Long time no see | Ft. Eun Ae Chase-Lim

De l’eau ruisselait de ses mèches humides. D’un geste rapide, ses mains s’appuyèrent sur le rebord du bassin, le soulevant alors d’un coup pour s’en expulser. L'eau ondula sous le mouvement, de fines gouttes cristallines s'en échappant et retombant ensuite. Une fois relevé, il s'empara de sa serviette de bain. Tous les autres nageurs commençaient à se disperser, rejoignant alors les vestiaires, ce qu’il fit également. Il marchait minutieusement, pour éviter de glisser sur le carrelage humide. Tomber ici serait un très mauvais choix. Entre se tordre une cheville, ou alors tomber dans le bassin, tout pouvait arriver avec un peu de maladresse. Il devait faire vite. Un rendez-vous. Un stupide rendez-vous. Figurez-vous que certains de ses amis avaient eu la bonne idée de lui prendre un rencard, avec une personne qu’il connaissait à peine, mais qui avait soit disant un crush sur lui. Des amis hein. Chanceux qu’il était. Pour eux, Dakho était un type à caser. Ce type à qui tout allait plus ou moins bien. Il avait tout pour plaire et ils ne comprenaient pas pourquoi il était toujours célibataire avec tout ce qui lui tournait autour. Sauf que lui, il n’avait jamais voulu de ce rencard, et puis il ne l’avait appris que ce matin. Oui oui. Ce matin. Si ses amis lui avaient dit plus tôt, il aurait fait en sorte d’annuler. Poli comme il est, il ne voulait pas non plus paraître pour un coureur de jupons qui jouait avec les sentiments des autres. Quoi que, peut-être qu’en faisant cela il pourrait enfin avoir la paix. Enfin, même s’il se montrait comme l’être le plus désagréable au monde, pas sûr que cela fonctionnerait. Ce n’était pas son but de blesser les gens. Mais le mal était fait. Rapidement, il rinça son corps de tout ce chlore qui commençait à lui brûler légèrement la peau avec toutes ces heures passées dans le bassins. S’essuyant ensuite, il enfila des vêtements propres et plutôt soignés, un t-shirt noir rentré dans un skinny, et une veste en cuir, assez bien coupée pour sa taille et sa carrure. Elle devrait se contenter de cette simple tenue. Il ne comptait même pas rester de toute manière. A peine le temps de se sécher, qu’il reçu les acclamations de deux de ses amis. Vous savez, ceux qui ont organisé toute cette sortie ridicule.

”Tu vas gérer ! On est sûr que vous êtes parfaits ensemble ! Oublie pas les trucs niais et romantiques, monsieur le tombeur !” balança l’un des deux avant de s’enfuir de là sous son regard qui voulait tout dire.

Ils étaient bien sympathiques les deux américains, mais il y avait des limites à ne pas dépasser. Et organiser des rencards improvisés en faisait parti. Ce genre de chose n'était pas un jeu, et il fallait qu'il le comprenne. Un peu pressé, il se demandait comment il allait faire pour écourter la soirée. Il ne voulait pas la voir, cette fille, et encore moins devoir lui parler pendant des heures. Il était sociable, mais pas pour ce genre de chose. Surtout quand elles n’étaient pas naturelles. Annoncer ça en douceur. Oui. Lui dire qu’il ne peut pas rester mais qu’il aurait bien aimer, sans trop en faire non plus, car en réalité, il se serait bien passé de cette sortie improvisée. Et puis, Dakho était subtile. Ou pas. Il y avait de fortes chances qu’il s’en prenne une en pleine figure. Mais il n’avait rien demandé lui ! Sortant alors du bâtiment, il passa sa main dans ses cheveux pour les décoller légèrement. Encore humides. Le temps s’était rapidement rafraîchi, comme le ciel avait commencé à s’assombrir. Le coréen se faisait rapide. Il ne voulait pas qu’on le voit, et qu’on l’empêche d’arriver à l’heure au rendez-vous indésirable. Briser un coeur était une chose, mais le faire bien en était une autre. Alors, il prit la décision de passer chez un fleuriste. Des fleurs. Oh, rien de romantique. Il ne comptait pas prendre de belles roses rouges. Juste un signe de considération, pour ne pas que la jeune fille reparte les mains vides. Traînant des pieds dans la rue, il attirait les regards avec son visage toujours aussi pâle et ses traits anguleux. Rapidement, il arriva à destination. Une belle boutique de fleurs. Colorée et bien agencée. Il entra, enclenchant alors doucement la clochette de porte qui retentit à ses oreilles dans une fine vibration. Une odeur délicate lui traversa les narines, le faisant légèrement sourire. Il aimait entrer dans des magasins, et se sentir aussi bien. D’un côté, cela serait étrange de la part d’un fleuriste que son intérieur ne sente autre chose que les fleurs. Tout doucement, le coréen fit le tour de la boutique, examinant les différents types de fleurs. Il n’y connaissait rien lui. Alors sans hésiter, il se pointa devant le comptoir en apercevant un jeune homme retourné vers l’établi derrière celui-ci.

”Excusez-moi ? Je peux vous demander un renseignement ?” demanda-t-il en souriant doucement.

Attendant alors patiemment, celui-ci se retourna. Dakho le fixa longuement, sans doute un peu trop pour que cela ne paraisse normal. Ce visage, ces traits, il jurait l’avoir déjà vu, et pourtant, il avait l’impression de n’être jamais venu ici. Il avait la mémoire des visages pourtant. Mais là, il ne voyait pas qui cela pouvait bien être. Un homme, avec un visage aussi fin. Beau. Des mains fines et tellement habiles, légèrement parsemées de légères coupures. Il le connaissait, il en était persuadé. Il ne devait même plus faire attention à si ce jeune fleuriste lui parlait, beaucoup trop concentré sur sa réflexion. Quand il avait une idée en tête, elle ne partait jamais loin. Et c’est là, qu’un éclair de génie lui vint à l’esprit. Les mêmes traits, les mêmes yeux, une voix sensiblement plus grave. C’était elle. Celle qu’il avait vu disparaître d’un coup, sans parvenir à la revoir après toutes ces années. Il le savait. Il le sentait. Et sans même réfléchir, ses yeux s’illuminèrent d’un coup. Qui l’aurait cru. Le destin sûrement.

”E-Eun…? C’est bien toi ?” demanda-t-il tout doucement, légèrement surpris.

Comme tous les mois, aux alentours de la date fatidique de tout ce grand bouleversement, Eun Ae était allé déposer des fleurs sur la tombe de sa mère. Il avait nettoyé la dalle, le parterre. Il avait déposé son bouquet juste sous ses dates. A plat, avant de joliment réarranger les tiges pour que cela forme un ensemble harmonieux. Il l’avait confectionné lui-même, à l’abri des regards de n’importe qui, seul. Il refusait toujours que quelqu’un le voit faire cette composition ponctuelle. Ce n’était pas son art qu’il mettait dans ce travail, mais son amour d’enfant. Son amour de fils à celle qui lui avait offert l’opportunité d’être lui. Debout devant la stèle, le jeune homme était resté un long moment à regarder ce nom, similaire au sien, qui ornait le marbre. Elle reposait à seulement quelques pas de lui. Cela semblait si simple, si proche, qu’il avait l’impression de pouvoir encore la toucher. Même si cela fait presque quatre ans qu’elle ne lui sourit plus, il ne peut s’empêcher de se dire que sa disparition a laissé un très grand vide. Dans la maison, dans son cœur et celui de son père.

Toute silencieusement, une larme coula le long de sa joue. Relevant alors les yeux vers le ciel, il essaya de retenir le reste qu’il sentait venir. Comme une vague de tristesse qui déferla dans sa poitrine. Rapidement, un peu maladroitement, il essuya cette traîtresse avant de, de nouveau, déposer ses pupilles sur le sanctuaire de sa mère. Les mains dans les poches de sa veste en jean, il ne put s’empêcher de se s’accroupir devant elle. Il avait tant de chose à lui dire, tant de secret à lui partager, tant de beauté à lui faire voir. Comme celui qu’il était devenu. Elle ne l’avait jamais vu. Ce vrai lui qui était maintenant son corps. Il s’agit de la seule chose que regrette Eun : que sa mère n’ait jamais pu voir son fils.

« Tu me manques énormément, maman. » dit-il enfin, le cœur serré, caressant la pierre froide du bout des doigts.

Puis il se releva, quittant la surface lisse de sa main, glissant cette dernière dans sa poche. Un dernier regard, long, rempli de tous ses sentiments qui le taraudaient encore, avant de quitter l’endroit. Mécaniquement, il remonta l’allée de tombes, n’osant en regarder aucune. Ses yeux étaient humides, sur le point de relâcher tout ce qu’il contenait en lui. C’était dur, éreintant, fatiguant même, de venir faire face à cette perte qui lui collait à la peau avec une force déconcertante. Malgré tout, il ne la rejetait pas. Il l’accueillait, comme on le fait avec une vieille amie, avec tendresse et patience. Il sait qu’un jour, elle partira. Que son travail sur son cœur sera terminé. Qu’il pourra se libérer d’elle. Ce n’est qu’une question de temps. Alors, venir voir sa mère tous les mois, l’éloignait progressivement de ce qu’il ressentait. Il avait assumé, devant son père, que son deuil était terminé depuis longtemps. Mais ce n’était pas totalement vrai. Il ne nageait plus dedans comme avant. Il ne le subissait plus. Il laissait tout simplement les petits bouts s’effriter doucement jusqu’à leur disparition.

Eun Ae passa la porte du grillage pour se retrouver de nouveau dans l’atmosphère de ville de Los Angeles. Par habitude, par qu’il connaissait le chemin par cœur, il rejoignit son chez-lui. Pour aujourd’hui, comme à chaque fois, la boutique était fermé le matin et le début d’après-midi, pour n’ouvrir que le soir. Son père prenait aussi cette journée pour lui, pour son propre repos, pour lui. Il pouvait être en train de boire un café devant la télé tout comme être à la salle de sport. Ce jour-là, le seul et unique jour du mois, ils vivaient chacun de leur côté, pour se préserver un peu. C’était un accord qu’ils n’avaient pas passé oralement, qu’ils ne s’étaient jamais avoué, mais qui se déroulait toujours ainsi. Et c’était très bien comme cela.

De retour dans la boutique, le Chase-Lim alluma toutes les lumières. Il mit son bleu de travail : ce tablier vert foncé qui lui faisait une taille si fine, avant de réorganiser un instant les étalages. Il renfloua les pots à eux de leur marchandise, exposa les bouquets et dernières composition, récupération lesquels fanés qui n’avaient pas séduis, pour les coupés et les mettre dans la poubelle organique. Ces gestes, toujours les mêmes, lui donnaient une assurance et un confort dont il ne pouvait se passer. Une fois tout fait, il se mit derrière son calepin, regardant les quelques commandes qu’ils avaient attentes. Oui, il sera seul à tenir le comptoir. Mais cela ne le dérange pas. Secrètement, il espérait que son père ne le rejoigne pas. Pas aujourd’hui. S’attelant à la tâche, Eun prend chaque demande par ordre chronologique. D’abord ceux qui viennent les chercher dans la soirée ou le lendemain, après, les autres. Le plus important étant de garder les fleurs fraîches et agréables le plus longtemps possible.

Les heures passèrent, le temps défila. Une jeune femme passa pour acheter une simple rose. Vu son sourire, elle allait l’offrir à quelqu’un à qui elle tenait beaucoup. Ce genre de petit geste lui fit tout chaud au cœur. Puis, de nouveau, quelques instants plus tard, il ne savait si c’était des minutes ou des heures, la porte de la boutique s’ouvrit de nouveau. Trop accaparé par le nouage de la gerbe de mariage qu’il faisait, il laissa simplement le ou la client.e se balader. Une fois terminé, il coupa les files qui dépassaient, observant un instant les lys blancs s’entrecouper avec les roses toutes aussi blanches. D’après ce qu’il avait compris, le témoin de la mariée avait besoin de cela pour la mairie. Il ne savait pas vraiment pourquoi mais cela avait eu l’air de beaucoup lui tenir à cœur. Alors, il l’avait fait avec beaucoup d’attention. La voix du client, qu’il identifia maintenant comme un homme, le sorti de sa contemplation.

« J’arrive ! » répondit-il en rangeant alors son travail dans sa protection en pastique, orné de blanc et de doré.

Après s’être essuyé les mains, légèrement humide, sur son tablier, il se retourna vers la personne. La tête baissée, il nettoya un instant le comptoir des commandes, salie pour le passage des roses de tout à l’heure. Un fleuriste était souvent enquiquiné par les débris de ses fleurs. Mais, il passait son temps à toujours tout nettoyé. Il fallait être présentable au client. Et ce n’est jamais agréable de parler à une personne derrière un amas de feuilles encore vertes. Une fois tout fait, il récupéra son calepin, barrant ce qu’il avait fait, avant de prendre une nouvelle feuille pour le jeune homme qu’il avait devant lui. Et ce fut à ce moment-là qu’il entendit son prénom, prononcer comme une surprise. Comme s’il venait de le découvrir. Ou plutôt, comme s’il venait de voir un fantôme. Eun releva alors la tête. Et son regard croisa cela de l’individu.

Le temps sembla se suspendre quelques secondes. Ses yeux détaillèrent ses prunelles qu’ils ne connaissaient que trop bien. Ce visage carré, anguleux, tracé comme un dessin. Ces épaules larges, cachées sous cette veste en cuir qui soulignait tout son corps. Ce cou, fort et pourtant si joliment courbé. Ces lèvres, charnues, roses, légèrement entrouverte sous cette surprise inattendue. Ce nez, droit, rattaché à ses joues dont les pommettes précises ressortaient. Il ne pouvait s’agir que de lui. Même après quatre ans, Dakho Baek n’avait pas changé. Il était toujours aussi beau. Peut-être même un peu plus. Il avait grandi, avait pris du muscle, avait de l’assurance. Un fin sourire s’étira sur son visage, alors qu’il se retenait au comptoir des paumes. Eun était sans aucun doute celui qui avait le plus changé depuis leur dernière rencontre. Et pour cause.

« Oui, c’est moi, lâcha-t-il alors, avec une voix de miel. Ravi de te revoir, Dakho. »

Cette pointe de provocation dans l’intonation lui allait si bien. Ce nouveau lui, ou plutôt, celui qu’il avait toujours été, n’était plus coincé dans un groupe d’amis qui ne le comprenait pas. Il était devenu confiant, sûr de lui, dans son exact caractère. Maintenant, même si le regard des autres le faisait encore douté de sa validité en tant qu’humain, il jouait sur tout ce qu’il pouvait faire. Et il souriait beaucoup plus. Il avait retrouvé cet éclatant sourire de sa naissance. Ce bébé heureux qu’il avait été et qui revenait désormais comme un charme. Faisant claquer le derrière de son stylo sur la table pour pouvoir écrire, il se pencha, un coude posé sur le plan de travail, les hanches légèrement en arrière. Ses yeux quittèrent le visage du plus vieux pour s’arrêter sur ses lignes à remplir.

« En quoi puis-je t’aider ? » demanda-t-il, sans lâcher son sourire.

Dakho avait toujours été le seul à lui faire avoir cette douce chaleur dans le ventre. Cela l’avait toujours beaucoup perturbé, mais il ne pouvait niais qu’il avait toujours bien aimé. Même s’il doutait sincèrement que cela soit réciproque. Après tout, maintenant que la vérité tombée de nulle part faisait désormais face au Baek, il ne pouvait pas non plus attendre un miracle. Eun n’avait jamais répondu à ses messages, ni ses appels, jusqu’à complètement changer de numéro. Ce n’était pas particulièrement pour fuir le nageur qu’il avait fait ça. Il avait voulait laisser toute son ancienne vie derrière lui. Seul son prénom était le dernier attrait de son passé. Après tout, il s’agissait de sa grand-mère. Il ne pouvait même pas imaginer ce que l’autre avait vécu quand il avait subitement quitté l’établissement scolaire. Mais Eun ne regrettait pas. Il avait tout recommencé à zéro, pour son propre bien. Il s’excusera plus tard pour le reste.

Il laissa la surprise de cette découverte passer. Il attendait patiemment ce qu’il avait à lui dire. Etrangement, il ne s’attendait à rien de particulier. Après tout, Dakho avait eu sa propre vie pendant que lui reconstruisait la sienne par étape. Il avait dû continuer la natation, au vu de ses mèches encore légèrement mouillé. Son regard retomba finalement sur lui. Que pouvait-il faire à part le regarder comme il l’avait toujours fait ? Il agissait comme de rien. Mais il refluait à l’intérieure de lui cette envie de lui faire la conversation, de lui demander comment aller sa vie. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il ne se sentait pas légitime de lui parler ainsi. Mais l’était-il seulement pour agir avec lui comme s’ils étaient encore au lycée ? En tout cas, il ne s’attendait pas à le voir comme ça. Et surtout, il ne s’attendait pas à sa commande.

