more than words • casler

Ce n'était pas une bonne journée. Loin de là. A croire que les dieux, le destin, le karma, peu importe, en avait après Tyler. Et pourtant, à le voir on aurait pas cru. Du moins au premier abord. Son visage était fermé, ne laissait absolument rien transparaître comme s'il était parfaitement imperméable à ce qui lui tombait dessus. Evidemment ce n'était qu'une façade. Parce qu'il n'avait jamais su comment exprimer ses sentiments, il n'avait jamais parlé de ses problèmes ou même tout simplement de sa vie privée. Il était "ce type mystérieux" depuis ce qui lui semblait être une éternité. Quelques mois ne suffiraient pas à changer ça, même quelques années... Même si avec certain(e)s c'était plus évident qu'avec d'autres...

Quoi qu'il en soit, Tyler s'était complètement renfermé et n'était certainement pas d'humeur à parler, contrairement à Jenna qui était venue avec lui et qui, pleine de bonnes intentions voulait le faire parler pour qu'il se "libère". « Jenna, je sais que tu essaies d'aider, ok ? Mais si tu pouvais juste arrêter, ça m'arrangerait. » lâcha t-il froidement en tournant la clé pour entrer dans son appartement. Enfin, appartement qu'il partageait avec Casey. Il balança les clés sur le comptoir avant de se débarrasser de sa veste pour ensuite se diriger vers le bar et se servir un petit verre sous le regard désapprobateur de sa petite-amie.  « L'alcool ne t'aideras pas Tyler. Ce n'est pas dans ton verre que tu trouveras des réponses... » « Des réponses ? Mais j'ai pas besoin de réponses ! J'en sais déjà assez, j'en sais même trop. Arrête de dire des conneries s'il te plait. » Il avala son verre d'une traite avant de s'en préparer un second. Pourquoi ne pouvait-elle pas comprendre qu'il ne voulait pas parler ? Elle savait pourtant comment il fonctionnait. Elle avait insisté pendant genre six mois avant qu'il ne lui parle de Casey. Alors est-ce qu'elle croyait vraiment que cette fois-ci même pas une journée suffirait pour lui délier la langue ? « Je veux juste que tu saches que je suis là pour toi si tu veux... » « ...parler ? Non. Je n'ai pas envie d'en parler et je n'en aurais pas envie plus tard non plus, va falloir que tu te fasses une raison et que t'arrête de me traiter comme si j'étais ton oeuvre de charité privée ou je ne sais quoi ! » « Pardon ? » « Fais pas semblant de pas comprendre ! T'arrête pas de me dire "si tu veux parler, si tu veux parler". NON. Je suis pas le genre de mec qui s’apitoie sur son sort et te déballe toute sa vie en pleurant, ok ? Alors si c'est ça que tu cherches, la porte est là ! » s'exclama Tyler avec plus de colère dans la voix qu'il ne l'aurait voulu, désignant la porte d'entrée. « T'es pas ce genre de mec hein ? Alors arrête de jouer les martyrs putain ! Regarde toi tout renfrogné, renfermé, à te noyer dans l'alcool, les joints, l'adrénaline... Tu fais tout pour te faire plaindre ! » « Je crois que tu ferais mieux de partir. » « Et voilà, encore une fois tu rejettes ceux qui... » « BARRE-TOI PUTAIN! » s'écria t-il cette fois, balançant son verre -vide- contre le mur. Cet accès de violence ne lui ressemblait pas. Et même s'il n'avait eu aucune animosité envers Jenna en particulier, qu'il ne l'aurait pas touchée et ne l'avait pas touchée, cet accès de colère l'emplit instantanément de culpabilité. Sans un mot il s'assit sur le canapé, alluma sa console et mit son casque comme une énième qu'il dressait entre lui et le monde extérieur. De son côté, Jenna quitta l'appartement, laissant place à la colocataire de Casey qui avait visiblement bien choisi son moment pour rentrer.

« Je peux monter ? » La question avait été posée avec malice, de ce ton que Casey connaissait bien à Jack. Parfois, il paraissait beaucoup trop sérieux et à d'autres moments, comme celui-ci, les mots sonnaient avec une douce légèreté. Aussi y répondit-elle avec un rire un brin moqueur tout à fait assorti. « Certainement pas ! Je me lève beaucoup trop tôt demain pour prendre le risque que la soirée s'éternise ... » Elle flirtait et ne s'en cachait pas. C'était ce qu'ils avaient fait toute la soirée, après que le frère de Trish lui ait proposé de sortir et que, contre toute attente, l'infirmière - enfin non, interne désormais - ait accepté. Rendez-vous qui aurait pu se terminer d'une manière qu'ils connaissaient déjà plutôt bien, mais Casey Griffith avait décidé de se montrer raisonnable - preuve de maturité si ahurissante venant d'elle que Jack en haussa un sourcil. « Je vois ! On se fait désirer ! » « Ou on se lève à cinq heures, contrairement à d'autres artistes que je connais ! » rétorqua-t-elle du tac-au-tac en souriant. Et puis, après tout, ils n'étaient pas pressés. Jack n'avait pas prévu de repartir tout de suite, quant à elle, elle ne se sentait pas se précipiter dans une histoire dont elle n'était même pas certaine de vouloir, qu'elle soit ou non sans lendemain. Rien à voir avec le fait qu'elle vivait avec le fait qu'elle vivait avec Tyler. Ou chez lui : elle n'avait pas encore tranché sur la sémantique. Vraiment, aucun rapport. « Très bien ! J'espère que ce n'est que partie remise, dans ce cas. » « Qui sait ? Appelle-moi, j'aviserai. » Avant qu'elle ne se détourne, le jeune homme se pencha et lui vola un baiser. Court, bien qu'intense, de ceux qui trahissaient toutes les promesses. Après un bref au revoir, il la regarda disparaître dans l'immeuble.

