new day, new life (elliot 11)

Je sais pas trop bien ce qui se passe en ce moment, tout est en train de changer, j’ai du mal à comprendre. Depuis le départ de Loan, je sens Ellen un peu sur la corde raide. Sa meilleure amie va lui manquer, c’est indéniable, et je me suis promis d’être là pour elle, du mieux que je pourrai. Elles pourront toujours s’appeler en vision, et aller l’une chez l’autre même si l’Europe, c’est pas la porte à côté. Loan ayant cédé son bar à Ellen, je la vois plus vraiment ces derniers temps, le temps de tout gérer, la gérance et tout. J’ai filé quelques coups de main en service et derrière le bar la semaine dernière quand il manquait du monde. J’ai toujours adoré cet endroit, et je l’aime d’autant plus maintenant qu’il appartient à Ellen. Je sais qu’elle gardera l’âme du lieu, pour sa meilleure amie.
Aujourd’hui, c’est pas la joie. J’ai appris qu’il y avait avoir plusieurs postes supprimés dans la boîte dans laquelle je bosse, et j’ai la vague intuition que je suis sur la sellette. On me l’a bien fait comprendre depuis un moment. Déjà que je ne gagnais pas beaucoup, je refuse de vivre au crochet d’Ellen totalement. Si je suis virée, faudra quelle trouve autre chose à faire, et vite.
Je suis en train de finir de ranger les courses dans le coffre de la voiture quand je reçois un appel d’une vieille amie, Millie, que j’ai revue il y a quelques semaines, et qui ne va clairement pas bien. Un peu inquiète, je décroche sans tarder, et je comprends à sa voix que ça ne va pas. « Eliot, tu voudrais bien t’occuper de Leo cet après midi. J’ai un entretien d’embauche, et la voisine n’est pas dispo. » Sa fille de trois ans. Qu’est-ce que je vais fair avec ça moi ? J’y connais rien aux gamins. « Euh, oui, bien sûr. Je viens la chercher, j’arrive tout de suite. » Je sais pas ce qui me prend d’accepter, j’aurai pu lui filer le nom d’une baby sitter, lui proposer de la lui payer, j’en sais rien. Mais je me retrouve devant chez elle, dans ce quartier pourri. Franchement, même un squat serait moins délabré qu’ici. Y’a des dealers dans tous les halls d’immeubles, et moi je me gare là avec la belle caisse d’Ellen. Je vais me la faire tirer, j’ai intérêt de faire vite. Je grimpe les escaliers et me retrouve dans le studio miteux. « Hey, c’est Eliot ! » dis-je en frappant quelques coups la porte. C’est la petite qui m’ouvre, et je lui offre un sourire. « Salut princesse, t’es prête à venir visiter ma maison ? Maman t’a dit que tu allais venir avec moi aujourd’hui ? » Elle hoche la tête et me montre son sac à dos. « Oui, j’ai préparé mon doudou ! ». Je ris un peu et balaye la pièce du regard, pas de Millie à l’horizon. « Millie ? » Je m’avance vers la pièce qui est fermée par une porte, la salle de bain. Je frappe. « Hey Millie, tout va bien ? » Elle ouvre la porte, elle a vraiment une sale mine. Je sais qu’elle se drogue depuis longtemps, mais ça a l’air de ne vraiment pas aller. « Tu veux que je t’emmène quelque part ? On peut te trouver de l’aide, si tu as besoin. » Elle secoue la tête et se force à sourire. « Non tout va bien, occupe toi de Leo cet après midi, je passerai la chercher ce soir. Tu m’enverras ton adresse ? » Je hoche la tête et lui adresse un signe compatissant, posant ma main sur son bras. Je ne tarde pas et récupère la petite fille, l’accompagnant jusqu’à la voiture, avant de rentrer directement à la maison. Une fois sur place, je lui fais rencontrer Woody. Ellen n’est pas encore rentrée, et je propose à la petite fille qu’on aille jouer dans le jardin. Je sais pas trop m’occuper des gamins, mais je vais faire un effort…

Les dernières bouteilles sont rangées, de même que le dernier carton de verres… Je soupire en posant la main sur le comptoir en remarquant tout le boulot que je viens d’accomplir. Presque sans casse ! Loan est parti en me laissant son bar. Pour résumer, elle m’a confié sa vie. Toute sa vie a été consacrée à cet établissement et à ses filles. Elle a besoin d’un nouveau départ, je ne peux que le comprendre. Et puis de toute façon, il fallait qu’elle s’éloigne, qu’elle essaye de changer d’univers pour pouvoir se reconstruire, ça aurait été trop difficile ici. Je ne lui en veux pas, je ne lui en veux plus. Mais il faut tout de même avouer que je ne me sens pas totalement les épaules pour reprendre sa place. Déjà parce qu’elle était bien plus au courant des ficelles du métier que moi, et que je suis une catastrophe ambulante dans ma propre cuisine, alors imaginez… Dans ce bar, c’est Disneyland. Les verres, je les casse directement par deux, comme ça au moins… Et les bouteilles d’alcool… Pour peu qu’il n’y ait rien en travers de mon chemin, ça va. Mais si par malheur je laisse un carton derrière le comptoir et bronche dedans en voulant ranger les bouteilles sur les étagères… C’est la cata.
Ça l’a été quelques fois, et puis Eliot est venue me prêter main forte. Elle est remarquable, d’encouragements, d’efforts, de mots rassurants. Je lui dois énormément.
Ma livraison de ce matin est rangée et en place, il n’y a plus qu’à… Je suis prête pour le service de ce soir, enfin, je viendrais faire un tour. Pour le soir, le personnel est assuré, et c’est autrement plus facile quand on sait de quoi en parle. Jusqu’à présent, je suis prof de fac ! Littérature… Les gars, je suis un rat de bibliothèque, pas un démon de minuit que je sache !
Il est un peu plus de midi quand je rentre. Je pose mes clés sur le comptoir, Eliot a pris ma voiture, et moi le fourgon qu’elle utilise pour son activité. Echange de bons procédés. Elle est dans le jardin. Pour que Woody ne vienne pas me faire la fête en entendant la porte, c’est qu’il est occupé. Je rejoins tout ce petit monde une fois le salon traversé. Je glisse une main dans la nuque d’Eliot, et note la présence d’une petite invitée. « On a de la compagnie. » Souriant. La petite fille m’aperçoit et vient d’elle-même jusqu’à moi en trottinant. « Salut toi. Comment tu t’appelles ? » « Je m’appelle Léo ! » « C’est un super joli prénom ça. Et tu as quel âge Léo ? » « 3 ans ! Comme ça ! » Faisant trois avec ses doigts. Je souris, attendrie, et elle repart naturellement jouer. Je me relève et reste près d’Eliot. « Il est plus de midi, elle a déjeuné ? » Parce que ça se nourrit ces petites choses-là.

