Rat
« En réalité, son intérêt personnel passe en priorité. »
Une fleur. Brisée, éclatée sur le sol. Comme du sang, ses pétales se dispersent. Sa tige reste immobile, le corps. On entend le son des passants. Ils marchent sans vergogne sur la fleur détruite. On n'y prête pas attention. Ce n'est qu'une plante après tout ! Pas de quoi en faire une histoire. Mais elle possède une histoire. Tout comme l'enfant qui la regarde, immobile. Les battements de son cœur sont calmes. Le bouquet est parti depuis longtemps. Abandon de cette orpheline sur le trottoir, rapidement défigurée.
L'enfant tient la main de sa mère, serre de ses petits doigts l'étreinte maternelle. Elle fait quelque chose, il ne sait pas quoi. Pourtant, il reste collé à ses jambes. Hypnotisé par la fleur agonisante. Le rouge se répand, sans faire de bruit. Elle était si vulnérable qu'elle meurt facilement. Toute douceur envolée. Le cœur de l'enfant ne se serre pas face à cette vision. Il ne pleure pas, reste impassible. Depuis hier, rien ne brille plus dans ses yeux. À vrai dire, il ne sait pas pourquoi. Son esprit ne se souvient de rien. Mais son corps n'a pas oublié. Il en porte encore la trace sur la joue.
Buffle
« Le buffle croit toujours avoir raison et n'accepte pas la critique. »
Grincement. Lourd et dur. La balançoire fait du bruit. Le ciel est gris, pas très beau. Rien n'est beau dans ce quartier. L'herbe est verte maladive. La maison est petite. Il est assis sur la balançoire, se laissant porter par les va-et-vient. Le vent est froid contre sa peau. Il pleut un peu. On entend à l'intérieur des voix. Elles parlent fort, ne se préoccupent pas de lui. Il se balance tranquillement. De plus en plus fort. Il se couvre les oreilles. Ses pieds ne touchent pas le sol. La pointe frôle à peine la terre labourée. Il ferme les yeux.
Un claquement. Il gémit, se recroqueville. Il n'a pas pu dire à sa mère ce qu'il avait fait à l'école. Sa bonne note. Son stylo qui n'a plus d'encre. Le garçon qui lui donne un bonbon. Dans son petit short noir. Ses genoux sont éraflés. Il a un pansement sur le coude.
« Pourquoi ? - Ils embêtaient un escargot. » La porte s'ouvre. Il ne l'entend pas, ne la voit pas. Des bras se referment sur lui. Sursaut. L'odeur. La chaleur. Maman. Il passe ses mains dans les cheveux de la femme. Tandis qu'elle s'accroche à lui. Son petit diamant.
Tigre
« Son principal défaut se caractérise par une humeur changeante et imprévisible. »
De l'eau. Partout. Que ça. C'est blanc. Pas de couleur et trop de lumière. Des flashs. Une respiration. Avant de replonger. Il ne sent plus la douleur. Il attend que ça passe. Parce que ça finit toujours. Il se lasse de le voir rouler en boule. Attendre. Respirer. Geindre n'apporte rien. Le son sort de lui-même. Parfois. Puissant, dévastateur. Sur sa frêle protection corporelle. Son visage reçoit des éclaboussures. Les larmes se mêlent à l'eau. Alors il ne les sent pas. Les talons et la robe traînent sur le carrelage de la salle de bain. Il aurait dû être discret. Un enfant n'est pas discret.
Tout s'arrête. Il entre-ouvre ses paupières. Les bruits de pas. La porte reste ouverte. Il n'ose pas bouger. Coincé dans la baignoire. Des tremblements. Il réagit sans le vouloir. Petite statue d'ivoire. Ses larmes s'effacent comme l'eau sèche. Pour deux minutes de bonheur. Jouer avec une robe. Se sentir beau. Quelqu'un revient. Il sent quelque chose tomber sur lui. Une pile de serviette.
« Tu vas avoir froid. » Il repart. Referme la porte. Les tissus s'imprègnent de l'humidité. Il s'enroule dedans. Il a encore plus froid.
Chat
« Le chat fait tout pour éviter les disputes et les tensions.»