Encore étourdie par l'émotion qui l'avait assailli - et les mojitos, évidemment -, elle glissa la clef dans la serrure de l'appartement. Au moment où un éclat de voix hargneux retentissait derrière le battant, suivi d'un bruit de verre brisé. Elle s'empressa d'ouvrir, tombant nez-à-nez avec la petite-amie de Tyler qui, elle, faisait le chemin inverse. « Jenna ? Ça va ? » Les traits de la jeune femme étaient crispés, elle crut même voir une paire de larmes couler. « Oui, ça va. Tyler est juste ... Il n'est pas dans son assiette. Bonne soirée, Casey. » Et sur ces mots sibyllin, Jenna sortit. De son côté, la brune s'empressa de rejoindre le salon, le verre crissant sous ses talons alors qu'elle découvrait son colocataire à la mine revêche, planté devant un jeu vidéo. On aurait dit un gamin de quinze ans en pleine crise d'ado. Charmant. « Il se passe quoi ici ? » Pas de réponse. Forcément, il ne l'entendait pas. Ou faisait comme si, en tout cas. Néanmoins, il en fallait plus pour décourager l'infatigable Griffith. L'instant d'après, elle se plantait entre la télévision et Tyler, bras croisés, sourcils haussés en signe d'interrogation. « J'ai dit : il se passe quoi, ici ? » répéta-t-elle une fois qu'il eut retiré son casque, probablement pour s'agacer un peu plus, et contre elle cette fois. Qu'il ne se ménage pas, malgré ce qu'elle avait dit à Jack pour mettre un terme à leur soirée, elle pétait la forme. « La femme de ménage arrive que la semaine prochaine. Du coup, je te propose d'attendre un peu avant de péter la vaisselle, rapport au fait que je nettoierai pas tes sauts d'humeur. » Très en forme.

Tyler avait conscience d'avoir été un peu dur avec Jenna. Il savait qu'elle ne cherchait qu'à l'aider. Mais tout ça devenait trop... étouffant. Cette façon de vouloir le faire parler à tout prix, d'être à l'écoute, attentive, toujours prête pour des confessions, des repentances, des grandes déclarations... Evidemment ça partait d'un bon sentiment, mais à la longue... c'était tout simplement lourd. Alors certes en temps normal c'était plutôt charmant qu'elle s'inquiète pour lui et qu'elle soit là pour lui, mais en ce moment précis ce n'était pas de ça dont il avait besoin. Et elle aurait du le comprendre. Du moins si elle le connaissait autant qu'elle voulait bien le faire croire. Elle aurait du comprendre que certaines situations n'ont pas besoin d'être explicités, aussi traumatiques puissent-elles être. Ce n'était pas le cas. Et Tyler n'avait pas envie de subir d'interrogatoire, de se sentir comme un animal blessé que Jenna aurait pris comme sa mission de remettre sur pieds. Alors il s'était montré plutôt... odieux. Il le reconnaissait volontiers. Mais au moins, à présent, il était seul, il pouvait prendre le temps de digérer les nouvelles de la journée. Parce que oui, il n'avait été tenu au courant qu'au cours des dernières heures. Cependant, c'était sans compter sur l'arrivée de Casey. En la voyant entrer il aurait du savoir qu'il n'aurait pas encore la paix. Il l'avait pourtant espéré, se concentrant sur son jeu stupide pour occulter le monde extérieur et ses conséquences. Mais Casey était venue se placer devant l'écran, l'obligeant à retirer son casque d'un geste brusque accompagné d'un soupir qui en laissait voir long sur son agacement. « Rien putain ! Vous vous êtes laissées le mot pour me casser les couilles aujourd'hui ou comment ça se passe là ? Merde ! Et puis je t'ai jamais demandé de nettoyer mon bordel alors si tu pouvais laisser tomber les grands airs de moralisatrice, c'est franchement pas le moment là ! » A croire qu'elles s'étaient liguées contre lui quoi... Certes il savait que Casey était du genre à démarrer au quart de tour. Mais depuis quand elle lui faisait la morale en mode "je t'oblige à me parler en mettant mes points sur les hanches et en te rappelant que je suis pas ta maman". Sauf qu'il ne lui avait jamais demandé quoi que ce soit. D'ailleurs il voyait pas tellement en quoi un verre brisé - un verre qu'il avait lui-même acheté d'ailleurs pour ce que ça vaut - pouvait être son affaire. C'était presque à croire qu'elle cherchait la guerre. Sans aucune raison. Il ne lui avait rien fait après tout. Enfin, jusqu'à ce qu'il l'ouvre. Était-ce vraiment trop demander qu'on lui foute la paix, qu'on le laisse se vider la tête ne serait-ce qu'une heure ? « Ecoute, désolé c'est pas contre toi, ok ? J'ai juste besoin qu'on me laisse un peu respirer. » ajouta t-il d'un ton plus posé, désireux de ne pas envenimer sa relation avec Casey. C'était sa colocataire à présent, ce ne serait pas très judicieux de se la mettre à dos.

Ah, Tyler chonchon ! Tout un roman que cette histoire-là ! Ses coups de sang, elle les connaissait par cœur, certainement parce qu'ainsi qu'il l'avait souligné le soir où il lui avait proposé d'emménager - proposition qui tenait toujours le lendemain, étonnamment -, ils avaient vécu à mi-temps ensemble pendant plus d'un an. Sans compter les quelques semaines qu'elle avait passé dans son ancienne villa, jamais assez grande pour que ne résonnent pas quelques cris dans les moments délicats. « Rien putain ! Vous vous êtes laissées le mot pour me casser les couilles aujourd'hui ou comment ça se passe là ? Merde ! Et puis je t'ai jamais demandé de nettoyer mon bordel alors si tu pouvais laisser tomber les grands airs de moralisatrice, c'est franchement pas le moment là ! » Léger mouvement de recul tout de même. La machine était donc déjà bien en route avant qu'elle débarque, pas besoin de forcer le moteur. « Wowowoh ! Tu parles à qui, là ? Je tombe sur ta meuf qui se barre avec une tronche de six pieds de long, un verre cassé et il faudrait que je trace comme si de rien n'était ? Non mais ok, si tu veux la jouer comme ça, aucun problème ! Fais ta vie ! » rétorqua-t-elle en levant les mains, signe évident de reddition. Elle n'insisterait pas, ce n'était pas son genre. Et ça lui apprendrait à se mêler de ses affaires. « Ecoute, désolé c'est pas contre toi, ok ? J'ai juste besoin qu'on me laisse un peu respirer. » Elle haussa les épaules. Après tout, tout ceci, quoi que ça puisse être, ne la concernait pas. Personne n'était blessé, son coloc' faisait sa tête de cochon, Jenna devait larmoyer quelque part entre ici et son propre appart' ... Bref, rien qu'elle ne puisse apparemment régler. « On fait comme ça ! » Pas vexée pour deux sous, ni vraiment énervée finalement, elle lui laissa le salon et disparut dans le couloir. Notons qu'elle ne lui avait pas demandé de ramasser : il avait beau être de sale humeur, elle le savait suffisamment intelligent pour ne pas prendre le risque que l'un d'eux atterrisse à l'hôpital. La journée avait l'air d'avoir été suffisamment merdique pour lui comme ça.

