duty calls | ft Alessandro

T'étais perturbé. Un peu comme un vieux à la retraite à qui on changeait les habitudes. Tu t'adaptais bien en général, pourtant. Tout dépendait de ce qu'on t'envoyait mais tu arrivais plus ou moins à gérer – tu pensais gérer mais tu gérais rien du tout. Tu avais pensé à une blague, d'abord, riant discrètement dans un air totalement amusé aux paroles de ta collègue et amie. T'avais ri, vraiment ri, ajoutant même que tu ne ferais pas avoir. Pas cette fois, pas comme ça. T'étais idiot, oui, mais tu avais tes limites. Lexi, changer de garde ? La blague était trop grosse pour que tu puisses y croire. Mais elle ne plaisantait pas. Malheureusement. Tu avais arrêté de rire, arrêté de bouger et tu l'avais fixé. Elle changeait de garde ? De caserne ? Ce n'était pas elle qui avait décidé. Tu t'en doutais bien. Elle n'aurait jamais demandé le changement. Mais une autre caserne avait besoin d'ambulanciers. Ils avaient besoin d'elle et tu savais qu'elle allait faire un boulot formidable. Elle montait en grade, en plus et tu ne pouvais pas être plus heureux pour elle. Elle méritait tout ce que le monde lui offrait. Mais dire que ça ne te faisait rien serait mentir. Dire que t'étais pas triste de la voir partir serait nier ce que ton cœur ressentait à chaque fois qu'il battait. T'avais l'impression qu'on t'enlevait un proche. T'avais l'impression qu'on te laissait. Ca te nouait la gorge et te nouait l'estomac dans des émotions que tu tentais de refouler, de cacher, de ne pas exprimer. T'avais peur. Peur qu'elle t'oublie. Comme les autres. Peur qu'elle passe à autre chose. Parce que t'étais pas grand chose comparé aux autres. Lexi avait été la seule personne stable dans ta vie depuis plusieurs années et maintenant, elle partait. T'avais de quoi être déconcerté pas vrai ? T'avais de quoi être un peu perdu.
Le nombre de messages de Lexi ne diminuait. Pour le moment. Mais tu craignais le jour où cela arriverait. Le jour où elle se rendrait compte que tu valais pas qu'elle perde son temps à t'expliquer ci ou ça, à te parler de ses journées. Tu craignais le jour où elle allait se réveiller et se dire que tu sois là ou pas, ça ne changeait rien à sa vie.

En attendant ce jour, tu profitais de chaque moment au téléphone avec elle, parlant de tout de rien, de Matthew, aussi. Elle répétait à quel point elle était fière de toi. Que Sean n'avait pas été une bonne personne pour toi. Que tu méritais mieux : Matthew. T'étais sûr de rien, honnêtement. Mais tu voulais la croire.
On t'avait assigné un autre ambulancier, Alessandro. Et même s'il n'était pas méchant, c'était un peu bizarre de s'habituer à quelqu'un d'autre dans l'ambulance. Avec Lexi, vous aviez vos habitudes. Que ce soit dans l'ambulance ou sur le terrain. Tu savais quoi dire et quoi faire quand Lexi était à côté de toi. Là t'étais un peu paumé – ironique quand on savait que c'était toi qui avais dû montrer et expliquer les procédures à Alessandro. T'estimais pas t'en être trop mal tiré... normalement.

Assis en salle de repos, tu lisais tranquillement un magazine quand l'alerte retentit. Une intervention. Automatiquement, tu quittas ton siège, attrapant tes affaires au passage, regardant derrière toi par habitude. Le vide que tu voyais te laissait un goût vraiment amer en bouche. Tu te rendis directement vers l'ambulance. « Je vais conduire », dis-tu simplement, grimpant dans l'ambulance. Tu voulais laisser le temps à Alessandro de s'habituer à tout ça. L'ambulance, les procédures, la ville... « Tu peux mettre les sirènes si tu veux », commentas-tu, le sourire fin et quelque peu amusé alors que tu démarrais. T'avais adoré faire ça la première fois. Maintenant t'aimais moins. Tu jetas un bref coup d’œil par la fenêtre, laissant à peine ton regard monter jusqu'au ciel. « C'était qu'une question de temps avant que quelqu'un ne fasse un malaise par cette chaleur », articulas-tu, te concentrant sur la route.