Abasourdi. Il ne pouvait plus rien dire, juste rester complètement perdu et émerveillé à la fois. Il l’avait enfin retrouvée. Ou plutôt, retrouvé. Elle était devenue lui. Dans un certains sens, il était méconnaissable, mais de l’autre, il l’avait reconnue en lui. Il l’avait senti. Plusieurs minutes passèrent, le temps de réaliser. Il l’aurait bien pris dans ses bras, lui demander où il était passé pendant tout ce temps. Mais, d’un autre côté, cela faisait tellement longtemps. Il l’avait volontairement évité pendant toutes ces années, sans doute que finalement, il ne devait pas l’apprécier tant que ça, et que c’était une façon de le lui faire comprendre. En tout cas, lui, il n’avait pas oublié à quel point il l’appréciait à l’époque. Ces soirées dans la bibliothèques, ses visites lors des compétitions, ces légers regards. Tout était resté en mémoire. Le coréen s’était même souvenu des quelques mots qu’il lui avait appris en français. Comment aurait-il pu l’oublier de toute manière ? Elle avait été le seul à le voir comme il était réellement, et maintenant, il devait à peine se souvenir de lui. Personne ne le retenait vraiment de toute manière, sauf comme le type le plus populaire. C’était tout. Au fond de lui, il était vraiment heureux. Mais se retrouver ici, pour un fichu bouquet qu’il ne voulait absolument pas offrir à cette fille, cela le déprimait. Le fait de s’adresser à lui le perturbait. Ce n’était pas forcément sa transformation. Non. C’était le fait de l’avoir retrouvée elle. De l’avoir retrouvé lui. Lui, ne le voyait que ce comme quoi il était. Comme Eun. Homme, femme, il s’en fichait royalement. Toute sa vie, il avait essayé d’apparaître le plus parfait possible aux yeux des autres. L’image qu’il se faisait de lui, Dakho. Seul lui avait été capable de voir ce qu’il était vraiment, et il en faisait de même. Un bon moment de réflexion, et il baissa les yeux. Il doutait qu’Eun veuille lui faire la conversation après toutes ses années, alors il passa à sa commande.

”Tu...Pourrais me faire un bouquet ? C’est...Pour une personne. Pas un truc forcément romantique...Plus amitié, si tu vois le genre…” prononça-t-il.

Le dire devant lui le mettait mal à l’aise. Pourquoi cela devait tomber sur lui ? Parmi tous les fleuristes de la ville, il avait fallu que ce soit là. Ça ne pouvait être qu’un coup monté. Lui faisant alors un grand sourire, il attendit la recommandation du jeune homme. Le blond voulait simplement qu’Eun ne se méprenne pas pour une certaine raison. Il n’offrait pas ces fleurs par plaisir, mais par politesse. Regardant un peu autour de lui, il passa la main dans ses cheveux, soupirant alors doucement. S’il savait à quel point Dakho avait voulu le revoir. Maintenant qu’il l’avait sous les yeux, il ne savait pas quoi lui dire. Quel idiot. Et pourtant, ce n’était pas les mots qui lui échappaient. Ils ne sortaient juste pas. Tout restait bloqué dans sa gorge. Le regardant alors faire, il détaillait avec émerveillement tous ses gestes délicats. Il n’y connaissait pas grand chose en fleurs et en leurs significations, alors le regarder choisir et prendre minutieusement ses composantes le faisait légèrement frissonner. Cela se voyait qu’il aimait ce qu’il faisait. Il espérait juste qu’Eun comprenne qu’il ne voulait pas d’un bouquet romantique, sans trop savoir pourquoi. Sans doute avait-il peur de son regard au final. Les vieilles habitudes reprenaient vite le dessus. Juste des pâquerettes du jardin auraient fait l’affaire pour lui. Mais bon, il avait de bonnes manières. Il n’osait rien lui dire, pour ne pas le déconcentrer. Son dos fin, sa nuque exposée derrière ce tablier vert foncé. Ses yeux glissèrent le long de ses omoplates cachées, pour arriver à sa fine taille, marquée par le nœud bien placé du bleu de travail. Tellement harmonieux. Elle était devenue un homme, et pourtant, il le trouvait toujours aussi beau. Des courbes encore assez marquées, et un regard tout aussi mémorable. C’était mal parti pour lui. Il s’était toujours dit qu’il ne le reverrait jamais, alors oui, son cerveau avait complètement planté. Error system. Son regard glissa sur les fleurs finement taillées par le plus jeune. La composition était harmonieuse, et il regrettait presque de devoir donner ce bouquet à cette fille. Si le fleuriste qu’il avait en face de lui savait la vraie raison de sa visite ici, il ne le regarderait sûrement pas comme ça. Dakho n’était en aucun cas si parfait que tout le monde le disait.

Une fois le bouquet fini, Eun nettoya rapidement son plan de travail, avec des gestes millimétrés et maîtrisés. Tout l'impressionnait. Il avait tellement changé, alors que lui, était resté le même menteur qui faisait de la natation. Comment lui dire qu’il n’avait pas du tout évolué entre temps. Le seul à ne pas avoir changé, c’était bien lui. Regardant alors le prix, il lui paya le montant, observant les fleurs en souriant.

”Merci beaucoup, lui dit-il avant d’entrer dans une intense réflexion, Et...Je voulais juste te dire que je suis content de t’avoir revu. Vraiment. ajouta-t-il en faisant l’un de ses fameux sourire.

Et il était sincère. Il le pensait vraiment. Avec lui, il se sentait libre, obligé de rien, juste d’être vrai, malgré tout ce temps. Il était resté là, à le fixer tendrement. Partir était la dernière chose qu’il souhaitait faire, mais s’il restait là, il allait finir en retard. Prenant alors précieusement les fleurs entre ses mains, il lui adressa un dernier regard, avant de doucement le saluer, un peu triste de cette rencontre brusque. Le nageur aurait aimé lui parler un peu plus, en découvrir plus sur lui. C'était ce qu'il avait voulu faire, mais comme toujours, il s'en empêcha, ne voulant pas le déranger plus. Il tourna les talons, se demandant dans quel genre de contexte il aurait pu revenir le voir, sans que cela ne paraisse étrange. Un dernier petit regard en arrière au niveau de la porte et il sortit de là, traînant des pieds jusqu’à la place qui lui servait de point de rendez-vous. L’envie était bien absente. Le coréen se vengerait d’eux, coûte que coûte. Finalement, il parvint à l’heure sur la petite place, assez peu peuplée. Tant mieux, moins il y avait de gens, mieux c’était. Son bouquet à la main, il regardait autour de lui. Si la demoiselle pensait qu’il savait qui elle était, c’était raté. Il avait dû à peine l’entrevoir. Alors bon. Et soudain, une fine silhouette se dégagea de derrière une barrière qui entourait le sol pavé. Son visage arborait un sourire de dix kilomètres de long, ce qui avait le don de le désespérer. Une bonne humeur de façade équipée, il la salua doucement, lui tendant les fleurs.

”J’espère que je ne t’ai pas trop fait attendre, pardonne moi si c’est le cas.”

La jeune fille sourit, secouant doucement la tête avant de s’emparer délicatement des fleurs, le remerciant de tout son coeur. Cela se voyait qu’elle voulait être là. Elle avait dû attendre longtemps, au vu de son apparence soignée, et faite au millimètre près. Ce qui l’agaçait le plus, c’est qu’au final, elle ne le connaissait pratiquement pas. Comment dire que l’on est amoureux de quelqu’un, si c’est pour au final ne connaître que son prénom ? Les gens flashait souvent sur les nageurs de son équipe. Rien de très étonnant. Mais de là à les idolâtrer. Il détestait cela. Les choses sérieuses allaient commencer. Il devait le lui dire maintenant. Lui dire que tout s’arrêtait là, qu’il ne comptait pas rester là avec elle. Inspirant alors grandement, il la regarda dans les yeux, et avec toute la douceur possible, il se mit à lui parler.

”Je...Je dois te dire un truc d’important. Je ne peux pas rester aujourd’hui. Mes amis ont dû te dire des trucs complètement idiot sur moi, et ont organisé tout cela. Mais en réalité, je ne suis pas disponible, et j’espère que tu comprendras., lui expliqua-t-il, Je suis sûr que tu trouveras quelqu’un de beaucoup mieux en plus. Je suis sincère.”

Et peut-être un peu trop. Son visage se décomposa littéralement, passant de la joie à la tristesse. Elle aurait dû s’en douter, à force de l’observer. Tout le monde savait qu’il faisait en sorte de toujours faire comprendre qu’il n’était pas intéressé. Mais là, apparemment, l’information ne passa pas. La fine main de la jeune fille s’éleva dans les airs, pour atterrir violemment sur sa joue dans un claquement infernal. Elle l’avait pas raté. Sa tête avait tournée de 90°, laissant sa joue devenir complètement rouge avec la trace de ses doigts sur celle-ci. Ses doigts passèrent sur celle-ci, effleurant son grain de beauté caractéristique. Quelques personnes lui lançaient des regards désolés, fuyant doucement la zone comme ils pouvaient. Un soupir, et elle lui balança son bouquet à la figure, lui disant qu’il n’était qu’un imbécile. Peu importe comment elle le voyait, il s’en fichait. Par contre, ce bouquet n’avait strictement rien à faire dans l’histoire. C’était une oeuvre forgée, et elle n’avait aucun droit de le balancer à sa guise. Sans un au revoir, elle fit demi tour, et s’en alla rapidement, au bord des larmes. Il avait essayé d’y aller doucement. Dans tous les cas, il savait pertinemment qu’il la reverrait dans les couloirs, et qu’elle n’arrêterait pas de le regarder. Elles faisaient toutes ça, et continuaient même de lui courir après, alors bon, elle s’en remettrait. Après avoir perdu une bonne demie-heure, il se décida pour une fois à faire quelque chose qui lui tenait à cœur. Marchant doucement mais sûrement, il retourna donc à la boutique de fleurs, se souvenant parfaitement du chemin. Le coréen avait remit en place le bouquet. A quoi bon le garder maintenant, Eun trouverait sûrement une utilité, et réussirait sans doute à leur donner une seconde vie. Tout du moins il espérait. Rejoignant alors rapidement le trottoirs, sa joue toujours aussi rouge, il se planta devant la belle devanture fleurie, avant de faire de nouveau retentir la clochette. Il devait sans doute le prendre pour un fou s’il venait à s’apercevoir qu’il était encore là. Faisant sagement la queue, il attendit qu’il finisse de servir son client. Son regard s’égara sur le bouquet entre ses doigts. Et s’il le lui offrait ?Il ne fit plus attention à rien, perdu dans ses pensées. Oui, c’est ce qu’il ferait. Il le lui donnerait.

Zinnias. Blanches. Pour s’accorder avec trois pivoines. Symbole de l’amitié. Piqueté d’une petite touche rose. Des bégonias. C’est ce que voulait Dakho. Alors, il le lui fera. Tout simplement. Sans se poser plus de questions. Ce qu’il avait fait de sa vie, il mourrait d’envie de le savoir, de l’entendre lui raconter dix milles anecdotes et toutes les histoires qui vont avec. Il aimerait savoir si tout va bien aussi et surtout. S’il est heureux. S’il a réussis à surpasser tout ce stress qu’Eun sentait dans chacune de leur discussion. Malgré ses airs de garçon relaxé, il avait toujours cette légère hésitation, comme s’il remettait en cause son choix, sa décision, vingt fois avant de les faire. Il espérait que cela est changé. Au moins un peu. Coupant les tiges, une à une, légèrement dos au Baek, il pouvait tout de même sentir toute l’attention qu’il lui portait. Une fois de plus, cette sensation n’avait pas changée. C’était la même que lorsqu’ils s’étaient entraperçus à cette dernière soirée. Eun Ae s’était éclipsée lorsqu’ils avaient été séparés. Le souvenir de tout cela le fit sourire. Il n’était plus le même qu’à cette fête. Des épreuves avaient renforcé ce que Dakho n’avait vu que comme une jeune fille un peu étrange. Il n’était plus cela. Plus du tout.

Avec dextérité, il relia les fleurs entre elles, les arrangeant gracieusement pour leur donner une harmonie de couleurs. Là en était tout l’art qu’il exerçait. Faire apparaitre une beauté, là où la fragilité des fleurs ne rend qu’éphémère ce sentiment. Ce n’était pas un bouquet imposant comme il avait pu en faire pour nombres d’amoureuses et amoureux transi. Ce n’était pas non plus un petit comme ceux que l’on offre lorsque l’on n’est pas sûr ou qu’on cherche encore à déterminé son impression. Non, celui-là, il était de taille banale. Simple. Drastiquement dans ce que désirer le plus vieux. Enfin, il l’espérait. Car, autrement, il se serait fourvoyé sur les réels désires de son client. Offrir un bouquet de l’amitié est original, un peu hors du commun. On n’offre pas des fleurs à quelqu’un qui ne possède pas son cœur. Que ce soit dans une famille ou dans des relations extérieures. Des fleurs, c’est symbolique, personnel même. Ce n’est pas quelque chose qu’on achète sans raison. Mais Dakho doit les avoir, ses raisons.

Ajoutant un dernier détail, Eun Ae termina le cadeau. Il le déposa tendrement sur le comptoir, laissant au Baek tout le plaisir de lui dire si cela lui allait ou non. Au vu de son silence, rien ne devait réellement le déranger. Nettoyant mécaniquement son lieu de travail, il songea un instant qu’il aurait dû mettre une de signification dans ce bouquet. Si cela se trouvait, il allait l’offrir à une fille qui, dans son idylle, deviendra sa petite-amie. Mais, trop poli, il avait simplement choisie l’amitié. Un peu comme une bonne première impression. Pour ne pas celui qui n’attendait que ça. Pour prendre son temps. Cette révélation lui fit mal au cœur. Pas pour elle, qui sera sans doute déçue de ne recevoir que cela, si elle connait la signification. Pas pour Dakho non plus. Qu’a-t-il à se faire plaindre maintenant ? Tout l’amour du monde sans doute. Mais c’était bien pour lui, ce fleuriste coincé derrière son comptoir, les yeux rivés sur le garçon qui l’avait hanté pendant de nombreuses heures. Les excuses se feront plus tard, il l’a dit. Mais le pardonnera-t-il au moins ? A sa place, il ne sait pas ce qu’il aurait fait. Peut-être une mise à l’épreuve, ou un pardon à tempo. Mais il n’aurait pas aimé être celui qui subit cela aussi. Sa voix le sortit alors de sa pensée, le faisant se redresser, un sourire de vendeur sur les lèvres.

« De rien, répondit-il, par habitude. J-Je le suis aussi. Fait attention aux fleurs ! »

Il aurait presque eu envie de se gifler pour avoir dit ça. Qui peut être aussi superficiel et lui dire l’une de ses banalités idiotes comme « fait attention aux fleurs » ? Eun apparemment. Au dernier regard de Dakho avant sa sortie, il avait encore le sourire. Une fois qu’il se retrouva de nouveau seul, son visage se décomposa. S’accoudant à la table, il plaqua ses mains sur ses traits, lâchant un grognement peu sympathique. Il se sentait con. Très con. Cette journée ne pouvait sans doute pas être pire. Restant ainsi un long moment, il remit plusieurs points de sa vie en questions, se doutant que s’il en était arrivé là, c’était un retour d’une mauvaise action passée. Le karma ou un truc dans le genre. Soupirant une nouvelle fois, il bascula sa tête en avant, remontant ainsi ses mains entre ses mèches blondes. Son front se posa doucement sur la table. Il remua légèrement, comme frustré d’avoir agis ainsi. Mais quel débile… Plusieurs surnoms passèrent dans sa tête, parfois dit à voix haute. Il avait l’impression d’avoir aidé l’ennemie et en plus, d’avoir laissé sa seule chance de retrouver un minimum de connexion social. Il se sentait désespérant. Il était désespérant. Et peut-être désespérer aussi. Mais cela est un autre sujet.

Se reprenant alors en mains, il se redressa au moment où le téléphone se mit à sonner. Décrochant alors, annonçant le nom de la boutique, il entendit une voix plutôt féminine lui répondre. Récupérant du bout des doigts son stylo échoué un peu plus lui, il nota rapidement les indications qu’elle lui donnait à l’autre bout du fils. Posant des questions, demandant précisions et subtilité, il se récupéra son esprit de travail sans même s’en rendre compte. Une habitude qu’il avait acquise à force de ses heures d’expériences. Il espérait sérieusement que Heejun arrivera à le faire un jour. Pour le moment, ses débuts sont un peu tremblants, dans le domaine de la vente, mais il se débrouille plutôt bien avec un sécateur dans les mains. Sauf si on oublie tous ses lys araignées qui ont connu la guerre. Eun ne sait pas comment il fait. Mais son acharnement est notable et fait bien sourire le petit duo père-fils.

Finissant son appel, il annota encore, pendant quelques minutes, plusieurs indications permettant de l’aider à finir la commande. Des idées, ce n’est pas ce qui lui manquait. Le temps, bien plus. En entendant de nouveau la clochette retentir dans la boutique, il n’osa pas relever la tête de nouveau. Juste parce qu’il devait terminer sa petite préparation avant de tout simplement passer à autre chose. Mais la voix, douce, grave et intrigante du client lui rappela bien quelque chose qui le fit sourire. Se redressant alors, il sourit à l’homme qui venait récupérer la gerbe du mariage. Celle-là même qu’il finissait alors que Dakho arrivait. Sans même hésiter, il lui apporta, plutôt fier de tout son travail. Au vu du regard ravi de l’homme, Eun avait réussi son pari. Essayant néanmoins de ne pas trop se vanter, comme il aurait très pu le faire face au client qui buvait ses paroles, il lui expliqua comment les conserver jusqu’à demain matin, qu’elles étaient assez résistantes pour trois jours, qu’il n’avait pas à s’inquiéter et qu’au moindre problème, il lui suffisait de passer ou de l’appeler. Sans frais supplémentaire, bien sûr. Son cœur gonflait de mérite, il lui laissa tout le plaisir de la prendre entre ses mains.

