I think we need to talk (ft. Jake)

Westside. 20 heures. Je regarde ma montre. Je suis un peu en retard, mais Jake ne m'en voudra pas. Le dernier patient que j'ai du opérer a bien failli y rester, et même si je ne suis pas un héros, j'ai tout mis en œuvre pour le sauver, avec succès. C'était ma dernière chirurgie de cette épuisante journée. J'aurais tout donné pour aller me coucher. Sauf que nous sommes vendredi soir. Comme toutes les semaines, je vois Jake, mon frère aîné. Je pourrais être à l'agonie que je ne raterais notre rendez-vous pour rien au monde. C'est un rituel, que nous n'avons jamais rompu depuis que nous sommes adultes. Aujourd'hui, la soirée se fait chez lui. Je savais déjà, en sortant du travail une heure après mon horaire prévu, que je serais en retard. Dans les faits, j'aurais pu y aller directement et être en avance. Pas question de m'éviter une bonne douche et un petit détour par la salle de bains pour prendre soin de moi. Je sais, c'est absurde, puisqu'il m'a déjà vu dans des états pas possibles. C'est plus fort que moi, je ne supporte pas l'idée d'être négligé.

Je fais donc un crochet par mon domicile. Par chance, j'habite à Pacific Palissades, non loin du quartier de Jake. A peine entré dans le hall de ma villa, je retire mes chaussures et mes chaussettes, pour marcher pieds nus sur le parquet bien propre. Je me rends dans la cuisine pour y trouver une note de la femme de ménage. Nina s'est occupée de tout nettoyer. Elle m'a laissé la note de pressing ainsi qu'une liste de ce dont elle aura besoin d'ici lundi, pour bien assurer son nettoyage. Heureusement que je l'ai... sinon ma villa ressemblerait à une porcherie. Le ménage et moi, ça fait deux ! Je règlerai la liste de courses et la note plus tard. Je n'ai pas le temps de m'éparpiller. Je me déshabille à va-vite et je fonce sous la douche. Quel bien fou ça me fait de sentir l'eau chaude détendre mes muscles, apaiser mes courbatures liées au travail. Quand je sors de là, je suis un autre homme. Je m'empresse de me vêtir d'un jean bleu marine, assorti d'une chemise blanche. Oui, c'est une soirée décontractée normalement, mais une soirée quand même. Il faut faire attention à l'image que l'on dégage.

Je coiffe mes cheveux, je me parfume puis je me dirige vers la cuisine pour prendre la bouteille de vin que j'ai gardé au frais, ainsi que le dessert. C'est la tradition ! J'enclenche l'alarme, je ferme derrière moi et je monte dans ma voiture. Il va falloir que je la lave, la dernière pluie a été quelque peu boueuse. Et puis allez savoir pourquoi, mais un volatile est venu laisser sa marque en plein milieu de mon pare-brise... Beurk... j'en ai la nausée. En chemin, je tombe dans les embouteillages. C'est quotidien dans cette ville. Je prends mon mal en patience. C'est finalement plus de vingt minutes après l'heure prévue que je me gare et me dépêche de sonner au bas de l'immeuble de Jake. A ce moment-là, une vieille dame sort et m'ouvre la porte. Je la salue poliment, la remercie puis je fonce jusqu'à la porte d'entrée de Jake. Je tape doucement et quand la porte s'ouvre, mon sourire vient naturellement illuminer mon visage :

- Hey bro' ! Comment tu vas ? Désolé pour le retard ! J'ai eu une rude journée !

C’était il y a presque un an et pourtant, pour l’aîné de la fratrie Dempsey, c’est comme si les faits remontaient à hier. La rentrée allait pointer le bout de son nez, il démarrait une toute nouvelle vie dans ce super appartement dégoté après sa séparation avec Elea : tout semblait au beau fixe. En apparence seulement. Le week-end précédent avait eu lieu l’anniversaire de son petit papa adoré et, comme il était de coutume, un repas à la maison était organisé par la Mamma ! Au centre de la table, le plat de résistance, des lasagnes dont seules sa mère à le secret. : Un délice. Mais cette fois-ci, le plat allait avoir une drôle de saveur. Au fond de lui, Jake sentait le poids du secret l’enfoncer dans le sol, encore et encore et les remarques de sa mère ne l’aidaient pas à se senti plus léger, bien au contraire. Alors, ce qui devait arriver arriva. Pris d’un courage débordant aux côtés de leurs frères de coeur, il avait révélé son homosexualité. Une annonce choc qui avait coupé l’herbe sur le pied à leur mère qui avait préféré quitter la table après que son fils ait haussé le ton. Le repas s’était terminé plus rapidement qu’à l’accoutumée, dans une ambiance somme toute spéciale, mais bien plus légère pour Jake qui venait de se libérer d’un poids monumental.