Balancement. Dans le vide. Rien ne bouge, sauf ses pieds. Monde immobile. L'horloge. Cliquetis. Il triture ses doigts. Des rougeurs dessus. Il ne sait pas pourquoi il est là, sur cette chaise. L'homme sévère le fixe. Accusateur. Ses yeux d'enfant tombent sur le rebord du meuble. Il se sent si petit face à lui. Sa maman doit vite arriver. Il se sent seul. Le temps passe lentement. Il gratte ses plaies.
« Pourquoi tu as fait ça, Phet ? » Silence. Soupire. S'occuper d'élèves de primaire ne devrait pas être si difficile pourtant. Mais celui-là est particulier.
La porte s'ouvre. La robe à fleur et son sac. Une aura de chaleur. Il aimerait se réconforter dans ses bras. Mais il ne bouge pas. Ne relève pas la tête vers elle. Ses yeux sont encore rouges et il n'aime pas qu'elle le voit ainsi. Elle est toujours triste après.
« Il s'est encore battu ? - Oui. - Pourquoi ? » Des regards sur son petit corps. Il se tait. Une main vint lui toucher l'épaule. Il bouge les lèvres. Le proviseur ne dit rien. Sa mère lui embrasse le front.
« Ce n'est pas de ma faute. » Rien ne va lorsqu'on l'on dit que tout va bien.
Dragon
« Le malheur des autres le touche mais le sien, il ne peut pas le supporter. »
Des pansements. Partout. Sur les mains, le dos, les jambes, les bras, les pieds. Il en est recouvert. Les autres le regardent de loin. Il s'en fiche. Il ne les voit pas. Il n'a pas la même lumière qu'eux dans les yeux. Trop de douleur. Son sac pèse lourd sur ses frêles épaules. Tout est si flagrant aujourd'hui. Le soleil brille. Les oiseaux sont heureux. Les coups sont visibles sur son corps. Il était en colère hier. L'écho des cris de sa mère résonne à ses oreilles. Elle le menace de partir. Et il se calme. Car il ne veut pas la voir disparaître. Il l'aime trop. Contrairement à lui. Il ne l'aime pas.
Au loin. À l'entrée de l'école. Il entend leurs rires. Enfantins. Cristallins. Il les regarde s'amuser. Un bâton de bois et une canette écrasée. Rien. Lui, il remarque les trous dans les vêtements, les visages un peu sales. Des enfants de Crenshaw. Qui rigolent. Il continue son chemin, tête baissée. Passe à côté d'eux. Tirant sur les lanières de son sac. Son regard croise celui d'un autre enfant. Il le détourne aussitôt. Il cache bien. Ce que les autres ne voient pas. Les larmes qui coulent. Toute la journée. La douleur est insupportable.
Serpent
« Le serpent doit apprendre la modestie et l'humilité. »
Un mur. Dur. Et ses paumes qui s’écrasent dessus. Tout tourne, rien ne reste en place. Le sol. Disparation sous ses pieds. Son visage est mouillé. Humide. Il pleure. Transpire. Son souffle est irrégulier. Respiration saccadée. C’est long. Et une seconde. Puis deux. Trois. On se précipite vers lui. On le calme. Lui parle à voix basse et tendre. Cela ne change rien. On appelle chez lui. Il doit rentrer. Mais il ne le veut pas. On n’écoute pas. Il est mal en point. Il s’accroche à leurs tuniques. Ne sait plus ce qu’il raconte. C’est un adolescent. Un enfant.
Assis sur le banc. La patience. L’ennuie. Il va mieux. Sa bouche est toujours ouverte. Sa crise est passée. Il le voit arriver au loin. Il attend. Les mains de l’homme s’échouent dans ses cheveux courts. Il lui fait un sourire rassurant. À quoi il ne répond rien. Son visage est encore rouge de tout à l’heure.
« Bah alors Phety ! » Il repousse la main. Se lève. Assassine du regard.
« Ne m’appelle pas comme ça. » Erreur. S’exprimer ainsi. Il fait chaud. On porte des vêtements courts et légers. Il va devoir faire attention où il frappe.
Cheval
« Malheureusement, comme il est d'humeur changeante, il se lasse vite de
ce qu'il entreprend. »
Petits. Minuscules. Gigotant. Ils remuent dans leur couffin. L'un parce qu'il est réveillé, l'autre parce qu'elle dort. Penché. Au-dessus d'eux. Il les admire. Deux merveilles.