J’entends de l’activité dans la maison, Ellen doit être rentrée. Je n’ai pas pris soin de lui envoyer un sms pour la prévenir que j’avais pris avec moi la fille de mon amie d’enfance. On a déjà parlé de cette amie quand je l’ai retrouvée, il y a quelques semaines. Cette situation est assez soudaine, mais elle a besoin d’aide, et j’ai bien compris que de m’occuper un peu de Leo pourra faire du bien à sa mère, pour la laisser souffler un peu.

Je laisse Woody et la petite fille jouer dans le jardin, en jetant de temps en temps un coup d’oeil, parce que mon chien peut être un peu brutal quand il joue, même s’il ne ferait pas de mal à une mouche. « On a de la compagnie. » demande Ellen en arrivant sur la terrasse. Je hoche la tête et dépose un baiser au coin des lèvres de la rouquine. La petite fille accourt sans tarder en voyant qu’il y a un nouvel habitant dans cette maison. Je lui avais déjà parlé d’Ellen. Elles échangent quelques banalités, et je me surprends à sourire bêtement en voyant la petite fille si heureuse, bien loin du visage triste et fermé qu’elle avait quand je l’ai récupérée. Leo repart jouer avec Woody, et Ellen me demande sans plus tarder « Il est plus de midi, elle a déjeuné ? » Je suis un peu surprise par sa question, elle ne me demande même pas qui c’est ni d’où elle vient. C’est tout elle. C’est sans doute ce que j’aime chez elle. « Euh non, j’avais pas vu l’heure. Je vais faire cuire les raviolis. » Je file dans la cuisine et mets de l’eau a cuire, avant de dresser la table. L’avantage de ces paquets c’est que c’est très rapide à préparer et à cuire.

Je ne tarde pas à retrouver Ellen à l’extérieur, qui garde un oeil avisé sur les deux bébés qui courent dans le jardin. « Tu te souviens, je t’avais parlé de Millie, mon amie d’enfance que j’avais revu y’a quelques temps. Je t’avais dit qu’elle avait une fille. Ben voilà. » J’enfouis mes mains dans mes poches sans lâcher la petite du regard. « Millie va vraiment pas bien, elle m’a appelée tout à l’heure pour voir si je pouvais m’occuper de la petite cet après midi, pour qu’elle puisse respirer un peu. » Je laisse un petit temps de silence avant de tourner la tête vers Ellen. « Je suis désolée, je t’ai pas demandé si je pouvais la prendre ici cet aprem. Ça te dérange pas ? »

Bien sûr que je suis surprise de voir une petite occupante de plus dans la maison quand je rentre. Pour autant, ça ne me dérange pas le moins du monde. Du haut de ses trois ans, elle doit animer la matinée d’Eliot. Et je ne demande qu’à la voir faire. J’ai toujours le truc avec les enfants, je ne sais pas, c’est inné, et puis j’en ai eu un à mon tour. Je sais aussi très bien m’y prendre avec les ados. Sans doute parce que je ne parais pas menaçante et que je n’ai pas l’air de pouvoir faire la loi du haut de mon mètre soixante, sans doute que ça y joue ?
Je demande à Eliot si la petite a déjeuné, en caressant son dos. Ce lien, ce besoin de la toucher, ce besoin de douceur et de tendresse, il me vient automatiquement quand elle se trouve près de moi.
« Euh non, j’avais pas vu l’heure. Je vais faire cuire les raviolis. » « Je vais mettre la table. » Nous pouvons manger dehors, ça lui permettra de continuer à jouer sans contraintes. Je sors trois assiettes, dont des couverts qui ne risquent rien, et observe d’un œil la petite fille jouer, et de l’autre, Eliot en train de se démener avec une boite de raviolis. Bon, il vaut mieux que ça soit elle qui s’occupe de la boite de conserve, je me suis encore coupée comme il le faut avec la dernière. Ça n’était pas plus tard qu’avant-hier. Entre temps j’ai cassé un verre. Mais nous ne reviendront pas dessus…
« Tu te souviens, je t’avais parlé de Millie, mon amie d’enfance que j’avais revu y’a quelques temps. Je t’avais dit qu’elle avait une fille. Ben voilà. » Oui, je me souviens de son amie, qui n’allait pas si bien que ça, et qui élevait sa fille seule. Sa fille qui semble avoir l’esprit tranquille. Elle joue avec le chien dans des éclats de rires contagieux. « Millie va vraiment pas bien, elle m’a appelée tout à l’heure pour voir si je pouvais m’occuper de la petite cet après midi, pour qu’elle puisse respirer un peu. » « Tu as bien fait ma puce. Te justifie pas. » Je sors une bouteille de rosé, parce que je suis sage mais quand même, un verre de temps en temps ne peut pas faire de mal. Quand elle me voit sortir le tire-bouchon, elle me le prend des mains en douceur, pour s’occuper elle-même de la bouteille. On ne sait jamais.
« Je suis désolée, je t’ai pas demandé si je pouvais la prendre ici cet aprem. Ça te dérange pas ? » « Non, je te l’ai dit. Tu es chez toi aussi Eliot, arrête de me demander la permission pour tout et rien. » Elle n’arrive pas à l’intégrer, et inconsciemment, j’ai toujours le sentiment, ou la crainte, qu’elle ne s’en aille un jour, avec un sac de sport et sans laisser un mot.
Je la remercie pour le verre de vin et nous nous asseyons sur la terrasse. « Elle a l’air bien ici. » A jouer avec le chien, et dans un autre environnement. Je me surprends à aimer voir Eliot à devoir gérer un petit bout de chou. « Tu t’en es sortie ce matin ? » Je n’ai aucun doute. Vraiment aucun. Et si son amie lui fait confiance… Je glisse une main sur son genou pour prendre sa main dans la mienne. Nous n’avons pas besoin de grandes déclarations, juste de petits gestes…