« Merci beaucoup, jeune homme ! s’exclama l’individu, soudainement pris d’une envie de raconter sa vie. C’est magnifique, vraiment ! J’ai dû mal à me dire qu’elle va se marier demain… Ah la la…

-J’imagine, souffla le Chase-Lim en haussant les épaules. Etre témoin doit rajouter en pression, non ?

-Oh, vous n’imaginez même pas ! En plus, c’est moi qui aie les alliances ! »

Un sifflement échappa des lèvres du plus jeune alors que la porte de la boutique s’ouvrait de nouveau. Mais qu’avaient-ils tous à venir chercher des fleurs ce soir ? Il y avait un évènement spécial par la ville, comme il en arrivait beaucoup, et il n’était pas au courant ou quoi ? Ne prêtant pas attention au nouveau venu, il félicita tout simplement le monsieur devant lui, lui souhaitant de ne rien rater jusqu’à la préfecture. Ce à quoi il eut un rire qui lui réchauffa un peu le cœur. Les gens semblent toujours heureux dans un fleuriste. Cela doit venir de l’effet fleur. Ou alors, de l’effet fraîcheur. Peut-être est-ce l’odeur ? Dans tous les cas, il prend de cette petite joie pour lui-même. Et cela fait du bien. Beaucoup de bien. Avec un salut poli, il laissa l’homme ressortir. N’ayant rien à ranger, rien à nettoyer, ou encore à tout simplement noter, il regarda son client suivant. Qui n’était autre que Dakho de nouveau.

Immédiatement, son regard tomba sur le bouquet qu’il tenait. Les fleurs n’étaient plus dans le même ordre, elles semblaient avoir été jetées ou quelque chose dans ce style-là. Assez violemment en tout cas pour qu’une des tiges soit cassée. Il pouvait la voir d’ici. Son habituel sourire aux lèvres, il le regarda s’avancer vers lui. Il se foutait un peu de lui, il fallait l’avouer. Car, cette trace rouge, sur la joue, signifiait tout. Un râteau. De l’un ou de l’autre, cela n’avait pas d’importance. Tout ce qu’Eun arrivait à comprendre c’est que cela n’avait pas marché. Et étrangement, il était plus qu’enchanté de cette nouvelle. Retenant néanmoins un rire, les yeux brillants, partagé entre le soulagement et le rire, il ne put se retenir de lui faire une remarque.

« Alors ? Que s’est-il passé ? Il manquait des roses ? » demanda-t-il en soulignant l’état du bouquet et celui de sa joue.

En vérité, il n’aurait jamais mis de roses là-dedans. Déjà parce qu’elles coûtent trop cher, ensuite parce qu’elles ont tout de suite plus d’élégance que des capucines. Et puis, les roses possèdent bien plus de messages. Une, dix, cent. Il y a trop de possibilité pour que de simples pivoines – malgré leur extrême beauté – puissent les égaler. Mais, de nouveau, comme si Dakho avait décidé de passer sa vie à le surprendre, son cœur rata un battement en l’entendant. Et son corps se figea en le voyant déposer le bouquet devant lui. Que venait-il de se passer ? Est-ce que Dakho Baek venait réellement de lui offrir des fleurs ?

Leurs regards se croisèrent brièvement. Dakho se décala pour laisser l’homme passer en lui offrant un doux sourire. Il n’avait pas pu s’empêcher d’écouter un peu leur conversation, d’une oreille discrète bien évidemment. Ses yeux suivirent ceux du fleuriste vers les fleurs. Oui, bon, elles avaient pris chère. Mais il les trouvait toujours présentables, et très belles. Il savait reconnaître des pivoines, et il les adorait. Elles faisaient sans doute parties de ses fleurs préférées, du peu qu’il en connaissait. Son visage rieur, il ne le connaissait que trop bien, et d’une petite moue, il se frotta la joue, un peu embarrassé. A quoi pouvait-il bien ressembler, à se montrer devant lui comme un idiot, avec un bouquet qui lui avait atterrit dans le visage ? Eun avait bien de quoi se moquer de lui. à vrai dire. En plus de revenir tout penaud avec sa joue rouge, il était revenu avec son bouquet. Bon.

”Si tu savais...Un rendez-vous arrangé que j’ai essayé d’écourter, tout en restant poli en lui offrant des fleurs. Plus jamais.” rigola-t-il légèrement.

Il comptait bien en toucher deux mots à ses soi-disant amis, qui avaient organisé tout ça. Il avait perdu son temps, elle aussi. Il s’en était pris une, et elle était partie plus qu’énervée. Le nageur n’avait rien demandé lui, vraiment. C’était presque lui la victime dans tout ça si on y pensait. Ne pas exagérer non plus, mais bon. Vous voyez le principe. Mais d’un côté, cela lui avait permit de retrouver Eun, oui. Tout n’était pas si noir et sombre. Il y avait Eun, qui avait provoqué en lui un rapide retour en arrière. Lui parler si peu alors qu’ils venaient tout juste de se retrouver, impossible pour lui. Alors il était réellement revenu, sans vraiment comprendre pourquoi, et dans cette situation plus que gênante. Pourtant, le plus jeune avait l’air de bien s’amuser de sa situation. Et sans réfléchir, il tendit son bras tenant les fleurs qu’il avait tenté de sauvé. C’était maladroit, il ne savait pas comment le lui dire. Le coréen avait honte de le lui donner dans cet état. S’il avait su, il en aurait concocté un nouveau. De toute manière, il était persuadé qu’Eun en ferait un meilleur usage.

”Je te l’offre. Pas parce qu’elle en a pas voulu, mais plutôt parce que j’espère que tu sauras en prendre mieux soin que moi.” lui dit-il.

Attendant alors que le jeune homme ne lui prenne son bouquet des mains, il sentait le rouge venir sur son visage. C’était en quelque sorte la première fois qu’il appréciait offrir des fleurs à quelqu’un. Le nombre de fois qu’il avait dû le faire pour se débarrasser de gens ne lui plaisait aucunement. Il avait l’habitude en vérité, de se coltiner des personnes indésirables, que ce soit à l’école, ou à la piscine. Pleins de gens, en général des jeunes filles, se ramenaient pour observer l'équipe sportive représentant leur école. Dakho en faisait parti, parmi six autres d’ailleurs. Et pourtant, c’était souvent lui qu’on appelait. Malheur. Il trouvait ça plus énervant qu’autre chose. Et puis, ça le déconcentrait, lui comme ses coéquipiers. En plus de cela, il ne préférait pas parler des maux de tête qu’il avait après ses longues heures de natations, qui pouvaient sembler pour d’autres à des heures de torture. Dans tous les cas, Eun devait le voir comme un abruti sorti de nul part, avec des pauvres fleurs qu’il lui avait lui même préparé. Mais les sentiments y étaient réellement. Il tenait vraiment à les lui offrir, comme un signe de nouvelle amitié. Il avait pleins de choses à lui demander. Il voulait tout entendre, sans aucune restriction. Il voulait savoir pourquoi à l’époque, elle était partie sans laisser de trace, pour finalement devenir lui. Passant alors sa main dans ses cheveux, il le regardait légèrement perturbé. En plus de le déranger avec ce bouquet sans doute ridicule à ses yeux, il devait lui faire perdre du temps de travail précieux.

”J-Je suis désolé de te déranger encore une fois, vraiment...Mais en vrai, je voulais juste venir te voir…et te parler…” lui dit-il doucement.

Il n’avait jamais été aussi sincère qu’en ce moment. Un léger sourire se forma sur son visage cependant, essayant de ne pas paraître trop faible devant lui. Il avait tellement à apprendre à présent. Des années sans avoir été honnête et lui même avec des personnes. Les personnes jugeaient tellement facilement, que dire la vérité là où il était à présent. On lui aurait sauté à la gorge, et tout se serait si vite fini. Le monde sportif était quelque chose de cruel. Chacun pour soi, comme on apprend souvent. Que le meilleur gagne. Un concours en toute circonstance, même en entraînement. Les coachs arrivaient parfois à les monter les uns contre les autres, engendrant parfois des accidents, que le coréen souhaitait éviter à tout pris. C’était la loi du plus fort, se faire manger ou manger. Et bien qu’il apparaissait assez sûr de lui et solide, il savait qu’il n’était rien de plus qu’un peureux qui n’osait pas se rebeller. Alors oui, le fait d’annoncer clairement ses intentions à Eun le faisait légèrement paniquer. Le voyait-il toujours comme dans le passé ? Après, il se peut même qu’il n’est jamais repensé une seule fois à lui après son départ. Lui, il n’avait pas arrêté. Arpenter les couloirs à sa recherche, attendre des heures dans la bibliothèque dans l'espoir qu’elle se montre enfin à lui pour lui expliquer. Non. Ce regard avait été le dernier, à cette soirée. Soirée qui d’ailleurs s’était écourtée pour lui quand il avait essayé de la rattraper, en vain. D'un côté, il lui en voulait d'être parti sans explication, mais d'un autre, il ne lui devait aucune explication. Les gens finissaient par se lasser de lui, c’était ce qu’il avait fini par croire. Il n’était pas si intéressant que ça, et puis, qui voudrait d’un soi-disant “monsieur parfait” comme ami ? Comme connaissance, oui ,pour faire bonne figure. Mais comme ami ? Pas grand monde en réalité. Peu étaient ceux qui essayaient de nouer de vrais liens avec lui, au point qu’il avait franchi avec le fleuriste. Il avait été l’unique et il l’était encore. Mais le passé était du passé, et maintenant, tout était parti sans doute en poussière, de petites particules se dispersant rapidement au vent comme si rien avait jamais été. Planté devant son comptoir, il observait à présent les fleurs, d’un air assez admiratif.

”Ça fait longtemps que tu travailles ici ?” demanda-t-il tout simplement.

Tout l'intriguait et l'intéressait. Le coréen avait ce petit côté curieux dont il n’arrivait jamais à se débarrasser. Et si cela concernait Eun, c’était encore pire. Ses yeux tournaient en boucle dans la pièce, examinant chacune des fleurs. Maintenant qu’il était là, il se sentait bête. Bête d’être revenu pour une personne qui avait voulu l’effacer de sa vie. Il venait sans doute de tout gâcher. Encore une fois. S’il s’écoutait, il serait retourné s’entraîner. Personne ne devait y être à cette heure-ci. Le coréen avait pour habitude de se pousser à bout. Toujours plus. Jusqu’à ce que ses muscles lâchent. S’endormir dans les vestiaires lui était déjà arrivé, le faisant rester tout la nuit pour reprendre le lendemain. Personne ne le savait vraiment, mais tout le monde s’en doutait. Si cela s’apprenait, on lui dirait sûrement d’y aller doucement, lui interdisant alors de s’entraîner. Cela lui causerait de grave problèmes un jour, il le savait. Et sans s’en rendre compte, ses yeux noirs se reposèrent sur la fine silhouette d’Eun. Si seulement tout pouvait redevenir comme avant. Au moins pour quelques secondes. Sa journée serait refaite.

Délicatement, Eun Ae récupéra les fleurs que lui tendait Dakho. C’était imprévu, mais bienvenue. L’une des pivoines était bien cassée. Le reste était en plutôt bon état. Une douce sensation lui prit le cœur. Personne ne lui avait jamais offert de fleurs. Lui, il les faisait, les vendaient. Il ne les recevait pas. Alors cela le fit légèrement rougir. Tout comme l’autre jeune homme. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Il retira la tige brisée, la déposant sur le comptoir de travail. Puis, il détacha les branchages, dénouant le fil d’un simple coup de poigné. Il déplia le bouquet, l’étendant devant lui avec calme, étudiant toutes les possibilités que les fleurs pouvaient lui offrir. Une idée lui vint et, encore une fois, il ne put retenir cet étirement de ses lèvres.

Remontant le regard vers Dakho, il l’écouta sagement s’excuser. En réalité, il éteignait dans quelques minutes. Il n’avait même pas prévu d’avoir des gens aujourd’hui. Tout le monde dans le quartier savait plus ou moins que ce fleuriste fermait une fois par pour tout le début de journée. Alors, ils s’arrangeaient pour venir avant ou après. Mais jamais vraiment le jour même. Mais le voir se dépatouiller dans ses explications et ses paroles l’amusait. Même lorsqu’ils étaient au lycée, et que Dakho essayait de lui transmettre n’importe quel sentiment, il bafouillait et se perdait dans son interaction. Si à cette époque, Eun Ae mettait cela sur le fait qu’ils ne se connaissaient pas vraiment, maintenant, il trouvait cela plutôt adorable. Et équivoque. Ses mains réarrangèrent les fleurs, les classant, et les examinant par le toucher. Tient, encore une chose qu’Heejun devra apprendre.

« Ce n’est rien. Je ferme bientôt de toute façon, précisa-t-il. Et cela me fait plaisir de te parler aussi. Je crois qu’on a beaucoup de choses à se dire, non ? »

A ces mots, il se redressa légèrement. Son regard croisa le sien. Sans le lâcher, il commença à retirer son tablier vert, glissant ses doigts dans son dos pour le défaire. Une fois la hanse passée par-dessus sa tête, il s’ébouriffa légèrement les cheveux. Abaissant les manches de son pull crème précédemment relevées, il plia son uniforme, pour le ranger sous l’établi. Alors que Dakho se perdait dans ses réflexions, Eun continua son petit manège. Il ferma la caisse, réaménageant son calepin et son emploi du temps, fit un bref inventaire des ventes et commandes, ainsi que du chiffre d’affaire du jour qui, sans surprise, n’était pas dans l’estimation ordinaire. Lorsqu’ils étaient trois à travailler, ici, la boutique tournait bien et ils s’accordaient encore des petits plaisirs. Maintenant, ils devaient compter leur sous. Les frais médicaux de sa mère, ainsi que ses hormones et son opération à lui. Beaucoup de choses en si peu de temps. Alors, même s’ils se remettaient à flot avec douceur, les crédits étaient toujours en vigueur. Mais ils s’en sortaient. Et ils n’aillaient pas couler si facilement. Les Chase-Lim savent retomber sur leurs pieds.

Une fois tout finis, il observa le jeune homme devant lui. Puis, il quitta sa place, pour aller tout fermer comme il se doit. Il alla rentrer les quelques pots de dehors, les amenant à l’ombre d’une des étagères. Il couvrit certaines fleurs, remis de l’eau dans d’autres. Bref, Eun Ae fit son travail. Et la question de Dakho l’intrigua. Ne lui avait-il jamais dit qu’il travaillait le soir ? C’était l’une des raisons principales pour lesquelles il ne pouvait pas venir à nombre de ses compétitions à l’époque ou encore qu’il ne pouvait pas traîner avec lui le soir. Le nombre de rendez-vous avortés qu’ils avaient eu ne se comptaient pas sur les doigts d’une main. Le lycée semblait si loin, et pourtant, s’il avait continué son cursus, il n’en sortit qu’il y a un an, voir deux. Cela ne lui manquait absolument pas. Sa vie s’épanouissait dans son domaine actuel. Il ne pouvait pas s’en plaindre. Sa voix avait été toute tracée en quelque sorte. Mais il l’avait choisi aussi. Et il ne regrettait en rien. Revenant vers le plus vieux, il haussa les épaules, faisant mine de réfléchir. Les calcules n’étaient pas son fort et l’inexactitude de son début de carrière étaient certain. D’une part, il avait tout appris au collège et avait commencé l’activité en troisième. Mais son salaire n’était arrivé qu’à ses seize ans. Cela valait ce temps de réflexion face au Baek. On ne pouvait jamais être sûr de rien. Mais s’il fallait dire la vérité, autant qu’elle soit la plus proche de la réalité.

« Je ne sais pas vraiment, répondit-il enfin, en haussant les épaules. J’ai commencé à apprendre en sixième, j’ai travaillé en troisième et est commencé à être payé à seize ans. Donc… Je suppose que cela fait quatre ans que je travaille vraiment ici. »

Maintenant qu’il y pensait, il avait fait un grand bout de chemin ici. Cela le fit sourire intérieurement. Cette boutique, c’est une partie de son enfance, une autre de son adolescence. Sa vie ne tournait pas uniquement autour d’elle, mais il lui en devait beaucoup. Pour tout ce qu’elle lui avait offert. Pour cette protection indirecte mais précieuse. La boutique de fleur familiale était presque une entité à part entière, dirigé par l’amour inconditionnel d’une famille pour les siens. C’était beau dit ainsi, banal pour Eun qui n’avait grandi qu’avec cela. Croisant les bras contre son ventre, il observa la salle pour savoir s’il n’avait rien oublié, avant de prendre ses clés pour aller fermer. Il n’avait même pas demandé à Dakho s’il voulait rester. Mais, de toute façon, il ne lui laissait pas vraiment le choix. S’il était revenu, c’est que la soirée devait se terminer ainsi. Et Eun n’était absolument pas contre.