« Prend bien soin d'eux Phet. Tu es leur grand frère, après tout ! » Les protéger jusqu'à la fin. Oui. Il le fera. Une main joufflue attrape son doigt. Et serre. Fort. Des yeux verts en amande dans les siens, noirs. Ils sourient. Étincelants. Puis un gazouillis joyeux. Il n'y avait plus de questions. Que des réponses. Ses deux trésors de vie. Il les aimera toujours. Ces jumeaux. Son petit frère et sa petite sœur.
Une règle. Pour qu'elle reste. Il faut qu'il arrête. Son enfant à lui. Mais aussi à elle. Il aime les deux autres. Pas lui. Pourquoi ?
« Parce qu'il me dérange. Il est bizarre, ce gosse... » Il n'avait rien demandé. Rien pris. Ni volé. Il ne souffre plus. Son étincelle. Éteinte à jamais dans son cœur. Cœur qui est brisé. En petits bouts. Éparpillés. Recollé par ses deux joyaux potelés. Soigné par cette main un peu sèche sur sa joue. Ce sourire aux yeux plissés. Une mauvaise habitude change. Progressivement. Il faut du temps. Bientôt, ils ne feront même plus attention à la présence de l'autre.
Chèvre
« Elles sont anxieuses, souvent à fleur de peau. »
L’avenir. Discussion interminable. Espoir. Ils en parlent beaucoup. Autour de lui. L’année prochaine, c’est le grand sot. La cours des grands. La grande marche. Il se sent inconnu dans se remue-ménage. On le convoque. On veut lui en parler. Il hausse les épaules. Il ne sait pas. Rien. Peut-être. Ce sont de bonnes études. Cela lui correspond. Sa mère se ronge les ongles. Elle doit s’occuper des petits. Eux, c’est la maternelle. Lui, c’est le lycée. Elle s’inquiète, veut savoir. Le silence répond. Toujours. Comment pourrait-il savoir ? Alors que plus rien ne tourne rond.
Désormais, il ne l’approche plus. Plus de communication avec lui. Les réactions. Cela l’effraie. Et ses mains. Tout. Chez cet homme.
« Tu devrais en parler avec ton père. » lui disait sa professeure. Quel père ? Celui qui tape ? Celui qui rit ? Celui qui pleure en s’accrochant à sa femme ? Non. Il ne lui dira rien. Secret. Tout chez lui l’est pour cet être. Il veut partir. Loin. Retrouver ceux qu’il n’a jamais vus. Mais sa mère refuse.
« Tu dois finir l’école. Après, tu fais ce que tu veux. » Seul condition à sa liberté. Alors, il s’y tient. Parce que c’est sa maman.
Singe
« Très malicieux, il sait bien dissimuler la piètre opinion qu'il a des autres
sous une indéniable affabilité. »
Pittoresque. Et un peu sale. Pas très bien rangée. La radio tourne à bas régime. Les néons sont éteints. Il fait encore jour. Accoudé au comptoir. Les yeux perdus dans ses pensées. Il regarde une vieille dame hésiter entre deux boites de conserves. La porte s'ouvre. Un enfant entre. Lui demande un paquet de bonbons. Il lui tend, sans un sourire. L'enfant le fixe un instant avant de déposer les pièces sur la table. Il manque vingt centimes. Il encaisse et laisse le gamin repartir.
« Au revoir ! » lancé. Un peu trop fort.
Ça passe. Lentement. La mamie a choisie. Elle est partie. Une ambulance est passée à toute vitesse. Le réveillant. La musique change quand il entre. Cheveux blonds et yeux turquoise. Ils se connaissent. Traînent dans le même lycée. Ne se parle pas. Peu de gens lui parle. Dans les allées. Il se balade. Puis arrive vers lui. Pose la canette de soda. Le sachet de Kit-Kat. Lui demande un paquet de clopes. Il lui donne.
« Phet ? - Oui ? » Leurs yeux se croisent. L'un sourit, l'autre attend. Au lien de payer, il se penche sur le comptoir.