C’est vrai que j’avais pas fait attention à l’heure qu’il est. Je me suis peut-être simplement dit que quand elle aurait faim, elle demanderait de manger. Ce n’est pas comme ça que les enfants fonctionnent ? Je n’y connais rien. Absolument rien. Je n’ai jamais été en contact avec des enfants, alors je vais devoir faire au feeling. Ellen propose de mettre la table pendant que je m’occupe de faire cuire les raviolis. C’est pas un repas dinguissime, mais je pense que Leo a vu pire. Pendant que la petite n’est pas dans mes pattes, j’en profite pour expliquer sommairement la situation à Ellen. C’est quand même chez elle, ça semble logique qu’elle soit au courant de ce qui se passe dans sa maison. Je ne me serai pas permise d’inviter qui que ce soit sans son autorisation, je ne l’ai jamais fait. Mais là, c’est différent, c’était un cas de force majeure, c’est comme ça qu’on dit ? « Tu as bien fait ma puce. Te justifie pas. » Je lui offre un léger sourire. C’est vrai que j’ai tendance à me justifier, mais ça me semble juste une question de bon sens. « Non, je te l’ai dit. Tu es chez toi aussi Eliot, arrête de me demander la permission pour tout et rien. » Je reste immobile un court instant. Je n’ai jamais été chez moi nulle part en réalité. Je ne sais pas ce que ça peut faire, comme sensation. Silencieuse, je finis de préparer le repas et nous sers à boire, pour en profiter sur la terrasse. Leo continue de jouer avec Woody, elle rit. Ellen semble la trouver bien, je me contente d’un haussement d’épaules. Oui. Elle a l’air. Elle est tellement petite, la pauvre. « Tu t’en es sortie ce matin ? » me demande-t-elle en glissant sa main dans la mienne. « On est pas arrivées bien longtemps avant toi. Le temps de la ramener, déjà j’étais pas bien de conduire avec une gamine attachée à l’arrière sans un siège adapté. » Je soupire un peu. Parce que même si j’ai tendance à être je-m’en-foutiste sur beaucoup de choses, j’ai quand même la conscience du danger. Quand il s’agit de moi, c’est une chose, quand il s’agit des autres qui sont en ma responsabilité, c’en est une autre. « Millie a jamais connu sa mère. Elle sait pas ce que c’est que d’en être une. Je sais même pas comment elle arrive à gérer… » Je reste dans mes pensées, les yeux rivés sur la petite fille. Ça me fait beaucoup de peine. « On pourrait la prendre ici de temps en temps, pour lui changer un peu les idées, tu veux bien ? »

Même si nous commençons à trouver une routine, et je sais à quel point Eliot a horreur de ce mot-là, il me faut sans cesse rappeler à ma petite amie, colocataire ou quoi qu’elle fût, qu’elle est aussi chez elle. Je ne fais pas l’aumône, je me dis simplement qu’après tout, cela fait plusieurs mois qu’elle est ici, nous avons une relation particulière, indéfinissable mais ça ressemble bel et bien à de l’amour, d’une certaine façon. Il faut donc qu’elle se sente chez elle et je n’ai aucun problème à pouvoir partager la maison. Elle y apporte quelque-chose par sa présence. Non seulement elle est moins vide, mais sa présence m’est presque indispensable. Elles sont longues les soirées où elle ne rentre pas, ou au petit matin, pour venir par la suite se glisser derrière moi dans mon lit. Pas qu’elle n’ait pas le sien mais nous avons trouvés certains rituels, sans avoir besoin de les décrire, et ils s’imposent à nous, tout simplement, comme ça. Comme si c’était une évidence.
Il n’est pas difficile de la faire fuir, il suffit de parler de choses concrètes, comme l’engagement ou quoi que ce soit qui puisse y ressembler, et là, vous la voyez détaler.
Alors quand je lui rappelle une énième fois que c’est aussi chez elle, je sens un voile passer devant son visage, une seconde, à peine, mais je l’ai aperçue, cette peur, cette angoisse, de finir enfermée. Ou peut-être est-ce de la reconnaissance ? Je ne sais pas, de l’émotion, oui, mais reste à savoir laquelle au final.
« On est pas arrivées bien longtemps avant toi. Le temps de la ramener, déjà j’étais pas bien de conduire avec une gamine attachée à l’arrière sans un siège adapté. » « Attend, tu l’as ramenée dans ta camionnette ? Sans siège auto ? » Je panique tout de suite ou j’attends un peu ? Non parce que concrètement, la conduite d’Eliot n’étant pas la plus safe… Même si je lui fais une entière confiance en ce qui concerne le fait de s’occuper de la petite fille. Elle n’a juste pas les mêmes notions de danger ou de sécurité que le commun des mortels.
« Millie a jamais connu sa mère. Elle sait pas ce que c’est que d’en être une. Je sais même pas comment elle arrive à gérer… » « L’instinct ma chérie. Ça vient tout seul ça. » Je sais qu’elle ne s’imagine absolument pas avec un enfant, et encore moins le sien. Mais pourtant, je sais qu’elle finirait par en être capable, parce qu’elle aurait à cœur de bien faire. Eliot n’est pas une écervelée, elle est paumée, c’est un fait, mais n’a jamais fait preuve de je m’en foutisme concernant la vie d’autrui. Encore moins s’il s’agit d’un enfant. Elle est même protectrice.
« On pourrait la prendre ici de temps en temps, pour lui changer un peu les idées, tu veux bien ? » « Oui, ce serait une bonne idée. » Je lui souris et caresse sa main en buvant une gorgée. Je crois que le repas est prêt. « Tu t’occupes des raviolis ? » Je sais que si je m’approche trop près de la casserole trop chaude elle finira par me suggérer de la laisser faire. Elle commence à me connaître ! Je m’approche alors de la petite fille et me baisse à sa hauteur. « On va manger, tu veux bien ? » Je lui tends la main et elle la prend, sans souci, pour venir se mettre à table. Je l’entoure alors d’un grand chiffon autour du cou histoire de parer à toute tâche non désirée. « Eliot ? » Je lui fais signe qu’on se mette à table avec elle, et qu’on prenne notre repas nous aussi. Ça lui évite de se sentir isolée, et c’est un moment de partage. Si comme elle le dit, sa mère a à peine le temps de s’en occuper, ce doit être important…