Retournant derrière le comptoir, il rassembla les merveilles un peu abîmés que l’autre blond lui avait ramenées. Il récupéra aussi, une pochette et un sécateur, les coinçant comme il le pouvait dans ses mains. Dakho lui avait demandé de faire quelque chose de cet échec de consolation de rejet. Il allait en faire quelque chose. C’était dans ses cordes. Il s’agissait même presque de sa spécialité. Maintenant, il touchait un peu à tout. Bouquets, compositions, jardinages, ventes, renseignements. Il fallait pouvoir tenir la rampe lorsqu’il y avait un problème et savoir s’organiser. Ce en quoi, Eun Ae ne se retrouvait jamais piégé. Maintenant que le lycée était fini, ses horaires étaient beaucoup plus stables. De tout le monde, il avait sans doute été le plus grand vainqueur de son arrêt d’étude. Faisant un signe à Dakho de le rejoindre, il poussa la porte qui menait à l’arrière de l’atelier.

« Viens. On va pouvoir parler. »

Sans même l’attendre, il alla s’installer à sa table réservée. Devant la baie vitrée qui donnait sur la rue. Alors que les lumières du dehors commençaient à devenir un peu sombres. Avec son habituel calme olympien, il déposa ses futurs éléments sur la surface de bois. Se munissant d’un bloc de mousse verte et d’un pot en céramique beige, il s’assit sur son tabouret. Alors que Dakho arrivait enfin, il lui montra l’autre, un peu plus loin, lui disant de se mettre à côté de lui. Commençant à façonner sa mousse, l’humidifiant pour pouvoir la couper plus facilement, il essaya de trouver le moyen de démarrer ce qui devait être démarré. Mais ce n’était pas facile. On ne peut tout simplement pas lancer, à la suite, les histoires et la vie, comme on raconterait une blague ou un cours. Non. Il fallait du tact et de la patience. De l’écoute et de la compréhension. Ce qui était toujours plus complexe que prévu. Alors qu’il inséra le bloc qui rentra parfaitement dans le pot, il se lança dans le vide.

« Je ne t’ai pas évité, Dakho. Lorsque je ne répondais pas à tes messages ou lorsque je ne venais pas au lycée. J’ai… changé de vie. Et tu faisais partie de mon ancienne vie. »

C’était le cas de la dire. Oui. Il y avait plus que sa vie qui avait changée. Tout son monde s’était transformé, métamorphose de son corps qui se répercutait sur tout. Quand les gens découvraient qu’il était transgenre, les mêmes questions revenaient sans cesse : « on doit dire il ou elle ? » « tu as fait tes opérations ? » « pourquoi tu gardais ton ancien nom ? » « tu te définis comment ? » « t’es gay ? ». Il avait toujours essayé d’être agréable, gentil, prévenant envers ce genre de personnes. Mais il commençait à en avoir assez. Si on ne le laissait pas vivre comme une personne normale, en évitant de le bombarder de questions, il ne pourrait jamais se sentir parfaitement à sa place. Déjà que cela est compliqué, que la psychologue de la clinique lui avait dit elle-même, en personne que « tu risques de subir ton propre refus sur beaucoup de choses, mais ne t’inquiète pas, les choses finiront pas s’arranger ». Pour le moment, la seule chose qui pouvait un tant soit peu lui faire plaisir, c’était d’avoir les mains qui sentent le frai.

Il se mit à couper les tiges, laissant seulement quelques centimètres. C’est cela aussi qu’il aimait avec son art : il n’avait pas besoin de beaucoup pour construire. Son cœur battait la chamade. Il ne savait pas ce que pouvait bien penser Dakho. Cela l’effrayait un peu. Si cela se trouvait, il le voyait comme un énergumène, vaguement humain, qui l’avait séquestré pour arriver à ses fins sexuelles ou je ne sais quoi. Cela l’étonnerait beaucoup tout de même. Contrairement à cette bande de pote qu’il se trimballait dans les couloirs, il n’avait jamais eu la moindre remarque homophobe ou transphobe. Cela ne voulait pas forcément dire qu’il ne le pensait pas mais, il avait eu moins la décence de ne pas l’exposer aux yeux du mondes comme d’autres pouvaient le faire sans aucune honte. Eun piqua le premier zinnia dans la mousse, avant de relever les yeux vers lui, l’envie étant trop grande.

« Mais tu peux faire partie de ma nouvelle vie aussi. » souffla-t-il dans un murmure.

Maintenant qu’il le lui disait, c’est vrai qu’il se souvenait qu’Eun travaillait après les cours. Il n’avait pas trop cherché à comprendre, à part qu’il le trouvait extrêmement courageux. Lui ne se mouillait pas, ou enfin, si, justement, il ne faisait que ça. nager, nager et...nager. Très original. Sa vie n’avait pas très changé, au final. Ses parents l’ignoraient toujours à moité, et il gérait son petit frère comme la prunelle de ses yeux. Il était réellement le seul à prendre compte de ce qu’il ressentait. Et il le couvrait d’amour. Le coréen l’écoutait parler de lui, et de ses problèmes. Il était comme un modèle, pour lui. Mais Dakho ne se comportait pas avec le petit Renjun comme il le faisait avec les autres. Non, il lui apprenait à être lui même, en apprenant de ses propres erreurs. C’était très important pour lui. L’une des choses qu’on apprenait pas à l’école. Ses yeux se reportèrent sur le fleuriste, qui se mettait en mouvement, un bruit de clés dans les mains. A le voir ranger, on aurait pu croire qu’il voulait le mettre dehors. Mais non. Au contraire, il l’invita même à le suivre, avec entre ses mains, les fleurs bien amochées. Elles allaient enfin pouvoir servir à quelque chose, une nouvelle création fabuleuse faites par des doigts de fée.

Hochant la tête, il le suivit, regardant un peu autour de lui pour découvrir son environnement. Parler, il n’attendait que cela. Il mit un certains temps à le rejoindre dans la pièce, regardant alors certaines fleurs au passage. Il était assez émerveillé par tout ce qui l’entourait. Découvrir les coulisses d’une boutique de fleurs pouvait être assez intéressant. C’était surtout une première pour lui. Arrivant alors dans la fameuse réserve, il suivit les conseils d’Eun et s’empara alors du tabouret qu’il lui indiqua. Il le fit glisser prêt du plus jeune, un large sourire sur ses lèvres. Il détaillait ses gestes, complètement ébahi parce qu’il faisait. Il ne savait pas trop ce qu’il faisait, avec cette mousse et à couper les tiges, mais il trouvait cela fascinant. Il ne disait rien, se contentant d’observer. Il ne voulait pas tout casser avec ses questions idiotes, ou des remarques déplacées. En y pensant, il aurait aimé savoir ce qu’il s’était passé durant ces années. Mais par où commencer ? Tout était si complexe, et le coréen, bien que très extraverti, n’était pas le meilleur en relations humaines. Alors quand ce fut Eun qui engagea la conversation, il le remercia intérieurement. C’était assez blessant d’un côté, de faire partie de son ancienne vie. Il l’avait vu tout quitté ce jour là, et y penser lui faisait encore mal. Deux prunelles qui s’étaient envolées si rapidement. La douleur était encore présente d’un certains côté. Peut-être que partir comme cela sans le prévenir lui avait fait ni chaud ni froid, mais pour lui, ce fut très dur. Sa confession était tombée à l’eau. La seule personne qui le comprenait était partie. Les cours n’avaient plus été les mêmes après cela. Mais d’un côté, s’il faisait partie de son ancienne vie et qu’il avait voulu tout quitter, peut-être que cela était juste trop douloureux de devoir le croiser tous les jours. Si cela avait un rapport avec sa transformation, Dakho n’aurait jamais jugé quoi que ce soit, et il espérait que le fleuriste le savait. Lui qui le connaissait mieux que quiconque. Le regard rivé sur l’établi, il tenta de lui donner une réponse plutôt claire.

”Tu as tes raisons, et elles ne me regardent sans doute pas. C’est juste que...Ouais, je l’ai senti passé. Mais bon, ce qui est fait est fait j’imagine…” lui dit-il en haussant les épaules.

De son côté, il le trouvait beau. Un sentiment qui n’était pas normal, alors qu’il ne faisait que le revoir. Sans doute qu’ils s’étaient endormis toutes ces années pour ressortir d’un coup, à sa vue. Ça l'insupportait, de devoir ressentir autant d’affection pour lui, alors qu’il ne devait même pas pensé plus que la limite d’un ami. Il ne savait même s’il pouvait se considérer comme tel, à présent. Le temps était passé, et ils ne se connaissaient sans doute plus. Les gens changeaient, plus ou moins violemment. Le temps traçait des limites entre les gens. Des limites non réparables ni effaçable. Des traits invisibles, qui ne pouvaient pas être dépassés. Son regard suivait les doigts habiles d’Eun, coupant délicatement ses tiges à certaines distances qui lui étaient inconnue. Une plante se dressa dans la mousse, une fleur à nombreux pétales. Colorés, délicates, tellement de sentiments en ressortaient. Il n’y comprenait rien aux fleurs, et à leurs significations. Sans doute qu’il s’y mettrait un jour, à apprendre tout cela. Et sans s’en rendre compte, ses yeux croisèrent les siens. Un éclair le traversa tout doucement, de part et d’autre de son corps. Ses mots. Il les prenait à cœur. Était-il vraiment sérieux ? Même un simple murmure tel que celui-ci, il l’avait entendu. Quel étrange sentiment. Son esprit commençait à s’emballer, bien qu’il ne tentait d’en minimiser l’apparence. Ses doigts s’étaient saisis d’une des tiges qui’il avait coupé, jouant un peu avec en faisant attention, juste pour faire ressortir son stress.

”Et...Tu le veux vraiment ? Si tu as décidé de m’exclure de ton ancienne vie, tu voudras quand même m’inclure dans la nouvelle ?” demanda-t-il tout doucement.

La question était à poser. S’il l’avait fait une fois, cela signifiait sans doute qu’il ne voulait plus de lui. Dakho se demandait réellement si c’était ce qu’il souhaitait, s’il pensait réellement ces mots qu’il venait de prononcer. Et puis, un sourire naquit sur son visage, ses lèvres s’étirant et ses yeux se plissant encore plus, faisant remonter ses pommettes. Bien évidemment que lui, il le voulait. Renouer ces liens avec lui qu’il avait réussi à former auparavant. Cette fine complicité, cet humour cassant mais agréable. Tout était équilibré. Mais seraient-ils vraiment capables de faire comme avant ? Ou allaient-ils recommencer à zéro ? Dakho n’en savait rien du tout, Mais il le voulait. Il souhaitait que tout redevienne comme avant entre eux. Il voulait savoir tout ce qu’il avait manqué. Il voulait compter une nouvelle fois sur lui, et lui laisser une épaule et ses bras ouverts également.

”Trop tard pour une réponse. J’accepte. Je veux faire parti de ta nouvelle vie. Je le veux.” dit-il assez rapidement en hochant vivement la tête.

Si Eun revenait sur ses mots, il aurait été capable de faire un procès en pleins milieu de cette pièce. Bon, personne n’aurait été témoin de la scène, mais c’était pour le principe en lui même. Vous savez, les apparences, tout ça tout ça. Les yeux brillants, il se mit à observer la baie vitrée. Les reflets des éclairages dans celle-ci, il parvenait à voir leurs reflets, dont celui de la gracieuse silhouette qui travaillait son art, minutieusement, le visage concentré, bien qu’il lui parlait. Lui était concentré sur autre chose, sur la beauté de cette image qui se reflétait. Quelques phares faisaient des halos de lumière, des passants parfois, ou encore des illuminations de façades. La nuit était rapidement tombée, sans même qu’il ne le remarque. C’était si beau, si délicat. La nuit, il aimait cela, le ciel noir, les étoiles. Tellement harmonieux et rempli de calme que le coréen appréciait. Sa tête se retourna, lui offrant alors ce merveilleux sourire qu’il savait si bien faire.

”Tu serais d’accord alors, si on continuait à se voir ? Je veux continuer à te parler, et essayer de faire parti de ta nouvelle vie...Ça peut paraître bizarre dit comme ça mais…” lui demanda-t-il.

Il n’y avait rien après ce “mais”. Juste une suspension de mots, qui n’avait aucun sens. Le sens en restait cependant très compréhensible. Et si Eun ne comprenait pas, il reformulerait. De toute manière, il ne comptait pas partir de si tôt. Maintenant qu’il était installé, il ne bougerait plus de ce tabouret. Du moins, jusqu’à ce que le plus jeune ne lui demande de partir. Posant sa tête au creux de sa main qui reposait sur son coude appuyé contre l’établi, il se contentait de l’admirer. Ses yeux étaient remplis de chaleur, de sentiments inavoués, et de joie. Cela faisait longtemps, qu’il avait pensé à le faire, et voilà qu’il en était possible.

De nouveau, il piqua un zinnia dans la mousse. Il enfonça la tige jusqu’au bout, calant le cœur de la fleur contre celle de la précédente. Concentré, ses pensées étaient pourtant tournées vers quelqu’un. Celui-là même qui était assis à côté de lui à cet instant. Eun avait entamé la conversation. Il n’avait tout simplement pas pu laisser les choses ainsi, dans ce flou et ce silence de sentiments qui les torturaient tous les deux. Car il n’était pas aveugle non plus. Cet éclat dans les yeux de Dakho, il ressemblait au sien. A celui qu’il avait eu à une époque pour le Baek. Mais comme tout le monde l’avait après tout. Sauf qu’Eun avait su des choses que personne ne pouvait imaginer sur le plus vieux. Eun était le privilégié. Celui qui, malgré tout, était le seul à réellement savoir ce qui pouvait bien se passer dans sa tête parfois. Seulement, le temps était passé par là. Et il n’était plus vraiment sûr de le connaître aussi bien que cela. Plus maintenant, en tout cas. Pourtant, Eun se sentait toujours comme lors de ses rendez-vous ponctuels à la bibliothèque. Ce mélange qui lui chamboulait autant le cœur que l’esprit. Même après tout ce temps.

Ses lèvres se pincèrent en l’entendant. Alors, il avait souffert de son départ. Cela lui fit mal aussi. Ce n’avait pas été son désire de le blesser et encore moins de l’écarter de tout. Mais, ce qu’Eun avait fait, il le referait sans hésiter. Il était profondément désolé pour tous les dommages qu’il avait pu causer. Mais Dakho ne pouvait pas se rendre compte d’à quel point couper le cordon de son passé avait été une délivrance pour lui. Il avait enfin pu respirer normalement. Il avait sortie la tête hors de l’eau en partant, cette nuit-là. Mais maintenant, il pouvait enfin inspirer l’air qui l’entourait, détaché de tout ce qui lui rappelait le elle d’avant. Elle n’avait plus sa place en lui. Et elle ne l’aura plus jamais. Et le Baek connaissait cette elle que lui veut oublier. Il tenait à elle, même. Tout comme elle tenait à lui. Et qu’Eun a gardé ses sentiments, les épinglant dans son cœur comme on peut le faire pour un papillon. Ses doigts récupèrent une feuille, allant la caler contre les fleurs précédentes. Que pouvait-il lui dire ? Devait-il s’excuser ? Mais il n’avait aucune raison de le faire. Car il n’était pas vraiment désolé. Egoïste oui. Mais après avoir passé plus de seize ans de sa vie à ne plus penser à lui-même, il avait bien le droit de l’être un peu. Rien qu’un peu.

Finalement, il ne lui répondit pas, préférant lui dire qu’il pouvait rentrer dans sa vie nouvelle. Et c’était si vrai. Si prenait. Dakho lui avait manqué. Et ce n’est que maintenant que le Chase-Lim s’en rendait compte. Après l’avoir revu. Après avoir compris qu’il était allé rejoindre une fille. Même s’il ne voulait pas la voir et qu’il avait voulu lui prouver son amitié par ses fleurs. Mais Eun avait bien compris. Son corps n’avait plus d’intérêt pour lui. Seul son esprit qui n’avait pas changé aurait pu être la cause de ce rapprochement qui s’opérait entre eux. Il voulu répondre à sa question. Mais alors qu’il relevait la tête pour le regarder dans les yeux, il se fit devancer par le nageur lui-même. Ses joues prirent une légère couleur en voyant son hochement de tête vif en accélérer. Pardon ? Aussi rapidement ? Un sourire naquit sur les lèvres du fleuriste. Dakho n’avait réellement pas changé. Il était toujours le même à l’intérieur. Ce garçon stressé qui prenait tout un peu trop à cœur. Reposant ses mains sur la table, le plus jeune se redressa doucement sans quitter l’autre des yeux.

« Je te la donne quand même, ma réponse, s’amusa-t-il. Je le veux vraiment, Dakho. Sinon je ne te l’aurais pas proposé. »

Comme pour échapper à ses yeux, Eun se repencha sur ce qu’il faisait. Reprenant le cours de ses pensées, il redessina mentalement ce qu’il voulait faire avant de se remettre. Avoir cette chaleur humaine proche de lui le motiver étrangement à avancer dans sa préparation. Il ne voulait pas que Dakho parte avant qu’il n’est finit. Car, c’était de cette rencontre avortée qu’il faisait un quelque chose potable. Ses doigts se baladaient plus qu’autre chose. Ce n’était pas une corvée, mais une tâche minutieuse et plaisante. De temps à autre, il se redressait ou tournait le pot pour voir ce qu’il pouvait faire de plus ou de différent. Sa marge de manœuvre n’était pas dès plus grande, ni même forcément des plus jolies. Alors, il se saisit d’une autre fleur, venant du coin de l’espace de travail d’Heejun, pour s’ouvrir de nouvelles possibilités. La coupant avec délicatesse, il remarqua que le plus n’y avait absolument pas touché. Il ne lui en voudra donc pas. Et puis, des deux, Eun était celui qui avait le droit de piquer dans les affaires de l’autre. Même s’il ne le fera pas. Trop poli, bien sûr. Et puis, Heejun ne méritait pas un tel affront. Il avait sans doute plus à faire que de s’occuper d’un grand idiot de dix-neuf ans.