« Je te tiens enfin. » Le soleil se couche. Doucement
Coq
« Il aime attirer l’attention sur lui, aime être admiré. »
Les cigarettes. Dans le cendrier. Beaucoup. L'odeur imprègne tout. La chaleur de ce corps contre le sien. La fumée s'élève une nouvelle fois. Il s'y est habitué. Les rayons du soleil levant. Sur la couette froissée. Ils ne parlent pas. Le silence du matin. Leurs vêtements traînent. Il y a une fleur fanée sur le rebord de la fenêtre.
« Je vais mourir. » Il se crispe contre son torse. Secoue la tête. Mais il le sait. Dans deux heures. C'est fini. Il se redresse. Embarque la couette. Va se poster devant la fenêtre. Dehors. Ça vit. Pas dans cette chambre.
Autour de lui. Des bras. Immobile. Il se penche à son oreille. Chuchote.
« Attend d'être trouvé. Quelqu'un te sortira d'ici. » Ce ne sont pas les mots qu'il veut. Mais ceux dont il a besoin. Ils ont seize ans. C'est trop jeune pour être malade. Pour mourir. Et dire qu'il est l'un des plus populaires du lycée. Qu'il aura été. Il attrape la fleur. Du bout des doigts. Peur de lui faire mal. De la blesser. Puis il se retourne dans ses bras.
« Je suis définitivement fané. » L'autre sourit. Dépose ses lèvres contre les siennes. Son corps presse contre le sien. Ils ont encore un peu de temps.
« Désolé. » chuchoté.
Chien
« Comme le chien manque énormément de confiance en lui, il déteste
les rassemblements de foule. »
Chaos. Rien ne bouge. Des larmes. Une tornade de sentiments. Pas un bruit. Il n'aurait pas dû venir. C'est trop pour son esprit. Tout est sombre. Il la sent monter. Traîtresse de son esprit. Sa poitrine lui fait mal. Il est loin de la foule autour du trou. Mais il entend tout. Ressent tout. Comme s'il y était. Proche. Sa respiration le trahie. Il part en courant. S'effondre à la sortie.
« Je veux que tu continues. » Mais comment ? Ça fait mal. Pire que les coups. Pire que les insultes. Il se fait submerger. Sa mère lui disait de remonter à la surface. Mais il n'y en a plus.
Il rentre. Calmé. Épuisé. Triste. Détruit. Mais il rentre. D'abord. On ouvre le portail. Puis. On pousse la porte. Enfin. On retire sa veste et ses chaussures. À peine. Deux petits monstres s'accrochent à ses jambes. Ils parlent forts, demandent des câlins. Un sourire tenté. Avorté. Ils voient ses yeux. Serrent un peu plus.
« Grand frère ? » Sa bouche s'ouvre. Mais rien n'en sort. Une autre silhouette apparaît. Maman. Elle ne dit rien. S'approche. Le prend dans ses bras. Il pleure sur son épaule. Lorsqu'il lui a dit, la vérité, elle a simplement hoché la tête. Son père ne l'approche plus.
Sanglier
« Il aime se cultiver mais par manque de concentration, il n'arrive pas
souvent à vraiment maîtriser un sujet. »
Les mots. Le poème. Qu'il lit, relit. Toujours le même recueil. Toujours la même page. Sans cesse. Son badge tombe en avant. Accoudé à la caisse. Il ne se lasse pas. Même s'il ne comprend pas tout. Il ressent les sensations des vers. Certains disent qu'il l'a volé. Mais non. On lui a offert. Il n'y a pas grand monde aujourd'hui. Le soleil est haut. Les gens pressés. La radio grésille plus qu'autre chose. Le tumulte citadin est loin de lui. Un des réfrigérateurs est cassé. La gérante est au courant. Mais à quoi bon le changer maintenant ? Tant que rien n'explose.
Son chewing-gum n'a plus de goût. Son coude dérape sur la caisse-enregistreuse. Il est obligé de lâcher sa strophe. The Faded Flower par Samuel Taylor Coleridge. Il récite le premier vers. Machinalement. Tandis que sa main referme le tiroir. Ce n'est pas de l'ennui. Juste de l'inactivité. Et ça lui allait totalement. Son regard tombe sur un objet. Un paquet de clopes. Sourire. Caresse du bout des doigts. La porte s'ouvre. Dévoile une jeune femme qui semble rapide. Elle trottine vers les allées.
« Bienvenue. »