Feliz Navidad ~Wilfried & Roman~

Les semaines avaient défilés sans qu’il s’en rende compte et dans sa tête, il revoyait inlassablement le taxi quittant sa demeure pour emmener Ruben vers sa nouvelle vie. Vers cet autre homme qui semblait le rendre plus heureux. Il avait saisi un millier de fois son téléphone, composer un message ou son numéro avant de tout effacer tout en s’en voulant d’osciller entre lâcheté de ne plus rien tenter et courage de rester sur ses positions douloureuses mais raisonnables. Il avait raconté à Kate leur dernière entrevue et elle avait acquiescé tout en l’encourageant à garder ce cap qu’elle trouvait, elle aussi raisonnable. À croire qu’il était entré dans une ère de raison.
Heureusement que ses soirées étaient bien remplies entre les différentes associations caritatives, es expositions et autres manifestations qui fleurissaient durant la période des fêtes. Lorsqu’il rentrait dans son immense demeure vide, il filait sous la douche avant de s’écrouler dans son lit. Seul. Il plongeait dans des sommeils profonds et sans rêves et le jour le retrouvait, pas forcément reposé, ni apaisé.

Seuls les sms de Roman lui arrachaient des sourires ou le faisaient rire. Le musicien l’avait invité à se joindre à lui pour le réveillon de Noël. Kate aussi, l’avait invité mais, il avait décidé de répondre présent à l’invitation du brun. Celui-ci avait précisé qu’il y aurait les membres de son groupe et leurs conjoints ainsi que sa fille.

Il avait pris le temps de dénicher un petit cadeau pour chacun des convives. Des albums rares pour certains. Des bouteilles de vins pour d’autres. Des parfums pour les compagnes. Roman et sa fille restaient les deux pour lesquels le galeriste avait beaucoup hésité. Pour Isabel, il avait fini par choisir un livre sur les animaux ainsi qu’une sanguine représentant un chaton. Pour Roman, il avait choisi un pull en cashmere noir. Il avait souri en voyant un de couleur mauve mais n’avait pas osé le lui prendre.

Il avait chargé tous ces paquets joliment emballés dans le coffre de sa voiture. S’était inspecté une dernière fois dans les différents miroirs de la demeure comme si son reflet pouvait changer. Avait failli se changer plusieurs fois avant de se sermonner et de rester sur son premier choix. Un costume classique bleu marine sur une chemise blanche. Simple et efficace.

C’est avec plaisir qu’il retrouve la maison de Roman. Un sourire étire ses lèvres. Il aime beaucoup cet endroit chaleureux. Après avoir trouvé un endroit pour garer sa voiture, il rejoint la maison, les bras chargés de cadeaux. Il n’a pas le temps de s’annoncer que la porte s’ouvre sur une fillette que Wilfried reconnaît pour l’avoir vu en photo.

« Papaaaaa ...  Il est làààà »

Wilfried n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que la gamine s’éclipse aussi rapidement que ce qu’elle est apparue. Il fait un pas, puis un second et s’avance lentement. Son prénom fuse et il s’entend appeler. Il adresse des sourires à l’assemblée en attendant que le maître des lieux arrive et le décharge de ses paquets, n'osant pas aller au-delà. Il connait les personnes qui sont réunies ce soir mais, il a toujours besoin d'un temps d'adaptation avant que son attitude redevienne moins rigide. Plus naturelle.

La vue de Roman le trouble. Il le trouve toujours aussi beau et cela le dérange. Pas question qu'il flanche pour un hétéro. Il se compose un visage souriant et lance, sur un ton désinvolte  «Bonsoir»