La révélation avait été soudaine pour l’ensemble de la famille et notamment pour Dante, son petit frère. Ces deux-là ne s’étaient pas cachés grand chose jusqu’à présent mais, pour la première fois, un secret s’était niché entre eux. Bon, il faut quand même préciser que pour Jake, ce n’était pas vraiment un secret mais plutôt une quête identitaire qu’il était encore en train de mener au plus profond de lui. Ce n’est pas par peur du regard de son frère qu’il n’avait rien dit mais plutôt parce qu’il souhaitait être sûr de lui. Mais ça, Dante n’en savait rien.
Le repas s’était conclu sans trop d’explications, sûrement pour éviter de s’attarder sur le sujet qui avait ruiné le repas familial. Son père et son frère l’avait enlacé comme à l’accoutumée, mais cette fois, dans cette étreinte, il semblait y avoir une intensité jusqu’alors nouvelle. Mais pas plus.

Qu’avait pensé Dante de tout ça ? Comment a réagi sa mère par la suite ? Avait-elle décidé de le renier ? Toutes ces questions, Jake ne pouvait pour le moment y apporter de réponse. Il n’échangeait de toute façon que très peu avec sa mère donc il n’était pas surprenant que ces deux-là ne se soient pas envoyer de message pour papoter. Et Dante dans tout ça ? Pas grand chose non plus et là, c’était un peu plus perturbant mais c’était sans compter sur l’emploi du temps complètement alambiquée qu’avait pu lui donner l’hôpital ! Son poste de chirurgien au sein d’un des hôpitaux les plus prestigieux de L.A n’était pas de tout repos et ne lui laissait parfois guère de temps libre. Peut être était-ce la raison de ce silence ?

Presque une semaine s’était écoulée et le fameux Vendredis entre frères était toujours d’actualité, comme depuis des années. Soyons honnête, Jake redoutait un petit peu ces retrouvailles après une semaine de silence suite à la bombe qu’il avait lâché en plein dîner. Mais le connaissant, s’il avait eu quelques choses sur le coeur de très important, il aurait fait en sorte de le retrouver bien plus tôt.
20h45, quelqu’un toquait à la porte. Pas vraiment de surprise quant-à la personne qui se trouverait derrière celle-ci. Ce « toc toc » était assez particulier, c’était un peu un code qui permettait de savoir qui était derrière la porte.
Le professeur prit une grande inspiration, attrapa la poignée et l’ouvrit. Son frère était présent, comme toujours, le sourire aux lèvres. Son visage s’était aussitôt illuminé et toute l’angoisse qui s’était accumulé cette semaine redescendit aussitôt. Il l’enlaça, un peu plus chaleureusement que d’habitude. « Ca va ! Comme une semaine de rentrée quoi ! Du coup si je comprend bien, cette soirée tombe à pic pour toi comme pour moi ! » dit-il avant de lui piquer la bouteille des mains. « Et merci ! ».

Jake se dirigea dans la cuisine qui faisait face à l’entrée pour déboucher la bouteille pendant que Dante, lui, ôtait ses chaussures. « Je vais me répéter mais… tu sais que quand tu débarques ici, tu peux laisser tes chemises au placard hein ? M’enfin bon, si tu as envie de te faire beau pour ton frère… ça me va aussi hein ! ». Les deux se dirigèrent instamment au le salon dans lequel un vinyle tournait sur la platine en guide de fond sonore.  La fratrie Dempsey s’installa sur le canapé face à la petite table basse sur laquelle étaient disposés de multiples aliments à grignoter ainsi que les deux verres qu’il venait de remplir ! « Bon,  on trinque à cette semaine… rocambolesque ? » dit-il accompagné d’un clin d’oeil.

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- Yep ! Elle tombe à point nommé ! Ma semaine a été assez dingue... je crois que j'ai du rêver de points de suture chaque fois que j'ai pu dormir ! Ne m'en veux pas si je suis un peu absent par moments, je manque de sommeil ! Cruellement !