C'était Alessandro maintenant ton nouveau partenaire dans l'ambulance. Tu devais t'y faire. Et peut-être qu'après, ce sera encore quelqu'un d'autre, qui savait ? Tu pensais pas que ça pouvait changer, de base. Tu pensais que Lexi resterait avec toi un bon paquet d'années avant de changer. Voire que vous resteriez ensemble jusqu'à la fin de vos carrières. Mais t'étais bien naïf pour y avoir cru, ne serait-ce qu'un peu. Vous aviez vos habitudes et votre routine. Et c'était tellement instauré dans ta vie que tu t'étais mal vu sans. Tu te voyais mal sans, honnêtement, mais tu tentais de faire avec. Tu ne voulais pas faire croire à Alessandro qu'il n'était pas le bienvenu ici. Au contraire. Ca faisait plaisir d'accueillir quelqu'un de nouveau et de pouvoir enseigner, montrer, répondre aux questions. Ca avait un côté enrichissant, même pour toi. Et instructif aussi. Ca te permettait de tout revoir depuis le début. De t'assurer qu'avec la routine et les habitudes, t'avais pas pris de mauvaises habitudes justement et oublier les bonnes. Que t'avais pas oublié les bases importantes du métier ou des soins. Que t'avais encore tout en tête, et que t'étais prêt à intervenir, peu importait quand, quoi, où et comment. Il était vrai qu'avec Lexi tu avais des automatismes. Et elle aussi, elle allait devoir s'adapter là où elle était. Apprendre à connaître la personne avec qui elle travaillait. Mais t'avais pas peur pour elle. T'avais plus peur pour toi. T'étais du genre à trop t'attacher aux autres. Tes ami.e.s, tes proches et même tes partenaires de vie. T'attendais toujours que ce soit eux qui partent, parce que t'avais peur d'être seul.
T'étais pas seul, là, certes. T'avais Alessandro avec toi. Mais c'était différent.
Puis t'étais pas seul non plus une fois sorti de la caserne, t'avais Matthew. Et Lexi.
Ton quotidien était simplement bousculé et t'étais perturbé.

Tu décidas de prendre le volant, supposant que ton coéquipier n'était pas encore totalement à l'aise avec les rues de la ville ou la façon de conduire des autres automobilistes. Tu ne savais pas non plus s'il connaissait déjà toute la vie. Donc plutôt que de le faire stresser pour rien ça te semblait plus logique de conduire. Tu ris quelque peu alors qu'il enclenchait la sirène, le nez finement retroussé à sa question. « Je dirais pas qu'on s'en lasse... Parce que c'est parfois amusant, parfois frustrant. Tout dépend », tu haussas quelque peu les épaules, pas certain d'avoir vraiment répondu à sa question. « A ce point ?? », demandas-tu, surpris, tournant brièvement ton regard vers lui. En hypothermie ?? « Pas au point de ramasser les gens en hypothermie, non », tu ris doucement. Ca te presque irréel. Ramasser les gens à cause de la chaleur, oui, mais du froid ? « Cela dit pour un frileux, l'hiver reste froid peu importe où il est », tu disais pas ça pour toi... enfin un peu. Tu jetas un rapide coup d’œil vers lui, souriant discrètement en le voyant faire. Sourire qui disparut à sa question. Et tu déglutis, gardant le regard fixé sur la route devant toi. Tu ouvris la bouche, bougeant les lèvres dans un silence lourd. « Non », finis-tu enfin par dire, te raclant quelque peu la gorge, embarrassé. « Je voulais... » commenças-tu. « Je voulais devenir chirurgien cardiaque à la base », avouas-tu, timide, honteux, les doigts serrés sur le volant. « J'ai... clairement pas réussi », tu lâchas un rire léger, nerveux mais aussi gêné. « Mais ça me plaît, d'être ambulancier. J'aime mon métier, je te rassure », on l'avait pas mis en binôme avec le type qui pleurait son rêve. Enfin si, tu pleurais ton rêve de devenir chirurgien mais tu te plaisais aussi en tant qu'ambulancier. Tu t'y plaisais énormément même. Tu te mordis quelque peu la lèvre, hésitant. « Pourquoi tu as choisi l'ambulance ? », demandas-tu finalement. « Tu aurais pu intégrer un hôpital. Non ? », enfin tu supposais. « Pas que je sois pas ravi de t'avoir avec moi hein. C'est pas ce que je voulais dire », paniquas-tu, les pommettes rosies, l'air embêté. « Mais... juste... », tu te posais simplement la question. Tu bougeas quelque peu les épaules. « Et sinon... hum... tu as quelqu'un dans ta vie ? », tu supposais que c'était toujours bon à savoir... non ? Observant la route, tu fis un simple geste de la main, levant trois doigts pour dire que vous allez arrivés d'ici trois minutes. Peut-être moins, si tu te débrouillais bien.

