christmas is hell (elliot 10)

Ma relation avec Ellen, c’est un peu les montagnes russes. Un peu comme ma vie en somme, mais cette fois c’est mon histoire avec elle. J’aimerai pouvoir lui offrir plus de stabilité, être celle qu’elle attend, mais j’ai pas envie de me forcer à être quelqu’un d’autre, et je sais qu’elle m’aime comme je suis. Parce que oui, on peut parler d’amour. J’ai longtemps essayé de nier, me dire que c’était juste comme ça. Mais si ça avait été juste comme ça, je serai pas encore là. J’aime mon quotidien avec elle, même s’il est plus posé, et qu’il ressemble pas trop à ce que j’imaginais quand je voyais ma vie plus tard. C’est mieux, je crois. Je suis juste pas habituée, et j’ai tendance à partir en vrille quand tout est un peu trop beau. Comme si je méritais pas de vivre un truc sain, équilibré. C’est pas parfait c’est vrai - et encore heureux - mais je crois qu’on y trouve notre compte toutes les deux. C’est bancal, mais c’est comme ça qu’on s’en sort.
Assise sur le canapé, Woody à mes côtés, je zappe sur toutes les chaines en marmonnant des trucs incompréhensibles pour le commun des mortels. Y’a trop de pubs pour Noël, on est seulement mi novembre, faut arrêter ! Puis j’ai jamais aimé cette période, parce que c’est une fête familiale, et que j’ai jamais eu de famille avec qui la fêter. Et puis la famille de Sofia, franchement non merci, les pires Noëls de ma vie. Je préfère encore ne rien fêter. Et puis soudain, une pub pour des fajitas, et mon ventre qui se réveille. Ellen passe pas loin et je saute agilement par dessus le dossier du canapé pour la rejoindre. Je l’encercle de mes bras, dans son dos, et dépose un baiser dans son cou. « J’ai envie de manger des fajitas maison, ça te dit qu’on aille faire deux ou trois courses, et je m’occupe du repas ? » C’est pas souvent, mais y’a quelques petites choses comme ça assez simples que j’aime bien faire. Et puis si je peux soulager un peu Ellen pour les repas, c’est pas une mauvaise chose.
Je donne mes instructions à mon chien avant de fermer la porte de la maison, direction le supermarché. A peine entrées, on tombe directement sur les décorations de Noël, les jouets pour les gamins, les chocolats et tout ce qui s’en suit. « Sérieux ils pouvaient pas attendre un peu ? C’est l’angoisse ! » Et voilà que je me remets à râler..

Il nous est difficile de définir notre relation avec Eliot mais j’ai le sentiment que depuis que je lui rentre dedans, elle est plus tendre, elle ose d’avantage, parfois des petits gestes qui me surprennent mais qui me font plaisir. Un peu de démonstration, c'est tout ce dont j'ai besoin, pas grand-chose de plus... Et pourtant, ça semblait être le bout du monde pour elle. Pas que je le lui reproche, je savais à quoi m’attendre la concernant. Mais j’ai forcément des envies, il n’y a rien de mal à ça que je sache, si ? Je ne sais plus trop par quel moyen l’aborder, ou la faire parler, alors j’attends plutôt qu’elle vienne à moi, c’est d’autant plus facile. Et ça m’évite de la froisser, parce qu’Eliot froissée, on n’en tire absolument rien. Je m’occupe un peu du linge, et puis une fois terminé, je récupère mon bouquin ouvert sur la table pour le poursuivre, sur la terrasse de ma chambre, il y a un brin de soleil et j’en profite. Eliot regarde la télé en bas, de ce que j’entends.