Pour les fêtes de fin d’années, mettre les petits plats dans les grands est une institution chez les Rosario. Fidèle à ses racines, Roman et toutes sa clique, composée de ses amis et de sa fille, s’active à préparer les différents mets qui orneront la tablée de ce soir. La musique rythme leurs préparatifs sous leurs chants enjoués. Roman se nourrit de ces instants chéris où ils forment cette famille de cœur qu’il s’est constitué au fil des années. Pourtant, il manque une personne dans ce bel ensemble. Il s’agit d’une sensation qui se greffe à son esprit sans lui permettre d’identifier la cause de ce défaut. L’année dernière l’absence d’Alexander avait été douloureuse, mais il savait ce qui manquait à cet ensemble. Aujourd’hui, il est démuni face à cette sensation qui le travaille durant toute la journée. Elle n’est pas terrassante et n’amoindrit point son engouement, mais elle est là, cachée, presque imperceptible, mais bel et bien là. Les préparatifs avancent et l’ensemble des convives se relaient dans les salles de bain pour se préparer pour le réveillon. Roman passe une heure à préparer Isabel qui ne tarit pas de questions au sujet de cet ami qu’il a invité. Il se plie obligeamment à son interrogatoire improvisé avec un certain amusement. Parler de Wilfried lui fait prendre conscience qu’il est cet élément qui manquait au tableau de la journée. Cette réalité a le mérite de le perturber quand bien même il s’efforce de le masquer.  Il est vrai que l’Hispanique prend de plus en plus de plaisir à passer du temps en compagnie du galeriste. Il y a quelque chose d’intriguant et de magnétique en lui, presque fragile et Roman se rend compte qu’il apprécie dérider cet homme qui semble inaccessible aux premiers abords, mais qui est un bon vivant lorsqu’il accepte de s’épanouir en faisant fit de tout le reste. Il le détaille à sa fille à sa demande avec un engouement qu’il ne perçoit pas, mais qui n’échappe pas à son meilleur ami qui le prend en écart pour lui poser une question qui le fait froncer des sourcils. « Votre relation à évoluée avec Wilfried ? » Comment ça ? Cette interrogation lourde de sens le prend de court alors qu’il observe son meilleur ami avec incrédulité avant d’être enserrer de manière fraternelle dans ses bras solide. « Désolé pour cette question, mais tu étais si passionné quand tu en parlais à Isabel que j’ai cru qu’il s’était passé quelque chose. Tu avais fait la même chose quand tu lui as parlé d’Alexander la première fois. »  Cette révélation l’ébranle alors qu’il garde le silence tandis que son meilleur ami perçoit son trouble. « Eh, tu me connais, j’ai tendance à extrapoler ce que je vois. Laisse tomber. » Il lui indique en venant lui serrer la nuque comme pour l’extirper de ses pensées embrouillées. Seulement, Roman n’est pas dupe. Il doit bien exister une part de vérité dans les spéculations de son meilleur ami. C’est l’esprit hagard qu’il retrouve la salle de bain pour se préparer à son tour. Est-ce que je serai en train de m’attacher à Wilfried autrement que comme un ami ? La question mérite réflexion. Il ne sait pas comment y répondre. Il l’apprécie, c’est évident, assez pour rechercher sa compagnie et tenir à cette relation qui tisse. Est-ce que je le désire ? Wilfried est assurément un bel homme. Il l’a trouvé magnifique et magnétique dès leur première rencontre, mais il ne l’a jamais regardé comme un homme. Ais-je seulement regardé un homme en tant que tel ? Pas vraiment. Généralement l’Hispanique est victime de ses émotions et de ses pulsions. C’est l’alchimie et la complicité qui le fait sombrer dans des étreintes passionnées avec des hommes. Le péché de la chair en compagnie des hommes est un tabou pour lui, qu’il accepte de discuter qu’avec son meilleur ami. Un soupir vient s’échapper hors de ses lippes alors qu’il s’efforce de reprendre contenance. « Cela ne sert à rien de se torturer l’esprit. Advienne que pourra. » Vraiment ? Pas tout à fait, il sait que les choses sont loin d’être si simple, mais il préfère mettre ces tourments de côté pour se concentrer sur l’instant présent et non sur ses émotions. En conséquence, il tronque sa serviette pour un costume simple composé d’un pantalon noir et d’une chemise : un classique. Il s’apprête rapidement avant de retrouver ses amis qui poursuivent l’attablement et prépare les apéritifs. Wilfried devrait bientôt arriver et il ne peut s’empêcher un trouble envahir sa poitrine. D’ailleurs, il échange un regard avec son meilleur ami lorsque la sonnerie retentie. C’est Isabel qui se dirige naturellement vers la porte pour inviter leur convive. Sa voix cristalline et impatiente vient passer au-dessus de la musique alors qu’il se dirige à son tour vers la porte. Ses prunelles viennent se perdre dans ceux de son ami. Un sourire sincère et accueillant vient ourler ses lippes alors qu’il va à sa rencontre. « Bonsoir Wilfried. » Il le salut en venant lui offrir une de ses étreintes amicales auxquelles il l’a habitué. Pourtant, il se sent plus cruellement conscient de leur proximité, de l’odeur de son parfum et du charme qu’il dégage naturellement. Il ne s’attarde pas sur cette sensation. « Ravi que tu ait pu venir. Tu connais tout le monde sauf la petite furie qui a fuit comme elle est venue. » Il lâche dans un sourire complice en venant défaire son étreinte en l’invitant à saluer tout le monde. « Fais comme chez toi. Je crois que je n’ai pas à te le dire trois fois si mes souvenirs sont bons. » Il ajoute dans un ton taquin en venant lui donner un coup d’épaule avant de glisser sa menotte dans son dos pour l’inviter à prendre ses aises. Ces contacts lui viennent naturellement, sont devenus des éléments de leur langage corporel qui exprime pleinement leur complicité. Wilfried est accueilli chaleureusement par les membres de son groupe. Ils prennent de ses nouvelles tandis qu’il retourne en cuisine pour aider les dames à amener les amuses gueules. En bonne petite maitresse de maison, Isabel s’applique à ramener les plats avec les grands. « ¿Quieres algo de beber? » Elle questionne leur invité dans sa langue natale sans en prendre conscience de sa voix chatoyante, déterminée à faire le service de l’invité d’honneur. Elle le scrute avec intérêt et une grande pointe de curiosité alors que Roman vient naturellement se poser près de Wilfried, car il demeure le membre le plus proche dans le groupe. Du moins, c’est l’excuse qu’il se donne alors qu’il recherche juste sa compagnie, car il l’apprécie grandement. « ¿Quieres que ponga tus regalos bajo el árbol? » Isabel renchérit en venant tendre les bras pour récupérer les cadeaux du galeriste. Sa princesse déborde de confiance en elle, mais c’est surtout une façade qu’elle montre. Elle finit par s’éclipser pour regagner la cuisine après un détour par le sapin de Noël. « Désolé, elle est toujours très curieuse quand je lui présente de nouvelles personnes. » Il indique dans un murmure à son ami. « Comment te sens-tu depuis la dernière fois qu’on a échangée ensemble. Tu n’es pas trop épuisé par le travail ? » Il le questionne avec bienveillance, conscient de la période particulière que traverse le galeriste. Ce deuil nécessaire à la suite d’une relation qui n’a pas fonctionnée alors que les sentiments demeurent vivaces, il le comprend pour l’avoir vécu par le passé même s’il n’en dit mot, bien trop pudique pour s’exprimer à ce sujet. Une nouvelle fois, il fait abstraction du monde qui l’entoure pour s’intéressé au galeriste et son bien être sans en prendre réellement conscience.