La soudaine reprise de parole de Dakho le fit légèrement sursauter. Intérieurement. Car à l’extérieur, il se contenta de retourner le visage vers lui. Et encore, il abandonna ce qu’il faisait pour l’écouter. Dakho ne devait pas savoir à quel point il pouvait l’influencer. Et ses mots le firent sourire. Légèrement, gêné, Eun regarda par la fenêtre en haussant les épaules. Il avait l’impression de se retrouver le jour même où il lui avait demandé de devenir son ami. Un grand moment. Ou alors, cette fois où il lui avait appris « je t’aime » en français. Eun n’avait jamais compris pourquoi il avait fait cela. Peut-être que, dans un coin de son esprit, il avait tout simplement attendu qu’il le lui dise, ainsi, dans la langue de l’amour. Il ne savait pas et encore, ses pensées étaient complexes par rapport à cela. Reprenant alors son regard confiant, il finit par le regarder en se redressant, le dos bien droit sur son tabouret.

« Ce n’est pas bizarre. Moi aussi j’ai envie de te pouvoir te parler. Comme avant, rajouta-t-il. Et peut-être que cette fois… J’aurais plus de temps pour te voir. Plus qu’avant. »

Il y avait toujours ce retour au passé. A celui qu’Eun espérait effacer. Mais peut-être qu’un jour, il y arrivera complètement. Tout en gardant ce lien qu’il le retient tellement avec Dakho. Sans même s’en rendre compte, il l’avait aussi observé, du coin de l’œil. C’était peut-être pour cela que son travail avançait aussi lentement. S’il avait été tout seul, il n’aurait pas été distrait par lui et aurait déjà terminé. Peut-être. Ou peut-être pas. Car il n’aurait pas eu de motivation ou d’inspiration. Dakho était à double tranchant avec les émotions d’Eun. C’était étrange de le dire ainsi, mais ce n’était que la vérité. D’ailleurs, il sentait son regard sur lui à cet instant. Lui jetant un coup d’œil dans le reflet de la vitre, il se rendit compte qu’ils étaient très proches. Trop proches. Physiquement. Mais loin de lui l’idée de se décaler. Son pied dérapa de la barre transversale de sa chaise. Et il se rabroua intérieurement. « Reste concentré, bordel de tulipes ! » Alors, avec une légère moue, il fit abstraction de l’extérieur. Si Dakho lui avait parlé, il n’aurait plus rien entendu. Trop perdu dans sa bulle. Dommage pour lui, alors qu’il voulait lui dire tant de choses. Cela attendra qu’il ait terminé.

Et enfin, ce fut finit. Il avait réussis à faire une composition florale du bouquet de Dakho. Heureux, il se recula légèrement pour observer son œuvre, faisait doucement tourner le petit pot pour en voir toutes les facettes. Pas peu fier, il se demanda s’il n’allait pas le garder finalement, juste pour son estime personnel. Mais non. Il fallait bien qu’il rendre ce qui est à César à César. Dakho avait payé son bouquet. Il le lui avait demandé. Et un fleuriste ne laisse jamais quelqu’un repartir de sa boutique sans fleur. Prenant alors la céramique décorée pour lui tendre, il lui sourit en penchant très légèrement la tête. Oui, Eun savait comment faire plaisir aux gens. Mais c’est son métier aussi. Et puis, ce n’est pas n’importe qui. C’est Dakho.

« Tiens ! C’est pour toi ! Ce bouquet t’appartient après tout... »

Un peu comme un cadeau de retrouvaille aussi. Eun ne savait faire que des fleurs. Alors, il allait lui en offrir au moins pour cet instant magique qui les réunissait. Qui aurait pu croire qu’ils allaient se revoir ainsi et se retrouver dans cette situation ? Personne. Personne ayant un minimum de logique ou tout simplement une calculatrice sous la main. Mais les gens n’ont pas de lois mathématiques applicables. C’est un vaste arbre de chances, de coïncidences et de hasards. Et les sentiments semblaient fonctionner de la même manière. De la chance, de la coïncidence, du hasard et un tout petit peu d’amour.

Souriant comme un idiot heureux, il se contenta de le regarder, ne voulant pas le déranger plus. Ses mots lui faisaient énormément plaisir. Mais bon, en un sens, il savait parfaitement que ce n’était pas la Eun du passé qu’il avait devant les yeux, mais bien le nouveau Eun, celui qu’il allait devoir réapprendre à connaître. Il devait avoir gardé des choses en commun avec la jeune fille qu’il avait connu, mais s’il devait repartir de zéro, et bien tant pis, il le ferait. Volontiers même. Sa tête se pencha légèrement pour observer le moindre de ses gestes. Ses mains avaient l’air si fines, si délicates, qu’il aurait aimé les comparer aux siennes, comme un enfant. Se rapprochant un peu plus de lui pour admirer son art, il n’était pas perturbé face à cette proximité. Au contraire, il en avait l’habitude, avec la natation. Quoi que, c’était en quelque sorte différent avec le plus jeune. Cela l’embarrassait un peu plus. Il n’y avait vraiment pas de quoi, en soit. Il était tout simplement heureux de le revoir, c’était tout. Il ne voulait juste pas le déranger., à s’incruster comme il l’avait fait dans son monde parfumé de doux parfums. Il devrait peut-être s’y mettre ,à apprendre quelques trucs sur les fleurs, d’ailleurs, histoire de pas avoir l’air trop bête devant Eun. C’était ça qui l’inquiétait le plus au final. L’avis du plu jeune, son regard sur lui. Ca l’avait toujours été de toute manière. Et voilà qu’il se remettait à parler dans le passé. Il fallait qu’il arrête de regarder en arrière, vraiment. Cela allait lui causer problème. Et c’est bien pour cela, qu’il voulait continuer d’en apprendre plus sur le Eun d’aujourd’hui.

Le voyant finir son oeuvre, il sourit tout doucement, penchant un peu la tête pour observer le créateur en pleine expertise. C’était beau. Si beau. Le pot tournait dans tous les sens, à droite, à gauche, avec toujours cet extrême soin que lui accordait le regard du plus jeune. Il n’avait rien à redire, pour lui, c’était déjà parfait comme cela, pas la peine de vérifier. Puis, quand Eun se retourna pour lui rendre son bouquet, il sourit plus doucement, le saisissant alors délicatement en frôlant sa main au passage, involontairement. L’observant alors avec des yeux brillants, il frissonna, sous ce contact, avant de détailler l’œuvre d’art. C’était vraiment beau,

« Tu es vraiment doué, tu sais ? » qu’il lui dit en rigolant un peu.

Bien sûr qu’il devait le savoir. Cela se voyait à des kilomètres. Mais quand bien même, il se devait de lui dire. Hochant alors la tête, il ne le quitta pas des yeux, beaucoup trop fasciné par cette boule de talent ambulante. S’il avait cru pouvoir le rencontrer de nouveau, il se serait mis à rigoler face à la faible probabilité qui se serait imposée devant lui. Mais maintenant, tout était différent. Il avait dû tomber sur LA chance, et en un sens, c’était grâce à ses idiots d’amis. Oui oui. C’était de leur faute s’il avait dû aller chercher des fleurs, et qu’il s’était avéré qu’il s’agissait de la boutique du plus jeune. Posant alors délicatement le pot en céramique sur la table, il se frotta légèrement la nuque en souriant tendrement, le regard à présent rivé sur les fleurs. Les joues un peu rouges, il soupira doucement de contentement.

« Dis, tu...as bientôt finis ton travail ? C-Ce soir je veux dire. » demande-t-il alors d’une petite voix.

Ce n’était pas vraiment qu’il voulait l’inviter quelque part, mais juste pour lui demander, comme ça, au passage. On ne savait jamais après tout. Mais bon, il allait sans doute vite en besogne. Qu’est-ce qui lui disait qu’Eun n’était tout simplement pas poli avec lui depuis tout à l’heure ? Après tout, cela faisait un moment qu’ils ne s’étaient pas vu. Les choses avaient changées. Beaucoup changées. Se frottant un peu les cheveux, il essaya de se reprendre, baissant ensuite la tête en la secouant doucement.

« N-Non. Oublie. Je veux pas t’embêter plus que je ne le fais déjà. T’as du en avoir assez de voir ma tête aujourd’hui » qu’il lui dit alors en rigolant légèrement.

Se levant ensuite, il posa délicatement ses doigts sur l’œuvre d’art que venait de lui faire le fleuriste. Il se senti assez bête, de lui avoir rajouté du travail en plus. Le coréen aurait juste pu garder le bouquet qu’il lui avait offert, mais non, il l’avait sublimé. Au final, il avait eu raison de ne pas forcer la jeune fille a garder les fleurs, quel gâchis sibon. Traiter des fleurs ainsi, elle l’aurait sans doute balancé dans une poubelle publique. Un autre soupir, et un regard légèrement plus triste qui se posa sur Eun. Non, franchement, il ne devait sans doute pas mérité toute cette gentillesse qu’il lui offrait. Ses lèvres se pincèrent, tandis que ses mains s’empoignèrent précieusement des fleurs.

« Désolé...De t’avoir fait travailler aussi tard...Surtout que, j’imagine que tu ne voudras pas que t’offres un supplément pour tout ce si beau travail ? » ajouta-t-il alors.

Une idée lui traversa alors la tête. Et si, au lieu d’un supplément, il lui offrait le repas de ce soir ? Il ne devait dans doute pas avoir mangé, et cela par sa faute. Il était tard, au vu de la couleur sombre du ciel. Les phares des voitures se faisaient plus omniprésents, l’éblouissant légèrement. Fronçant un peu les sourcils, il se retourna tout entier. Il ne comptait pas l’embêter plus, mais il connaissait un petit foodtruck, qui, malgré les apparences, était un vrai régal. Et c’était tout proche, vraiment. Et puis, au pire des cas, il lui achetait juste son repas, et il repartait aussitôt, pour ne pas le déranger plus. Serrant un peu ses doigts, il le regarda de nouveau. On aurait sans doute dit un gamin complètement surexcité et paumé à la fois. Assez drôle a voir sans doute.

« Dis. T’as mangé ? Je peux t’offrir un bout ? Enfin, si tu n’as rien de prévu...Ou si tu ne veux tout simplement pas, je comprendrais aussi. » réussit-il à prononcer,

Et puis, au pire des cas, il retournerait sans doute à la piscine s’entraîner. Il n’avait que ça à faire, et puis, personne ne l’attendait vraiment chez lui. Donc bon, autant passer son temps a quelques chose d’utile. S’entraîner. C’était tout ce qu’il savait faire, nager. Il en était quelque peu fier à vrai dire, mais il ne s’étalait jamais. Il restait humble, Laissant alors quelques minutes passer, il attendit sa réponse comme une demande vitale. Non mais fallait vraiment qu’il se calme, à vouloir passer autant de temps avec lui. Et d’un côté, au fond lui, il ne demandait que ça, qu’Eû accepté sa proposition.

« Oui, je le sais ! répondit-il, plaisantant lui-même sur ça. Mais merci. »

Détournant alors le regard de ses yeux en demi-lunes, Eun se mit à ranger tout ce qu’il avait sorti pour faire sa décoration. Il espérait réellement que cela lui plaise, que ce n’était pas seulement pour le faire sourire qu’il avait dit cela. Sinon, il en aurait été déçu. La critique, même négative, n’était pas mauvaise. Surtout si elle était constructive. C’était toujours un plus, un moyen de s’améliorer. On lui disait souvent qu’il n’en avait pas besoin, de progresser. Mais pour Eun, s’était impensable. Il ne pourra jamais être parfait. Seulement s’en approcher. Oui mais, lorsque quelqu’un est trop proche, les autres critiquent souvent sur le fait que cela ne venait que de la chance, oubliant le dur travail. Et lorsqu’il leur disait, ils lui répondaient qu’à cause de cela, il n’avait plus de vie. Ce qui était faux. Des concours de fleuriste junior, il, ou plutôt, elle, en avait fait. Et c’était toujours la même rengaine lorsqu’elle gagnait. Sauf qu’Eun n’avait jamais eu une vie sociale au point mort. Il n’avait pas obligatoirement besoin d’interaction pour se sentir bien, mais il savait comment être. Sa sociabilité naturelle existait, en plus de ce sourire, toujours chaleureux, qu’il n’arrivait pas à camoufler. Alors oui, il était doué. Il le savait. Et il se moquait bien des reproches de toujours vouloir être le meilleur.

D’un geste habitué, il jeta les tiges coupés dans le composte. Il jeta un coup d’œil sous la table pour voir s’il avait salie le sol, mais non. Tout était nickel. Eun Ae ne s’en sortait pas si mal pour un soir où il avait du travailler à la lumière artificielle, le jour de sa visite au cimetière, avec un garçon qui lui donnait d’étrange papillon dans le ventre à ses côtés. Ce dernier se mit alors à parler, le sortant de ses pensées. Il se redressa lors, pour le regarder bafouiller, gêné. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Clignant des yeux face à ce visage un peu inquiet et peu sûr de lui. Un sourire, son habituel, pris place sur ses lèvres alors qu’il croisait les jambes en s’accoudant à la table en bois. L’écoutant tranquillement revenir sur sa décision, il le détailla des yeux. Sa tête, comme il disait, il pourrait la regarder des heures durant sans s’en plaindre. Pourquoi ? Sans doute parce que Dakho Baek est beau et que ce n’est pas discutable. Il ne fallait pas le niais, l’autre blond était plein de charme, avec ce visage anguleux, carré de mâchoire, sur un cou fort et gracile à la fois. En plus, Eun était sûr qu’il n’avait pas de poil. Non, en vérité, il le savait déjà. Les nageurs n’en ont pas. Et il avait déjà vu Dakho en maillot. Plusieurs fois. Dont une où il avait finit contre lui dans la piscine. Aah, cette histoire là. Elle avait fait le tour du lycée. Eun Ae Chase-Lim sauvée par Dakho Baek. A ce moment-là, elle n’avait pas profité de la musculature qui l’avait récupérée. Elle avait été trop occupée à reprendre ses esprits après sa chute dans le grand bain. Le Eun de maintenant le regrettait un peu. Mais bon. Les choses sont ce qu’elles sont. Ils ne pouvaient plus les changer.

Eun laissa volontiers Dakho s’empêtrer dans son discours, sans rien dire, ne faisant que le regarder faire, l’écoutant calmement. Il se mit aussi à parier intérieurement sur ce qu’il allait dire ensuite. L’excuse, il l’avait senti venir, gros comme un camion. S’il n’avait pas voulu faire cela, il ne l’aurait pas laissé entrer dans l’arrière boutique, ne lui aurait même pas offert son œuvre. Si Dakho était le meilleur de sa promotion, il n’en restait pas moins très lent à comprendre lorsqu’il fallait déduire les pensées des autres. Mais le Chase-Lim ne dit rien, se contentant de rire lorsqu’il lui parla de supplément. Et puis quoi encore ? Est-ce qu’il avait l’air d’être radin à ce point-là que ses propres heures de repos soit payable ? Mais quelle image avait donc Dakho de lui ? En tout cas, cela l’amusait beaucoup. Beaucoup trop pour qu’il ne le laisse pas continuer ainsi. Même si c’était tentant de l’arrêter, pour se moquer et lui dire que si, il voulait bien un supplément. Mais sans doute pas en argent. Seulement, Eun savait garder ses pensées secrètes pour lui. Et il le fera encore. Parce que ce à quoi il pense ne se dit pas.

L’offre de manger le surprit par contre. Il ne s’était pas dit que le Baek aurait pu retomber sur ses pieds aussi rapidement après toutes ses pirouettes. Mais il l’avait bien fait et cela fit plaisir au transgenre. Manger avec lui ce soir ? Oui, pourquoi pas ? Cela lui changera les idées. Ce n’était pas le jour pour un repas calme avec son père. Ce dernier devait sans doute être rentré depuis le temps. Mais comme il s’agissait de la journée où ils ne se parlaient pas, où chacun vivait sa vie, l’espace de vingt-quatre heures, pour faire passer cette douleur de chaque mois. De cet accord tacite qu’il ne faut pas briser. Alors oui, Eun voulait aller manger avec Dakho. Mais pas uniquement pour cela. Il le voulait aussi parce que, malgré les apparences, Dakho lui avait manqué aussi. Il avait la première personne à laquelle Eun avait pensé lorsqu’il avait changé de numéro. Et la chance avait fait qu’ils se retrouvent de nouveau. Les coïncidences, il y croyait. Le hasard, un peu moins.

