new day, new life (elliot 11)

La petite a vraiment l’air de passer un bon moment, et ça fait un bien fou d’entendre le rire d’un enfant. Surtout le sien. Je sais que sa vie est loin d’être facile, et qu’elle a un quotidien particulièrement rythmé par les crises des adultes qui l’entourent. Sans doute les potes de sa mère qui ne sont pas fréquentables. Mais elle fait avec et grandit dans ce milieu. Je ne peux rien faire, si ce n’est le temps qu’on l’ait, lui faire passer un bon moment. Au parc, avec des enfants de son âge, de tous horizons. Elle ne perd pas de temps pour se faire des copains, plutôt que des copines, et faire des tours de toboggan en riant. C’est tout ce qu’il lui fallait je pense et à nous aussi. Puisque je prends la main d’Eliot dans la mienne sans aucune appréhension. Je sais qu’elle y sera réceptive cette fois. « Elle est adorable. » « Elle est surtout dans son milieu. Et d’une sociabilité qui frôle la tienne en soirée. » Ironique et amusée, je cherche surtout à lui changer les idées, elle est contrariée depuis qu’elle a récupéré la petite.

Puis vient l’heure de partir. Je m’attends à des larmes, des cris, mais non, elle écoute docilement. A croire qu’elle a l’habitude qu’on la jette. Je ne saurais trop dire pourquoi. Sans doute par manque de patience. Parce que cette gamine est tout ce qui se fait de plus agréable, et vive d’esprit, c’est fascinant.
Ses affaires récupérées nous partons pour chez elle. Eliot change d’attitude, elle est sur la défensive, prête à se défendre au besoin. Je sens alors son instinct de survie se mettre sur ON. « Tu verrouilles les portes une fois qu’on est sorties. » Ce n’est pas le moment de débattre, je fais ce qu’elle me dit. Donc je verrouille une fois la portière refermée, après un dernier bisou de Léo. Et j’attends… 5 bonnes minutes. Je me demande comment ça se passe, si la petite raconte à sa mère comment sa journée s’est passée, avec son petit ton enjoué et sa voix fluette de petite fille à cent à l’heure.
Puis je les vois revenir, toutes les deux… Je ne comprends pas. Léo reprends place dans le siège auto. « Elle ouvre pas la porte, et son portable sonne à l’intérieur. Je vais essayer de voir ce qu’il se passe. » Je ne répond pas mais lui assure par un regard que je m’occupe de rassurer la petite. Chose que je fais une fois Eliot repartie.
Mais c’est quelques minutes plus tard que je me rends compte que les choses sont ce qu’elles sont, quand Eliot revient vers la voiture, livide. Je ne l’ai jamais vue comme ça. Je sors de la voiture, et elle s’appuie contre le capot pour me raconter ce qu’elle vient de vivre. « Elle.. Millie… Elle… » « Hey… » Je la prends contre moi, je ne l’ai jamais vue si bouleversée, ni si choquée. Je pensais naïvement que rien ne pouvait l’ébranler. « Elle s’est ouvert les poignets. » « Ma chérie… » Je ressers mon étreinte et l’encourage à lâcher ce dont elle a besoin. Si elle doit pleurer, elle peut le faire, elle le sait. Je suis sa personne de confiance, je suis celle sur qui elle peut s’appuyer comme bon lui semble, sans rien avoir à rendre en retour. J’ai bien compris que c’était terminé. Mais on ne doit rien laisser paraître face à la petite. Bien que je pèse le pour et le contre de la laisser affronter ça toute seule. « Rentre à la maison avec Leo. Je vais attendre les secours. » « D’accord… » Je la laisse reprendre ses esprits, respirer pleinement, expier tout ça. « Eliot, tu m’appelles, d’accord ? » J’embrasse sa tempe et remonte en voiture, lui faisant promettre de me tenir au courant.

Je repars donc avec la petite. « Ma chérie, finalement, on va retourner à la maison pour un petit moment. Je crois qu’on a une douche à prendre, t’es pas d’accord ? » « Mm… » « Un bain, avec plein de mousse, et de bonnes odeurs ! » Alors là c’est un cri de joie, je pense que le bain est vendu.
Sa maman n’a pas mis d’autre change, mais on devrait se débrouiller à mettre ses vêtements au sèche-linge une fois lavés. Et puis je dois avoir de quoi dépanner au moins pour la nuit. Je ne pense pas que ce soit le moment de demander à Eliot de prendre des affaires pour la petite, on va se débrouiller.
Je monte lui donner son bain, la nettoie et la laisse ensuite jouer dans la mousse, elle a l’air de se régaler. Tout en surveillant mon téléphone, que je ne quitte pas…