« Attend, tu l’as ramenée dans ta camionnette ? Sans siège auto ? » Je crois qu’Ellen a besoin d’un peu de sommeil, en ce moment. Avec la reprise du Planet, elle est parfois un peu plus à côté de ses pompes qu’elle ne peut l’être d’habitude. « Non, dans ta voiture. Puisque tu avais la camionnette ce matin. » Je lui adresse un petit sourire entendu, et m’approche pour glisser un baiser au coin de ses lèvres. Je ne tarde pas à lui raconter un peu l’histoire de mon amie d’enfance, et de cette petite fille qu’elle a eue il y a peu, alors qu’elle n’avait rien prévu de ce genre. Ellen me parle d’instinct. Je veux bien y croire, mais il y a des choses que l’on reproduit en voyant nos proches faire, et Millie elle, n’a jamais eu de repère.
Je demande à Ellen si on pourrait prendre la petite fille de temps en temps, histoire de lui faire changer d’air. Elle trouve que c’est une bonne idée, et ça me fait plaisir. Pas que j’imaginais qu’elle me dise non, je sais que c’est une personne merveilleuse, et en plus de ça elle aime les enfants. Je ne m’attendais pas à un refus. « Tu t’occupes des raviolis ? » Merde les raviolis ! Je bondis de ma chaise pour aller vérifier que le repas n’est pas brûlé. Ça me ferait chier de rater des raviolis en boîte quand même. Y’a rien de plus simple ! J’entends qu’on m’appelle, et je reviens avec le plat et les assiettes. Pas de vaisselle spéciale pour les enfants, il reste plus qu’à espérer qu’elle ne soit pas une mini Ellen et qu’elle ne casse pas tout, elle aussi. Je nous sers toutes les trois. « Tu fais attention Leo, c’est encore chaud. » La petite fille me regarde avec les yeux pétillants et hoche la tête. Ça me fait sourire. Je finis de servir tout le monde et m’assieds près d’Ellen en leur souhaitant un bon appétit. « Tu fais toute seule ou tu veux que je t’aide. » « Je sais faire toute seule ! » Je trouve qu’elle parle plutôt très bien pour une petite fille de son âge. Remarque j’ai pas de moyen de comparaison. Peut-être grâce à l’école. « Tu aimes bien aller à l’école ? Tu as des copines ? » Le moulin à paroles est lancé, et ça me fait sourire. J’échange avec Ellen un regard complice, et alimente la discussion en continuant de poser des questions. Ellen n’est pas en reste, et ce déjeuner à trois me semble être tout à fait naturel. Je me prends à aimer ça, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que j’aurai aimé vivre ça, à son âge, alors je me dis que ça ne me coûte rien de lui offrir aujourd’hui. Le repas terminé, je débarrasse la table et guide la petite princesse jusque dans ma chambre pour qu’elle puisse dormir un peu. Elle se frotte les yeux, j’imagine que c’est le signal ? Je lui raconte une histoire que j’invente sur le tas, puisque je n’ai pas de livre pour enfant à ma portée. Ellen est sur le pas de la porte, elle nous observe et son regard bienveillant m’entoure d’une douceur infinie. Une fois la petite fille endormie, je quitte la pièce en laissant la porte entre-ouverte. « Ça va, elle était pas trop pourrie mon histoire ? J’ai jamais fait ça avant aujourd’hui. »

« Non, dans ta voiture. Puisque tu avais la camionnette ce matin. » « Ah oui, c’est vrai. » Je soupire, soulagée. J’ai vraiment les idées ailleurs, et ça m’arrive souvent. En même temps, quand on couple maladresse et tête en l’air… Quoi que ça va souvent de paires et ça a le mérite d’amuser Eliot. Je prends avec plaisir son baiser furtif et passe un bras autour d’elle pour une étreinte, aussi furtive, mais sincère.
Nous passons finalement à table, sans que les raviolis n’aient cramés. Je suis plutôt fière en fait, parce que le niveau de cuisine d’Eliot en arrivant était à peu près celui que j’ai en adresse en descendant mes foutus escaliers. Ce qui n’a rien de glorieux, je préfère vous le dire. On se fait cependant à tout.
J’installe la petite sur une chaise, surélevée à l’aide de coussins et autres stratagèmes. Je l’entoure d’une serviette cent fois trop grande pour elle et m’assure qu’elle est bien installée. Elle est très vive d’esprit et surtout parfaitement dégourdie. « Tu fais toute seule ou tu veux que je t’aide. » « Je sais faire toute seule ! » Trois ans. Voilà, autant dire qu’à 16 elle envoie tout le monde gentiment se faire foutre, et c’est très bien pour elle. Surtout à notre époque. Elle aura nécessairement à se battre et à se faire entendre. Elle aura besoin de se faire sa place. Surtout si comme le dit Eliot, elle a déjà une famille un peu bancale. « Tu aimes bien aller à l’école ? Tu as des copines ? » Ca y est, j’ai trouvé une concurrente. Elle parle plus que moi, et je trouve même qu’elle s’exprime très bien pour son âge. Trop ? Elle grandit sans aucun doute trop vite, oui.
Elle fini de manger en tout et pour tout dans les trois quarts d’heure. Refusant par la même qu’on lui réchauffe son assiette, elle aime bien manger froid. Ben bien sûr. Elle me fait rire en fait. Et je nous trouve de plus en plus complices autour d’elle, Eliot et moi. Ça fait longtemps qu’on n’a pas trouvé un sujet de complicité comme celui-là. On est deux pour le bien être de cette petite fille et même si c’est épisodique, ça a le mérite d’être.
Eliot propose d’aller la coucher, c’est sans doute l’heure de la sieste et avec l’énergie qu’elle dépense en paroles, elle doit être crevée. Je n’interviens pas, visiblement, ma petite amie sait ce qu’elle fait et surtout comme elle doit le faire. Alors je ne préfère pas interférer et m’occupe de débarrasser la table. Je ne manque pas de casser une assiette dans l’évier dans un bruit de fracas. « Et merde ! » Et je me doute que tout là-haut, Eliot a dû l’entendre aussi. « Tout va bien !!! » J’ai appris à élever le ton pour communiquer avec elle quand elle est à l’étage. Vu que pousser une gueulante ne dérange pas Eliot… C’est même son quotidien sur les chantiers… Puis je fini par monter les rejoindre, par pur curiosité. Et paf, je loupe la marche. Ce n’est rien, juste une vague habitude, on s’y fait à ça aussi. Je ne compte plus les bleus sur mon corps.
Eliot est en train de raconter une histoire totalement improvisée à la petite fille qui bois littéralement ses paroles. C’est touchant. Elle est douée, avec les enfants… Une fois Léo endormie, ce qui ne tarde pas, Eliot quitte discrètement la chambre, sans refermer la porte. Et ça, je l’identifie comme un besoin qu’elle a elle-même. Elle ne ferme jamais les portes, ni la sienne, ni la mienne quand elle vient me rejoindre. « Ça va, elle était pas trop pourrie mon histoire ? J’ai jamais fait ça avant aujourd’hui. » « Sans dealers et sans meurtres, je trouve que tu fais de gros progrès. » Je me moque d’elle, elle le sait. Je passe un bras autour d’elle pour la serrer contre moi. « Je suis très fière de toi… » Que je glisse à son oreille en embrassant son cou en douceur. Nous descendons ensuite sur la terrasse, où je nous prépare un café. « C’est dingue comme elle est éveillée cette gamine… » M’asseyant près d’elle sur la petite banquette qu’Eliot a elle-même fabriquée. « Tu as ce truc avec les enfants. J’en apprends encore de toi. »