Comme toujours, je prends le soin de retirer mes chaussures. C'est une habitude que nous avons pris de notre mère et qui s'avére très saine. En effet, cela évite de disperser les microbes de l'extérieur dans le logement. Ca peut paraitre très "maniaque" mais nous n'avons pas à nous en plaindre. Surtout moi, puisque je déteste les tâches ménagères. J'en profite pour retirer aussi mes chaussettes, en fil d'écosse, car je ne vois que pas ça. Le coton ? Très peu pour moi, ça me fait transpirer et l'odeur ensuite ne devient pas franchement agréable. Du coup, même pas besoin de parler du polyester et autres matières en plastique transformé. Je fais craquer mes orteils et je lâche, au passage, un léger soupir d'aise. J'aime tellement marcher pieds nus, sentir le sol frais sous ma peau. J'y trouve un grand sentiment de liberté. D'une démarche détendue, je rejoins Jake dans la cuisine. Dans un sens, mon grand frère a raison. Je ne suis pas du tout obligé de bien m'habiller pour venir chez lui. J'aurais pu venir en survêtement, ou en t-shirt. Sauf que ça n'est pas ma nature. Je ne sais comment le décrire, mais dans les faits, je ne possède aucun problème de personnalité. Je suis même plutôt équilibré en comparaison de certains individus. J'aime simplement bien m'habiller, être élégant. Mamma m'a toujours appris à bien présenter, à être irréprochable car il est important de donner une bonne image de la famille. J'ai donc pris le réflexe et l'habitude de soigner mes tenues. J'adresse à Jake un sourire taquin, alors que je lui rétorque :

- Il faut bien qu'un de nous deux s'habille correctement ! Et puis, laisser mes chemises au placard, au prix où je les ai payées ! Ce serait presqu'un crime !

J'étais ironique, évidemment parce que je n'étais pas très vénal comme garçon. Mon rapport avec l'argent se limitait à me faire plaisir, sans forcément vouloir en gagner plus et tout posséder. En clair, je vois les dollars comme un moyen de vivre et de sentir bien, sans tomber dans l'excès. Alors que nous nous dirigeons vers le salon, je regarde la déco. J'aime bien, en fait j'ai toujours aimé. Jake a du goût. J'ai envie de dire que c'est normal parce que c'est un Dempsey, mais il a ce talent de trouver comment embellir son espace de vie sans grande difficulté. Personnellement, je n'achète plus de tableaux à mettre sur les murs. Je sais que je suis nul dans ce domaine, le dernier décorateur que j'ai engagé me l'a bien fait comprendre ! Nous voilà assis sur le canapé. Je jette un coup d'oeil à Jake. J'espère qu'il ne s'est pas trop inquiété de mon silence de ces derniers jours. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour moi et nous n'avons pas trop discuté de la révélation qu'il nous a faite. Bon, j'admets que c'est aussi parce que le sujet ne m'intéresse pas vraiment. Je veux dire, je suis content qu'il l'ait annoncé, qu'il ait trouvé son bonheur et sa voie. Mais ça ne change rien, c'est mon frère, je l'aime toujours pareil. Je n'ai pas forcément envie de m'immiscer dans sa vie sentimentale et encore moins sexuelle. Je ne parle déjà pas de la mienne, alors de celle des autres... Pour moi, il n'y a pas de jour d'après, c'est comme avant... sauf avec notre mère mais ça c'est une autre histoire, dont je n'ai pas trop envie de parler ce soir. Je veux passer un moment agréable avec Jake. Bon, j'avoue que s'il parle de son homosexualité, j'ai peut-être deux trois questions à lui poser pour comprendre... mais ça ne viendra pas de moi.

- A cette semaine rocambolesque oui ! C'est le mot !

Je trinque, je bois une gorgée et je pose mon verre sur la table basse. Je m'enfonce dans le canapé. J'ai quelques trucs à lui dire :

- Bon, maintenant que tu es bien assis, j'ai une petite surprise pour toi ! J'ai réussi à négocier une visite VIP à l'exposition sur James Dean qui est organisée en ville. Avec accès à des objets collector non présentés au public ! Hé ouais, mon grand ! C'est ça de sauver la vie de l'organisateur ! Du coup, tu peux inviter la personne de ton choix. J'avoue que je suis un peu curieux, mais je ne suis autant fan que toi ! Alors si tu veux proposer à quelqu'un d'autre, t'inquiètes, je ne me vexerai pas !

