Darling, I am a nightmare dressed like a daydream // Chinsun Goo

Il y a des choses que personne ne doit savoir. Un jardin secret où seule celle qui en possède la clé a le droit s’aventurer. Pour avoir celle du cœur d’une femme, il faut faire plus que quelques questions sottes d’un journaliste à l’affut du moindre petit détail croustillant. Mais Chinsun Goo a l’habitude. Elle sait ce qui se cache réellement sous cette demande sauvage sans réelle attrait et précision. Les hommes qui se prennent pour des grands, elle en a côtoyé. De ceux qui veulent rendre leur maman fière à ceux qui la méprisent, elle ne voit en eux qu’une aide sociale. Ils pensent maîtriser le monde avec leurs airs de perfection stéréotypée. Pourtant, elle a vu nombre de ses congénères féminins arborer plus de courage qu’eux. Elles, la tête toujours hautes et les épaules droites, sont celles qui leur permettent à eux, les lèches bottes ultimes, de jouer à la popularité. Alors, elle sourit au journaliste avant de remettre gracieusement ses cheveux blonds derrière son épaule. De ses lèvres pulpeuses brillantes, elle commence à dire ce que tout le monde sait déjà. Même si, elle fait toujours en sorte que cela semble inédit. Pour garder l’exclusivité.
A l’âge de douze ans, aux portes de son adolescence, Chinsun entre dans une prestigieuse école de danse coréenne. Aux yeux de tous, elle semblait être la petite prodige à l’avenir brillant, celle qui aura tout ce qu’elle désire, et même bien plus. Elle aussi, elle le voit ainsi. Les intentions sur ses épaules sont grandes, immenses, mais elle tient le coup. Déjà, elle tombe amoureuse de l’attention qu’on lui porte. Même s’il peut paraître malsain. Cela, elle n’en a que faire. Tant qu’on la regarde être cette étincelle flamboyante au regard déjà inquisiteur. Son premier voyage aux Etats-Unis fut à Washington. Une représentation inédite, entourée de personnages hauts en couleurs. Pour elle, qui n’a que seize ans, c’est une aventure merveilleuse. Et surtout lorsqu’elle finit entre les mains d’un agent artistique de renom. Il lui offre la porte d’entrer dans le monde professionnel sans qu’elle n’est à le lui demander. Elle ne repartira plus jamais des Etats-Unis. Mais ce n’est pas à Washington qu’elle fait ses études. C’est à Los Angeles que les étoiles lui tombent sur la tête.
Quelques années plus tard, un célèbre journal de mode lui demande de poser pour sa couverture. Sans même hésiter, elle accepte, devenant l’icône provisoire d’un de ses noms si célèbres. Chinsun s’infiltre alors dans un nouvel univers, par la grande porte. Et elle se rend compte qu’elle ne peut plus se passer de cela. Il faut qu’on la regarde, qu’on soit fou d’elle. Tout plus. Encore et toujours. Son amour pour les femmes grandit. Elle les convoite, les admire. Elles lui font entendre les couleurs et voir les sons. Cela ne lui traverse même pas l’esprit, lorsqu’elle s’affiche avec sa première petite-amie, que les paparazzis se jetteront sur la nouvelle dans l’espoir de décroché les foudres du scandale. Ce n’est alors qu’une nouvelle manière de se faire voir, de se faire idolâtrer pour sa vie de rêve que l’on diabolise. Alors, ainsi, avant même que tout s’arrête brutalement, elle se fait acclamer de tous les maux et de tous les noms. Elle en rougit, s’en excite, s’exalte devant la critique qui ne fait que grimper. De son nom dans ragots, à des articles entiers sur sa personne, elle fond pour les projecteurs que son braque sur son corps et son visage. Elle devient folle de plaisir. De celui que tout le monde veut. De celui que personne n’a jamais vraiment.