Puisque tout le reste des lieux lui appartenaient pour l'instant, elle prit le temps d'une bonne douche pour se rafraichir les idées. Ses pensées oscillaient entre les quelques heures passées avec Jack et la petite altercation avec Tyler. Autant dire que les premières étaient plus agréables que les secondes. Heureusement, les trente minutes suivantes, son attention fut happée par un appel de sa mère. Ces derniers temps, Rose Griffith avait besoin de s'épancher. Contrairement à Tyler, elle ne connaissait que peu de barrières à ce niveau et Casey avait plus ou moins été désignée comme psychologue par intérim. Etant donné qu'elle avait fui à quelques milliers de kilomètres pendant un an, la jeune femme acceptait sa pénitence - même si, les premiers jours d'inquiétude passées pendues aux lèvres de sa mère, elle en profitait désormais pour s'occuper pendant que celle-ci soliloquait à l'autre bout du fil. En l'occurrence, à moitié allongée sur son lit, elle checkait son fil instagram tout en lorgnant l'écran d'un œil bovin, presque la bave aux lèvres. Vision au moins aussi attirante que le pyjama qu'elle avait enfilé, un tee-shirt de deux tailles trop grand siglé « too sexy for my shirt » - hilarant - accompagné d'un short orné de licornes en train de se soulager d'adorables étrons couleur arc-en-ciel. Heureusement que Jack n'avait pas passé la nuit avec elle, il aurait a-do-ré les efforts qu'elle déployait pour mettre en valeur sa féminité.

L'oreille encore brûlante du monologue maternel, elle finit par quitter sa chambre et passa par la cuisine où elle se prépara un saladier de popcorns. Quelques minutes plus tard, elle revenait au salon où elle se laissa tomber lourdement sur le canapé aux côtés d'un colocataire toujours aussi concentré. Elle lui agita une des deux bières qu'elle avait ramené sous le nez. « Si tu veux bien éteindre ton destructeur de neurones, j'en ai un autre beaucoup plus interactif à te proposer. Allez, quelques indices : ça passe sur la NBC, ça chante et Adam Levine est beaucoup trop sexy ! » Bah quoi ? Tant qu'à se fusiller le cerveau, autant y aller à deux, non ?

Tyler avait conscience que sa façon de réagir n'était pas la meilleure. Qu'il se renfermait, qu'il intériorisait, qu'il rejetait le monde entier. Mais il avait du mal à comprendre les paroles de Jenna. Certes son comportement n'était peut-être pas très mature, mais de là à dire qu'il faisait tout pour se faire plaindre... C'était entièrement faux ! Justement il ne voulait pas d'aide, il voulait qu'on lui foute la paix, en quoi c'était chercher à se faire plaindre ? Il avait du mal à comprendre. Et même s'il tentait de se vider la tête avec ces stupides jeux vidéos, ces mots tournaient en boucle dans son crâne. Il devait bien reconnaître que sa réaction n'était pas très mature. Cependant, il considérait que dans ce cas précis il avait droit de ne pas l'être. Surtout qu'on ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas gagné en maturité ces derniers temps, depuis l'accident plus précisément (à moins que ce soit le départ de Casey qui ai joué l'élément déclencheur). Tyler continua de jouer, réussissant les missions une à une, ne faisant une pause que pour mettre le verre brisé à la poubelle. Finalement son jeu vidéo eu raison de lui, il réussit à oublier ses problèmes, sa dispute avec Jenna, ses mots injustes - bien qu'un peu mérités quand même - envers Casey, il oublia tout. Jusqu'à ce que cette dernière ne le rejoigne sur le canapé et n'attire son attention avec deux bières, ce qui eu pour effet de lui faire enlever son casque. Enfin, ça et la tenue de Casey qui le fit éclater de rire. « Waouh, tu pousses le sex-appeal à un nouveau level dis-moi ! Alors ça y est tu as renoncé à toute vie sociale, amoureuse et sexuelle ? » lança Tyler en riant, essayant d'occulter la connerie qu'il venait de dire. Oh et puis merde, ils étaient amis pas vrai ? Ils devraient pouvoir dire ce genre de choses ! « Ok c'est vraiment pour toi. Et Adam Levine. » lança t-il finalement en esquissant un petit sourire complice. La minute d'après il avait déjà posé son casque et sa manette dans le meuble sous la télé, éteins la console et changé de chaîne juste au moment où une publicité annonçait le programme qui commencerait bientôt (dans environ une vingtaine de pubs probablement). « Oh merde c'est la finale ! C'est plus drôle quand c'est les auditions et qu'on les découvre. Quoique, au moins on se tape pas les portraits à l'eau de rose. » Les pieds sur la table, Tyler fixait l'écran en sirotant la bière que Casey lui avait apportée. « Eh, ça te dit de la pizza pour accompagner la bière ? » proposa t-il alors. Et puis il connaissait la passion de Casey pour la nourriture, quelque part c'était un peu sa façon de racheter sa conduite.