Je récupère mon portefeuille dans ma poche et je lui tends deux badges collector, avec en filigrane, un portrait de l'acteur disparu. Nous n'avons pas besoin d'occasions officielles pour nous faire des cadeaux. C'est aussi l'occasion pour moi de me rattraper un peu pour le fait de ne pas avoir pris de nouvelles.

« Et allez ! Le mec se la raconte avec son salaire mirobolant ! » dit-il plein d’ironie. « Enfin bon… c’est sûr que ces pauvres petites chemises doivent terriblement s’ennuyer sans toi, dans un placard de ton IMMENSE dressing dans ENORME villa ! ». Malgré ces petits pics, Jake était le plus heureux de constater la réussite professionnelle de son petit frère. Il faut dire que ce n’était pas gagné à la base.  Il n’était pas le meilleur des élèves mais il était en tout cas déterminé à devenir chirurgien alors, il s’en était donné les moyens. Jake l’avait aidé lorsqu’il le fallait et assister à cette belle réussite le comblait de bonheur. Alors en effet, il y aurait peut être de quoi être jaloux, son salaire à de quoi faire rougir les 2/3 de L.A mais franchement, je vous défie de faire autant d’heures que lui !

Leurs verres tintèrent lorsqu’ils portèrent un toast à cette semaine riche en aventure. Avant qu’il n’eut le temps de porter son verre à ses lèvres, Dante reprit la parole. Sur le coup, il s’était imaginé que la discussion qu’il redoutait allait finalement arriver mais comme à son habitude, son petit frère allait se révéler pleins de surprises. « Sérieusement ? Mais c’est complet pendant au moins trois semaines ! J’ai jamais réussi à avoir mon entrée ! T’es le meilleur ! » dit-il en lui offrant une accolade ! Tenant entre ses mains le badge VIP, il ne pouvait s’empêcher de sourire. Il était ultra fan de James Dean depuis toujours. L’étoile filante de 7e art l’avait fasciné dès qu’il fut en âge de regarder La Fureur de Vivre. Imaginez sa joie lorsqu’il avait appris qu’une exposition lui rendant hommage allait avoir lieu dans la ville.

« Tu rigoles ! Tu m’accompagnes, t’as pas le choix… Mais frérot, tu sais, si tu veux savoir si je vois quelqu’un en ce moment, tu peux me le demander franco ! » dit-il en déposant une main sur son épaule avant de venir prendre une chips sur la table basse. Une choses semblait sûre, leur relation semblait intacte et cela soulageait grandement Jake. Son frère avait toujours été hyper généreux avec sa famille et le fait qu’il gagne beaucoup d’argent n’a jamais rien changé à cela. L’aîné des Dempsey ne pouvait évidemment pas se permettre des choses aussi mirobolantes mais il essayait toujours de lui rendre la pareille et c’est comme une évidence que son frère allait l’accompagner ! Et puis, ce n’est pas comme si quelqu’un d’important été entré dans sa vie en ce moment !

A quelques semaines près pourtant, la réflexion de Jake aurait pu être totalement différente. Sacha avait prit une place majeure dans sa vie, devenant officiellement son petit ami mais à cette période là, il n’avait été que le sauveur de son édition collector des Liaisons Dangereuses. Une rencontre dont il n’imaginait pas encore le fabuleux avenir. Avec leur passion commune pour le cinéma, nul doute que son étudiant aurait adoré l’accompagner.

« Non mais sans blaguer, tu sais qu’on peut parler de tout ça si tu veux hein ! Enfin, si ça te gêne pas évidemment ! Je sais que ça doit paraître un peu soudain et franchement, j’ai pas du tout envie que ça change quoi que ce soit entre nous ! Ça reste juste une question d’amour au final… En tout cas, je veux juste être sûr que tu n’ai pas mal prit le fait d’apprendre les choses comme ça… Faut pas que tu le prenne comme quelque chose que je t’ai caché, en fait, j’avais pas du tout l’intention de faire ça maintenant ! Dans ma tête c’était encore très flou, je cherchais à comprendre ce que je ressentais… Mais Mamma à tout envoyé valser quand Lane a ouvert la voie ! Sacha que si j’en avais eu l’occasion, tu aurais été le premier de la famille à qui je m’aurais confié… ». Voilà qui était fait. Lui qui redoutait le sujet avait au final prit l’initiative d’aborder le sujet de la récente révélation. Restait à comprendre comment Dante prenait les choses à ce sujet.