Qu’est-ce qu’elle parle, c’est un truc de fou ! Mais ça me fait rire, elle est vraiment super mignonne. Et quand on sait d’où elle vient et ce qu’elle vit, je peux vous assurer que c’est agréable de la voir aussi éveillée. Elle nous raconte ses histoires. Je ne comprends pas tout mais sa parole est quand même bien développée pour sa petite taille. Je n’ai aucun moyen de comparaison puisque je ne côtoie aucun enfant, mais je la trouve grande, pour son âge. Une fois le repas terminé, je propose de l’emmener de se repose un peu, elle ne proteste même pas, elle se contente de bailler. Je trouve ça adorable. Ellen s’occupe de ranger et débarrasser, dans un bruit de fracas, comme d’habitude. Et je ris un peu quand elle hurle que tout va bien. Me voilà rassurée.
Je raconte une histoire improvisée à la petite fille, qui ne tarde pas à s’endormir. Une fois fait, je quitte ma chambre et retrouve Ellen à l’extérieur de celle-ci, lui demandant si je m’en suis bien sortie. « Sans dealers et sans meurtres, je trouve que tu fais de gros progrès. » Je ne peux m’empêcher de lâcher un petit rire amusé. C’est vrai que si elle avait été une ado, j’aurai probablement utilisé des histoires un peu plus glauques, c’est davantage mon dada, et ce que je connais, en somme. Enfin, je me doute bien que la petite Leo en connaît aussi, sans doute un peu trop pour son âge si peu avancé. « Je suis très fière de toi… » ajoute Ellen à mon oreille en me prenant tout contre elle. Et je souris, parce que ça me fait plaisir de l’entendre, ce sont des mots que je n’ai quasiment jamais entendus. Jamais, en fait. Et même si je ne sais pas pourquoi elle est fière de moi, je préfère ne pas protester.

Nous redescendons au rez-de-chaussée pour prendre un café. Je prends la risque de laisser Ellen s’en occuper, et pas de dégâts, c’est un exploit. « C’est dingue comme elle est éveillée cette gamine… » Je hoche la tête en souriant, récupérant le café qu’elle me tend. « C’est clair, elle me paraît tellement avancée pour son âge ! » J’essaierai de parler un peu avec Millie, en apprendre un peu plus sur leur vie à toutes les deux, comment ça se passe… « Tu as ce truc avec les enfants. J’en apprends encore de toi. » Je plonge mon regard dans celui de ma petite amie, esquissant un très léger sourire. « J’en sais rien, je l’aime bien c’est tout. Puis je sais ce qu’elle vit, j’aimerai juste arriver à lui faire penser un peu à autre chose. » J’ai toujours eu un peu de mal à accepter les compliments. Mais les siens me touchent particulièrement. Je glisse une main sur sa cuisse, tendrement, et récupère sa main pour la caresser. « J’aurai bien aimé te connaître quand ton fils était encore là. Voir comment tu étais avec lui, comment il était avec toi… » Je suis certaine qu’elle aurait été élue mère de l’année si elle avait concouru. J’espère seulement que le sujet ne la refermera pas sur elle-même. Je me doute que ça doit être difficile, encore aujourd’hui.

Eliot a besoin d’entendre les choses, qu’on les lui formule, qu’on les lui prouve aussi. Elle n’a jamais vraiment eu l’occasion d’entendre quelqu’un lui dire qu’on était fier d’elle, ou qu’elle avait le mérite d’exister, qu’elle avait sa place et qu’elle comptait réellement pour quelqu’un. S’ajoute à ça le filtre et le spectre amoureux, dans lequel je suis clairement tombé. Je ne suis certes pas la personne la plus objective, mais suis-je pour autant la moins sincère ? Sans doute pas.
Elle ne sait pas encore dealer avec tout ce qui lui tombe dessus, c’est une évidence. Pour autant, petit à petit, elle apprend, et elle prend ses marques sur ma façon de faire avec elle. De coups d’un soir sous alcool, nous sommes passées à autre chose, quelque-chose de plus concret. N’allez pas croire que c’est facile. Rien n’est gagné avec Eliot. Elle peut faire autant de pas en arrière que vous en avant. Si ce n’est plus. Et finalement, vous finissez par vous retrouver à lui courir après non pas pour lui demander des comptes, mais pour la rassurer.
Nous descendons une fois la petite fille endormie. Aux vues de l’énergie dépensée durant deux heures, je pense que la sieste est nécessaire. Elle est pleine de vie et ça fait du bien de voir cette maison vivante.
« C’est clair, elle me paraît tellement avancée pour son âge ! » « Pour trois ans, elle l’est. » Elle formule clairement bien ses phrases, son vocabulaire est relativement riche. Il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour comprendre qu’elle a l’habitude de se retrouver en présence d’adultes. « J’en sais rien, je l’aime bien c’est tout. Puis je sais ce qu’elle vit, j’aimerai juste arriver à lui faire penser un peu à autre chose. » « Raconte-moi, c’est quoi sa vie ? » Prenant sa main pour la caresser de la mienne. Ça semble lui tenir à cœur, d’aider la petite Léo. Sans doute y a-t-il une histoire douloureuse derrière tout ça. Je ne connais pas grand-chose de la vie de la petite fille, si ce n’est qu’elle a une maman un peu perdue. Sans doute que l’équilibre de la fillette est en chamboulement permanent.
« J’aurai bien aimé te connaître quand ton fils était encore là. Voir comment tu étais avec lui, comment il était avec toi… » C’est sans doute le moment pour moi de me livrer, de lui parler un peu de ma vie d’avant. De lui montrer cette parcelle de ma vie, que je pensais être ma vie toute entière. Je me lève alors pour aller chercher un album photo dans le fond d’un placard. Je l’ouvre à une page précise, pour lui montrer des photos de nous deux. Ça n’est pas bien compliquées, on en prenait à la pelle. Notamment à sa naissance. J’ai des tas de photos de lui à la maternité. A n’importe quelle étape de sa courte vie. C’était un enfant très sensible. « On était… Fusionnels tous les deux. Je l’emmenais partout. » Je l’ai concrètement élevé soit sur les bancs d’une bibliothèque, soit sur les banquettes du bar de ma meilleure amie. Il pouvait s’endormir n’importe où. Le bruit ne l’a jamais dérangé. « Il était plein de vie. Mais plus adroit que moi. Et terriblement en avance aussi… » Je sens une boule se former dans ma gorge, mais il faut que la parole se libère, il faut que je parvienne à passer au-dessus de tout ça. Je ne peux pas le garder dans le silence, ça ne le fera pas revenir et ma peine ne sera pas moins grande.

