’est pas ta couleur. Est-ce qu’il ferait de même, tous autour de toi, si l’homme avait porté sur son visage des traits orientaux ? Tu n’as pas la réponse et tu ne veux surtout pas l’avoir, cela signifierait qu’une vie de plus a été volée. Tu es là, tu sais que c’est important. Cela fait partie de ce qui te tient à coeur, pourtant dans ta tête une question tourne, est-ce que Jeslin serait là, à ma place, si elle n’était pas morte ? Elle avait la couleur de celui qui portait l’uniforme. Est-ce qu’elle serait venue, elle la solitaire, se mêler à la foule ? Tu n’auras jamais la réponse. Alors vient cette autre question, est-ce que je ne fais pas quelque chose qu’elle aurait refusé ? Tu te substitues à elle, voulant lui donner une existence qu’elle n’aura pas, au résultat lui donnant des combats qui n’auraient peut-être pas été les siens.

Noyée dans la foule, tu es une personne de plus, un clic de plus pour les compteurs d’âmes, une personne qui malgré l’anonymat qu’offre le nombre ne peut s’empêcher de garder un oeil sur tous ceux qui appartiennent aux services d’ordre. Si les choses viennent à dégénérer, s’ils viennent à lancer une charge, en aucun cas tu ne devras te retrouver entre leurs mains. Trop de risques de se faire arrêter et s’ils découvraient ta réelle identité... Alors, tu ne longes pas les murs, tu es au milieu de la marée humaine, mais tu te tais quand les autres scandent leurs slogans et tu tournes la tête dès que tu croises un regard insistant.

les mots, les sensations, les odeurs. les effleurements, ces hommes, ces femmes. loin d'être agressifs et pourtant cette foule m'oppresse et effraie. klara est là, fort heureusement. les sautes d'humeur remplacent l'angoisse, l'envie de me défouler remplace celle de pleurer. la marche d'aujourd'hui ne m'aide pas à relativiser. tout ce qu'il se passe en ce moment ne m'aide pas à relativiser. la politique actuelle ne m'aide pas à relativiser. on fait ce qu'on peut avec cassandra's corner, on est là à notre niveau. on peut toujours faire plus. on grossit les rangs aujourd'hui. on s'indigne pacifiquement. on ne droit pas créer de problèmes qu'elle me répète klara. elle a raison. je glisse ma main dans la sienne et la serre aussi fort que je peux. ne pas la lâcher, ne pas la perdre. voilà tout.

mon garde du corps du jour interroge les filles, je me tourne, vois les visages plus fermés qu'à l'accoutumée. et en même temps, c'est normal. j'esquisse un léger sourire, celui qui veut dire que je suis là mais qu'en même temps... et bien en même temps je ne sais pas trop. avancer, laisser les slogans sortir de mes lèvres, être là et présente. lila réplique avec humour et dans le fond, ça me fait du bien. " elle refuse que je fasse quoique ce soit... la vilaine. " elle a juste raison mais je me garde bien de lui dire. kate tient le choc, c'est aussi pour elle que je ne bouge pas trop, je me suis promis de ne pas lui rajouter de stress. et pour éviter que mon stress ne s'enflamme faisant grandir celui des filles, j'ai une barb' non loin. je me raccroche du regard à elle et sourit à sa réflexion. " essaye de voler ? " je hausse les épaules en reprenant la marche. " désolée... " que je m'excuse auprès de klara pour ma réaction de tout à l'heure. " tu seras toujours là pour me rattraper hein ? " ça ne concerne pas qu'aujourd'hui non. la foule continue d'avancer, comme nous six. on est là, soudées.

Le cœur lourd de ce trop plein d’émotions qui l’envahissaient. Les pas qui se succédaient, démarche presque robotique, automatique. Lean se sentait écrasée par le poids d’une couleur qu’elle n’avait pas choisie. Pigmentation naturelle d’une peau dont elle n’avait jamais eu honte. Fierté qui lui avait parfois valu quelques moqueries, rien en comparaison de la peur qu’elle ressentait parfois. Masque d’angoisse qui la suivait partout, elle qui se sentait pourtant privilégiée depuis qu’elle jouait aux côtés des Strikes. Sa main venait serrer un peu plus celle de sa Mommy. Tentative de se raccrocher à quelque chose d’infime. L’amour maternel avait toujours été une bonne façon de se sentir vivante, acceptée quelque part. Jay et Chris étaient parfaites dans leurs rôles de mères, n’avaient jamais failli à aider leurs filles. Sauf ce jour-là, peut-être. Mais alors, elles marchaient toutes les quatre, main dans la main, contre cet ennemi invisible qui tentait de les écraser. Le racisme. Un coup d’œil lancé sur le côté lui suffit pour constater les quelques larmes versées par Jay. Un nouveau coup de poignard qu’on lui assénait. Elle n’aimait pas voir sa Mommy pleurer. « On est là. Ça va aller. Les choses vont changer. » lui murmura Lean d’une voix tremblante. Elle n’était pas certaine d’y croire, mais elle pouvait au moins faire semblant. Se pressant contre le bras de Jay, elle l’enlaça tout en continuant de marcher vers cet avenir incertain. Au moins, elles n’étaient pas seules. Les Etats-Unis se levaient dans un même mouvement – du moins, en partie.

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