S'il était une chose que Casey connaissait aussi bien que les disputes avec Tyler, c'était comment se réconcilier. Le mieux était, le plus souvent, de faire comme si rien ne s'était passé. Un peu d'alcool et de nourriture, ajoutée à une promesse de « Malaise TV » était, généralement, imparable. Et il fallait compter sur la jeune femme pour en faire des tonnes - malgré elle - dans cette même optique, en témoignait son pyjama dont le pompier ne manqua pas d'en souligner la subtilité. « Waouh, tu pousses le sex-appeal à un nouveau level dis-moi ! Alors ça y est tu as renoncé à toute vie sociale, amoureuse et sexuelle ? » Elle baissa le nez sur son tee-shirt, lorgna du côté des licornes ... Bah quoi ? Il aurait dû se réjouir qu'elle lui ait épargné les paillettes, plutôt que de se moquer des motifs dont elle lui avait fait grâce, tiens ! Un sourire sans-gêne répondit à Tyler. Mais puisqu'il enchaînait, acceptant sa proposition de télé-réalité - essentiellement pour lui faire plaisir, évidemment, pas du tout parce qu'il supportait sans doute aussi peu qu'elle qu'ils restent fâchés -, elle n'en eut pas l'occasion. « Surtout pour Adam Levine, avoue ! » rigola-t-elle avant de s'envoyer une bonne gorgée de bière, suivie d'une poignée de popcorns. Le mélange dans son estomac risquait d'être détonnant, mais tant qu'il se remplissait, ce dernier s'adaptait à à peu près tout. Elle ramena ses jambes en tailleur, le saladier au milieu, alors qu'elle sentait ses épaules se détendre à nouveau. Un rire lui échappa à l'évocation de la mise en scène dont la télévision américaine avait le secret. « Crie pas victoire trop vite ! Y en aura bien un pour nous raconter qu'il chante cette chanson pour sa mémé morte dans un accident de déambulateur ! » Voyeurisme totalement assumé pour sa part, tout comme la blague d'un goût douteux. En revanche, la proposition de Tyler, elle, était bien plus agréable en bouche. « Quatre fromages pour moi, s'il te plaît. » répondit-elle aussitôt. Elle comprenait l'intention qui se cachait derrière et c'était aussi sa manière d'accepter ses excuses, tout comme il avait accepté les siennes sous forme de bouteille de bière. Elle le laissa commander pendant qu'elle commentait chaque publicité - pas du tout agaçant, puis coula un regard mutin vers lui quand il eut raccroché. « Au fait, tu sauras que je n'ai renoncé à rien du tout, mauvaise langue ! » reprit-elle, revenant au premier sujet de conversation. « J'étais justement à un rendez-vous avant de rentrer ici. Avec Jack, le frère de Trish. » Elle releva le menton, faussement fière de l'avoir détrompé. Effet qui ne dura pas longtemps, elle n'était pas très douée pour se pavaner. « Mais je l'ai laissé en bas, parce que je crois que je préfère mes pyjamas moches, mes huit heures de sommeil et peut-être même mon colocataire ronchon, à une épuisante partie de jambes en l'air. » Elle s'interrompit, écarquillant les yeux, comme victime d'une Épiphanie. « Merde ! Maintenant je comprends pourquoi on m'appelle madame ! » geignit-elle, pour mieux noyer cette révélation dans une autre poignée de maïs soufflé.

« Achève-moi de suite ! » répliqua Tyler à l'idée que les candidats dédicacent leurs chansons à un quelconque grand-parent décédé, histoire de faire pleurer dans les chaumières et de gagner quelques votes au passage. C'était le genre de truc qui donnait à Tyler l'envie de se tirer une balle. Jouer sur les cordes sensibles pour gagner c'était quand même moralement discutable. Il proposa alors à Casey de commander des pizzas. Quitte à se taper un programme à la con, autant en faire une excuse pour mal-bouffer. Il ne lui fallut pas plus de trois minutes pour attraper son téléphone et passer commande à sa pizzeria habituelle. Certes, il n'habitait pas là depuis super longtemps, mais il avait déjà une pizzeria habituelle, comme quand il habitait à Creenshaw. Tyler et la pizza c'était une grande histoire d'amour, la seule qui malgré les années tenait le coup d'ailleurs. Il n'avait eu qu'à téléphoner, demander "la commande habituelle, plus une quatre fromages" et c'était réglé. D'ici vingt minutes maximum on entendrait la sonnette retentir et l'odeur de pizza envahir l'appartement. Il avait à peine raccroché que Casey intervenait pour "rétablir la vérité" sur sa vie sociale, sentimentale, sexuelle... D'ailleurs pour le coup Tyler aurait mieux fait de la fermer. Même si d'un autre côté, ils parlaient normalement, il n'y avait pas vraiment de gêne. C'était agréable, même plus que ça, parce qu'il retrouvait son amie et ça faisait du bien. Même si bien évidemment les choses étaient plus compliquées que ça. Il ne put s'empêcher d'éclater de rire quand elle pris conscience de pourquoi on l'appelait "madame", enfin à ce qu'elle croyait. « A moins que tu cries sur tous les toits que tu t'envoies pas en l'air je doute que ce soit la raison pour laquelle on t'appelle "madame" ! » lâcha Tyler après s'être enfin calmé. Bon sang, ça faisait du bien de rire ! Après la journée de merde qu'il avait passé... Jamais il n'aurait cru finir la journée en riant. Enfin, la journée était encore loin d'être finie. « Désolé que ton rencart ai été si nul. » dit-il finalement, esquissant un sourire. Il était sincèrement désolé pour elle. Mais d'un autre côté... peut-être pas tant que ça. « Me regarde pas comme ça ! Tu me feras pas avaler que t'as pas fini la soirée avec lui pour le seul plaisir de regarder The Voice en ma délicieuse compagnie... » Peut-être que c'était le moment où il devait la fermer, avant que les choses dérapent. Parce qu'avec Casey ça avait tendance à déraper à chaque fois, très vite, sans qu'aucun des deux ne s'y attende. Mais cette fois c'était différent pas vrai ? Ils étaient amis, donc les dérapages ne devraient plus arriver. C'était simplement une... question d'adaptation, à leur nouvelle relation. Oui, il fallait qu'ils s'adaptent. Et ça avait plutôt l'air d'être sur la bonne voie. « Mais je dois reconnaître que je suis content que tu sois là. Je crois que tu dois être la seule à savoir comment me redonner le sourire quand ça va pas. » Il fit une pause avant de se mettre à rire doucement. « Merde ça sonnait moins gnangnan dans ma tête. »