Wil sourit en entendant Isabel lui parler en espagnol, comme si c’était une évidence qu’il comprenne la langue. Il peut remercier cette ville mais aussi Ruben pour l’avoir aidé à mieux appréhender cet idiome. Il lui donne quelques paquets et va déposer ceux qui l’encombrent sous le sapin. Il admire au passage la décoration de l’arbre.
« Merci, c’est gentil de m’aider »
En ce qui concerne la boisson, il n’ose pas demander à une gamine de lui servir de l’alcool. Il préfère simplement dire
« Roman me servira quelque chose, merci beaucoup de ton accueil »
Comme elle est apparue, la gamine s’évapore. Wil ne s’en formalise pas car il a l’habitude avec les filles de Kate. Collantes une minute, puis, elles disparaissent sans crier gare.
Une fois libéré de ses cadeaux, il se dirige vers le groupe où il est accueilli, comme à chaque fois, par une bordée de vannes auxquelles il ne répond que par des sourires et des rires, même s’il ne peut s’empêcher de dire
« Attention, si vous n’êtes pas sages, le Père Noël ne passera pas »
Nouvelles salves de rires et de répliques emplies de sous-entendus. Parfois, Wil ne comprend pas leurs insinuations. Roman est tout ce qu’il y a d’hétéro. Il secoue la tête, amusé, tandis que la voix du maître de maison résonne à ses côtés.
Son regard s’attarde sur la tenue de l’hispanique. La chemise met en valeur son teint hâlé mais aussi sa musculature. Le galeriste est toujours impressionné par cette silhouette qu’il juge parfaite et parfaitement à son goût. Il chasse rapidement cette pensée inappropriée de sa tête et tente de focaliser son regard sur autre chose que sur le corps du brun.
« J’ai l’habitude avec les filles de Kate. Deux chipies en puissance. Pire que leur mère, et c’est pas peu dire  » Il éclate de rire car, Roman a pu juger du caractère entier de son amie et associée. Par contre, il est incapable d’interagir longtemps avec un enfant. Il n’a pas assez d’entraînement ou de patience pour ça. Autant, il a toujours rêvé d’une vie de couple, autant, les enfants n’ont jamais été englobé dans ses projets. Il regarde Isabel qui fait la conversation à l’une des femmes d’un musicien. Elle tripote ses mains tandis qu’elle lorgne avec envie sur les ongles laqués de son interlocutrice. Voilà le genre de choses qui lui passe complètement au-dessus de la tête...
L’évocation de leur dernière conversation fait passer un voile sombre dans ses iris azur. Sa rupture définitive avec Ruben le fait toujours souffrir. Les doutes l’assaillent parfois et il regrette sa décision avant de se morigéner et de réaliser qu’il a agi pour le bien de son ex-compagnon mais aussi pour le sien. Pour eux. Trop de douleur plane sur leur couple pour qu’ils puissent continuer comme si de rien n’était. Wil en était incapable. Impossible de s’infliger encore plus de souffrance. Il est arrivé à son point maximal.
« Le travail me permet d’éviter de penser à certaines choses » Un sourire entendu étire ses lèvres. « En cette période, il y a toujours beaucoup à faire entre les galas de charité, les ventes aux enchères, les dîners de bienfaisance, tout ce qui permet de récolter de l’argent » il adresse soudain un clin d’œil à Roman « Je n’ai pas oublié ton concert pour le refuge. Je travaille dessus. J’ai déjà une longue liste de personnes intéressées et surtout prêtent à donner de l’argent mais aussi à adopter. Il faudra que l’on fasse une sorte de réunion afin de mettre certains trucs au clair. Comme tu peux le constater, je ne t’oublie pas » son sourire s’agrandit tandis que des oreilles indiscrètes suivent la conversation et que des rires fusent.
Isabel est revenue rôder autour d’eux. Wil ne sait pas comment réagir finalement, il demande un jus de fruits à la fillette qui s’exécute avec un grand sourire. Il a jugé plus prudent de ne pas choisir de l’alcool. Il se sent encore faible par rapport à tout ce qu’il a vécu et traversé. L’alcool efface ses tracas mais, ils reviennent souvent en force et plus cauchemardesques. Wil a décidé d’affronter sa vie et ce qui en découle sans l’aide malsaine des boissons alcoolisées.
« Gracias » Il se dit que répondre en espagnol devrait plaire à la petite. Effectivement, il a capté son attention, sauf, si elle n’attendait que ça pour le bombarder de questions.
« Ça fait longtemps que tu connais papa ? Je ne t’ai jamais vu au refuge ? Tu l’as rencontré comment ? Tu es musicien aussi ... »
Le galeriste écarquille les yeux sous cette avalanche de questions qui lui tombe dessus et ne sait pas s’il doit se plier à l’exercice ou faire comme s’il n’avait rien entendu. Il opte pour la solution qui lui semble la plus appropriée.
« Je suis galeriste. Je vends des tableaux, des photographies, des sculptures, ce genres de choses. Je n’ai pas beaucoup de temps pour aller au refuge mais, je dois organiser un évènement pour ramasser de l’argent. » il adresse un sourire à Isabel avant d’enchaîner « Non, je ne suis pas musicien je n’ai aucun talent pour la musique » L’image du piano de Ruben qui trônait dans le salon s’impose à lui durant une fraction de seconde avant qu’il ne la relègue au rayon des souvenirs passés. Il accompagne ses paroles d’un rire en disant « Je chante faux aussi » puis, il rajoute « je n’ai pas le talent de ton papa, ni de ses musiciens » Il adresse un sourire taquin à la bande de Roman tout en mimant une courbette.
Il porte le verre à ses lèvres, en boit une gorgée et d’un ton appréciateur lâche
« Excellente cette boisson. Merci beaucoup jeune fille »
Wil espère ainsi mettre un terme à la curiosité d’Isabel. Il n’ose pas imaginer ce que la petite serait capable de lui demander. Un regard joueur vers Roman et il murmure en se penchant vers lui, tout en montrant son verre
« Je compte bien garder mon pantalon ce soir »
Ce n’est pas que Roman ne lui plaît pas, bien au contraire, mais le fait qu’il soit hétéro est un sacré frein. Avec cette boutade, Wil se décontracte et apprécie d'être là, ce soir.