Mais la luxure éclate en mille morceaux lorsque Chinsun se blesse gravement lors d’une représentation. Aussitôt, la presse people s’affole, voulant avoir le premier regard sur cette histoire. Les titres s’enchaînent et elle disparait des écrans durant un long laps de temps. Dans l’industrie de la mode, cela fut une éternité. Infinie qui lui coûta sa place de jolie cœur. Son avenir prometteur de danseuse lui file également entre les doigts. Son genou et son épaule ne lui permette plus de le faire. C’est dans un communiqué de presse affligeant, que son agent, le seul homme qui lui fut un jour cher à ses yeux, annonce sa retraite complète. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle s’effondre et devient une épave, comme d’autre aurait pu. Bien au contraire. Après un rétablissement total, elle se fait tatouer par une amie. Sur ses cicatrices d’opérations, mais également de promesses oubliées. Des roses, des coquelicots, des anémones fleurissent sur son corps, à ses endroits si importants pour elle. Une hantise qui devient objet de séduction et de désire. Elle n’a pas peur de s’exprimer dessus. Il s’agit de son combat pour s’en sortir, de sa manière de faire face à ce monde cruel qui semble vouloir la gouverner. Mais, si ce n’est pas compliqué de mettre une femme à genoux, c’est beaucoup plus complexe de la forcer à y rester.
Dans cette période, elle rencontre sa fiancée. Celle qui partagea ses draps un peu plus longtemps que les autres. Celle qui lui retint le cœur et l’attention avec plus de fougue et d’assurance que toutes ses conquêtes. Celle qui osait de lui promettre que Narcisse ne coulait pas dans son propre reflet. Et elle avait raison. Car ni l’une ni l’autre n’était ce poème. Elles étaient un mythe. Celui d’Icare et de son soleil amoureux. Chinsun était le soleil. Aucune des deux jeunes femmes ne sut qui avait craqué la première. Ou alors, elles l’avaient tout simplement fait toutes les deux. C’est si dur de vivre avec un être que la chaire unique n’arrive pas à satisfaire. Car elle ne peut s’empêcher de toujours désirer le plus, de toujours attirer à elles les autres qui succombent. Elle aime sentir chaque fragrance de leur parfum si délicat et divers. Elle aime entendre leurs voix à plusieurs timbres monter dans les aigues. Elle aime découvrir les peaux toujours plus attirantes de ses femmes dont les formes la font gémir. De cette histoire d’amour gâchée, elle en écrira un livre. Il aurait pu rester anodin. Sauf qu’il défraie la chronique et exalte le public. On ne parle plus que ses scènes d’amour à répétitions qui enchantent les demoiselles de leur propre plaisir. Couverte d’une nouvelle gloire, quelque chose s’éveille en elle. Et démarre ainsi sa nouvelle aventure éphémère. Elle se prend pour un exemple et décide de montrer aux jeunes filles comment se libérer des doctrines que les mâles leur imposent. Par ses livres, mais également par ce nouvel outil des réseaux sociaux. Elle endosse, comme tant d’autres, le rôle qui lui incombe. Celui de libérer la femme.

La lune, pourtant, possède bien une face cachée. Pourquoi celle qui porte le nom de sa déesse ne l’aurait pas également ? Des tâches sombres, il en parcourt toute sa vie. Et il s’agit bien de la seule chose dont elle ne parle pas. Il y a des choses honteuses qu’elle a avouées devant la caméra. Mais jamais de quoi la toucher elle particulièrement. Sa réputation n’est pas peut-être pas aussi lisse que du verre, mais elle n’est pas non plus froissée de cruauté. A l’instar d’autres, Chinsun fait attention lorsque rien ne va. Pas de photographe à l’affut, pas de journaux en manque de colonne. Elle sait comment camoufler la moindre imperfection sous un peu de son maquillage. Même si, parfois, c’est plus que de la poudre qu’il faut. Doucement, elle se recale dans le fauteuil de l’interview, attendant que l’homme finisse de présenter la fin de l’émission. Son sourire éclaire un instant l’écran, avant que ce ne soit le noir de la publicité qui apparait à l’antenne. On la remercie de sa venue. Elle se lève et part, glissant un regard plein de douceur à la camérawoman. Si elle savait ce qui commençait à lui courir sur la conscience, elle ne lui ferait pas les yeux de l’amour. Elle ne les lui ferait plus.