Ellen est d’accord avec moi, cette petite Leo est bien avancée pour son âge. Je ne suis pas folle. Je n’ai pas vraiment de moyen de comparaison, mais ça me semble assez évident. Je sais pas trop pourquoi j’aime bien cette gosse, peut-être parce que je connais son histoire, ou que ça fait un peu écho à la mienne, la galère tout ça, je connais. J’ai vécu. « Raconte-moi, c’est quoi sa vie ? » me demande Ellen en caressant tendrement ma main. Je hausse un peu les épaules. « Bah une mère toxico, pas bien dans sa tête. Elle était un peu à la rue quand elle est tombée enceinte, du coup la petite a pas eu vraiment un environnement stable. Même aujourd’hui c’est pas la joie… » Ça m’emmerde pour elle, mais je vois pas bien ce que je peux faire de mieux pour aider mon amie, et sa fille. A part ce que je fais aujourd’hui, je veux dire. Et c’est déjà pas mal je trouve.
Finalement, la discussion s’articule autour d’Ellen, ou disons que je change plus ou moins de sujet, pour qu’elle me parle un peu de son fils. Elle en parle rarement, même si je sais qu’elle y pense beaucoup. Et je n’ose jamais poser trop de questions, par peur que ça lui fasse de la peine de repenser à lui. « On était… Fusionnels tous les deux. Je l’emmenais partout. »[/color] m’avoue-t-elle. J’ai assez peu de mal à l’imaginer. L’album qu’elle me montre est rempli de photos pleines de vie, je souris même, tellement c’est beau à voir. « Il était plein de vie. Mais plus adroit que moi. Et terriblement en avance aussi… » Je ne peux m’empêcher de rire quand elle parle de sa maladresse. On aurait pu penser que son fils ait hérité de sa mère sur ça, mais au moins, il aura eu la chance de savoir marcher sur ses deux pieds, le temps qu’il ait pu le faire. Cette simple pensée me fait mal au coeur, mais je ne montre rien, restant le nez sur les photos qu’elle me montre de page en page. J’entends bien qu’elle est émue, et c’est normal. Je glisse une main sur sa cuisse simplement pour lui signifier que je suis là, qu’elle n’a pas besoin de parler. Les photos de la page suivante me font rire, et elle aussi. Le petit garçon semblait assez doué pour faire des bêtises. Rien de bien méchant, juste de quoi faire rire ses parents, et son entourage. Un vrai petit clown. C’est vrai qu’il me fait un peu penser à moi, mais cette idée ne me plait pas trop. Parce que je ne voudrais pas qu’Ellen voit en moi son fils, c’est déjà bien assez que je sois la fille de sa meilleure amie ! Le temps s’écoule au rythme des pages de l’album, quand j’entends des petits pas descendre l’escalier, doucement. Je me retourne pour regarder la petite fille s’appliquer. « Tu as bien dormi ma grande ? » Quand j’étais gosse, je supportais pas qu’on m’appelle ‘petite’ ou tous ces surnoms qui me faisaient me sentir comme une gamine. Alors je me dis que ça lui fera plaisir. Elle hoche vivement la tête et vient nous rejoindre sur le canapé. Je lui laisse une place entre Ellen et moi, et la voilà qui commence à poser des questions. « C’est qui le petit garçon ? » Ok, là je laisse Ellen répondre…