Puis je fini par descendre, avant de dévorer mon livre et me rendre compte au moins 4 h plus tard que j’ai quitté le commun des mortels le temps de ma lecture. Une fois en bas, et sans trébucher, s’il vous plaît – ça m’arrive parfois en temps de grâce – Eliot m’étreint tendrement pour me rappeler qu’elle a faim, et une envie particulière. « J’ai envie de manger des fajitas maison, ça te dit qu’on aille faire deux ou trois courses, et je m’occupe du repas ? » Je souris pour moi-même. « Tu proposes le dîner de ce soir ?... Je te suivrais au bout du monde. » Je ris, parce qu’elle a une seconde de dérapage ou elle se demande si ça peut virer à la grande déclaration. Et j’avoue jouer un peu de cette sensibilité-là. « J’enfile une veste et on y va. » Elle conduit et nous nous retrouvons au supermarché. Nous arrivons à faire les courses ensemble, et c’est un moment que j’apprécie. C’est un bout du quotidien que nous partageons ensemble et je sais qu’elle ne l’a pas partagé avec grand monde. « Sérieux ils pouvaient pas attendre un peu ? C’est l’angoisse ! » « Qu’est-ce-que tu as contre Noël ? » Oh je crois comprendre, elle déteste cette engouement et cette joie de vivre imposée. « Noël ce sont les bons repas, les chants et les cadeaux, qu’est-ce-que tu as à redire là-dessus ? » Moi en tout cas je suis enjouée. Je ne loupe jamais Noël, parce que Télio adorait ça et que je voudrais continuer à perpétuer la tradition. Je pourrais déprimer et manquer le suicide aux cachetons tous les ans, mais j’ai pris le parti de penser à eux, de penser à son sourire, et à ses rires quand il découvrait qu’il avait fini par obtenir bien plus que demandé. On jouait toute la journée avec lui, et je crois qu’il aura au moins été heureux grâce à ça.
« On aura un immense sapin, des décos partout. Je t’épargne les chants de Noël. Deal ? » Si elle est réfractaire, moi j’ai l’énergie de cent petits lutins ! « Et un super repas. Que tu pourras choisir. Ce que tu veux. » Oui je suis en train de l’acheter par la bouffe. Je reconnais. C’est moche, mais ça fonctionne.

 « Tu proposes le dîner de ce soir ?... Je te suivrais au bout du monde. » Je souris un peu, je vois que ça lui fait plaisir. C’est vrai que c’est pas souvent, mais au moins elle apprécie d’autant plus. Et puis je prends conscience de ses mots. Elle dit ça sur le ton de la plaisanterie hein ? J’espère. Elle dit enfiler une veste avant qu’on parte, et moi j’enfile juste mes basket et donne quelques recommandations à Woody pour éviter les mauvaises surprises à notre retour. Ça reste un bébé, mais il est plutôt mignon. Les conneries il en fait, mais rien de dramatique, heureusement. Une fois sur place, je grogne un peu contre les décos de Noël. Il fallait bien que je trouve un truc pour râler, c’est ce que je préfère faire après tout. « Qu’est-ce-que tu as contre Noël ? » « Je déteste Noël. » Sûrement parce que je ne l’ai jamais vraiment vécu, ou en tout cas pas comme on nous décrit le truc dans les films ou dans les livres. Du coup, quand d’autres ont appris à aimer Noël, moi j’ai appris à détester ça. « Noël ce sont les bons repas, les chants et les cadeaux, qu’est-ce-que tu as à redire là-dessus ? » « Je trouve ça nul. » Je ne développe pas. J’ai pas envie de jouer sur la corde sensible, faire de la peine en rappelant à Ellen que je n’ai jamais eu de véritable famille. Mais sans trop m’en rendre compte, je sens que je me suis un peu renfermée. « On aura un immense sapin, des décos partout. Je t’épargne les chants de Noël. Deal ? » Je grimace un peu, mon air renfrogné sur le visage, comme j’en ai l’habitude. « Si je peux au moins passer à côté des chants… » Toute manière, je sais qu’elle ne passera pas à côté, surtout i ça lui tient à coeur. Je peux pas lui en vouloir d’aimer Noël, à peu près tout le monde aime Noël, sauf les gens comme moi qui n’ont jamais eu la chance d’apprendre à aimer cette fête. « Et un super repas. Que tu pourras choisir. Ce que tu veux. » Je tourne la tête dans sa direction, affalée sur le caddie que je pousse comme une âme en peine. « Tout ce que je veux ? » Elle sait utiliser mes points faibles, la garce. Si y’a bien une chose qui peut marcher, c’est la bouffe, et elle le sait. Je hausse les épaules, cet air toujours un peu détaché. « Si tu veux. » En réalité, j’aime bien l’idée d’un bon repas avec des trucs que j’ai pas l’habitude de manger. Des crustacés ou ce genre de truc. Mais pour le reste, ça va être difficile, je le sens. « Mais j’comprends pas pourquoi les gens se contentent pas du repas de réveillon de la nouvelle année. C’est déjà pas mal… »

« Je déteste Noël. » Oui, ça m’aurait surprise aussi. Elle déteste tout et n’importe quoi, ça la rend presque attachante ce truc de se renfrogner dès qu’elle le peut. Mais c’est mignon chez elle, enfin presque… Disons que je peux entendre le fait qu’elle n’aime pas les fêtes de fin d’années, spécialement parce que ça se fait en famille. Et je ne peux retenir la peine que j’ai pour elle. Pour autant, je sais que passer mon temps à compatir ne va pas l’aider. Lui mettre un coup de pied au cul par contre, peut l’aider. Je vais prendre le contrepied, et lui montrer que ça n’est pas totalement ce qu’elle imagine. Et pire, elle peut même y prendre du plaisir… Alors clairement il faudrait qu’elle se rende compte que moi aussi je fais des efforts pour ne pas déprimer.