« Vendu ! s’exclama-t-il en se relevant. Tu me payes à manger pour mes heures supplémentaires ! Attends-moi, je vais juste récupérer mon manteau en haut. »

Délicatement, il glissa sa main sur son épaule avant de la laisse descendre sur son torse. Puis il s’éclipsa de la pièce, passant par la porte donnant sur les escaliers menant au loft à l’étage. La lumière du haut était allumée et il pouvait entendre comme un bruit de musique. La radio ? Montant les marches, il arriva dans l’entrée. Son manteau long, celui qui ne ressortait que la nuit, parce qu’il faisait un peu froid, mine de rien, en automne hiver, à Los Angeles. Et aujourd’hui, le ciel avait été gris. Son regard se porta sur le salon, où son père se trouvait. Cette musique, c’était celle que sa mère écoutait les jours de pluie le matin. Elle lui avait expliqué, alors qu’Eun n’était qu’une enfant, que cette chanson lui permettait toujours de se rappeler qu’il y avait un soleil derrière les nuages. Baissant les yeux en songeant à cela, le blond finit par récupérer son manteau, l’enfilant en redescendant les escaliers. Il n’avait pas besoin de prévenir son père. Ce dernier avait confiance en lui. Eun ne se mettrait jamais en danger volontairement. Il était assez grand pour savoir se débrouiller tout seul.

Arrivant de nouveau en bas, il réapparut à Dakho alors qu’il tirait légèrement sur les manches de son pull sous le vêtement. Lui faisait un sourire, il saisit ses clés, éteignis les lumières et lui indiqua de venir avec lui pour sortir de la boutique. Il faisait réellement nuit dehors, et pourtant, la rue était toujours occupé de gens. Eun referma à clé, juste après que Dakho soit sortie, les glissant alors dans l’une des poches de son manteau. Il vérifia aussi qu’il n’avait pas oublié son téléphone, avant d’aller saisir le bras du garçon, lui souriant grandement. Il était heureux de pouvoir passer la soirée dehors. Si Dakho savait qu’il lui avait sauvé sa fin de journée, sans doute ne serait-il pas aussi surpris de son expression ravit. D’ordinaire, Eun serait resté sous sa couette à boire du café – oui, même la nuit – et à regarder des idioties sur internet pour lui faire oublier qu’il y avait plein de choses qui n’allaient pas comme sur des roulettes en câlinant Nana. Regardant l’autre blond dans les yeux, le plus jeune se rendit alors compte qu’ils faisaient désormais la même taille. Même, il était légèrement plus grand que lui. Ce qui ne fit que renforcer son sourire.

« Alors ? On va manger quoi ? demanda-t-il sans le lâcher. Parce que j’ai vraiment faim et j’ai pas intérêt à être déçu, sinon… pas de deuxième rendez-vous. »

Il se serait baffait mentalement rien que pour ce qu’il venait de dire. Son lui intérieur était en train de faire ses bagages pour s’enfuir. Parfois, cette confiance en lui nouvellement acquise allait avoir raison de lui. Venait-il réellement de dire qu’il s’agissait d’un rendez-vous ? C’était cela qui allait lui tourner en boucle dans la tête encore quelques jours plus tard. Exactement ce moment précis où il venait de se rendre compte qu’il avait fait une bourde. Et il espérait sincèrement, de nouveau – il demandait beaucoup trop de choses à Dakho – que son interlocuteur n’avait pas compris cela comme ça. « Nan, mais, c’est juste parce qu’on va se revoir, pour réapprendre à se connaître. » Oui, oui, oui. Voilà. C’était ça. Exactement ça. Bon Dakho. Il fallait se mettre à bouger là. Sinon Eun allait finir liquéfié, auto-tué par sa propre bêtise. Eun tourna alors la tête, fuyant ses yeux. Ce qu’il voulait surtout, par ce geste un peu désespérer, c’était de cacher le début de rougeur qui commençait à apparaitre sur ses joues.

Souriant comme un idiot, il hocha la tête. Cela n'allait pas le tuer d'attendre quelques minutes le temps que le plus jeune n'aille chercher de quoi se couvrir. Observant légèrement sa main glisser de son épaule à son torse, il se mit à rougir doucement face à Eun. Bon, et bien si le moindre contact le rendait complètement écarlate, on allait pas s'en sortir. Se redressant tout doucement, il trottina légèrement pour rejoindre la boutique. Vraiment, il sentait bien dans ce petit coin poétique. Ça allait devenir son nouveau coin pour traîner, la boutique d'Eun. Ou alors elle lui servirait de bon prétexte pour le voir. Personne n'y verrait que du feu à ses excuses, il en était persuadé. Patientant sagement, il le vit réapparaître dans un grand manteau. Non mais au point où il en était, il allait finir par fondre devant tous ses gestes. Le suivant alors, il le regarda fermer avant de le sentir s'agripper à son bras. Lui souriant légèrement, il lui laissa volontiers, le gardant alors contre lui s'il le voulait. Ça ne le dérangeait pas le moins du monde. Cette journée n'était vraiment pas si catastrophique que ça au final. Elle aurait pu même finir plus mal. Dire qu'une soirée en tête à tête avec le fleuriste le plus mignon de la ville ne lui faisait pas plaisir serait un mensonge des plus honteux et ridicules. Son regard croisa le siens, et le blond perdit légèrement ses moyens, du moins si ce n'est un peu plus.

Sa question le fit sourire, avant d'entendre la suite, et de rougir d'un coup. Un rendez-vous. Un date. Ou tout ce que vous voulez. Vous l'aviez complètement perdu. Fixant alors le plus jeune, il se frotta la nuque de sa main de libre pour essayer de faire abstraction de ses mots. Mais impossible. Ils tournaient en boucle dans sa tête comme une comptine. Une de celles qui restait en tête pendant des jours et des jours. Quelle bonne idée, de penser à Eun pendant plus d'une semaine. Si ce n'était déjà pas ce qu'il faisait, il allait vite se souvenir du chemin vers cette boutique de fleurs. Le regardant être aussi embarrassé que lui face à ses propres mots, il se mit doucement en marche sans lâcher son bras. Réfléchissant alors, il cligna un peu des yeux. Il avait une petite idée en tête. Bon certes, ce n'était pas très chic, et pas très équilibré, mais avec ce qu'il gagnait par mois et la taille de son porte monnaie, il n'allait pas pouvoir faire grand chose au final. Mais au moins, l'endroit où il comptait aller n'était pas très loin, et était copieux.

"Mmh...Et bien j'espère que de manger en extérieur ne te dérange pas...C'est un petit foodtruck, dans un des parcs par lesquels je suis passé en arrivant...Il avait l'air pas mal alors..." qu'il lui dit alors doucement en pinçant les lèvres.

Le plus jeune allait sûrement le trouver ridicule, avec son idée toute nulle. Mais il n'était pas poète, le Dakho. Il était peut-être intelligent, mais niveau sociabilité réelle, il fallait tout revoir. Le blond ne se comportait pas comme il le faisait dans les couloirs de son école. Là, il se montrait comme il était réellement. Maladroit et beaucoup trop sensible aux mots. Il fallait le voir pour y croire. Une personne totalement différente. Revenant sur les mots du plus jeune, il sourit doucement, avant de traverser la rue et de le serrer discrètement un peu plus contre lui.

"Et puis un rendez-vous avec toi...Ne me dérangerait pas." dit-il un peu plus bas, n'essayant pas forcément de se faire entendre.

Ses yeux sourirent d'eux même, faisant ressortir ces demi-lunes de leurs cachettes. C'était l'une des choses pour lesquelles on le reconnaissait immédiatement, son sourire et son rire. M'enfin, il ne comprenait pas trop en quoi ils étaient spéciaux ces deux là. Regardant un peu Eun, il n'arrivait plus à faire abstraction de son visage si doux de profil. Ces joues légèrement rosées, il les avait remarquées. Tellement...mignon ? Il ne saurait le décrire, mais dans tous les cas, il n'arrivait pas à en faire abstraction. Il était si faible face au plus jeune qu'il en perdait ses moyens. Un vrai gamin avec des étoiles pleins les yeux. La nuit avait sombré les rues dans le noir, malgré les faibles points de lumières qui étaient parsemés ici et là. C'était assez beau à voir, seulement c'était particulièrement dommage de ne pas pouvoir apprécier la beauté du ciel avec toutes ces lumières. Les étoiles les fuyaient. Se dirigeant alors vers le parc en question, il passa à travers petites rues avant de passer un grand portail et d'arriver devant le petit camion illuminé. S'approchant doucement, il montra la carte à Eun. La plupart de leur nourriture était des burgers, ou alors des brochettes. Tout ce qui se mangeait facilement. Mais y étant déjà allé une fois, il pouvait dire que ce qu'ils servaient ici était vraiment bon. Cela ne ressemblait pas aux restaurants ordinaires. Laissant le plus jeune choisir, il s'empressa de choisir un burger au poulet et aux oignons, ainsi qu'une grande barquette de frittes à partager et du Sprite pour lui. Puis, la commande d'Eun passée, il paya le tout en attendant sur le côté.

"C'est pas...forcément à ce que tu t'attendais...Et c'est peut être un peu nul, mais je t'assure que c'est très bon, gustativement parlant." lui dit-il en souriant.

Regardant attentivement le visage du fleuriste, il resta à phaser dessus pendant plusieurs secondes, son regard se perdant dans le siens. Clignant ensuite des yeux, il se reprit légèrement, détournant le visage avec les joues légèrement rougies. Il devait arrêter de le regarder autant comme s'il voyait un fantôme. Un très beau fantôme même. Attendant l'arrivée de leurs repas, il trottine un peu sur place pour se réchauffer, regardant le plus jeune, il se demande si lui aussi, a froid. Mais son manteau le rappelle à la raison. Lui, il était sorti les cheveux mouillés qui avaient à peine eu le temps de sécher depuis son entraînement, une simple veste, et un pantalon à peine troué au genoux. Mais quel idiot. Et puis c'était quoi ces cheveux complètement nuls qui, malgré leur longueur, séchait hyper lentement ? Il n'avait jamais vu ça. Heureusement pour lui, leurs affaires arrivèrent rapidement, et sans chercher à comprendre, il s'empara des sacs pour guider son rendez-vous vers un banc situé sous un sol pleureur. Il était gigantesque. Et ici, ils étaient sûr de ne pas se faire embêter. Fouillant dans le sac, il déballa la barquette de frittes pour la poser entre eux, tandis qu'il donna son repas au plus jeune, avant de prendre le sien. Ouvrant l'emballage, il s'empressa de croquer dans son burger en soupirant de satisfaction. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas mangé aussi gras, avec tous ces entraînements. Au final, il ne mangeait pas tant que ça, vu le nombre de fois où il en avait même oublié l'heure. Observant ensuite Eun, il pencha la tête.

"Alors ? Ça te va ? Sinon...J-je peux essayer de trouver autre chose si...Si tu préfères..." lui demanda-t-il un peu inquiet.

Mais pour lui, ces hamburgers restaient les meilleurs du coin, sans mentir. L'artisanal était vraiment meilleur que les fast foods bourrés d'additifs et de tout ce que vous voulez. Piochant dans les frittes, il s'étira légèrement en arrière, regardant un peu les alentours. Ils étaient bien, là, tous les deux. Il avait toujours aimé la compagnie du plus jeune. Le seul à vraiment le connaître au final. Il n'avait jamais rien demandé à personne, à cette époque. Il se souvenait même parfaitement de leur rencontre improbable. Le Baek ne savait même pas pourquoi ni comment il avait fait pour retenir son prénom, mais bon, cela lui avait bien servi pour une fois. Il avait appris tellement à ses côtés, même quelques mots de français pour vous dire. Quand c'était Eun qui lui disait un truc, il le retenait plus vite que les cours. Allez savoir, sa mémoire s'était peu-être réglée sur le mode "personnes intéressantes", à chaque fois qu'il parlait au plus jeune. Même encore aujourd'hui. Il avait un énorme respect pour lui, qui ne l'empêchait pourtant pas de le regarder avec des yeux brillants et des pensées complètement bordéliques. Un champ de bataille, son cerveau en ce moment même. Et puis, Eun n'avait pas arrangé les choses avec cette idée de rendez-vous. Une blague sûrement, ou alors des paroles dites en l'air. Mais cela pouvait s'agir aussi de non-dit resté enfoui. Il ne fallait pas qu'il commence à penser cela, sinon à quoi allait-il ressembler ? A une cocote minute en pleine explosion. Ce truc qui faisait de la vapeur et qui fumait. Grignotant encore un peu, il finit par reposer son regard sur le fleuriste, aimant bien le regarder après tout. Cela faisait si longtemps, autant se le graver pour de bon cette fois-ci, son visage doux et beau qu'il n'avait jamais oublié.

Mais il le prenait pour une princesse ou quoi ? Eun Ae voulait certes signifier délicat, la personne qui portait ce nom de l’était pas du tout. Au risque néanmoins de casser des tiges, il se devait de l’être dans certains cas. Mais pas dans celui d’aller manger dehors. Tant qu’il était avec lui, en cette journée qui aurait pu finir d’une tout autre manière, il s’en moquait bien. Fronçant légèrement du nez à sa remarque, il ne dit rien pour autant. Parce que son visage exprimait parfaitement ce qu’il pensait, de cette attention idiote à ces goûts. Qui n’aime pas les food-truck ? C’était sans doute l’une des choses les plus appréciables. Surtout la nuit, lorsqu’il faisait un peu froid, et que l’odeur douce de la nourriture chaude vous chatouillait les narines à la recherche d’une cible parfaite. Dakho n’avait pas à le prendre avec des pincettes. Mais d’un certain côté, cela l’amusait autant qu’il l’attendrissait. Car, c’était sans doute dans sa nature, de s’occuper des gens qu’il apprécie ainsi. Ou même de ceux qu’il n’apprécie pas forcément. Il n’y avait qu’à voir : il avait bien acheté un bouquet de fleurs, pour une fille qu’il allait recaler. Dakho Baek est un garçon étrange. Mais Eun l’adore pour cela.

Alors Eun se laissait guider par lui dans la nuit, observant autour de lui la petite vie nocturne qui occupait l’espace. Un léger sourire aux lèvres, il se resserra comme un réflexe contre Dakho. Pour le froid. Ou plutôt, contre. Pour se réchauffer, voilà. Et l’entente de ses mots le fit rire. Le plus jeune avait encore les joues rougies par sa réflexion précédente. Mais le nageur ne semblait pas lui en tenir rigueur. Au contraire. Mais était-ce une blague pour détendre cette légère tension ou alors était-il sérieux ? En tout cas, le Chase-Lim ne put retenir son éclat de joie qui sonna un peu autour d’eux. On lui avait toujours dit qu’il était un enfant heureux. Que ses sourires ou ses rires se faisaient toujours entendre comme une étoile filante illuminant le ciel. Imprévue, mais toujours bienvenue. Les yeux pétillants, son regard retomba sur Dakho. Il ne devait pas avoir compris ce soudain engouement. Mais se rendait-il compte qu’il venait de l’inviter à se revoir ? Oui, il devait bien l’avoir compris.

« On a qu’à en faire un vrai ! Un jour ! s’amusa-t-il, mi-sérieux, mi-blagueur. Mais je t’inviterais cette fois ! »

Et les demi-lunes que formèrent les yeux de l’autre garçon le firent encore plus sourire lui-même. Ils devaient apparaître très niais, là, tous les deux, à se regarder comme s’ils étaient le trésor de l’autre. Ce qui, en un cas, l’était. Mais aucun des deux n’en avaient vraiment conscience. Eun fut le premier à détourner son attention. Pas que cela soit dur se supporter le regard de celui qui lui avait brûlé le cœur au lycée, mais il n’en restait pas moins qu’un semblant de sentiment apparaissait. Ceux-là même qui auraient dû disparaitre avec tout le reste. Ils mâchèrent encore un moment, dégourdissant les jambes du fleuriste, qui n’avait fait que piétiner toute l’après-midi. C’était la même sensation que lorsqu’il faisait des musées. Il adorait l’art et plus particulière tout ce qui relatait à l’antiquité. Son père avait souvent dû venir le chercher à la sortie de nocturne au Louvre, pendant les grandes vacances, lorsqu’ils retournaient en France pour reprendre un peu de souvenir. A Paris, il avait toujours eu la connaissance à porter de mains. A Los Angeles, ce n’était pas la même chose. Et l’art contemporain ne lui disait jamais rien. Tout comme cette banane scotché à un mur qui valait des millions. Incompréhensible. Eun était beaucoup plus sensible aux beaux arts. Comme celui des corps sculptés dans le marbre. D’ailleurs, maintenant qu’il y pensait, les nageurs étaient sans doute le physique le plus proche de ses statues grecques qu’il aimait tant.

Un tout petit peu plus tard, ils débouchèrent enfin sur un parc. Quasiment immédiatement, les camions de repas rapides apparurent devant eux. Et Eun comprit soudainement pourquoi Dakho l’avait ainsi traité, quelques instants plutôt. De toux ceux qui traînaient autour des véhicules statiques, il était clairement le plus distingué. L’effet du manteau long sans doute. Et de ses cheveux blonds – qu’il hésite toujours à teindre en rose – qui lui donnait un air un peu irréel. On lui avait souvent demandé s’il s’agissait de sa vraie couleur. Souvent, on l’imaginait un peu plus foncé, voir carrément brun. Mais non. Ce blond, il était de naissance. Venant de son père. Le mélange des cultures pouvaient faire des merveilles. S’approchant alors d’un camion, sans trop lâcher Dakho, il détailla la carte des yeux, avant d’opter pour des brochettes de viande et un Ice-Tea. L’idée d’un grand frite à partager le fit sourire discrètement. On dirait un couple… C’était d’ailleurs ce que devait penser les gens autour d’eux. Mais ils n’en étaient pas encore là. Pas encore.