Lorsque je suis de retour à la voiture, Ellen ne tarde pas à comprendre que quelque chose ne va pas, je pense que mon teint est plus proche d’un cachet d’aspirine plutôt que d’un spasfon. Elle m’attire à elle pour me prendre dans ses bras, mais je suis sous le choc. Je la laisse faire, même si rien n’a aucun effet. Au contraire, je regarde partout pour être sûr que personne n’attarde son regard sur notre accolade. J’y mets un terme Assez rapidement. Je voudrais qu’elle rentre à la maison, qu’elle prenne soin de Leo. Je ne veux pas qu’ils l’emmènent, qu’elle soit envoyée dans un foyer, comme moi. L’angoisse monte, j’essaie de ne rien laisser sembler, même si je sais très bien qu’Ellen me connaît par coeur. « Eliot, tu m’appelles, d’accord ? » me demande-t-elle, très inquiète elle aussi. Je hoche la tête et la laisse retourner dans la voiture. Je n’ai pas la force de regarder la petite fille. Comment lui dire qu’elle ne reverra plus jamais sa mère ?

La voiture s’éloigne et je suis seule face à moi même, le coeur battant la chamade, les mains tremblantes. Les secours ne tardent pas à arriver, heureusement. Je leur indique l’étage, je n’ai pas la force de monter avec eux, je ne veux pas revoir cette image qui restera à tout jamais collée à ma rétine. La police arrive, et pour la première fois de ma vie, je n’ai pas de crainte concernant les agents. Je n’ai rien à me reprocher. Je leur explique simplement que je venais rendre visite à mon amie, leur raconte que j’ai appelé sur son portable mais que la sonnerie à l’intérieur m’a fait comprendre que quelque chose n’allait pas. Je n’ai pas vendu le mec qui a défoncé la porte, j’ai prétexté l’avoir fait moi-même. Ça passera ou pas. Le plus dur est encore de raconter exactement ce que j’ai vu en entrant. Ma voix tremble, c’est dur. Mais le pire est à venir. « Vous savez si elle avait de la famille ? » Instant d’hésitation. Parler de Leo ou non. Tout va très vite dans ma tête, trop vite. Est-ce que si je parle de la petite, ils vont venir la chercher pour la placer ? Est-ce que si je ne la mentionne pas, ils vont m’inculper ou m’incriminer pour avoir dissimulé quelque chose d’important. « Je venais ramener sa fille. Millie m’avait demandé de m’en occuper aujourd’hui, elle a prétexté avoir un entretien d’embauche. » J’entends Ellen qui me dit souvent que dire la vérité est la meilleure des solutions, dans la plupart des cas. « L’enfant est en sécurité actuellement ? » Je hoche la tête vivement. « Oui, elle est repartie avec ma compagne. On ne lui a rien dit pour le moment. » L’agent de police continue de tout noter sur son calepin, et moi je stresse qu’il me dise ce que je ne veux pas entendre. « Il est tard, je reprendrai contact avec vous pour que nous puissions venir rendre visite à cette enfant, avec une assistante sociale. » J’ai envie de chialer putain. Je hoche la tête mais ne dis rien.

C’est dans le taxi pour rentrer que je lâche toute la pression, les larmes ruisselant sur mes joues. Je ferai tout pour qu’elle n’ait pas à vivre ce que j’ai vécu.
En rentrant à la maison, je retrouve Ellen et m’effondre à nouveau dans ses bras. J’ai besoin de lâcher, et je sais qu’elle est un endroit sain pour moi. « La police viendra avec une assistante sociale pour voir Leo. Je sais pas quand. J’ai pas envie qu’elle aille dans une famille d’accueil, dans un foyer, Ellen je veux pas. Il faut qu’on fasse quelque chose ! » Mais quoi ?