Je lui fais remarquer les bons côtés de Noël et lui demande ce qu’elle a contre ça. « Je déteste Noël. » Réponse incroyablement structurée et renseignée, appuyée par de nombreux arguments. Eliot. Et ses 6 ans d’âge mental quand elle boude. Mais on s’y fait, à ça aussi.
Je lui propose un deal, qu’elle semble plus ou moins consentir à accepter. « Si je peux au moins passer à côté des chants… » Et j’abats ma dernière carte : le repas de Noël. Et ouais, je sais parfaitement comment placer mes pions. Il faut dire que je la connais, un peu trop finalement. « Tout ce que je veux ? » « Tu choisiras tout le menu du réveillon, c’est promis. » Je sais qu’elle a des envies parfois, de connaître une vie qui lui a été volée, interdite, et le fait de se dire qu’elle aura le droit de goûter des choses qui lui paraissaient inaccessibles lui rendent un certain pouvoir. Si ça peut lui faire plaisir. Je ne regarde jamais à la dépense pour les courses, j’estime que c’est le minimum.
Elle pousse le chariot comme une ado punie par sa mère qui l’obligerait à l’accompagner faire des courses. Mais c’est Eliot, on se fait à tout ça. Et pour tout dire, ça me la rend attachante. « Mais j’comprends pas pourquoi les gens se contentent pas du repas de réveillon de la nouvelle année. C’est déjà pas mal… » Je la regarde indignée. « Mais le 31 janvier on boit ! » On ne mange pas. Ça n’est pas comme Noël. Loan et moi n’avons jamais pris le temps de nous attabler vraiment. Pour la nouvelle année, nous fêtions ça dignement, et ça durait jusqu’au petit matin, parfois même le lendemain. Chaque chose à sa place, c’est ma façon de faire, et de me rassurer sans doute, de me donner un cadre. Je sais que je pourrais facilement partir en vrille. Me laisser aller à mon chagrin, tomber dans l’addiction. Alors je me cadre, je me censure. « Je vais retravailler ton sens des traditions toi. » Mettant quelques trucs dans le caddie. Et elle-même y rajoute ce dont elle a envie. « Tu n’as jamais fais un premier de l’an comme on les fait chez Loan. » Oh je sais qu’elle a dû se déchirer la tête une paire de fois, et sans doute pas de la meilleure des façons. Mais quand Loan s’en occupe, on parle d’art.

« Tu choisiras tout le menu du réveillon, c’est promis. » Bon ok, elle marque un point. C’est déjà mieux que rien, si je peux au moins choisir le menu du réveillon, et je vais pas me priver. Je sais qu’Ellen n’a pas trop de difficultés financièrement parlant, et jusque là j’ai toujours fait en sorte de ne pas en profiter, déjà parce que c’est pas dans mon tempérament, et aussi parce que j’ai pas envie de me sentir redevable. C’est pour ça d’ailleurs que je paye de temps en temps quelques courses avec mon propre salaire, ça me fait me sentir un peu moins assistée. Et j’en ai besoin. Ellen le sait, et elle me laisse faire, même si au début elle n’était pas pour, elle a fini par comprendre comment je fonctionnais. J’ai besoin d’une certaine indépendance, même si avec le recul, on pourrait croire que je suis clairement dépendante d’elle. Mais c’est pas vrai. Je pourrai partir de chez elle demain et me démerder très bien toute seule. Si je reste, c’est parce que j’en ai envie, c’est tout.