Isabel s’efforce d’être un hôte irréprochable. De nature curieuse, elle papillonne autour de l’invité d’honneur qu’elle méconnait. Roman l’observe avec tendresse et un brin d’amusement, car elle lui ressemble énormément sur de nombreux points. Elle est aussi avide qu’il l’est de faire de nouvelle connaissance. Sans doute parce qu’il l’a amené très tôt au refuge au milieu de bénévoles qui l’ont rendue incroyablement sociable et ouverte. Lorsque la princesse s’éclipse après avoir déposé les paquets sous l’arbre de Noël, Roman se rapproche de son invité de marque pour engager la conversation. Ce dernier vient poser son regard magnétique sur lui et Roman se rend compte qu’ils sont magnifiques. Enfin, il les a toujours trouvés beau, c’est juste que ce soir, il en a plus conscience. Sans doute parce que les propos de son meilleur ami le rendent plus alertes au sujet de Wilfried. Il ne saurait le dire tant il ne sait pas quoi penser de tout cela. Wilfried est son ami et même si une inclinaison est possible, Roman juge peu réaliste qu’il soit une option pour le galeriste. Leur amitié n’a jamais souffert d’ambiguïté à ses yeux. Du moins, c’est ce qu’il semble croire à cet instant précis. « Oserais-tu dire que ma fille est une chipie ? Dois-je considéré que tu me vois comme cela aussi ? » Il le taquine en haussant les sourcils d’un air sérieux. Il le fixe avec intensité alors qu’un sourire vient doucement ourler ses lippes. Il laisse un rire s’échapper à son tour. « Je vais le prendre comme un compliment, car être chipie, c’est faire preuve de caractère et d’espièglerie. Ce qui me plait assurément. » Il ajoute en ponctuant ses propos par un clin d’œil amusé. Puisque c’est la première fois qu’il le revoie physiquement depuis leur dernier échange téléphone, il prend naturellement de ses nouvelles, car si Roman s’est tenu à distance de Wilfried pour lui permettre de se recentrer sur lui-même, il s’est naturellement inquiété pour son ami. Il perçoit dans la lueur de son regard qu’il s’agit d’un sujet toujours aussi sensible. Il s’efforce de garder un ton enjoué, mais il peut entrevoir la douleur vivace qui sommeille encore en lui. Il aimerait tellement l’aider à s’en déroger, mais il sait que seul le temps peut faire des miracles, mais cela ne l’empêche pas pour autant de vouloir essayer. Un sourire ourle ses lippes à la mention de leur projet. Sa main vient naturellement se glisser sur son épaule pour la serrer dans un geste amical. « Je n’avais aucun doute sur la question, je sais à quel point tu travailles dur et t’efforce de mettre toutes les chances de mon côté et je t’en suis réellement reconnaissant. On se cale ça dès la fin des vacances quand ce sera également un peu calmé pour toi, je sais que tu es fort occupé, Wilfried. » Il lui indique alors que la frimousse de sa demoiselle vient fureter autour d’eux avec curiosité. Wilfried finit par lui demander un verre de jus d’orange et la demoiselle s’exécute de bonne grâce en un éclair comme si elle n’avait attendu que cela. Cela lu arrache un sourire attendri, plein de fierté pour ce petit bout de femme qu’il élève avec la bienveillance la plus totale. Il échange un sourire entendu avec son ami au moment où elle lui ramène fièrement sa boisson. Son invité la remercie et comme il s’y attendait la demoiselle utile cette porte d’entrée pour lui poser mille et une questions. Roman ne dit mot. Il ne considère pas que sa démarche est maladroite et inappropriée, mais il laisse le soin à Wilfried d’y répondre ou de refuser de le faire bien qu’il n’y ait pas de raisons de le faire. Son ami se plie obligeamment à l’exercice sous l’attention de l’assemblée composée de ses amis proches et de leurs compagnes. « Tu dis ça, mais je ne t’ai pas encore entendu chanter pour pouvoir confirmer tes dires. » il le taquine dans un sourire espiègle en venant doucement presser son épaule. La boutade faite par Wilfried près de son oreille lui arrache un sourire franc. « J’y compte bien, il y a des âmes sensibles ce soir. » Il lui indique dans le ton de la confidence avant de porter son attention sur sa fille qui les observe avec grande curiosité. D’ailleurs, c’est contre toute attente qu’elle vient lui demander dans une voix quelque peu hésitante. « ¡Papá! ¿Es él tu amante? ¿Como Alexander? » La question le prend de court, car il ne l’avait absolument pas anticipé. Elle semble très intéressée par sa réponse et joue avec ses menottes comme si elle venait prendre conscience du sérieux de sa question. Elle ignore à quel point le terme utilisé à plusieurs sens. Pour elle, il s’agit du terme qu’on utilise pour qualifier son amoureux. Il lui offre un sourire bienveillant en venant lui tendre ses mains pour qu’elle s’en saisisse. « No, no es mi amante, mi princesa. Solo es mi amigo. Un buen amigo. ¿Acuerdo? » Sa voix se fait tendre alors qu’il vient relâcher ses petites menottes. Il se rend compte que tout le monde s’est tu face à cet scène entre un père et sa fille. Il jette un regard vers Wilfried, se demandant s’il a compris les propos de sa fille. Il lui offre un sourire amical alors qu’il vient plonger ses prunelles dans celle de sa fille. « Tu peux aller me chercher un verre de jus de fruit également, ma princesse ? » Il lui fait comprendre par ce biais qu’il souhaite qu’elle parle en anglais pour la soirée. Il est important pour lui qu’elle comprenne sa langue natale alors il l’utilise majoritairement lorsqu’elle est chez lui, mais étant donné que la plupart de ses amis comprennent difficilement l’espagnol, il ne souhaite pas les handicaper dans des conversations. Lorsqu’elle s’éclipse pour aller leur chercher les boissons, il vient simplement indiquer à son ami. « Navré, elle est tellement habituée à parler espagnol quand elle est ici qu’elle en oublie que les personnes autour d’elle ne le comprenne pas totalement. » Il ne revient pas sur ce qui vient de se passer et lui offre son sourire le plus franc avant d’ajouter. « Pour en revenir à ta dernière boutade, je vais finir par croire que tu as un côté exhibitionniste, mon ami. » Il lâche dans un sourire qu’il rend taquin en venant lui presser la nuque juste pour le plaisir de le provoquer amicalement. Il s’efforce d’agir de manière amicale, bien que la question de sa fille le questionne. Semblent-ils si proches et complices pour qu’elle vienne à lui poser une telle question ? C’est un fait qui l’intrigue, mais il s’efforce d’agir naturellement, permettant à son ami de le questionner ou non sur ce qu’il vient de se passer. Il s’efforcera d’être le plus honnête possible, même si discuter de sa bisexualité est résolument une thématique particulière pour lui qu’il a du mal à définir clairement.