« A moins que tu cries sur tous les toits que tu t'envoies pas en l'air je doute que ce soit la raison pour laquelle on t'appelle "madame" ! » Casey lui renvoya un regard faussement terrorisé. « Tu insinues que j'aurais des rides ?! » Question purement rhétorique s'il en était. Elle n'avait aucun ride ou stigmate de « vieillesse » qui aurait pu trahir sa trentaine approchant dangereusement. Décennie qu'elle abordait d'ailleurs plutôt avec sérénité, tout comme, au final, le fait de perdre certaines de ses vieilles habitudes - comme faire une nuit blanche pour embaucher à 5h le lendemain. Maintenant, elle s'en remettait beaucoup moins bien qu'avant. Bien que d'après Tyler, ce changement était moins dû à une sagesse nouvelle qu'à la qualité de son rendez-vous avec Jake. Elle faillit s'outrer, défendre le frère d'une de ses meilleures amies ... Pour mieux se raviser. Même dans sa tête, son exclamation visant à nier sonnait un peu faux. Non pas que la soirée fut « nulle », loin de là, toutefois, malgré l'intense flirt, il manquait quelque chose. Une étincelle ? Des petits papillons dans le ventre ? Dans ce goût-là. Bref, on ne pouvait pas dire qu'elle avait été transportée par cette entrevue avec son ex petit-ami. Réaction que son interlocuteur dut remarquer puisqu'il s'exclama : « Me regarde pas comme ça ! Tu me feras pas avaler que t'as pas fini la soirée avec lui pour le seul plaisir de regarder The Voice en ma délicieuse compagnie... » Elle rit franchement. Dans la mesure où ce n'était pas prévu, non, effectivement. Mais quand même ... « Je te dis, je préfère mon colocataire ronchon. Les goûts et les couleurs, hein ! » répliqua-t-elle en haussant les sourcils, pleine d'autodérision. Et honnête, pour le coup. Avec Tyler, elle pouvait mettre un pyjama très moche et se bâfrer de popcorn sans craindre son jugement. Parce qu'elle savait d'avance qu'il se moquerait d'elle et qu'elle s'en tamponnerait l'oreille avec une babouche. C'était simple. Ça l'avait toujours été. Jusqu'à ce que ça se complique, tout du moins.

Elle lui adressa un sourire complice, pensant qu'ils allaient en revenir à un sujet encore plus trivial que  son célibat assumé, quand il dit deux phrases qui attirèrent toute son attention. L'aveu était surprenant, sachant que d'une part, elle avait réussi à le mettre encore plus en boule une heure plus tôt. D'autre part, ce n'était pas le genre du pompier de se laisser aller à des confidences aussi ... Personnelles. Incluant des émotions réelles. « Merde ça sonnait moins gnangnan dans ma tête. » « Tu m'étonnes ! » lâcha-t-elle sans réfléchir, dissimulant très mal sa surprise. Elle secoua la tête aussitôt, consciente que sa réplique manquait carrément de tact. « Enfin, je veux dire, tant mieux et ... Je suis contente si deux bières et trois blagues lourdes suffisent à ton bonheur ! Je crois même que j'en suis un peu fière ! » Son sourire trahissait sa propre joie. Elle n'avait pas vocation à rendre les gens heureux, néanmoins, si elle pouvait y contribuer, elle prenait aussi. Surtout si ça concernait Tyler. « Puisqu'on en est là, je peux te dire que c'est cool de vivre ici, avec toi. Je me suis rendue compte que depuis que j'ai emménagé, dès que je passe la porte et que t'es dans le coin, j'oublie une journée merdique, la chimio de mon père et ... Tous les trucs qui me parasitent depuis mon retour. J'ai squatté pas mal d'endroits différents ces dix dernières années et on dirait bien que c'est celui où je me sens le mieux. » Sur cette confidence, elle reprit une gorgée de bière, glissant une œillade vers lui. « Ça sonnait tout aussi gnian-gnian dans ma tête, par contre. » finit-elle avec un sourire en coin un brin malin. Et, en croisant le regard du jeune homme, la sensation que ce « quelque chose » qu'elle ne trouvait plus avec Jack n'avait pas eu le bon goût de disparaître avec le pompier. Ou, en tout cas, ne demandait qu'un coup de pouce pour se raviver. Mieux valait ne pas pousser le vice.

« J'insinue que t'es pas une petite chose fragile et innocente. T'en impose un max, les gens sont intimidés c'est tout ! » répliqua Tyler avec un petit clin d'oeil complice. Il aurait très bien pu lui balancer que oui, elle avait quelques rides, et qu'il allait falloir qu'elle se mette à guetter les cheveux blancs et qu'à Noël il lui offrirait la panoplie dentier-sonotone-déambulateur... Mais Casey était loin d'avoir des rides ou des cheveux blancs, ou un quelconque signe de vieillesse. Et du reste, même si elle en avait, aucun doute qu'elle serait toujours aussi belle ! Bah quoi ? C'est pas parce qu'on a déjà commandé qu'on peut pas jeter un œil sur l'assiette du voisin... Et puis merde, il avait des yeux quoi. De toute façon, l'eau avait coulé sur les ponts, et avoir ce genre de pensées aujourd'hui ne mènerait pas au désastre assuré. Pas vrai ? De toute façon s'il ne pouvait pas être honnête avec Casey, avait qui le serait-il ? Elle avait été sa partenaire pendant deux ans, elle avait été la première dont il était tombé amoureux, elle avait été la première à savoir pour sa mère... Forcément ça créait des liens. Et aujourd'hui qu'ils étaient réunis et vivaient sous le même toit... ça faisait du bien de retrouver celle qui avait été sa confidente autrefois. Bon confidente était un bien grand mot étant donné que Tyler était pas tellement du genre à s'épancher sur sa vie privée. M'enfin l'idée est là. Et puis, malgré le triste spectacle qu'il y avait eu environ une heure plus tôt, Tyler avait vachement progressé, il s'ouvrait et parlait plus. Il n'y avait qu'à voir la façon dont il parlait avec Casey... D'ailleurs elle se confia également. Au moins ils étaient d'accord sur une chose: vivre ensemble s'avérait être une merveilleuse idée dans la mesure où la présence l'un de l'autre suffisait à leur donner le sourire dans les moments sombres. « Attends tu as dit... "la chimio de mon père" ? Ton père est malade ? » s'exclama Tyler étonné. Il était surtout inquiet. Pour Casey évidemment. Elle savait que sa relation avec son père était conflictuelle, mais il savait aussi qu'il y avait beaucoup d'amour entre eux. Certes perdre son père ne l'avait pas affecté lui, mais en même temps la seule fois qu'il en avait entendu parler c'était quand on lui avait montré son testament... Mine de rien avec ce qu'il s'était passé aujourd'hui, Tyler comprenait un peu ce que ça pourrait lui faire à Casey de perdre son père. « Ma mère a essayé de se suicider aujourd'hui. » dit-il alors de but en blanc. C'était sorti tout seul, peut-être pas au bon moment. Ou peut-être qu'il n'aurait même pas du le dire après tout. « Tu connais la situation avec ma mère... on est pas proches et pourtant... m'imaginer la perdre ça... me fout un coup. J'imagine pas ce que ça doit être pour toi. Enfin, au moins tu peux te dire que ton père se bat pour aller mieux lui. » reprit-il plus sérieux que jamais. D'ailleurs il n'avait probablement jamais été aussi sérieux. Excepté quand il était concentré, sur le terrain. Mais en dehors... pour parler sentiments et traumatismes... jamais. Quoi qu'il en soit, ça l'affecter que Christopher Griffith ait un cancer - parce que c'était bien de ça qu'il s'agissait hein ? - étant donné que c'était ce dernier qui l'avait soigné après son accident. « J'espère que ça ira pour lui. Tu me tiendras au courant hein ? »