Le plus important pour l’instant est de paraître normale pour la petite. Je sais qu’elle sent les choses, les enfants ont ce don là, qui nous dépasse toujours. Télio savait toujours quand son père et moi étions en froid, quand il y avait l’un de nous deux qui avait un coup de moins bien. Il devinait nos émotions avec une aisance déconcertante. Alors on a pris le parti de ne pas lui mentir, et de toujours tout lui expliquer, ainsi, il avait confiance en nous, il avait confiance en notre parole, et il savait que quand on lui disait que tout allait bien, c’était le cas.
Mais Léo est petite, et quand on a son âge, on a surtout besoin d’être rassurés. D’autant plus que je ne me donne aucun droit de lui dire quoi que ce soit tant qu’Eliot n’a pas pris de décision.
Je tente alors de l’occuper dans un bain, histoire de la calmer et de prendre un peu d’avance sur ce qu’on pourra lui dire, Eliot et moi, sachant pertinemment qu’elle risque de passer la nuit ici, et pas la plus tranquille qui soit.
Je ne tiens plus à attendre des nouvelles de ma moitié. Alors certes, elle a beaucoup de choses à gérer, mais Eliot est fragile et j’espère simplement qu’elle n’aura pas eu de soucis du genre que je n’ai pas envie d’avoir à découvrir. Il suffirait de quelque-chose comme ça pour tout foutre en l’air. Son équilibre pour l’instant précaire mais presque acquis et sa stabilité. Elle serait tout à fait capable de partir sur un coup de tête, sans rien emporter, je le sais. Je sais que tout ça ne tient qu’à un fil, que je ne détient pas.
Léo s’impatiente un peu, elle aime jouer dans le bain mais il commence à refroidir et ce n’est pas le moment qu’elle prenne froid. Je la sors alors du bain en l’emmitouflant dans une serviette immense pour elle. Une fois mise en pyjama, en tout cas quelque-chose en faisant office, je la laisse jouer dans une des chambres, au calme, avec quelques jouets et des livres à disposition. Elle ne réclame pas d’écrans.
Je lui dis que je me trouve en bas, prête à lui préparer le repas, en attendant Eliot. Elle m’assure que tout va bien et qu’elle m’appellera si elle a un problème. Elle comprend tout tellement vite… ça me rappelle beaucoup trop de choses. La porte claque, Eliot, qui se précipite dans mes bras. « La police viendra avec une assistante sociale pour voir Leo. Je sais pas quand. J’ai pas envie qu’elle aille dans une famille d’accueil, dans un foyer, Ellen je veux pas. Il faut qu’on fasse quelque chose ! » « Chut… Eliot, calme-toi. » Je la serre contre moi et caresse son dos en un geste régulier, histoire de la calmer. « Il s’agit simplement d’une visite Eliot. Pour voir si elle va bien d’accord ? » Elle ne parvient pas à retrouver son souffle, je sais tout ce qui lui passe par la tête, elle revit son propre abandon, en plus de l’annonce atroce de son amie. « Pour l’instant il n’est pas question qu’elle s’en aille. Laisse faire les choses. Ils vont avoir besoin de temps pour trouver ses grands-parents, ou de la famille proche, si elle en a, d’accord ? » J’essuie ses jours de mes pouces, elle est dans tous ses états et je la comprends, mais si je ne parviens pas à la rassurer, alors personne d’autre ne le fera.

Je suis à bout. J’ai peur. Il n’a pas fallu longtemps pour que je m’attache à cette petite fille, et en plus de ça, j’ai fait une promesse à sa mère. Prendre soin d’elle. Je ne supporterai pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. Et en plus de tout ça, ça me renvoie à ma propre enfance, et j’étais pas prête à revivre ça, par procuration. Peut-être que j’aurai mieux fait de bosser là dessus avec un professionnel, mais j’en ai jamais eu la force, et je ne m’en veux pas pour ça. Mais aujourd’hui je prends conscience que ça aurait pu m’aider à gérer ce genre de situation.
Je fonds dans les bras d’Ellen en arrivant chez nous. A l’instant, elle est mon seule repère, il n’y a que dans ses bras que je me sente vraiment en sécurité. « Il s’agit simplement d’une visite Eliot. Pour voir si elle va bien d’accord ? » J’aimerai qu’elle dise vrai, qu’elle ne le fasse pas simplement pour me rassurer. Je voudrais vraiment que tout aille bien, que l’avenir de cette pauvre gamine ne prenne pas le même chemin que le mien. Parce que je m’en suis sortie, je pense que malgré tout, j’ai eu un peu de chance dans tout le bordel qu’a été mon enfance, je m’en suis pas si mal sortie, j’aurai pu tourner mal, comme Millie. Mais je suis là, pas très équilibrée mais je m’en sors pas si mal. Et j’aimerai que cette gamine soit heureuse, simplement. Qu’elle ait ce que je n’ai pas eu. « Pour l’instant il n’est pas question qu’elle s’en aille. Laisse faire les choses. Ils vont avoir besoin de temps pour trouver ses grands-parents, ou de la famille proche, si elle en a, d’accord ? » Cette simple idée me serre le ventre, sans trop savoir pourquoi. Parce que peut-être ça signifierait qu’elle aurait quelque part ou aller. C’est ce que je veux, non ? Qu’elle soit en sécurité ? Je n’arrive pourtant pas à m’imaginer la laisser partir avec qui que ce soit. Et pourtant, je n’ai aucun droit sur elle, et je ne la connais que depuis ce matin. Ce monde est fou.
« Elle dort ? » que je lui demande, les yeux rougis par les larmes. Ellen me rassure, tout va bien. Jusqu’à ce qu’on lui explique qu’elle ne reverra plus jamais sa mère. Mon dieu comment on va lui dire un truc pareil ? Je fonds à nouveau dans les bras d’Ellen. Je ne sais pas de quoi ces prochains jours seront faits, mais je suis profondément heureuse qu’Ellen soit là pour m’aider à vivre cette nouvelle épreuve.