La présence de Roman à ses côtés lui rappelle à quel point il est seul et combien cette solitude lui pèse. Il n’a pas voulu se jeter tête première dans des aventures sans lendemain. Cela lui aurait fait du bien sur le moment, mais, il sait qu’il se serait bêtement senti coupable envers Ruben. Comme s’il répétait inlassablement la même erreur.
Il sent la pression légère sur son épaule et il a très envie que cela dure plus longtemps. Un toucher différent. Wilfried s’en veut d’avoir de telles pensées. Il revient à la conversation. Sourit. Roman est tactile et cela met le galeriste au supplice. Entendre Roman parler de leur projet commun le projette dans l’avenir. Il se dit qu’ils vont être amenés à se revoir plus souvent. Cela lui plaît tout en l’effrayant aussi. Il n’a aucune envie de s’attacher plus que de raison à cet homme. Sa relation avec Ruben a laissé d’énormes cicatrices et il ne veut pas être mis à mal, encore une fois.
Le groupe est bruyant, et les rires s’enchaînent sans discontinuer. Isabel va de l’un à l’autre tout en gardant un œil presque discret sur Wilfried qui a remarqué son manège et sourit. Lorsqu’elle revient, Wil craint une autre salve de questions mais, la gamine change de tactique et questionne son père.
Au début, le galeriste sourit mais, la question d’Isabel le fige. Il se demande s’il a bien entendu. Ou s’il a mal compris. Il comprend l’espagnol mais, le doute s’insinue dans son esprit. Il a dû mal comprendre. Isabel a dû se tromper. Confondre.  Ce n’est qu’une enfant. L’erreur est humaine. Wilfried n’arrive plus à se concentrer. Ce qu’il vient d’entendre tourne dans sa tête. Il lui semble que tous les regards sont braqués sur eux. Une fausse impression sûrement.
Il porte le verre à ses lèvres et avale une longue gorgée de jus de fruit. Ses pensées se bousculent. Il est perplexe. Ce que la gamine vient de dire lui a fait l’effet d’une bombe. Comment a-t-il pu passer à côté d’un truc pareil. Il est gay depuis toujours, bordel. Comment n’a-t-il rien remarqué ? Il n’y avait peut-être rien à voir. La gamine doit se tromper. Il ne voit que cette option. Il n’y a que cette option.
D’un geste de la main qu’il accompagne d’un sourire, il dit
« Ce n’est rien. Elle est encore jeune et impulsive.  Tu as l’air d’un père formidable. Cela ne me dérange pas qu’elle s’exprime en espagnol. Je n’ai pas un niveau excellent, mais, je me débrouille un peu ... »
Il fixe Roman mais n’ose rien demander même si les questions lui brûlent les lèvres. Il y a aussi ce contact contre sa nuque qui le trouble. Il hésite d’autant plus qu’ils ne sont pas seuls et qu’il ne sait pas comment aborder le sujet délicat évoquer par Isabel. Il tourne et retourne le problème dans sa tête avant de lâcher, dans un murmure, tout en se penchant dangereusement vers Roman
« Je me demande si j’ai bien compris ce que ta fille a dit... » Wil passe une main dans ses cheveux, mettant la pagaille dans sa chevelure fine et souvent malmenée dès qu’il est préoccupé.
« C’est juste que je croyais que... je ne pensais pas que... » Il secoue la tête, adresse un sourire gêné à Roman et lâche un petit rire tout en disant « Laisse tomber, je suis désolé, je n’aurai pas dû … je suis confus … »
La femme d’un des musiciens est venue les rejoindre, puis, une autre et elle demande « Roman, as-tu besoin d’aide pour la suite ? On peut aider nous aussi, tu sais »
Wilfried voit cette intrusion comme une bénédiction. Elles le sauvent d’une situation ridicule dans laquelle il s’est empêtré. Il se déteste d’être aussi débile. Il finit son verre et dit avec un sourire au maître de maison
« Je vais fumer dans le jardin »
Il se dit que prendre l’air lui éclaircira les idées et que cela lui permettra de faire le tri dans sa tête. Il doit absolument relativiser. Pour ne pas donner l’impression de fuir soudainement l’assemblée, il sort son paquet et lance
« Des candidats ? »
Un des musiciens se lève spontanément et répond en riant
« Je suis toujours partant pour en griller une »
Wilfried lui rend son sourire et se dirige vers l’extérieur.
La première bouffée est légère. La seconde un peu plus âcre et la troisième a perdu l’attrait de la première mais cela ne l’arrête pas pour autant.
« C’est sympa ce que tu vas faire pour le refuge mais aussi pour nous. »
Wil le regarde, et hausse les épaules avec négligence
« Ce n’est rien et je ne fais que ce que je sais faire, mettre en relation, différentes parties afin que chacun y trouve son compte »
Il regrette de ne pas être aussi doué dans sa vie privée que dans son travail.
« C’est grâce à votre talent que vous en êtes là. Si je peux, en toute modestie, vous aider, cela me fait plaisir »
Wil recrache sa fumée vers le ciel. Il a l’idée de demander au musicien s’il connaît Alexander et qui il est mais, il se tait car il se souvient de ce que le manque de dialogue fait dans une relation, et même, s’ils ne sont pas en couple avc Roman, il n’a aucune envie de gâcher leur amitié en questionnant un tiers. Il aura au moins retenu ça du fiasco de sa relation passée.  
« Ha, tu es là »
La voix d’Isabel jaillit dans le patio et leur arrache des sourires.
« Tu n’es pas seul en plus »
Elle met ses mains sur les hanches avant de lancer d’un ton docte
« C’est pas bien de fumer. C’est pas bon pour la voix »
Wil éclate de rire et répond
« Tu as oublié que je ne suis pas un chanteur mais, tu as raison, ce n’est pas bien de fumer »
Il a l’impression de se faire sermonner par Kate et son sourire s’agrandit tandis qu’il écrase son mégot dans le cendrier qui trône sur la table extérieure.
« Voilà mademoiselle »
Il s’incline en une petite révérence, suivi par son comparse qui a rapidement tiré sur sa clope avant de l’écraser dans le cendrier tandis qu’il grommelle près de l’oreille du galeriste
« Quand je pense que ma femme me dit rien. Faut que ce soit une gamine qui me fasse la leçon… tu le crois toi ... »
Le galeriste se met à rire. Pendant un moment, il a oublié ce qui lui trottait dans la tête un moment plus tôt.