Elle avait lâché l'information à propos de son père sans y penser, parce qu'elle était lancée et que, comme souvent avec Tyler, elle s'ouvrait sans filtres. Mais ce ne fut que quand il la reprit qu'elle réalisa vraiment la bombe que cela devait représenter pour quelqu'un qui n'était pas au courant. Pire, ne s'attendait pas à une telle sortie. « Euh ... Ouais. Désolée de te l'apprendre comme ça. Cancer du colon. Mais ça a été pris à temps, t'en fais pas. On s'occupe bien de lui. » Voilà que c'était elle qui s'efforçait de le rassurer, sourire à l'appui. Le garçon semblait tout à coup inquiet et la dernière chose qu'elle voulait, c'était qu'il se fasse du souci pour sa famille - ou pour elle, par extension. Sa mère se rongeait bien assez le sangs pour eux tous réunis. « Ma mère a essayé de se suicider aujourd'hui. » Son sourire se figea, avant de s'évanouir tout à fait. « Oh merde, Tyler ... » Quoi ? Je suis désolée ? Elle l'était, mais ce n'était probablement pas ce qu'il avait envie d'entendre. C'est moche ? Même Casey avait plus de tact que ça. Du coup, elle laissa sa phrase en suspens, sans savoir comment l'aborder. Ni parvenir à déterminer s'il y avait une façon de le faire. Désormais, elle comprenait mieux son attitude de ce soir, néanmoins, malgré les questions qu'elle brûlait de lui poser, elle préféra se taire. S'il avait envie de pousser la confidence, il saurait le faire sans qu'elle ait besoin de l'y pousser. Rappelons qu'elle le connaissait bien, depuis le temps. A la place, il en revint à la maladie de Christopher Griffith, faisant le parallèle avec ses propres émotions. Son empathie était terriblement touchante et elle dut se faire violence pour ne pas se laisser aller à un sanglot qui lui brûlait la gorge depuis quelques semaines déjà. A dire vrai, jusqu'ici, personne ne s'était guère intéressé à son ressenti sur ce qui se passait - sans victimisation aucune, elle n'était pas exactement une priorité, ce qui pouvait se comprendre.  « J'espère que ça ira pour lui. Tu me tiendras au courant hein ? » Elle hocha la tête, tentant un pauvre sourire pas franchement crédible. En dépit de l'agréable compagnie du pompier, de son trop-plein de glucides dû aux popcorns et au goût doux-amer de la bière, cette conversation lui plombait quelque peu sa bonne humeur légendaire. « Tu sais, c'est pour cette raison que je suis revenue. Quand elle me l'a annoncé, ma mère avait beau me dire que tout irait bien, j'étais devant l'ordi de l'asso', à fixer son image pixelisée et je me disais "merde, Griffith, qu'est-ce que tu fous là ? rentre chez toi" ! Alors que j'étais partie parce que justement, j'étais terrifiée à l'idée de perdre ceux que j'aimais, que tout se cassait la gueule autour de moi, là, d'un coup, je me suis rendue compte que ... Des milliers de kilomètres ne pouvait rien contre ce que j'éprouvais : la peur, l'amour ... Et pire, que ça se cassait la gueule quand même ! » Ses lèvres grincèrent d'un petit rire sans joie. De tout ceci, elle n'avait rien confié à Sonja. Ni à Trish. Il fallait vraiment que ce soit lui pour qu'elle s'abandonne sans crainte du gouffre en-dessous. Certainement parce qu'il pouvait comprendre ce qu'elle ressentait. S'imaginer un monde sans les personnes qui vous avaient élevé, vous avaient aimé malgré, parfois, leurs déficiences, pouvait mener à pires folies encore. « J'aurais pas dû m'en aller. » reprit-elle au bout d'un moment, tout à coup très intéressée par le saladier entre ses jambes. « Je dis pas que je regrette, c'était une super expérience, qui m'a aussi permise d'avoir ce satané concours. Je dis juste que ... Ça craint, la façon dont je l'ai fait. » On y était. La baleine sous le gravillon, le cadavre dans le placard de notre Griffith. Faute de regret, au moins des remords. Et sans doute des excuses un peu maladroites, pour ce qu'elles valaient.

Casey avait l'air touchée par les aveux de Tyler, mais probablement aussi par sa compassion. Il ignorait ce que ça faisait que d'avoir un cancer, il ne connaissait pas bien Christopher Griffith. Mais il connaissait Casey, et avoir un parent malade ne lui était pas étranger. Alors forcément il imaginait bien comment elle devait se sentir, et il tenait toujours assez à elle pour ne pas vouloir qu'elle souffre. Mais dans cette situation il ne pouvait pas faire grand chose pour elle, si ce n'est être là si elle en avait besoin. Et visiblement c'était le cas puisqu'elle se mit à son tour à se confier. C'était assez étrange d'ailleurs cette aisance nouvelle qu'ils avaient l'un avec l'autre, c'était la première fois. Ils avaient été ensemble, ils avaient couché ensemble, ils avaient vécu des choses plutôt forte quand on y pense. Pourtant, Tyler avait le sentiment qu'ils n'avaient jamais été aussi proches et intime qu'à cet instant précis. Et ça faisait du bien. D'avoir quelqu'un sur qui compter. « Je vais pas te mentir, ton départ était... un peu soudain... Mais... on a tous les deux fait des choses dont on est pas forcément fiers. Ce qui est fait est fait. L'important c'est que tu sois là maintenant. » répondit-il avec un petit sourire encourageant, posant tout naturellement sa main un peu au dessus de genou de Casey. Un mouvement qui se voulait parfaitement innocent, une façon de montrer qu'il se souciait d'elle, qu'il était là, que lui aussi regrettait les erreurs qu'il avait faites... Mine de rien, ce simple contact, pourtant des plus futiles, lui paru étrangement déplacé. Quelques secondes plus tard sa main avait rejoint l'arrière de sa tête. « Oh tiens ça commence. » lança t-il finalement en reportant son attention sur la télévision. Pendant une seconde il s'en voulu. Parce que ça aurait pu être l'occasion de lui parler de comment il avait vécu son départ, lui dire qu'il avait voulu la retenir, et tout le reste. Mais... à quoi bon ? Tout était réglé entre eux à présent, non ? Il valait peut-être mieux ne pas rouvrir ces blessures-là. « Bon, c'est qui ton favori ? Histoire que je sache pour qui voter. » lâcha Tyler en rigolant, bien qu'il était certain que Casey lui laisserait pas le choix de toute façon. Autant ramener la conversation sur un terrain un peu plus neutre et moins douloureux.