J’essaie quand même de comprendre, sous mon air renfrogné, pourquoi les gens accordent autant d’importance à cette fête, surtout qu’elle est religieuse. Encore le réveillon du nouvel an ok, c’est pour tout le monde pareil. Mais Noël… ça me dépasse. « Mais le 31 janvier on boit ! » Ok, là je me mets à rire. Elle qui passe le plus souvent pour la nana sage, travailleuse, elle a le don de me surprendre juste quand il faut. « Ok. Mais on pourrait bien faire les deux. Une fête ce serait amplement suffisant ! » C’est ma vision de voir les choses. Noël n’est pas mon ami, c’est tout. « Je vais retravailler ton sens des traditions toi. » J’aime pas les traditions. J’aime pas les choses qui sont ancrées dans les meurs, qui changent pas vraiment. C’est nul. C’est con. « Tu n’as jamais fais un premier de l’an comme on les fait chez Loan. » Je hausse les épaules. « C’est avec Loan que j’aurai dû sortir. » Elle s’arrête et je souris. J’ai juste dit ça pour la faire chier, et ça marche. Je ris un peu et détache une main du caddie pour la glisser à sa taille jusque dans son dos, et je m’approche pour plaquer un baiser sur sa tempe. « Je plaisante. A nous deux on finirait en taule tous les quatre matins, et tu serais à sec à force de payer nos cautions. »

Ça me fait toujours beaucoup de peine de voir à quel point Eliot a dû en baver gamine. Pour détester Noël, c’est qu’elle n’a jamais dû avoir un bon souvenir de cette fête. En même temps, c’est une fête de famille. Ça aurait dû être à moi de la détester, mais étant donné que mon fils adorait ça… Je tente de lui rendre hommage de cette façon, en ne bafouant pas les traditions. Il y tenait. Et Loan veille parfois à me faire respecter mes engagements. Même si elle est anti traditions, il y a parfois des choses pour lesquelles elle ne me laisse rien passer. Et me laisser déprimer n’est pas dans ses prérogatives, jamais.
« Ok. Mais on pourrait bien faire les deux. Une fête ce serait amplement suffisant ! » « Ca n’a rien à voir. Noël, c’est pour la famille, les enfants… Ce sont les cadeaux, et la naissance de Jésus. Alors je t’accorde que ça reste religieux, mais franchement, tu dirais non à des cadeaux et à un repas gargantuesque ? » Je pense que sur le repas, je viens de la rallier à ma cause. Elle ne sait rien de toutes les surprises que je lui prépare pour Noël. Je lui ai trouvé des tas de cadeaux. Pas parce que je veux combler quoi que ce soit qu’elle n’a pas eu dans son enfance. Juste parce que ça me fait plaisir. Réellement. Et un peu parce que j’ai hâte de voir la tête qu’elle fera en les ouvrant. C’est aussi une façon de lui dire que je tiens à elle.
« C’est avec Loan que j’aurai dû sortir. » Je lève un sourcil, piquée au vif. Je suis jalouse, et je viens de comprendre qu’elle le sait déjà, la garce ! Je n’aime pas m’en rendre compte. Parce que ça pourrait avoir une mauvaise connotation. Je sais qu’elle ne sera jamais vraiment à moi, à moins d’un miracle. Mais j’ai encore un peu de mal avec le fait que la fidélité pour elle, ne soit pas une composante envisageable à sa vie. « Certainement pas, parce que tu te rendrais compte que tu t’emmerdes avec moi. » Lâchais-je avec un sourire. Je suis lucide, je me suis beaucoup assagie depuis la fac, au contraire de ma meilleure amie. Mais Eliot doit sentir qu’elle a risqué de me faire prendre la mouche, puisque son geste tendre n’est pas forcé. « Je plaisante. A nous deux on finirait en taule tous les quatre matins, et tu serais à sec à force de payer nos cautions. » « Mais je vous laisse là-bas les filles. » A voir l’expression de son visage, elle n’en croit pas un mot. « Tu ne pourrais pas sortir avec un double de toi-même Eliot. Même toi ça te perturberait. » Eliot et Loan sont libres comme l’air, elles sont impétueuses, révoltées, mais aussi passionnées, et ont besoin d’air, tout le temps. Elles ont en horreur les habitudes et testent sans arrêt les limites des gens qu’elles aiment. « Mais tu as dis « sortir ». » Et je retiens ça avec un léger sourire charmeur et touché. Parce qu’elle commence à mettre des mots sur ce que nous sommes, et c’est vraiment rare.