Rendant alors son bras à Dakho pour mettre les mains dans ses poches basses, il s’écarta légèrement avec lui, attendant leur commande en regardant autour de lui. Lorsqu’il mangeait ce genre de choses, c’était la plupart du temps après avoir fait une sortie avec père-fils. Ou alors, mais cela remontait encore un peu, lorsqu’il quittait la plage après une séance de surf. Il – ou plutôt elle – avait commencé au collège et n’avait pas arrêté depuis. Un hobby, une activité autre que la conception florale. Un peu aux antipodes. Mais, à cette époque-là, Eun s’en moquait. Elle avait juste voulu faire ce qu’elle aimait. Et l’adrénaline des vagues l’avait toujours rendu euphorique. Cela lui manquait, de ne plus pouvoir en faire. Et cela lui manquait tout autant que ses moments qu’il partageait seul avec sa planche sur la plage, un burger dans la main, les yeux rivés sur l’océan. Peut-être que, s’il a le temps, il ira en refaire. Juste pour voir s’il n’a pas perdu la main. Ou pour se remettre à niveau. Il le peut maintenant. Tout est cicatrisé. Il est libre.

De nouveau, un léger rire lui échappa en entendant Dakho. Il devait vraiment arrêter de le prendre pour une demoiselle aux goûts raffinés. Certes, il avait été élevé en tant que fille, mais il n’en était pourtant pas l’égérie. Et même, cela ne voulait rien dire. Etre l’égérie de la féminité était tout aussi débile que celui de la masculinité. Il fallait être sérieux deux secondes et se rendre compte que cela n’avait aucun sens. Surtout pour lui, trans ftm, qui, pourtant, au comble de sa féminité, avait préféré devenir garçon pour être enfin lui-même. Tant de chose à faire comprendre à cette société. Et si peu de temps pour le faire. Regardant alors de nouveau le Baek, il se rendit compte que celui-ci le regardait. Quoi ? Il avait quelque chose sur le visage ? Les moustiques de Los Angeles peuvent faire des ravages. Et alors que Dakho se met à trottiner pour se réchauffer, Eun, tout en chaud dans son manteau, lui répond :

« Franchement, si tu n’avais pas été là pour me faire sortir, je serais resté sous ma couette à manger de la glace en regardant Sex Education. Alors, ce que tu m’offres est beaucoup mieux ! »

Il n’allait pas lui mentir. Sa nuit se serait passée exactement comme cela. A plus ou moins quelques détails près. Mais dans ce niveau-là de pensées. Tout ça pour dire qu’Eun lui était reconnaissant de l’avoir sortie pour lui faire oublier, l’espace de quelques minutes, que cette journée n’est pas la plus joyeuse de son mois. Loin de là-même. Enfin, leur nourriture dans les mains, ils fuient l’endroit pour se trouver un endroit beaucoup plus adéquat. Et un peu plus isolé. Parce que c’est toujours mieux pour parler, d’être seul à seul, ensemble. Eun posa alors ses fesses sur le banc. Il observa Dakho s’attaquer violemment à son burger, commençant lui-même, un tantinet plus posément, ses brochettes qui lui faisaient de l’œil depuis quelques minutes. Son dos se posa sur le dossier et il regarda le parc devant lui. La nuit était agréable. Le silence quasi-parfait, seulement coupé par les bruits légers de la ville, des insectes et d’un Baek en train de faire un génocide d’hamburger. Son regard rejoignit celui de l’autre garçon.

« Tout est très bien, Dakho, sourit-il. Bon appétit. »

Un léger gloussement lui échappa à sa remarque. Il était vraiment bien ici. Son visage se leva vers le sol pleureur. Il se perdit entre les branches tombantes pendant quelques secondes, mâchonnant son morceau de viande avec distraction. Aurait-il jamais pensé à se retrouver ainsi un jour ? Non. Ce n’était pas prévu, qu’il soit assis à côté de Dakho un soir, à manger du prêt-à-emporter. Mais étrangement, cela lui apparaissait comme une scène de roman. Une scène un peu coupé du monde, où tout aurait pu arriver. Il suffisait une touche de poésie. Mais en seraient-ils seulement capable ? Ils étaient deux garçons, sortant à peine de l’adolescence, qui se redécouvraient comme de vieux inconnus dans un monde où le hasard jouait peu. Une feuille lui tomba alors dessus. Soufflant dessus pour la faire s’envoler, il suivit sa course jusqu’au sol, avant de sourire. Un enfant soleil. Eun reprit un peu de sa brochette. Puis il sentit un regard sur lui. Comme attirer par lui, il s’accrocha à celui de Dakho. Des paillettes éclaboussèrent ses joues. Tout comme son sourire.

Son corps se redressa alors. Et se pencha vers celui de Dakho, son visage se rapprochant dangereusement de celui du plus vieux. Eun Ae avait toujours été dangereux avec les autres et sa manière de les approcher. Tactiles, à l’écoute, calme et pourtant, ne pouvant lâcher cet humour un peu nul qui faisait tout son charme. Basculant alors la tête sur le côté, il défia Dakho du regard un petit instant. Comme pour le mettre au défi de lui dire quelque chose. Ou même de faire quelque chose tout simplement. Sa main survola alors l’un de ses avant-bras, tout doucement. Oui, même si cela ne se voyait pas, Eun était perdu dans ses sentiments. A vrai dire, il n’y avait jamais vraiment réfléchis. Alors il ne sait pas où se placer sur le spectre de la sexualité. Mais peut-être n’en possède-t-il qu’une. Et elle est reliée au jeune homme en face de son visage.

« J’ai quelque chose sur le visage ? » demanda-t-il, innocemment.

Papillonnant légèrement des cils, il fit une petite moue. Quoi de plus tentant ? Il aurait pu s’avancer encore un tout petit peu et cueillir ses lèvres comme on le fait pour des pêches. Mais il finit par se redresser, quittant son espace personnel. Et de même, il retira sa main du corps de Dakho pour recommencer à manger. Eun Ae venait de dire, indirectement, au plus vieux, qu’il les avait clairement vu, ses longs regards sur son être alors qu’il ne regardait pas dans sa direction. Peut-être qu’il devrait apprendre à être un tout petit peu plus discret. Juste pour donner l’impression de ne pas être si intéresser que cela. Eun était fier de son petit effet. Et de son petit jeu. Il fallait dire qu’il n’avait pas grand-chose à perdre à commencer ainsi. Quoi ? Un faux espoir, ce n’était qu’un moment de gêne à passer. Un cœur brisé, il pourrait s’en remettre. Il était plus fort que cela. Moins fragile que d’autre, dont l’amour était entier et unique. Lui, même s’il n’en avait aucune idée à vrai dire, il savait juste qu’il se remettra de ses déceptions. Avec Dakho, le terme de jeu ne convenait pourtant pas. Ce n’était pas un jeu. C’était le début de quelque chose. De quelque chose qui le dépassait un peu à vrai dire.

Ses dents croquèrent un nouveau morceau de chair et il se remit à mâchonner son repas du soir. Puis il replia ses jambes sous lui, s’asseyant en tailleur sur le banc. Son manteau, il le calla sur ses cuisses. Puis il observa le ciel qui se dessinait au-dessus d’eux. Il n’y avait pas d’étoiles. Pollution lumineuse, ou autre. Il n’en savait rien, mais en tout cas, cela ne le changeait pas beaucoup de son ancien chez-lui. Son nouveau était tout aussi cosy. Et il se sentait bien autant d’un côté ou de l’autre de l’océan. Soudain, les souvenirs des nuits à la belle étoile en vacances, chez ses cousines, lui revinrent. Dans cette espèce de réserve coupée du monde, où la moindre technologie était bannie. Il s’en souvenait très bien. Tous les bouquins qu’il avait pu s’avaler pour faire passer le temps. Ou alors ses heures entières à travailler les fleurs pour former de jolies choses. Tandis que cet autre morceau de la famille faisait tout pour en faire des médicaments ou des produits de soin, lui, il les redessinait pour en faire des œuvres d’arts. Cela lui rappela aussi un jeu qu’elles faisaient ensembles de temps à autres. Oui, elles. Car Eun était encore une fille à cette époque-là. Et depuis la mort de sa mère, il n’a pas vraiment eu le courage d’aller là-bas. Il ne sait même pas si son oncle sait que sa sœur est morte dès suite d’un cancer. Peut-être que son père a eu plus de courage que lui, et il y est allé. Tout cela pour dire qu’Eun regarda de nouveau son voisin de banc. Même dans la pénombre, Dakho Baek aveuglait de beauté. Comment était-ce possible ?

« Ça te dit de jouer à un jeu ? Le jeu des vingt-une questions. Tu connais ? »

Un splendide sourire s’étala sur ses lèvres. C’est très simple. Chacun pose une question à l’autre, tour à tour. Et l’autre doit y répondre avec le plus de sincérité possible. Et au bout de la vingt-une-ième question, le jeu s’arrête. Pourquoi vingt-un ? Parce que cela laisse toujours sur sa faim de ne pas avoir un chiffre rond.

Lentement mais sûrement, il observa la feuille tomber sur le plus jeune, ne parvenant pas à retenir un sourire sur ses lèvres. D'une légèreté sans faille, il regarda ses lèvres s'étendre pour souffler sur la feuille, qui virevolta pour ensuite se déposer sur le sol. Il le regardait sans doute un peu trop finalement, parce que leurs regards se croisèrent sans même qu'il ne puisse se justifier. Le coeur en paillette, et les yeux scintillant, il lui sourit doucement, ses yeux venant former un léger croissant de lune. Niveau discrétion, il avait sûrement fait mieux. Mais qu'y avait-il de mal à contempler un vieil ami ? Tout, sans doute. Mais le mystère qui résonnait dans sa tête ne fit que s'accentuer en le voyant se rapprocher de son visage si brusquement. Plissant un peu des yeux, il ne garda plus qu'un sourire joueur au visage. Son corps frissonna à son léger toucher. Il l'avait bien remarqué, oui, que Eun n'était pas du genre à rester calme. Sauf que lui, malgré ses airs de monsieur parfait, rentrerait facilement dans son petit jeu, du moins si son cerveau n'avait pas pensé à un rapprochement plus violent entre leurs deux visages. C'est qu'il était malin pour le rendre si fébrile celui-là. A sa question, il secoua légèrement la tête, laissant un petit rire lui échapper.

"Non~ J'avais juste envie de te regarder. Pourquoi, je peux pas ?" lui dit-il alors en rigolant un peu.

Bien sûr qu'il savait que Eun n'était pas idiot. Mais c'était plus fort que lui. Il n'allait pas crier sur tous les toits qu'en réalité, il avait réussi à penser en moins de trente secondes qu'il aurait pu avoir une chance. Une chance pour quoi ? L'embrasser. C'est que cette feinte lui avait fait de l'effet malgré tout. La discrétion n'avait jamais été son fort de toute manière. Et comment aurait-il pu cacher la joie qu'il ressentait en étant juste assis à côté de lui ? Impossible. Tout simplement. Revenant alors tout simplement déguster son sandwich, il profita de l'air frais de la soirée, et de l'odeur qui effleurait ses narines. Manger à côté de cette personne, alors qu'il n'aurait jamais imaginé la revoir, lui faisait si bizarre. A cette heure-ci, il aurait été en pleine entraînement, ou alors aurait-il sans doute fait le flemmard, et aurait fini par ramper maladroitement sur son lit. Dans tous les cas, il était beaucoup trop bien installé sur ce banc pour le quitter. Y passer la nuit lui conviendrait même au final. De toutes les semaines, il n'y avait pas un jour qu'il passait en famille. Seul dans ce duplex trop grand pour lui. Ses parents avaient sans doute dû penser qu'en le lui finançant, il pourrait partir plus vite de la maison. Ce qui avait été en parti vrai finalement. Il était parti, mais pas totalement. Son esprit accompagnait toujours son petit frère. Il s'en voulait de l'avoir laissé seul, auprès de personnes qui ne l'aiderait pas à se développer lui, et son caractère espiègle et fourbe. Si seulement lui aussi, pouvait être si naturel en parlant aux autres. Ces faux sourires qu'il se forçaient à afficher, ces rires inutiles, ajoutés là, pour faire beau. Et ces prétendus amis qui au final, n'étaient là que par intérêt.

Tellement dans ses pensées, qu'il n'avait pas remarqué le regard du plus jeune sur lui. Enfin, si, mais il ne savait pas vraiment pourquoi. Ce n'était sûrement pas par intérêt, car après tout, il n'avait jamais été que Dakho Baek, celui qui se cachait à la moindre occasion. Il n'avait rien d'extraordinaire. Rien. Malgré ce que les gens disaient, lui, n'était rien d'autre qu'un passionné de natation. C'était tout. On ne se souvenait pas de lui, mais de son physique. C'est qu'il y avait bien une raison à cela. Il n'avait aucun goût. D'une banalité sans doute à mourir. Mais étrangement, il ne parvenait à comprendre pourquoi tout le monde le suivait sans rien dire. L'unanimité faisait perdre la tête aux gens. Entendant alors la voix du fleuriste, il tourna délicatement la tête, finissant en une bouchée son sandwich. Un jeu. Mais pas n'importe lequel. Le jeu des vingt-une questions. Evidemment qu'il connaissait. Il y avait déjà joué. Un peu comme si on lui parlait d'action ou vérité. Célèbre. Souriant un peu, il hocha la tête pour valider.

"Oui, on peut faire ça si tu veux." qu'il lui dit alors d'un léger sourire.

Se redressant alors, il se tourna un peu vers lui, venant appuyer son coude sur le dossier du banc. Sa main atterrit dans ses cheveux blonds, ne leurs laissant pas le temps de se remettre en place correctement. Pourquoi voulait-il jouer à ce jeu au juste ? Ce ne devait pas être une simple idée qui sortait de nulle part. Eun avait toujours des buts bien précis. Enfin, c'était ce qu'il se disait. Réfléchissant alors, il ne savait pas où situer les limites du jeu. Passer outre les limites et poser des questions risquées ? Ou bien se fondre dans la masse et rester sur le principe de sa couleur préférée. Non, mais c'était nul, fallait se le dire. Il voulait savoir, lui, ce qui se trafiquait réellement dans la vie de celui qu'il avait en face de lui. Derrière ce visage d'ange, il voulait voir ce qui s'y trouvait. Le découvrir toujours plus, oui, comme un idiot qui ne saurait pas où placer une barrière. Son regard se perdit légèrement sur son visage, tandis qu'il penchant un peu la tête. Il n'y avait plus qu'à poser une question et la bonne. Parce que lui, ne savait pas réellement ce qu'il voulait lui demander. Mais si le coréen lui avait proposé ce jeu, c'est que lui, en avait, des questions. Comme pour dissimuler sa curiosité sous un jeu, histoire d'avoir une excuse en béton. Plissant un peu ses yeux en amande, il pris une grand inspiration.

"Et bien j'imagine que je vais commencer. Alors..., commença-t-il tout souriant, Quelle est ta fleur, ou composition florale préférée ? Tu dois bien en avoir une, non ?" demanda-t-il alors.

Simple, mais efficace. Cette question, qui en apparence pouvait sembler complètement désintéressée, ne l'était aucunement. Il n'était pas du genre à poser des questions dans le vent, pour un rien. Des fleurs. Il comptait bien lui en offrir de nouveau. Un fleuriste ne devait pas en recevoir beaucoup, non ? Après tout, on pourrait croire que c'était d'une futilité extrême, mais il se souvenait de son regard ce matin. Cet air étonné, comme s'il avait vu un éclair tomber dans la rue. Non, cela n'avait été qu'un bouquet. Un simple bouquet qui pourtant avait vécu beaucoup en une simple journée. Eun pouvait bien rire de sa question sans doute idiote, mais lui, y trouvait son utilité finalement.  Et puis, il n'avait qu'à commencer, s'il trouvait ça nul. Au moins, il aurait su de quel côté se lancer. Parce que soyons honnête, Dakho ne voulait pas faire de gaffe. C'était sans doute son côté habituel et restrictif de tous les jours qui avait repris un peu le dessus. Mais pour autant, il ne voulait pas paraître ennuyeux. Même si c'était ce qu'il était. Et puis, connaître les fleurs préférées d'un fleuriste, c'était plutôt intéressant en soi.

Le regardant alors, il se mit déjà à réfléchir à sa prochaine question. Lui demander quoi d'autre...Aucune idée. Enfin, aucune idée qui ne dépassait pas les limites. Tant de questions sûrement déplacées. Et même sur sa transformation. C'est qu'il n'y connaissait pas grand chose au final. Les cicatrices lui faisaient-elles toujours mal ? Ou des trucs du genre. Il ne jugeait pas. Eun était Eun, qu'importe à quoi il pouvait ressembler. Surtout si cela lui permettait d'être mieux dans son corps, il ne pouvait que l'apprécier. Et puis, il ne pouvait pas le nier. Il était si attirant. Un visage si fin et des courbes toujours présentes. Il avait eu le temps de le décrire mentalement dans la journée. Des petits détails qu'il avait noté dans sa tête. L'écoutant alors répondre à sa question, il parvint à observer ce petit éclat de passion en lui. Les fleurs, de si belles créations. L'observant alors avec des yeux brillants, il attendit sa question. Tandis qu'il se remit à réfléchir. Tu sors avec quelqu'un ?, ou encore des Tu pensais quoi de moi avant ?. Ce genre de questions classiques, que tout le monde osait poser, sauf lui. Lui, Dakho, le type le moins innocent du monde, n'arrivait même pas à aligner quatre mots l'un devant l'autre. Assez drôle au final.