La question d’Isabel l’a prise de court. Sans doute parce qu’il n’avait pas envisagé que sa fille puisse se la poser. Il lui semblait avoir été vigilant lorsqu’il avait abordé le sujet avec elle en milieu d’après-midi. Le souvenir des propos de son meilleur ami vient également appuyer le fait qu’il s’est peut-être montré trop "passionné" dans ses propos lorsqu’il a mentionné son nouvel ami ? Il ne saurait le dire. Il se retrouve légèrement déstabilisé par ce qu’il vient de se produire même s’il s’efforce de ne rien en dévoiler. Il s’efforce d’agir de manière nonchalante avec le sujet des spéculations de son entourage, car il ne veut pas créer un malaise. Wilfried est là pour se changer les idées et passer une bonne soirée en leur compagnie. Il ne se le pardonnerait pas s’il devait le sentir mal à l’aise, pris au piège par des spéculations qui n’ont pas de fondements. Du moins, c’est ce qu’il pense sincèrement à cet instant malgré les interrogations qui viennent pourlécher son esprit dès lors qu’il baisse sa garde. Pourtant, le mal est fait. Il perçoit ce léger voile de questionnements qui ombragent les saphirs de son ami. Elle est d’autant plus flagrante dans la tenue de ses propos. Il est troublé. C’est une évidence et il ne peut pas lui en vouloir bien qu’il ne comprenne pas réellement la cause de ce dernier. Est-ce que le fait de découvrir qu’il a eu un homme dans sa vie change l’essence de lien qui les lient eux ? Roman lui offre un sourire bienveillant, sans jugement et s’autorise à lui serrer l’épaule pour lui apporter son soutien muet à défaut de trouver les bons mots. Une des compagnes de ses amis viennent à leur rescousse. « Normalement tout est au chaud pour la suite. Je vais installer la table si jamais tu veux bien m’aider, ce serait avec grand plaisir. » Il lui indique alors que son invité prend la poudre d’escampette pour fumer. « Pas de soucis. A tout de suite. » Il répond dans un sourire sincère à son ami alors qu’il se redresse à son tour pour s’appliquer de ses obligations d’hôtes. « Je crois que la question d’Isabel a perturbé Wilfried. » Son amie lui indique alors qu’ils ont rejoins le coin cuisine. « Je le crains également. Je suppose qu’il ne s’attendait pas à ça. » Moi non plus à vrai dire. Il lui indique avec douceur dans un sourire aimable alors qu’il se concentre sur sa tâche. « J’irai lui parler et lui donner quelques détails plus tard. » Il ajoute dans un petit sourire à l’adresse de son amie alors qu’il s’applique à dresser la table. Il laisse le soin aux dames et à sa princesse de réaliser la présentation de la table. Celles-ci y prennent énormément de plaisir et il serait dommage de les en priver. Au travers de la fenêtre de la cuisine, il aperçoit Wilfried avec un de ses amis. Il semble discourir avec moins de tension dans les épaules. Sans doute qu’il s’agit là pour lui d’une parenthèse fort appréciable après cette révélation à son sujet. « Tu vas lui en parler ? » Le questionne son meilleur ami en venant se poser à ses côtés sur le plan de travail, une bière à la main. « Je pense que oui. Il doit se poser des questions et je suppose qu’elles sont légitimes. » Après tout, Wilfried s’est dévoilé bien plus que lui dans leur amitié. Il semble légitime d’en faire de même, même si le sujet demeure délicat pour lui. Il ne dit mot, mais le laisse voler dans l’air alors que ses prunelles sont plongées dans celle de son ami. « En tout cas, Isabel est très curieuse. Elle papillonne autour de lui. » Il lui indique dans un rire franc en lui montrant la scène qui se passe à l’extérieur. Roman leur concède son attention et un rire vient ourler ses lippes. « Comment lui en vouloir ? Elle prend exemple sur moi à sa manière. » Il murmure dans un sourire emplit de fierté pour son bout de femme. Il s’éloigne du plan de travail pour rejoindre le petit groupe affublé dehors. « La soirée se serait-elle déplacée ? » Il taquine la petite assemblée alors qu’il glisse ses menottes sur les épaules de sa fille. « Tu n’aurais pas oublié quelque chose, mademoiselle ? » Il questionne sa fille d’un air entendu alors que ses traits de font ferme. Isabel rougit légèrement. « Mon manteau ? » Elle questionne, pas certaine d’avoir opté pour la bonne réponse. « Exactement, alors fais-moi le plaisir de te mettre au chaud. Il fait meilleur à l’intérieur. » Il lui indique de sa voix égale alors qu’elle se plie obligeamment à son ordre tacite. Il en est de même pour son ami qui lui presse gentiment l’épaule au passage et les laisse seuls. La porte se referme derrière eux, leur offrant l’intimité nécessaire pour un échange personnel. Il lui offre un sourire bienveillant. « Je peux t’emprunter quelques minutes ? » Il le questionne alors qu’il vient se poser à ses côtés contre le mur de la maisonnée. On attend les rires qui émanent de la demeure. « Je souhaiterai revenir sur ce qui vient de passer. » Il lui indique humblement en venant se tourner vers lui. « Il est légitime que tu te pose des questions et que l’information ait pu te surprendre. » Il poursuit dans un petit sourire. « Je n’ai pas pour habitude de m’épancher sur ma vie… encore moins sentimentale. » Sa voix est stable alors qu’un petit rire vient ponctuer ses propos. « C’est d’ailleurs un de mes défauts selon mes amis. Je crains qu’ils aient raison. » Il ajoute dans un petit sourire. « Alexander est… mon ex-petit ami. On a eu une liaison durant deux années, mais elle s’est terminée à cause de moi. En grande partie. » Un soupir empli de regrets vient s’épancher hors de ses lèvres. « Je ne sais pas ce que je suis . Me définir me semble totalement dénué de sens. J’en suis incapable, mais oui, j’ai aimé un homme. Cet homme comme je n’ai aimé personne d’autres, mais cela ne m’a pas permis pour autant de faire son bonheur. Je l’ai profondément blessé. Mon inconstance vis-à-vis de ce qu’on était, de ce que je suis l’ont éloigné de moi. Je n’ai pas eu d’autres relations depuis. Pas que je n’en ressente pas l’envie. C’est juste que je ne fonctionne pas comme cela. » Il indique dans un ton empli de confidence avant qu’un soupir las vienne s’échapper de ses lippes. « C’est pour cela que ton histoire fait écho à la mienne. J’ai rendu sa liberté à Alexander tout comme tu l’as fait avec Ruben. Et je sais que ce n’est pas un choix simple à faire et à vivre. Je te comprends et je veux t’aider à aller mieux. » C’est plus fort que moi-même si j’ignore les raisons si ce n’est que c’est profondément ancré dans ma nature. Il lui murmure dans un sourire amical en venant presser son épaule. « Je suis navré de t’avoir pris de court. Je me rends compte que notre relation est déséquilibrée. Je sais bon nombre de choses sur toi que tu ignores de mon côté. Ce n’est pas juste. Je ferai un effort à l’avenir pour que ce genre de situation ne se reproduise pas. » Il conclut en lui offrant un de ses plus beaux sourire alors qu’il rompt tout contact entre eux pour se poser de nouveau à ses côtés pour lui laisser le temps d’encaisser toutes ces confidences.