Nous errons dans les rayons, et tout m’inspire, mais j’ai laissé le choix à Eliot. « Bon alors, on se lâche sur quoi pour le réveillon ? » Tout est à sa disposition, elle n’a qu’à mettre dans le Caddie.

Ellen m’explique calmement que Noël est une fête familiale. Oui. Je sais. Mais alors pourquoi elle veut autant le fêter avec moi ? On est pas une famille, que je sache.. Ok, elle veut peut-être juste le fêter tout court, en mémoire à la famille qu’elle a eue. Cette simple idée me serre le coeur, mais je n’en montre rien. Elle me parle de cadeaux, et de repas. Le repas ok, les cadeaux ça m’est bien égal. Mais quand Ellen me parle de sa meilleure amie, je m’amuse à lui dire que c’est avec elle que j’aurai dû sortir. « Certainement pas, parce que tu te rendrais compte que tu t’emmerdes avec moi. » Je la regarde en souriant en coin. Elle manque d’estime d’elle-même, j’avais une vie bien plus ‘palpitante’ avant de la rencontrer, disons plutôt que je sortais beaucoup, je faisais la fête, et pas mal de conneries aussi. Mais si je suis là, avec elle, à faire des courses, dans une vie plus posée, c’est aussi parce que je le veux bien. Je l’ai choisi. J’aurai pu partir depuis longtemps, mais je suis là. Je la taquine en parlant de prison, et Ellen renchérit. Elle nous laisserait là bas, et ça me fait d’autant plus rire. J’avais l’humeur morose en rentrant dans le supermarché, Ellen me fait rire. Elle arrivera décidément à tout avec moi il faut croire. « Tu ne pourrais pas sortir avec un double de toi-même Eliot. Même toi ça te perturberait. » Je hausse les épaules. Au fond, je sais qu’elle a raison, mais je ne l’avouerai pas. Je préfère ne rien dire. « Mais tu as dis « sortir » » Je la regarde en souriant, haussant les épaules. « Je sais plus ce que je dis. Je suis sénile. » Nouveau rire, plus léger, et nous arpentons les rayons. J’essaie de dégager vite du rayon décorations, je mets juste une boîte de chocolats dans le charriot au passage. « Bon alors, on se lâche sur quoi pour le réveillon ? » « Tout. » Je hausse les épaules, l’air de rien. En vrai, y’a plein de trucs que j’ai envie de goûter, mais je sais pas comment ça se prépare, si c’est long etc… je suis nulle en cuisine. On tombe d’accord sur un repas et direction les caisses. Devant nous, une petite fille dans une poussette qui a perdu son doudou. Je m’accroupis pour le récupérer, et joue à cache-chache avec elle quelques instants, avant de rejoindre Ellen au moment de mettre les achats sur le tapis de caisse. « T’imagines, j’ai peut-être des demi-frère et soeurs que je connais même pas… » Je sais même pas si ça me fait quelque chose, ou si c’est juste un constat.

Evidememnt que je me remets toujours en question quand il s’agit d’Eliot. Parce que j’ai peur de lui voler quelque-chose, comme ses plus belles années. Elle a l’âge de faire ce qu’elle faisait avant que je ne la rencontre, en profiter. Oh elle sort, elle voit du monde, je crois même qu’elle va voir ailleurs. Mais ça… J’évite de me le rappeler, parce que systématiquement, les larmes me montent aux yeux et je le refuse, je ne veux pas lui imposer ça.
Nous sommes ici, à faire nos courses de Noël, et elle les fait avec moi, pas avec une autre, et je sais que ça la gonfle, je la connais par cœur pour tout avouer. Mais j’adore ça, trouver un semblant de normalité dans notre union, et je sais que ça la perturbe. Mais je suis là pour rectifier le tir au besoin. Je suis toujours là en secours, et elle a fini par le comprendre. Je lui fais tout de même remarquer qu’elle commence à nommer notre relation. C’est donc bien qu’elle est là. « Je sais plus ce que je dis. Je suis sénile. » Je me colle à elle quelques secondes pour lui dire que je n’en crois pas un mot. C’est un geste tendre, parce qu’elle y est parfois aussi réfractaire. Sauf quand nous sommes toutes les deux, dans l’intimité la plus profonde, là, elle s’ouvre presque totalement. Reste maintenant à savoir sur quoi on se lâche pour le réveillon. « Tout. » Ca a le mérite d’être clair, n’est-ce pas ? Alors j’opte pour le tout et je fais même choisir Eliot sur à peu près les ¾ du rayon. Elle n’ose pas, mais je préfère passer des heures en cuisine plutôt que de la priver de certaines choses, et puis on peut même faire ça à deux, ça peut être marrant.