« Je vais pas te mentir, ton départ était... un peu soudain... Mais... on a tous les deux fait des choses dont on est pas forcément fiers. Ce qui est fait est fait. L'important c'est que tu sois là maintenant. » La réplique eut le mérite de lui rendre le sourire, un vrai, pas celui de travers et un peu cassé. La main de Tyler sur son genou, en revanche, la perturba étrangement. Peut-être parce qu'elle se sentait quelque peu vulnérable en cet instant. Rien de dramatique, mais suffisant pour qu'elle apprécie - ou pas - qu'il ne dure pas plus d'une poignée de secondes. « Oh tiens ça commence. » « Bah merde ! On a failli rater la grande chanson d'entrée ! Quelle énorme perte ! » rigola-t-elle tout en s'installant un peu plus confortablement. Ils avaient pu discuter de sujets qui les perturbaient tous les deux, avec cette douceur qui lui manquait parfois, et surtout beaucoup d'affection. Comme des amis, soit ce qu'ils auraient toujours dû rester - en tout cas, elle commençait à s'en persuader. C'était plus qu'agréable de ne pas avoir perdu ça. « Bon, c'est qui ton favori ? Histoire que je sache pour qui voter. » En réponse, Casey haussa les épaules, nonchalante. « Aucune idée. Le plus beau ? Celle qui gueule le plus fort ? Pour tout te dire, comme j'ai été de garde la plupart du temps, j'ai absolument pas regardé jusqu'ici ! Du coup, on va pouvoir découvrir ça ensemble ! » ajouta-t-elle avec un clin d’œil, avant de lui tendre le saladier.

Une émission débile, à boire et à manger, que demander de plus ? Ah oui, les pizzas évidemment ! Lesquelles arrivèrent environ dix minutes plus tard, quand « celle qui gueule le plus fort » partageait toute l'étendue de ses cordes vocales sur une reprise de all by myself - tellement cliché. Casey fit un sort à la sienne sans se priver. Ni tâcher son magnifique tee-shirt. Un exploit. Il ne fut donc pas étonnant qu'une fois repue, elle commença à glisser lentement, mais sûrement, jusqu'à ce que sa tête comateuse repose sur l'épaule de Tyler sans qu'elle ne s'en rende compte, ou que ce n'était peut-être pas très approprié. Ce qui ne l'empêchait pas de faire des commentaires d'une rare distinction : « Mais t'es nulle ! Comment t'es arrivée en finale, sérieusement ? Grâce à sa paire de flotteurs, j'en suis sûre ! Mate-moi ces obus ! » Jet de popcorns vers l'écran de la télé à l'appui. Pas si endormie que ça, donc. Et lourde, mais bon, le pompier devait être habitué, depuis le temps. Son portable vibra sur son ventre et elle y jeta un œil morne. Message de Jack. J'ai adoré cette soirée, Griffith ... On remet ça demain ? Elle échappa un rire, avant de lever nez et téléphone vers son colocataire. « Tu vois que je fais encore mon petit effet ! » fit-elle mine de se rengorger. La vérité, c'était qu'elle s'en moquait légèrement. Pour ne pas dire beaucoup. « Bon, par contre, il faut que je me souvienne comment on fait comprendre à quelqu'un qu'on veut bien prendre la chambre, mais pas le petit-déjeuner ... » Façon ô combien subtile de dire qu'on ne cherchait rien de sérieux. Avec cette personne, en tout cas. Ses doigts restaient suspendus devant le clavier tactile, alors que sa tête, elle, n'avait toujours pas bougé de place. Confortable, d'ailleurs. Sûrement moins que cette conversation, toutefois, vu le degré d'intimité qui s'était réinstallé - en sus de son stade avancé de fatigue -, le problème ne l'effleura même pas.

Dans un sens, Tyler se sentait idiot d'avoir changé de sujet de conversation. Mais tant pis, comme il venait de le dire "ce qui est fait est fait". Et puis de toute façon c'était probablement pour le mieux. Après tout, ils avaient une super émission à voir, n'est-ce pas ? Après avoir mangé - ou plutôt dévoré - parts de pizza sur parts de pizza, Tyler s'était renfoncé dans le canapé. Et alors que Casey glissait progressivement jusqu'à laisser tomber sa tête sur l'épaule du pompier, ce dernier sombrait peu à peu dans le sommeil. On ne pouvait pas dire que l'émission était particulièrement captivante ou intellectuellement stimulante. Ce n'était qu'une succession de gamins qui chantaient les chansons les plus clichées, entrecoupés par des portraits sur leur vie et l'élément déclencheur qui les a poussé à chanter, sans oublier les dix minutes de discussion avec les juges après chaque prestation pour dire à quel point c'était "fantastiiiiiiique". Bref, vraiment pas le genre d'émission que Tyler avait l'habitude de regarder. Il écoutait surtout, n'ouvrant les yeux que lorsque Casey s'énervait sur tel ou tel candidat à la télé, ce qui avait le don de le faire sourire. « Mmh ? » lâcha t-il en plissant des yeux quand Casey lui mit son téléphone à deux centimètres de son nez. Quelques secondes plus tard, alors que Casey se demandait quoi répondre, Tyler se redressa. Il allait falloir qu'il se réveille un peu si la conversation devait se porter sur les tribulations amoureuses de son ex-copine et actuelle colocataire. « Tu peux trouver tellement mieux que ce type... Déjà c'est le frère de Trish. Et puis sérieusement, quel genre de mec relance une fille même pas deux heures après leur rencard ? » lâcha t-il en levant les yeux au ciel sans pour autant pouvoir s'empêcher de sourire. L'idée que Casey se retrouve avec un admirateur fou d'elle alors qu'elle ne veut qu'une aventure... ouais, c'était moche, mais il trouvait ça hilarant. « Attends donne. » fit-il soudain en lui arrachant le portable des mains. Il se mit alors à taper une réponse. « Ça tombe bien... j'ai... une boîte... de capotes... à terminer... Prends des... barres énergétiques... la nuit... sera longue. » dit-il à mesure qu'il tapait les mots, alors qu'un fou rire commençait à le prendre. « Envoyé. De rien ! »