Eliot a le cœur sur la main, malgré l’air qu’elle veut bien se donner. Se montrer vulnérable, ou bien un tant soit peu fragile est inconcevable pour elle, et on lui a toujours appris à rester sur ses gardes, quoi qu’il puisse arriver. Aujourd’hui, je tente de l’apaiser, en tout cas de lui montrer que parfois, les failles peuvent faire un charme, ou même mener à une relation plus saine. On en a tous. Il suffit de les regarder droit dans les yeux et de composer avec, de se rendre compte que personne n’est sans défaut, sans cicatrices, ou sans fêlures.
L’histoire de la petite fille lui tient à cœur semble-t-il. Il s’agit de la fille d’une de ses amies. « Bah une mère toxico, pas bien dans sa tête. Elle était un peu à la rue quand elle est tombée enceinte, du coup la petite a pas eu vraiment un environnement stable. Même aujourd’hui c’est pas la joie… » « Elles sont un toit ? » On reconnaît le côté Saint-Bernard que je peux avoir parfois. Mais il s’agit d’une petite fille de 3 ans, qui elle, n’a sans doute rien demandé. Et qui dort à l’étage, une sieste digne de ce nom, visiblement.
Alors maintenant qu’on a un moment à nous, un moment durant lequel Eliot doit s’armer de patience pour rester silencieuse, nous en profitons pour… Elle en profite en fait, pour me demander comment pouvait bien être Telio. Quel genre de petit garçon ? Impossible d’en parler avec dépit. Telio était le rêve de toutes les mamans. Parler de lui m’émeut, nécessairement. Et il me manque, terriblement. Mais je dois prendre sur moi, parce qu’il faut que j’apprenne à vivre avec ça. A vivre sans lui, sans eux surtout. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à lui. Mais j’ai appris, petit à petit à penser à lui en souriant, parfois. Pas qu’en pleurant, comme au début. Et maintenant que Loan est parti, c’est d’autant plus difficile. Elle était un peu la gardienne de tout ça. La première à savoir me remonter le moral. Je n’avais pas besoin de lui dire que je me sentais seule, triste… qu’ils me manquaient. Elle le savait.
Pour en revenir à mon fils, c’était un petit garçon plein de vie, un peu farceur. Mais gentil et obéissant. Enfin, quand il en voyait l’intérêt. Les règles n’étaient jamais vraiment des règles, du moment qu’il trouvait un moyen de les contourner, tout le fils de son père.
Des petits pas se font entendre, Léo est en train de descendre les escaliers, avec habilité, il faut le remarquer, malgré sa bouille toute endormie. « Tu as bien dormi ma grande ? » Elle acquiesce et vient se glisser entre Eliot et moi, elle cherche l’attention, et l’affection, il n’y a pas à dire. Je passe un bras autour d’elle en lui laissant une place, et naturellement, elle vient se lover contre moi. Elle me connaît à peine pourtant. Les enfants ont un sixième sens qui m’interpelle à chaque fois. « C’est qui le petit garçon ? » Eliot me lance un regard au bord de la panique. Je vais gérer, ça ne doit pas être si compliqué… Et puis, ça aussi, il faut que j’arrive à l’endiguer, à le gérer. « Lui, c’est Télio. C’était mon petit garçon. » Elle observe les photos et tourne les pages. A l’aise. « Et il est où maintenant ? » Je sens la panique d’Eliot jusque-là. Alors je caresse sa main pour la rassurer. « Il est… dans un endroit tranquille. J’espère. » Elle se contente d’un Mm satisfait pour toute réponse et tourne encore quelques pages. « On va goûter ma chérie ? » Alors là, j’ai touché au bon endroit, parce que son oui enthousiaste est appréciable. « Et si on allait manger une glace au parc ? Mais on doit s’habiller avant ça. » Pas de souci pour elle, elle saute du canapé et remonte en courant chercher ses vêtements. « Doucement dans les escaliers ma puce ! » Lançais-je amusée.

Ellen me demande si mon amie et sa fille ont un toit. Je hoche faiblement la tête. « Un truc horrible, minuscule dans un quartier je te raconte même pas comment. Mais bon elle peut pas se payer mieux, c’est toujours un toit au dessus de sa tête… » Et ça me fait mal au coeur pour elle, qu’elle n’ait jamais réussi à s’en sortir, à se donner les moyens de faire autre chose. On était dans la même galère toutes les deux, mais j’ai toujours été plus débrouillarde qu’elle. On ne refait pas sa nature. Elle était du genre à se laisser sombrer quand moi je cherchais des solutions pour m’en sortir. Aujourd’hui, elle a Leo, mais est-ce que ça l’a vraiment fait changer pour autant, j’en suis même pas sûre.
Ellen et moi prenons un moment juste nous deux, et j’en profite pour lui demander de me parler un peu de son fils. Demander est un grand mot, disons plutôt que je lui laisse l’opportunité de le faire, tout en sachant qu’elle peut ne pas en avoir envie. Mais elle le fait. Quand Leo se réveille, elle vient s’installer entre nous, et je suis complètement subjuguée par le câlin qu’elle offre à Ellen, alors qu’elles ne se connaissent pas. Les enfants sentent. Ellen était une bonne mère, elle aime les enfants, c’est évident. La petite fille commence à poser des questions, et je reste silencieuse, laissant Ellen répondre à ses sollicitations. Mais quand elle demande où il est désormais, je panique. Je ne sais même pas pourquoi. Peut-être parce que j’aurai eu du mal à trouver les mots si la question m’avait été posée ? Sans doute. Elle vient poser sa main sur la mienne comme pour me rassurer. La réponse de la rouquine est mystérieuse, mais elle suffit à la petite fille. Il est l’heure de goûter, et à l’évocation de ce mot, mon ventre se met à réagir. Un ventre sur pattes.
Ellen propose une glace au parc, et évidemment, Leo est enchantée, si bien qu’elle file droit chercher ses affaires. Je me marre un peu en la voyant faire. « T’as refait sa journée ! » Je me penche pour voler un baiser à Ellen et me lève du canapé. « Je vais lui donner un coup de main quand même. » Ni une ni deux, je monte aider la petite fille avec ses vêtements et nous descendons toutes les deux main dans la main, alors qu’elle continue de me raconter l’histoire fabuleuse de son doudou dénommé Poppy.
Une fois en bas, nous mettons nos chaussures, et partons en direction du parc. Il n’est pas loin, quelques minutes à pieds seulement. « On pourra aller à la plage la prochaine fois ? Maman m’a jamais montré. » Oh. Elle n’a jamais été se baigner. Pauvre gamine. Je hoche fièrement la tête en lui souriant. « Bien sûr ma puce, on ira toutes les trois, c’est pas très loin tu verras ! » Il faudra lui acheter un petit maillot de bain, j’imagine qu’elle n’en a pas. Je suis sûre qu’Ellen sera ravie de m’accompagner pour le choisir.

Eliot a un entourage bancal, ça, ça n’est pas nouveau. Il faut dire aussi que sa vie ne s’y prête pas. Elle a eu un mauvais départ, et je sais très bien qui il faut blâmer pour ça. Mais j’évite de mentionner le sujet, je ne veux pas de conflit. Ni avec ma meilleure amie, ni avec Eliot. Elle aurait finalement à choisir un camp et ça n’est pas ce que je veux. Alors je préfère taire tout ça, bien que je le pense du plus profond de mon âme. Si Eliot avait grandi dans un autre milieu, elle serait plus heureuse aujourd’hui. En tout cas plus heureuse que les bribes de soulagement que je lis parfois dans son regard, et ça n’est pas chose évidente. Elle n’est pas heureuse, pas profondément, elle a des élans, comme ça, comme à Noël, et le reste du temps, elle se contente d’un état assez neutre, qui lui convient, qui est déjà plus apaisant que tout ce qu’elle a pu connaître jusqu’à présent.
« Un truc horrible, minuscule dans un quartier je te raconte même pas comment. Mais bon elle peut pas se payer mieux, c’est toujours un toit au-dessus de sa tête… » « Un de mes collègues de la fac possède quelques appartements, tu veux que lui en parle ? » J’aimerais les aider, ça ne coûte rien. Je ne peux rien promettre mais changer d’environnement ne pourra que lui mettre le pied à l’étrier.