On file en caisse et Eliot s’arrête quelques instants pour rendre son doudou à un enfant. Je trouve ça adorable, même si je ne relève pas.
« T’imagines, j’ai peut-être des demi-frère et soeurs que je connais même pas… » Des fois, ses réflexions me sidèrent. Elle se dit en-dessous de toute réflexion mais je ne suis pas d’accord, au contraire, elle me scotche. « Peut-être, oui. » Mais j’attends de voir si elle va développer, apparemment pas, je ne dirais même pas qu’elle est nostalgique, sans doute que Noël lui permet de constater certaines choses… Je règle la facture des courses, un sacré montant, mais j’ai les moyens de faire plaisir à ceux que j’aime, et on a même pensé au chien. Je range les courses dans la voiture avec l’aide d’Eliot. « Tu peux engager des recherches, si tu le souhaites. Ça sera long, et sans doute pénible. Mais si c’est important pour toi, tu peux le faire. Et je serais là si tu le veux aussi. » Nous montons dans la voiture et je claque la portière. « Je savais pas que ça te travaillait. Tu ne m’en n’as jamais parlé. Tu ne l’as même jamais évoqué… »

Je sais qu’Ellen a souvent besoin de ‘preuves’ de mon affection envers elle. Elle aurait besoin que je lui dise plus souvent, que je lui montre plus souvent ce que j’ai envie, ce que je ressens. Me montrer avec elle un peu plus comme si nous étions quelque chose. Mais il me faut du temps, même si j’ai bien conscience que notre routine s’apparente de plus en plus à couple. Pourtant, elle le sait, je ne suis pas prête à assumer quoi que ce soit. Ça n’a rien à voir avec notre différence d’âge, c’est juste mon besoin de liberté, ma peur de l’attachement, et ce manque presque total de codes concernant les émotions et tout ce qui s’en rapproche. Une fois en caisse, je joue quelques instants avec cet enfant dans la poussette avant de revenir vers Ellen pour lui faire part d’une soudaine réflexion, mais sans entrer trop profondément à l’intérieur. Une fois les courses payées - et une légère culpabilité par rapport au montant - je reste silencieuse, et c’est la rouquine qui revient à l’attaque. « Tu peux engager des recherches, si tu le souhaites. Ça sera long, et sans doute pénible. Mais si c’est important pour toi, tu peux le faire. Et je serais là si tu le veux aussi. » Je la regarde et il me faut un petit temps pour comprendre de quoi elle parle. Oh. Une potentielle famille. Oui. Enfin non. J’ai déjà rencontré ma mère, appris qu’elle était une des meilleures amies de la nana avec qui je couche, j’ai pas très envie de savoir si j’ai des demi-frère et soeur quelque part. Imaginez j’apprendre que j’ai couché avec une de mes demi-soeurs ? L’angoisse. Non merci. « Je savais pas que ça te travaillait. Tu ne m’en n’as jamais parlé. Tu ne l’as même jamais évoqué… » Je hausse les épaules, comme à mon habitude, le regard braqué sur l’extérieur. « Ça me travaille pas, ça m’a juste traversé l’esprit. » J’ai toujours été bien toute seule, je sais pas ce que c’est d’avoir une famille, alors ça peut pas me manquer. Je me suis construite comme ça, et j’aime pas qu’on bouscule mes habitudes, mes maigres certitudes. « J’crois juste que j’aime bien les gosses. J’en veux pas, mais ils sont mignon quand même. » Je laisse un maigre sourire étirer mes lèvres en revoyant dans mon esprit le sourire de la petite fille un peu plus tôt. « Et j’me dis juste que si j’avais eu des frère et soeur, je m’en serai bien occupé. Je crois. » Même si ça, on sait jamais. Mais maintenant c’est un peu tard, j’imagine que si j’en ai ils doivent être grands, et quand bien même. « Il était comment, ton fils ? » On en a jamais vraiment parler, et une fois la question sortie d’entre mes lèvres, je prends conscience qu’elle était peut-être un peu déplacée…

Eliot a passé sa vie à se planquer. En tout cas ce qu’elle ressentait, ce qu’elle pouvait éprouver face à tout ce qu’elle a traversé. Elle a toujours été seule, et quand j’y pense, j’en veux profondément à sa mère. Comment elle a pu la laisser vivre tout ça ? Je ne dis pas que ça a dû être facile, mais on voit le résultat. Eliot est abimée, pire que ça… Mais je ne crois pas qu’on puisse vraiment le nommer. Elle se dit détraquée, bancale, mais je crois que c’est encore autre chose. Elle s’interdit de ressentir. Parce que s’avouer ses propres sentiments, c’est devenir perméable à d’autres et donc se rendre vulnérable. Je ne saurais trop quoi dire pour la sortir de tout ça, alors je me contente d’être là. Et de discuter, de lui faire savoir, souvent, que je suis là, et que je suis un soutient. Elle n’a pas l’habitude.