Si l’on apprenait ses origines, cela ne serait plus simplement dans les jolis tabloïdes à effet de mode. Non, elle serait dans les gros titres. Fille d’une mère prostituée et d’un père sans foi. Elle ne sait même pas si sa mère est de ceux qui prit Abraham ou ceux qui prit Mahomet. Et personne ne lui en a jamais parlé. Elle que son grand-père à élever dans le creux des vieux quartiers d’Incheon. Elle aurait pu être orpheline. Cela serait revenu à la même chose. L’un comme l’autre l’ont abandonné pour vivre une idylle impossible. Son père, toujours fou d’amour, se laisse mourir de chagrin. Et cette femme, plus personne n’en entend parler. Elle disparaît des radars, se confond avec la foule des gens. Chinsun pourrait la croiser dans la rue, qu’elle ne saurait même pas qu’il s’agit d’elle. Alors, bien sûr, cela ne se raconte pas. Personne ne sait de quoi il en retourne. Et aucun journaliste ne mettra la main sur tout cela. Car, comme énoncé plus haut, la clé des cœurs ne se trouve pas par terre.
Et puis, il n’y a pas que cela. Sous la couche de vernis des histoires qui font sourire les gens, se cache l’ombre d’une âme en peine. Bien trop poétique pour ce que la réalité est. Après son accident, après cette brisure de son caractère propre, de cette trahison du seul homme en qui elle eut cru, l’épave qui semble se relever sur toutes les feuilles plastifiées de l’écriture médiatique apparait réellement. Elle tombe, malheureusement, dans le vice de sa liqueur des cœurs. Le plaisir de la chair et l’infâme boisson des illusions. Pendant une longue période, ce n’est plus du sang qui coule dans ses veines, mais un mélange de vin, de whisky, de rhum. Elle enchaîne les conquêtes, rencontre sa fiancé, lui brise les ailes et repart. On pourra lui dire ce que l’on veut. Cette femme que ses nuits enchanteresses ont rendu accro, est bien la seule, pour le moment, à être rentrée aussi loin dans sa vie. Et cette chaleur rassurante de confidence lui manque. Alors elle comble avec ce qu’elle peut. Et ce qui lui passe sous la main. Les jeux malsains ne lui font plus peur. Elle y prend même plaisir. Celui de s’amuser un court instant. La honte, elle l’ignore et la méprise. Elle, ce qu’elle veut, c’est vivre. Désespérément.
Claquement après claquement sur les dalles toutes propres du hall, elle sort du bâtiment de son rendez-vous pour rentrer dans sa voiture. Une fois au volant, un léger soupire lui échappe. Elle ferme les yeux. Tant d’images lui reviennent en tête alors que tout se bouscule un peu dans son corps. Elle a envie d’un verre et d’une fille. Comme toujours. C’est devenu une addiction. Et c’est si dur de s’en débarrasser. Enfin, elle allume le contact pour démarrer. Peut-être qu’elle finira dans son immense salon à regarder le plafond, songeant à sa vie parfaite que les perles baroques rendent incroyablement sombre. Ou alors, elle usera de ses charmes sur une quelconque demoiselle qui lui semble à son goût. Quoi qu’il y en a une qui, depuis son scandale, rend les choses un peu plus compliqué. Bon dieu… Que ses fesses lui donnent le vertige. Un sourire s’étire alors sur ses lèvres. Elle vient de trouver ce qui la tiendra éveillée. Elle vient de dénicher celle qui lui donne envie de faire pencher la tête de Jésus sur elles. Faire rire le diable est toujours un plaisir. Surtout lorsqu'il s’infiltre dans ses veines pour faire jouir ses prétendantes. Balançant sa tignasse dans son dos, elle éclate de rire. Que cela semble intéressant maintenant. Enfin ! Elle va pouvoir retrouver ce qu’elle cherche. Cette vibration de luxure et de plaisir. Le venin de ce serpent à la pomme pécheresse.