Après la séquence émotion dont je sors à peu près indemne, je propose une glace au parc. Visiblement, l’idée conquis l’unanimité. « T’as refait sa journée ! » Je souris à Eliot, contente de voir qu’elle est partante elle aussi. Après tout, on a une petite invitée, et ça n’arrive pas souvent. Cette maison manque parfois un peu de vie. Bon, les idées saugrenues d’Eliot viennent remuer un peu tout ça, mais un enfant dans une maison… ça me manque. « Je vais lui donner un coup de main quand même. » Je la laisse faire. Je suis étrangement surprise de son aisance avec les enfants. Léo est toute petite, et c’est parfois un âge difficile à appréhender. Bien plus difficile que les 4-12 ans, qui parlent facilement de leurs préférences et acceptent souvent un peu mieux la frustration.
Quand les filles sont prêtes, j’enfile une paire de baskets avec mon jean et nous partons pour le parc, à quelques minutes de marche à peine. De toute façon, nous n’avons pas la poussette.
« On pourra aller à la plage la prochaine fois ? Maman m’a jamais montré. » Je lance un regard amusé à Eliot. Elle m’a l’air diablement à l’aise. Il y a déjà une prochaine fois. « Bien sûr ma puce, on ira toutes les trois, c’est pas très loin tu verras ! » Je caresse la main de la petite et nous arrivons déjà au parc. Je la laisse choisir son parfum et règle les trois glaces, puis nous nous installons près des jeux, autour d’une table de pique-nique. Je la sens bien attirée par les autres gamins qui jouent tout près. « Tu veux aller jouer ? » Elle est en train de manger sa glace, mais rien ne l’empêche de le faire là-bas. Je ne suis pas pour compartimenter chacun de leur comportement, si elle préfère sociabiliser en mangeant sa glace, pourquoi pas. J’ai toujours eu une éducation basée sur les envies, et la sécurité. Du moment qu’elle ne risque rien, ça ne change pas grand-chose qu’elle mange sa glace avec nous ou avec ses copains. « Tu peux y aller tu sais. On reste là, on ne bouge pas ma puce. » C’est important qu’elle continue à se sentir en sécurité.

« Un de mes collègues de la fac possède quelques appartements, tu veux que lui en parle ? » me demande Ellen, voulant aider mon amie. Je hoche légèrement la tête. Je ne vais pas cracher sur sa proposition, si je peux aider Millie.. Une fois l’épisode intense terminé, Ellen propose d’aller manger une glace au parc, et le visage de la petite Leo s’illumine. Ni une ni deux, nous sommes prêtes à partir. Elle demande même à aller faire un tour à la plage, où elle n’est jamais allée. Ça me fait mal au coeur, toutes ces choses si simples qu’elle aurait pu vivre, mais n’en a pas eu la chance. Evidemment j’acquiesce. Comment peut-on dire non à une petite bouille pareille ?
Une fois sur place, les glaces choisies et réglées, nous nous installons près des jeux pour enfants. Evidemment, la petite fille ne demande qu’à se dépenser, et jouer avec les autres enfants. Ellen lui laisse la possibilité d’aller jouer. On ne va pas bouger. Je hoche vivement la tête en lui faisant comprendre que je suis d’accord. Je n’ai aucune validation à apporter, mais je me dis que deux avis valent mieux qu’un. Et la voilà partie pour se faire de nouveaux amis. « Elle est adorable. » Je n’ai jamais aimé les enfants, mais on dirait qu’elle, c’est un peu différent. Je reste là à la regarder, la surveiller un peu peut-être aussi. Le temps passe à une vitesse folle, et il est déjà temps de la ramener chez elle.

Un rapide tour à la maison pour faire pipi et récupérer ses affaires, et nous voilà parties toutes les trois en direction de chez Millie. Mon ventre se serre lorsque nous arrivons dans la banlieue où elles habitent. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme un mauvais pressentiment. Je guide Ellen jusqu’en bas de l’immeuble. Comme à mon arrivée, un dealer fait le gai. Je soupire un peu, récupère le sac de la petite fille et lance un regard à Ellen, avant de lui dire tout bas. « Tu verrouilles les portes une fois qu’on est sorties. » Je ne suis pas rassurée de la laisser là dans la voiture, seule. Je prends Leo dans mes bras et nous grimpons les étages pour rejoindre l’appartement où elle vit. Je frappe, personne ne répond. « Millie, c’est Eliot, j’ai ramené Leo ! » Je frappe à nouveau, la sonnette ne semble pas fonctionner. Je décide de l’appeler sur son portable, mais la sonnerie me parvient à l’oreille, à l’intérieur de l’appartement. Je sens que quelque chose ne va pas. « Bon. On va redescendre voir Ellen en attendant que maman nous ouvre la porte ok ? » Une fois les portières déverrouillées, je pose Leo sur le siège passager. « Elle ouvre pas la porte, et son portable sonne à l’intérieur. Je vais essayer de voir ce qu’il se passe. » Il faut que la petite fille soit en sécurité. J’en ai fait la promesse. En remontant, je me risque à demander de l’aide au dealer pour ouvrir la porte. Il n’est pas réticent. Une fois la porte ouverte, je cherche du regard mon amie d’enfance, que je trouve étendue dans une mare de sang au milieu de la minuscule salle de bain, les veines ouvertes. Je manque de vomir. La panique m’envahit un instant. Bordel de merde. Je suffoque, détourne le regard et quitte l’appartement. Il n’y a rien à voler de toute manière. Les doigts tremblants, je compose le numéro des secours et leur donne l’adresse. Une fois de retour en bas de l’immeuble, je fais le tour de la voiture et fais signe à Ellen de sortir. Je suis blanche comme un cachet d’aspirine. « Elle.. Millie… Elle… » Ça ne veut pas sortir, ma gorge est serrée, ma voix tremble. « Elle s’est ouvert les poignets. » Je vois dans le regard d’Ellen qu’elle a peut-être un semblant d’espoir. Je secoue la tête. Non. Elle est morte. Fini. Basta. « Rentre à la maison avec Leo. Je vais attendre les secours. »