« Ça me travaille pas, ça m’a juste traversé l’esprit. » Je lui lance un regard, et elle me répond par un autre, tout à fait interrogateur. « Je comprendrais jamais comment tu parviens à compartimenter comme ça. C’est fascinant. » Je ne plaisante pas, elle a le don de vous donner des leçons sans en avoir l’air. Elle est bluffante, c’est tout ce que je retiens. « J’crois juste que j’aime bien les gosses. J’en veux pas, mais ils sont mignon quand même. » J’éclate de rire. « Ouais, c’est bien chez les autres quoi. » Elle est spontanée, un peu trop parfois, mais ça fait son charme. J’ai remarqué déjà, la patience dont elle faisait preuve avec les enfants. Comme si ça l’apaisait dans un sens. « Qui te dit que t’en n’auras pas. T’as encore tout le temps de changer d’avis. » Je pense surtout que pour l’instant, elle a besoin de stabilité, et qu’elle n’est pas encore capable de se l’autoriser. Parce qu’elle associe trop ça à un manque de liberté, alors que ça n’est pas forcément le cas.
« Et j’me dis juste que si j’avais eu des frère et soeur, je m’en serai bien occupé. Je crois. » « J’en suis convaincue. Ils t’auraient adoré. » Ce serait la grande sœur rebelle et exemplaire. Pas forcément dans le bon sens. Mais elle a ce tempérament de leader. Pour le meilleur comme pour le pire.
« Il était comment, ton fils ? » Je suis surprise de cette question si spontanée. Pourtant, je devrais en avoir l’habitude avec elle, non ? Un sourire un peu nostalgique m’éclaire le visage. Je sens les larmes me monter aux yeux, bien sûr que je suis dévastée par leur disparition. Mais il n’aurait pas aimé que je me laisse aller. « Oh, il était… » Je choisi chacun de mes mots, la blessure est encore à vif. Je le cache bien, mais au fond… je ne suis pas sûre de pouvoir me remettre de ça. Je me contente d’apprendre à apprivoiser ma douleur, on cohabite toutes les deux. « Il était très vif d’esprit. Espiègle aussi. » Quand je repense à lui, des tas de choses me viennent. « Il t’aurait adoré. De toute façon, tout ce qui sortait du cadre… » J’y repense, mais il était un peu rebelle dans son genre. « Il était profondément gentil, comme toi. Il comprenait les gens. » Télio était doté d’une grande intelligence sociale. Il lui suffisait d’observer pour comprendre. Doté d’une grande empathie. « Il adorait Loan, et inversement. » Je pense que je vais m’arrêter là. Je me reconcentre sur la route, et m’éclaircit la gorge. « Il adorait Noël. C’est un peu pour lui que je veux faire tout ça. Même si ça doit être glauque dis comme ça. » J’essuie furtivement une larme sur ma joue et nous arrivons à la maison… « Je m’occupe du sapin ? »

« Je comprendrais jamais comment tu parviens à compartimenter comme ça. C’est fascinant. » Je vois pas bien ce qu’elle veut dire. Pour moi c’est juste logique en fait. Alors je hausse les épaules, comme à mon habitude. Mais au moins, je la fais rire. Surtout quand je lui dis que j’aime bien les gamins, mais moi j’en veux pas. « Qui te dit que t’en n’auras pas. T’as encore tout le temps de changer d’avis. » Nouveau haussement des épaules, et je clos la conversation. « J’ai un chien, ça me suffit. » Vu comme ça.