Ses jambes se croisèrent légèrement, son genou effleura le sien, et ne le quitta plus. Il était bien, calé discrètement contre sa jambe, créant une sorte de proximité familière. Etre simple, et pourtant proche. De légers contacts, pour dire des dizaines de mots qui ne servaient à rien. Ce n'était qu'une partie de jambe, rien de plus. Il n'était pas comme Eun, du genre à faire comme si avant de se retirer. Un petit jeu bien sympathique sûrement, qui pourtant, le laissait le cœur en miette. Un organe plutôt fragile chez lui, malgré les apparences. Tout était trompeur sur ce visage anguleux. Il ne courait pas après les gens, et n'était sorti qu'avec très peu de monde. La plupart du temps, il les rembarrait. Tout simplement parce qu'il ne pensait pas que la personne en face de lui était sérieuse, ou alors même consciente de ce qu'elle lui disait. Ce n'était pas un effet de mode, de sortir avec quelqu'un. On pouvait pas le choisir, comme si on choisissait son sac à main du jour. Et pourtant, certains ont essayé. Non, il n'avait couru qu'après une seule personne, aussi étrange que cela pouvait paraître. Et cela avait été Eun. Ce jour là, il avait bien cru que tout était fini. Mais finalement non. Il avait dû se tromper dans ses probabilités. La ville n'était pourtant pas si petite. Tant mieux. Il devrait presque remercier cette fille de ce matin, pour l'avoir obligé à aller acheter des fleurs. Sans elle, il ne l'aurait pas revu, celui qui allait lui retourner l'esprit en deux.

Une paillette de rouge tomba sur les joues d’Eun Ae. Il est vrai qu’il avait joué à faire flancher. Mais voir le plus vieux jouer avec ses cheveux d’un air aussi détaché lui avait fait quelque chose dans la poitrine. Et pas très discrètement, il loucha sur ce biceps qui se contractait à la pression de son bras. Comme pour faire passer l’odeur de tulipe qui lui remonter dans la bouche, il mordit encore une fois dans l’une de ses brochettes. Dakho avait quasiment finis et lui aussi. Ce repas, qui, d’ordinaire devait être pris sur le pouce, avait duré sur la longueur. Même malgré ce fin silence qui avait été maître de temps à autres. Pourtant, cela avait été un bon moment. Qui allait se prolonger encore un peu. Au plus grand plaisir du blond, qui ne pouvait s’empêcher de sourire. On aurait pu le croire dans l’un de ses romans à l’eau de rose, ou encore dans ses films à petits budgets américains. Mais il aimait ça. Grand romantique au petit cœur. Les histoires d’amour tragiques le faisaient pleurer et frissonner. Même s’il avait complètement insensible à Titanic. Aller savoir pourquoi. Peut-être que Rose ne lui faisait pas d’œil que ça.

Sans surprise, le nageur accepta son jeu. Amusant, lorsqu’il y pensait. Mais Dakho avait toujours été comme ça. Que ce soit pour lui faire apprendre quelques mots français au détour d’un couloir, discuter de tout et de rien entre deux rayons de livres. Et dire qu’Eun n’aimait même pas lire. Mais pour Dakho, elle était restée un long moment assise à la table, à l’attendre, chaque fois qu’ils avaient ce rendez-vous. C’était étrange de ce dire qu’elle avait sacrifié des heures de son temps, pour un garçon qui semblait à des années lumières d’elle à cette époque. Maintenant, Eun sentait qu’il n’avait jamais été question de cela. Ils avaient toujours été proches. Assez pour que le plus jeune découvre des choses que personne n’aurait songé possible. Et c’était peut-être à cause de cela que son cœur avait commencé à battre aussi vite en sa présence. Ce n’était pas de la façade calme et lisse qu’il avait eu le béguin. Mais bien pour le Dakho qui souriait de son fameux sourire aux yeux demi-lunes lorsqu’ils s’apercevaient pendant l’interclasse. Eun était tombée amoureuse du garçon le plus populaire du lycée. Mais pas pour sa popularité. Et le Eun actuel était en train de retombé pour lui. Mais pas pour ce repas offert. Plutôt pour sa simple présence.

« Les fleurs d’aubépine, répondit-il alors, sans réfléchir. J’adore quand elles ornent un bouquet de roses blanches. »

De toute sa petite carrière de fleuriste, personne ne lui avait jamais demandé de faire ce mélange pourtant si agréable. Même si l’aubépine était une fleur de jardin, elle était facilement malléable et son contraste rose et blanc rendait la composition toujours plus jolie. Eun Ae avait adoré cette fleur à la seconde où sa mère lui en avait posé une branche sous les yeux. Le défi ? En vrai une composition florale de mousse. Et sans même réfléchir, elle l’avait fait. Maintenant encore, il gardé le souvenir de cette création sous l’une des cloches en verre de la boutique qu’il renouvelait souvent. Principalement pour exposer leur travail, ce n’était pas mis à la vente. Mais il ne refusera jamais d’en refaire un pour quelqu’un. Il ne s’était pas vraiment posé de question pour lui donner une réponse. C’était tout aussi naturel que cela. Il aimait cette fleur. Tout comme Heejun aimait les lys araignées. Chacun ses goûts. Et les siens étaient plus qu’informels.

Mais s’il lui avait demandé de jouer, ce n’était pas pour poser des questions aussi innocentes. Dakho devait avoir son âge. Et ce n’était plus vraiment le moment de demander quelle était sa couleur préférée. Mais il prit tout de même le temps de finir sa brochette, avant de prendre du bout des doigts la dernière. Puis il regarda Dakho dans les yeux, s’essuyant du pouce le coin des lèvres. Dans ses souvenirs, Eun Ae ne devait pas être aussi provoquant. Mais il avait grandi et avait radicalement changé. La jeune fille mal dans son corps n’était plus qu’un lointain songe. Un sourire espiègle apparut sur ses lèvres. Il avait bien mille et une question à lui poser. Mais ce n’était pas la règle du jeu. Et il devait s’y plier. Dakho avait été mignon de lui demander sa fleur préférée. Sauf qu’Eun était loin d’être à ce point adorable.

« Dis-moi, commença-t-il avec candeur, es-tu attiré par moi ? »

Des milliards de sous-entendus. Et pourtant ce n’était pas uniquement cela. Eun voulait savoir s’il était désirable à ses yeux. Si le fait de savoir qu’avant, il n’était pas du même genre, qu’avant, il était bien différent. Peut-être que Dakho aimait encore la jeune fille qu’il pensait entrevoir en lui ? Mais elle n’existe pas. Elle n’a jamais existé. Hésitant, pour la première fois de la soirée, le jeune transgenre déposa ses doigts propres sur ce genoux qui touchait le sien. La peur ? Non, bien sûr. L’appréhension, un peu plus. Il était joli. Tout le monde le lui disait maintenant. Fasciné par ses traits fins et marqués, sa taille agréable, ses sourires lumineux. Mais lorsqu’il apprenait son histoire, les regards changeaient toujours radicalement. Parfois, sans même que la personne en face de lui ne s’en rende compte. Et parfois même, sans vouloir lui faire le moindre mal. Mais il se sentait alors anormal. Comme un être autre. Pas tout à fait humain. Mais pas tout à fait monstre non plus. Juste, différent.

Sa canine alla mordiller sa lèvre inférieure, alors qu’il regardait son vis-à-vis dans les yeux. Qu’importe sera sa réponse. Il voulait juste savoir s’il avait encore une chance de conquérir le seul qu’il avait hésité à supprimer de sa vie passée. Le seul d’ailleurs qu’il laissait entrer dans la nouvelle. Sa main finit par quitter son genou, coupant le contact. Et, comme pour se donner contenance, il alla mordre dans ses derniers morceaux de viandes. Mais merde ! Qu’est-ce qu’il lui prenait d’agir comme ça ? Il aurait dû lui poser une toute autre question. Et c’est ce qu’il allait faire. Il allait complètement tourner la discussion si ça continuait. Il n’avait aucune envie d’affronter sa réponse finalement. Mais quelle idée ?

« Oublie, murmura-t-il alors. C’était bête. Tu continues toujours de nager ? »

Oui voilà. C’était mieux. Il était quasiment sûr de pouvoir entendre les moqueries de son père, lui demandant pourquoi est-ce qu’il jouer les petits êtres faibles d’un coup. De tout ce qu’on pourrait croire de lui, Eun était loin d’être aussi facilement vivable. Cherchant toujours à avoir le dernier mot, sarcastique avec une mauvaise foi à toute épreuve. Insupportable en somme. Surtout lorsqu’il travaillait. Une main de fer, à peine camouflée sous le fameux gant de velours. Mais là, il se dégonflait devant une réalité qui l’effrayait plus qu’il ne l’aurait pensé. Et puis c’est quoi cette question super conne qu’il venait de lui poser sérieusement ? Bien sûr que Dakho devait encore nager ! Il avait les cheveux mouillés, merde ! Oui, mais voilà. Il n’y avait que ça qui aurait pu détourner un peu l’attention. Eun avait mal joué ses cartes pour une fois. N’ayant pas pensé un seul instant que les cicatrices d’opérations sur son corps soit encore si sensibles dans son esprit. Peut-être qu’il aurait dû réfléchir un peu plus, cette fois-ci, avant de parler pour dire une idiotie.

Notant comme si ses paroles étaient des plus précieuses, il comptait bien retenir que les fleurs d'aubépines, ces fleurs blanches adorables, étaient de ses préférées. Le détaillant toujours aussi intensément des yeux, il ne put s'empêcher de sourire doucement à sa question. En vérité, il s'y était attendu qu'Eun n'allait pas le laisser filer aussi simplement. Et lui, ne comptait pas le lui cacher. Cela se voyait déjà énormément. Il n'avait jamais essayé de le dissimuler, que ce soit au lycée ou maintenant. Ses yeux, aimantés par celui qu'il avait en face de lui ne mentaient pas. Du moins, ils scintillaient toujours autant qu'avant, même voir plus. De toutes les personnes que le blond avait rencontré, Eun en restait la plus intéressante. Il n'avait jamais essayé de comprendre pourquoi, mais déjà à l'époque, elle avait été différente. Encore maintenant, il pouvait le sentir. Différent. Pas dans le sens que tout le monde pourrait croire. Pour lui, cela était un compliment. Eun n'avait jamais été de ceux qui l'admirait pour ses capacités, ou encore son physique. Non, il connaissait le vrai lui, celui, qui, malgré ses airs forts, pouvait craquer en un coup, celui qui voulait juste être comme tout le monde. Ce n'était sûrement pas la transformation du plus jeune qui allait l'effrayer. Pour lui, ses yeux, sa finesse, et son caractère le charmait toujours autant. Il n'avait pas succombé pour son apparence mais bel et bien pour lui tout entier.  

Ses yeux dérivèrent légèrement sur ces fins doigts qui avaient décidé d’élire domicile délicatement sur son genoux. Doucement mais sûrement, il vint les effleurer. Le Dakho gentil et mignon n'avait pas disparu. Il avait juste pris un peu plus en assurance, délaissant sûrement son amour propre qui devait déjà avoir disparu depuis longtemps. Timide, les joues un peu rouge, il toucha délicatement ses phalanges, dans un geste qui se voulait discret. Il voulait savoir, pour ensuite se rétracter. Ça ne marchait pas comme ça.  Retirer une question aussi importante que celle-ci sur le simple prétexte que cela était bête ne lui convenait pas. Intrigué à présent, il savait déjà la réponse qu'il allait lui sortir. Et celle-ci était la même que dans le passé, moins discrète, et encore plus présente. Passant tout de même nerveusement une main dans ses cheveux, il le regarda légèrement sérieusement, avant de hocher un peu la tête.

"Non je n'oublie pas. Tu veux savoir ?, lui dit-il doucement avant d'essayer de capter son regard, Je le suis. Je suis attiré par toi. répondit-il avant de balancer sa tête en arrière sur le dossier? Et oui, je nage encore, mais tu le sais déjà." murmura-t-il dans un sourire.

Soupirant un peu, il se frotta la mâchoire, lui lançant de fins regards pour regarder sa réaction. Peut-être que finalement, cela ne le réjouissait pas plus que cela. Il se retrouverait sûrement bien bête, mais moins qu'avec la question de substitution que lui avait trouvé Eun. S'il nageait encore ? Mais il avait bien dû voir que, lorsqu'il était arrivé ce matin après son entraînement, il avait débarqué avec les cheveux trempés. C'était assez mignon  à voir en y pensant. Une fleur perturbée. Rigolant doucement, encore étonné de ce revirement de situation, il ne put que se demander s'il lui restait même une chance avec le fleuriste. Autant tenter le tout pour le tout. Si cela se trouvait, il ne le reverrait jamais après ça. Cette rencontre qui s'offrait à lui comme opportunité de relier un peu avec le passé, de combler ce vide qu'il avait ressenti depuis cette soirée. Se reprenant alors, il plissa un peu ses yeux en le regardant légèrement. Cette légère faiblesse qui s'était interposée entre les deux, lui avait semblé durer une éternité. Si c'était le genre de question que voulait entendre Eun, alors il essaierait de s'y plier.

"Tu es en couple ? demanda-t-il d'une légère voix, Ou alors tu as des vues sur quelqu'un ?" rectifia-t-il après coup.

Il était enfin lancé. Le nageur n'avait jamais dû être aussi direct avec quelqu'un depuis des années, et pourtant, il avait l'impression de pouvoir demander à Eun. Tout, même ce qu'il se serait jamais vu faire. Déjà que là, en lui ayant emboîté le pas dans ce domaine, il franchissait de loin ses limites. Celles qu'il se fixait avec un peu tout le monde. Mais celui qui était à côté de lui n'était pas tout le monde. Il était lui, unique, et toujours la même personne, qu'il le veuille ou non. Qu'allait-il même faire après avoir obtenu sa réponse ? Il n'irait sûrement pas se lancer dans le vide, sans filet de sécurité. Et c'était pourtant ce qu'il était parti pour faire. Ses yeux se baissèrent légèrement sur leurs deux mains, tandis que l'envie de prendre la sienne au creux de sa peau le démangeait. Cela ne se faisait pas. C'était comme si il avouait d'ores et déjà ce qu'il avait voulu lui dire auparavant. Il savait pourtant qu'il devait se détacher de cette époque, qu'il devait passer à autre chose comme Eun l'avait si bien fait. Complexe et douloureux étaient ces souvenirs enfouis. C'était ce qu'il avait cru pouvoir faire depuis toutes ses années, se libérer. En y regardant de plus près, il n'avait pas changé lui, non, il était resté le même à quelques détails près.

De ces regards remplis de questions, de joie ou de pur sympathie, il ne parvenait plus à décrocher son regard de ce si doux visage. Encore. Oui. C'était tout ce qu'il avait trouvé à faire que de le regarder. Lui et les contacts humains, s'ils n'étaient pas forcés n'étaient pas dans ses habitudes. La communication subtile qu'il savait si bien faire ne semblait pas pour autant fonctionner avec Eun. Déjà parce que depuis des heures, il ne faisait preuve d'aucune discrétion pour l'admirer, et qu'en plus de cela, il ne cherchait même pas à le faire. S'il devait se faire griller alors tant pis. Mais les gestes du plus jeune le déstabilisaient, le rendait complètement idiot en outre. Il n'avait jamais su lui résister après tout, et ce n'était pas aujourd'hui que cela allait changer. Lui faisant un léger sourire, il se rapprocha un peu de lui, sans dire un mot, jusqu'à enfin le regarder droit dans les yeux.

"Et je te renvoie bien évidemment ta question. Toi. Que penses-tu de moi ?" demanda-t-il doucement.

Les règles du jeu, il les avait un peu envoyées se faire voir. Maintenant, c'était une sorte de moment révélation entre les deux, sur échanges de questions en tout genre, enfin, en tout cas, cela l'était devenu pour le Baek. Il ne voulait pas de ces réponses lambda qui le complimentait en permanence. Des mots sans sens, des tournures beaucoup trop rabâchées. Il voulait savoir, s'il était le seul à complètement sombrer pour les yeux de l'autre, pensant même qu'il devrait s'y noyer. Drôle de façon de penser pour un nageur. Se noyer, cela lui était compliqué. Quoi que, si c'était pour goûter ne serait-ce qu'un peu à la douceur de son regard, il ne pouvait pas dire non. De toute manière, Eun avait voulu le rayer de sa vie. Il ne devait pas chercher plus loin, et il ne s'imposerait pas. Son attirance pour lui ne devait pas prendre le dessus. Clignant des yeux, il se recula un peu sur le coup des émotions. C'était de pire en pire. Il devait passer pour un total imbécile à présent. Il n'avait pas cherché cela en l'invitant à dîner avec lui. Il avait juste voulu renouer une complicité avec lui, un lien. Au final, il en repartirait le cœur encore plus rempli de sentiments qu'il ne l'avait été. Qu'est-ce qui n'allait pas avec lui ? Tout. Rien n'allait. Et il se sentait terriblement bête de se laisser emporter par son excitation du moment. Il avait peur que rien ne dure, de le voir disparaître à nouveau. Il ne pouvait pas effacer cette petite flamme qui brûlait encore pour lui et qui ne s'était jamais vraiment éteinte avec le temps. Il la sentait encore se rallumer doucement, comme de simples braises qui lui faisaient signe.