« Ca peut », confirmas-tu dans un léger de signe tête. Parfois les gens ne se décalaient pas, ou peu. Parfois ils ne réagissaient pas. Mais ça restait rare, heureusement. Le temps était très important pour vous. Vous deviez arriver au plus vite sur les lieux des accidents ou là où on vous envoyait.
« Sérieux ?? », demandas-tu, les sourcils levés. Ca te semblait venir tout droit d'un film, cette température. Non ? « Autant ? », tu ris un peu, perplexe, perturbé mais aussi curieux. « C'est un peu comme tout je suppose, ça dépend de la personne », tu haussas un peu les épaules, le sourire amusé.
Et rouler, c'était l'occasion de discuter. De connaître un peu plus l'autre. Avec Lexi vous discutiez de tout et de rien. Le silence se faisait qu'après les interventions lourdes ou quand tu avais besoin de réfléchir, quand tu te perdais dans tes pensées. « Peut-être », dis-tu avant de te pincer les lèvres, toujours gêné d'avouer ton échec. D'avouer que tu n'avais pas réussi à atteindre ton rêve. Un léger rire et tu secouas le visage. « Je l'ai pas pris comme ça t'en fais pas », le rassuras-tu dans un léger mouvement de la main. « C'était peut-être mon destin ? De devenir ambulancier », tu ris quelque peu à ta propre bêtise. Mais... C'était possible non ? Tu mimas une petite grimace désolée, te sentant tout de même stupide d'avoir posé les mots ainsi. « Hmm je vois », murmuras-tu, la tête dodelinant. « Un homme d'action donc ? », tu souris, le nez légèrement retroussé. « Vu comme ça... je préfère aussi être dans l'ambulance », un son amusé ronronnant dans ta gorge. « Je suis tellement habitué maintenant », mais la vie était pleine de surprises. Alors tu ne pouvais pas dire que tu n'allais jamais quitter l'ambulance. T'en savais rien.

Les pommettes un peu rosies, tu patientas, attendant sa réponse, les doigts tapotant le volant. « Oh ? Tu l'as suivi ici ? », demandas-tu, le regard rapidement tourné vers lui. « Vous êtes ensemble depuis longtemps ? », tu lui faisais passer un interrogatoire ou quoi ? « Désolé je suis curieux », admis-tu dans un rire. Ca te regardait pas, en plus. Les joues prenant une teinte rougie, tu hochas lentement la tête. « Oui... un petit-ami » – et pas n'importe lequel, manquas-tu d'ajouter, une mélodie douce et joyeuse chantant dans ta voix, tes pupilles s'émerveillant alors que ta nuque rougissant lentement. T'avais plus besoin de dire que c'était « compliqué ». Plus besoin de dire que t'étais seul tout en pensant que c'était pas le cas alors que ça l'était réellement. T'as plus besoin de bafouiller, d'hésiter. Tu pouvais le dire clairement à présent et ça te faisait un bien fou. Tu pouvais enfin le dire. Et penser à Matthew t'apaisait, te détendait. Ca te rendait heureux, tout simplement.
Un rire vint éclater contre tes lèvres et tu secouas le visage. « J'appelle plutôt ça l'habitude », admis-tu dans une voix amusée, légère. « Toi aussi tu pourras le dire à la longue », soufflas-tu. Ton doigt indiqua un bâtiment un peu plus loin, et tu allas te garer. « On y est », dis-tu, quittant le véhicule pour aller à l'arrière et récupérer ton sac. Tu enfilas tes gants en avançant, observant les alentours, cherchant du regard les possibles personnes qui avaient appelé. Et une fois repéré, tu avanças directement vers elles, vérifiant que ton nouveau collègue était bien derrière toi. Tu allas directement vers la victime qu'on vous montrait au sol. Tu laissas Alessandro gérer la suite, t'occupant des détails, répondant aux questions des proches, notant les actions effectuées, surveillant les gestes de ton collègue sans être trop sur son dos ou trop voyant. Tout se passait bien et t'avais aucun doute. Il connaissait les gestes, et t'avais aucune crainte : il sera et était un bon ambulancier. Tu envoyas un léger sourire à ton collègue, l'encourageant à continuer, à tout gérer, pendant que tu continuais de ton côté. « Je pense qu'on aura encore quelques interventions du même genre aujourd'hui », commentas-tu simplement. « Il fait tellement chaud »