L’arrivée de Roman bouleverse la donne. Le galeriste sent l’infime changement qui se produit. Cette électricité qui trouble l’air. Trouble l’ordre établit. Il connaît cette attitude pour l’avoir vue un nombre incalculable de fois avec Kate et ses filles. Une main de fer dans un gant de velours. Il sait que la petite n’aura d’autre choix que d’obéir. Il la plaindrait presque mais, il sait aussi que cela fait partie de son éducation. Il regarde le cendrier et se dit qu’il pourrait en fumer une autre mais, Roman n’est sûrement pas là pour le regarder se pourrir les poumons. Ses propos lui donne raison.
Wilfried ne sait plus trop s’il a envie d’entendre les explications du brun. Après tout, cela ne le regarde pas ce qu’il fait de sa vie privée. Il est tiraillé entre l’envie et  ne pas savoir. Il craint que cela bouleverse tout et il y en a assez eu des bouleversements dans sa vie depuis quelques mois. Il arrive à saturation. Il aimerait que ça cesse. Que le calme et la sérénité retrouvent leur place dans son existence.
Les premiers mots de Roman l’ébranle avec cette déclaration. Ils lui font l’effet d’une gifle. Soudain, certaines boutades des amis du musicien lui reviennent en mémoire et prennent tout leur sens. Comment a-t-il pu passer à côté de ça ? Comment ne s’en est-il pas rendu compte ou tout simplement, ne pas s’en douter ? Quel con, il a été. Vraiment trop con.
Une main rageuse vient torturer sa chevelure mise à mal par plusieurs passages. Il ouvre la bouche mais la referme. Incapable de dire la moindre parole cohérente. D’ailleurs, il ne saurait pas quoi dire. Autant qu’il continue à se taire et écouter.
Les mots le sonnent. Il est K.O. Abasourdi. S’il ne connaissait pas Roman – cette pensée lui arrache un léger sourire amer – il pourrait penser que l’hispanique le même en bateau. En fait, sans Isabel et sa curiosité, il continuerait à croire son ami hétéro, pur et dur. Il secoue un peu la tête, comme s’il voulait chasser tout le poids que fait peser ces déclarations sur son esprit.
Plusieurs, il a ouvert la bouche et à chaque fois, ses lèvres se sont refermées tandis que son regard trahissait son étonnement. Il se sent tellement bête de n’avoir rien vu. Mais, y avait-il quelque chose à voir ? Rien dans l’attitude de Roman ne pouvait lui donner des indices quant à son inclinaison. Encore une fois, il se trouve con. La fin de la confession arrive vite. Trop vite pour le galeriste qui n’a pas encore repris ses esprits. Qui est toujours sous l’effet de la surprise. Il ne sait pas si elle est bonne ou mauvaise. Il ne sait plus quoi penser.
« Tu n’avais pas à me donner d’explications, tu sais. Je comprends que parfois, on puisse avoir du mal avec ce que nous vivons ou avons vécu »
Les mots franchissent ses lèvres sans aucun contrôle. Il ne sait plus comment il doit réagir. La situation est différente et lui, il a perdu ses repères et cela le déstabilise. Il n’a retenu de ses paroles que le doute qui habite Roman. Ce même doute qui a pourri leur relation avec Ruben. Ce besoin de tout cacher. De ne rien légitimer. Il n’est pas là pour le juger même si de telles paroles ravivent sa douleur.
Il aimerait être plus conciliant. Plus compréhensif mais, sa blessure est trop vive. Malgré tout, il adresse un sourire au brun.
Son premier réflexe est de dire que tout va bien. Que cela ne change rien dans leur amitié mais il préfère dire
« Je suis perdu, je dois t’avouer. Je te pensais hétéro. Sûrement à cause de ton ex-femme et de ta fille. Parfois, mon esprit est sur des rails et il ne les quitte pas »
Sa voix est neutre. Pensive. Un peu lointaine.
« La société arrive à me formater » un petit rire accompagne ses paroles tandis qu’un sourire revient sur ses lèvres.
Il se demande comment il va devoir réagir maintenant. Roman est très tactile, pour preuve cette main sur son épaule. Avant, il ne s’en préoccupait pas. Maintenant, il risque de se poser des questions à chaque fois que son ami le touche.
« Roman... »
Ne plus rien cacher. Ne plus créer ni vivre dans des situations qui n’apportent que le chaos.
Il prend une inspiration pour se donner du courage. Pour tenter de réfléchir une micro seconde avant de parler. Il espère ne pas regretter ses paroles. Il ne pourra même pas dire que c’est l’alcool qui lui fait dire des inepties.
Cette fois, c’est lui qui pose sa main sur l’avant-bras du brun.
« Tu ne crains pas que cela puisse modifier nos rapports…  »
Il se mordille la lèvre inférieure en se morigénant de trop parler mais maintenant qu’il est lancé, il ne peut plus faire machine arrière.
« Tu es un homme très séduisant » d’un geste de la main, il chasse ses propos tandis qu'il rajoute précipitamment
« J’ai des amis qui aiment les hommes et il n’y a aucun souci » un rire ponctue ses paroles
« Je ne sais pas pourquoi je te dis ça. L’émotion sûrement »
Sa main est retombée contre son flanc
« On ferait mieux de rentrer » puis, reprenant soudain une attitude décontractée, comme si toute cette scène n’avait jamais lieu, il lance en plaisantant
« Il faudrait que tu me prêtes ta fille pour que j’arrête de fumer. Elle est très dissuasive » et son rire s’élève dans la nuit.
Le galeriste coule un regard discret sur Roman. Il a l’impression de le redécouvrir.