Jack et elle avaient beau eu avoir une relation, une vraie, durant quelques mois, et leur rupture n'avoir rien eu à voir avec un drame quelconque, le fait était que quelques années plus tard, ils en étaient revenus au même point. Ils n'avaient toujours pas les mêmes aspirations et pire, ainsi qu'elle s'en était rendue compte un peu plus tôt, il ne lui restait pour le frère de Trish qu'une sincère affection. Un peu d'attirance, certes, mais rien de transcendant. En tout cas, suffisante pour une nuit sympa. Rien de plus à ce stade. Peut-être que les choses changeraient au fur et à mesure des rendez-vous, toutefois, on n'en était pas là. Non, le tout, maintenant, était de se montrer claire dans ses intentions sans le froisser. « Tu peux trouver tellement mieux que ce type... Déjà c'est le frère de Trish. Et puis sérieusement, quel genre de mec relance une fille même pas deux heures après leur rencard ? » Elle leva les yeux au ciel. Dans ces moments-là, il lui faisait penser à Sonja. Elle aussi trouvait toujours quelque chose à redire sur les mecs qu'elle fréquentait. « Dis-moi surtout pourquoi il aurait dû attendre, hein ? Tu sauras que les types inaccessibles, c'est totalement has-been ! » rétorqua-t-elle en lui renvoyant un sourire moqueur. Jack était tout le contraire de Tyler, à ce niveau-là. Là où le pompier était réservé, le premier n'avait pas peur d'exprimer ses sentiments. Il n'était pas non plus du genre à s'encombrer de réflexion : quand il voulait quelque chose, il le faisait savoir. Traits de caractère qui pouvaient être engageants dans un monde où les codes de séduction voulaient qu'on ne se dévoile pas trop vite. Où il fallait faire durer le plaisir, utiliser des tours et des détours ... Ou pas. Avant qu'elle ait pu réagir, le téléphone lui glissa des mains, chipé par Tyler. « Qu'est-ce que tu fous ?! » Le temps qu'elle s'ébroue, son colocataire était déjà en train de rédiger son terrible message. « Non non non ! Arrête tes conneries ! » s'exclama-t-elle, partagée entre le fou-rire et l'indignation. Désormais réveillée, elle se redressa vivement et tenta de récupérer son précieux en tirant sur le bras du pompier - autant essayer de bouger un mur, évidemment. Foutu pour foutu, ni une ni deux, elle grimpa carrément à califourchon sur ses genoux. « Envoyé. De rien ! » « NOOOOOOOOOON ! » Elle parvint enfin à reprendre le téléphone, seulement, le « mal » était fait. « Mais t'es pas possible ! Pour quoi je vais passer, moi ?! J'ai pas la dalle à ce point ! » Elle essayait de mettre de la conviction dans son engueulade, sauf que l'effet était quelque peu entaché par les éclats de rire irrépressibles qui la secouaient. « Il est en train de répondre ! Bordel ! Il est en train de répooooooondre ! Je te jure que s'il prend ton message à la con au sérieux, tu vas le regretter ! » reprit-elle, faussement menaçante et toujours hilare, en agitant l'écran où les trois petits points apparaissaient, signe de l'extrême réactivité de son prétendant. Suspens insoutenable, n'est-ce pas ? Au moins autant que celui qui consistait à savoir quand elle se déciderait à descendre des genoux de Tyler. Éventuellement.

Tyler en avait presque des crampes à force de se marrer en écrivant ce message, ce qui n'était pas une mince affaire. D'une main il tapait, de l'autre il se protégeait contre Casey qui tentait désespérément de récupérer son téléphone. Mais elle avait fait là une grave erreur: montrer un texto à Tyler, lui demander quoi répondre et laisser le téléphone à portée de main... Elle aurait dû s'y attendre. Comment aurait-il pu résister ? Il venait tout juste d'envoyer le message quand Casey se retrouva à califourchon sur ses genoux. A l'instant où elle s'était retrouvée dans cette position, Tyler avait cessé de rire. Comme si d'un coup l'atmosphère était devenue plus sérieuse. Il laissa Casey reprendre son téléphone, de toute façon le message était envoyé. Heureusement l'attention de Casey fut détournée lorsque trois petits points apparurent sur le téléphone, indiquant que Jack était déjà en train de lui répondre. « Wow, déjà en train de répondre ? Tu as peut-être pas la dalle, mais lui si ! » s'exclama Tyler, profitant de ce prétexte pour ne pas faire attention au fait que Casey était toujours sur lui, et qu'il avait les mains posées sur ses cuisses. Il essayait d'occulter cette intimité soudaine qui l'affectait plus qu'il le l'aurait cru. Certes, depuis qu'il l'avait retrouvée, certains souvenirs lui étaient revenus en mémoire. Et il admettait volontiers avoir pensé se rapprocher d'elle, la retrouver, en tant qu'amie. Sauf que là, ça n'avait rien d'une... position amicale. Enfin, ça n'avait pas l'air de gêner Casey, il devrait peut-être jouer le jeu ? « T'inquiètes, ça ira. Dans le meilleur des cas tu récoltes une super partie de jambes en l'air, et dans le pire des cas, une super anecdote ! Alors je crois qu'on peut dire que je suis ton héros et que tu devrais me remercier ! » répondit-il, petit sourire à l'appui.