Le trouble de l’Allemand est perceptible dans la lueur de ses prunelles. Roman en prend conscience alors que sa manœuvre avait pour ambition de lui donner des éléments factuels pour avoir pleinement conscience de la réalité. Il ne s’attendait pas à accentuer l’effet déroutant que ses révélations avaient eues chez son ami. Il ne sait pas quoi en penser, mais il se rend compte qu’il est déterminé à agir pour permettre à son ami de se déloger de ces émotions perturbantes, quelles qu’en soient les raisons. Il lui offre un sourire engageant pour lui permettre de s’exprimer. Il s’efforce de mettre de côté ce léger trouble qui l’assaille et qui le rend aussi perturbé que son ami. « Je sais, mais il m’a semblé juste de te dire ce qu’il en était. » Il lui indique dans un ton indulgeant et aimable, son profil toujours tourné vers celui de son ami. Wilfried lui avoue dans un sourire qu’il est perdu par ses explications. Il semble que la définition de sa sexualité change beaucoup de choses pour le galeriste. Roman est attentif à ses propos. Il les écoute avec une profonde indulgence. Un sourire ourle ses lippes lorsque son rire empreint de malaise vient frapper ses tympans. Son prénom échappe des lèvres de son ami. Une manière pour le galeriste d’obtenir son attention. Il perçoit ses doutes dans la lueur de ses prunelles saphir qui viennent se plonger dans les siennes. Ses doutes puissent sans doute leurs essences sur des faits établis, mais qui lui échappent. Il l’écoute sans réellement comprendre. Le toucher de sa main sur son avant-bras crée une proximité qu’ils ont souvent l’un envers l’autre. Il se rend compte qu’il y est plus sensible que d’habitude parce que son meilleur ami à semer le trouble en lui. Le compliment lui arrache un sourire gêné, car Roman est sensible à cet éloge. « Tu as été pris de court, c’est normal. » Il murmure dans un ton conciliant et doux. « J’en suis désolé. » Il est sincère et sa posture humble tend à assurer ses propos. « Ce n’était pas mon intention. » Il ajoute en venant doucement lui presser son avant-bras à son tour. Il laisse sa menotte contre le tissu de sa chemise. « Je reste moi, qu’importe mon inclinaison et il en est de même pour toi, mon ami. » Il lui indique dans un petit sourire qu’il rend complice en penchant la tête. ec>« Rien n’a changé. » Il lui affirme avec douceur. « Tu es toujours cet homme magnétique que j’ai rencontré au bar et avec qui j’ai sympathisé. Un homme bien dont l’amitié est devenue importante. Un homme que j’espère voir heureux prochainement. » Il lui indique en venant donner une tape contre son épaule en ponctuant dans un clin d’œil. « Et si jamais… » Il indique dans un ton plus sérieux avant de poursuivre : « Notre regard venait à changer l’un sur l’autre, je pense qu’on se fait suffisamment confiance pour l’aborder ouvertement l’un avec l’autre sans se juger. Tu peux tout me dire. » Il lui indique dans un tendre sourire. Ne désirant pas rendre la situation encore plus pesante, il finit par rebondir sur le sujet de sa fille. « Concernant ma fille, je vais prévoir des passages quotidiens à la galerie. Je suis sûre que Kate m’en remerciera. » Il lâche dans un rire sincère alors qu’il se rend compte que l’idée ne lui déplairait guère. Le musicien apprécie grandement la compagnie du galeriste qui est devenue une composante de sa vie. Il se rend compte qu’il n’aimerait pas qu’il en soit autrement.      

Tout se dire 
Un concept que le galeriste commence à peine à intégrer dans sa vie, et pourtant, s’il l’avait appliqué, il n’en serait pas là. Rien ne sert de s’appesantir sur le passé. Autant apprendre de ses erreurs. C’est beaucoup plus constructif.
Les paroles de Roman le réconfortent. Cet homme le réconforte par sa bienveillance et son calme. Wil a l’impression que sa positivité est contagieuse et cela lui fait du bien.
Il sait que Roman parle de leur amitié mais, l’évocation d’un éventuel changement lui arrache un léger sourire. Wil n’y a jamais songé. D’une part parce que pour lui, Roman n’aimait que les femmes, et que d’un autre côté, il est toujours empêtré dans sa rupture avec Ruben. Rupture et relation. Ses sentiments malgré tout, bien présents, même s’il se bat pour tourner la page.

« Vous serez les bienvenus à la galerie. Je suis sûr que certaines expositions plairaient à ta fille »

C’est en riant qu’ils rejoignent la chaleur du salon et les invités. Quelques regards les accompagnent mais personne n’émet le moindre commentaire au grand soulagement du galeriste. Même pas un quolibet bon enfant.

Wilfried se voit désigner une place sur le canapé, tandis que les musiciens se serrent pour l’accueillir. Isabel revient avec un grand verre de jus de fruit et l’allemand la remercie tout en lui adressant un grand sourire. Il remarque le regard scrutateur de la gamine. Son hésitation. Il sent les questions qui lui brûlent les lèvres mais qu’elle tait après un rapide coup d’œil à son père. Wilfried laisse faire. Il n’a aucune envie de se justifier face à une enfant.

Ses iris clairs s’arrêtent souvent sur Roman. La conversation dérive sur le prochain évènement que Wilfried prépare pour le refuge. Tous le remercie de les mettre en avant alors qu’il ne fait rien d’extraordinaire. Il n’hésite pas à réquisitionner les âmes charitables pour obtenir de l’aide.

«  À tableee!!! »
La voix d’Isabel retentit et des rires accompagnent cet ordre.
Alors que les convives se dirigent vers la table, Isabel a décidé de jouer les hôtesses de maison et dicte à chacun où il doit se mettre. Avec bonne humeur, chacun se plie à ses directives. Wilfried se retrouve au côté de Roman. Un sourire étire ses lèvres. Se faire reléguer à l’autre bout de la tablée n’aurait rein auguré de bon pour ses futurs rapports avec la fille de son ami. Après, la demoiselle le veut peut-être à portée de main afin de pouvoir continuer son interrogatoire plus aisément.
Roman trône en bout. Isabel à sa droite. Wilfried à sa gauche. Les autres s’égrènent à la suite.

À côté de Wilfried, un musicien et pas des moins bavards. Lorsqu’il se penche vers le galeriste, Wil se demande ce qu’il va encore lui sortir. Il est habitué à son humour et il ne se trompe pas lorsqu’il murmure

« N’en profite pas pour lui faire du pied »

Wil fait semblant de jouer les offusqués avant de se mettre à rire. Il se demande si Roman a entendu. Il doit avoir l’habitude avec cette bande d’amis qui gravite autour de lui depuis des années.

Des toasts sont portés à la santé. Aux amis. À l’amour – à ce moment, il a l’impression que certains le fixent et il craint de virer cramoisi -

Isabel conclut par un
« à mon Papa ! »

Tout le monde lève son verre en l’honneur de leur hôte et ami.
Wilfried a l’impression qu’une nouvelle page s’ouvre et s’écrit. Plus calme. Plus mature. Différente mais qui correspond tellement mieux à ce dont il aspire.