Mais je ne laisse pas le silence trop longtemps s’installer, parce qu’une question me vient, et comme souvent, je ne réfléchis pas vraiment avant de la poser. J’ai comme envie, maintenant, de savoir comment était son fils. Je l’ai vu sur quelques photos qui traînent chez elle, il avait l’air plein de vie, et c’est ce qu’elle m’assure en me répondant. « Il t’aurait adoré. De toute façon, tout ce qui sortait du cadre… » Je souris un peu, essayant d’imaginer le petit garçon de son vivant. Elle me compare beaucoup à lui, et je sais pas si ça me touche vraiment ou si je trouve ça un peu bizarre. J’ai pas envie qu’elle me voit somme son gamin non plus quoi.. Revoilà Loan qui revient sur le tapis. Ellen et elle doivent vraiment avoir une relation très forte pour qu’elle en parle aussi souvent. Un peu comme des soeurs on dirait. J’entends l’émotion dans la voix de la rouquine et je m’en veux un peu d’avoir provoqué ça, même si j’aurai pu m’en douter. Forcément, on parle de son fils qui est mort ! C’est pas n’importe quoi. « Il adorait Noël. C’est un peu pour lui que je veux faire tout ça. Même si ça doit être glauque dis comme ça. » Je la regarde essuyer sa joue du plat de sa main, et je glisse silencieusement la mienne sur sa jambe, comme pour lui témoigner un peu de soutien. Ou m’excuser d’avoir posé la question, ou les deux. Une fois à la maison, Ellen propose de s’occuper du sapin, et j’ai plus envie de lui dire non à rien après cette discussion. « Je range les courses. » Une fois tout rangé, j’aide Ellen à descendre les cartons de décorations du garage et la laisse s’occuper du sapin, comme prévu. Je m’installe sur le canapé et me perds dans la contemplation d’un magazine de jardinage, quand j’entends de la casse. Je me retourne pour regarder l’ampleur des dégâts. Une boîte entière de boules en verre qui s’est écrasée par terre. « T’as pensé à acheter des décos en carton ou en plastique. Même Woody aurait pas fait mieux. » Je me fous un peu d’elle, gentiment, en espérant juste que c’était pas des décos auxquelles elle tenait particulièrement. Et sans attendre, je vais chercher pelle et balayette pour nettoyer tout ça et éviter qu’elle se coupe en plus de tout ça. Parce que ce serait trop prévisible.

Bien sûr que penser à mon fils ou mon mari me met dans un état second. Le contraire serait étrange. Il paraît qu’avec le temps, tout ça sera moins douloureux. Pas moins grave, mais en tout cas moins violent. Je ne sais pas si je veux que ça le devienne. Parce qu’après tout, tant que j’ai mal, c’est qu’ils sont encore un peu vivants non ? J’ai du mal à me détacher de cette culpabilité. C’est la seule chose qui me retient à eux, même si ça n’est sans doute pas très sain.
J’essaye d’avoir une vie équilibrée, mais ça n’est pas évident du tout. Je ne suis pas de ce qu’on appelle une femme normale. J’en ai l’air, l’apparence et les loisirs, mais je suis un peu différente, un peu à part, et d’après Eliot, ça fait mon charme. Tant que ça me permet de la charmer elle…
J’aurais pu trouver à redire sur une relation du genre, avant. Avant de la rencontrer, avant de savoir ce qu’on ressent. J’étais déjà tombé amoureuse, mais sans doute pas d’une femme comme Eliot. Déjà c’est compliqué, mais je me suis rajouté une difficulté supplémentaire avec la personnalité extrêmement libre qu’elle offre. Je dois m’y faire, c’est un tout, et je prends le tout.
Quand je parle de lui et que je le compare à Eliot, je sens son mouvement de recul, alors je pose ma main sur la sienne. « Je ne fais pas de transfert ou quoi que ce soit de ce genre. Je dis juste que vous aviez une personnalité qui aurait matché. » Lui accordant un sourire rassurant, et la remerciant d’être là. De s’intéresser aussi à cette partie de moi, parce qu’elle cherche à comprendre. Il lui aurait été plus confortable de ne pas poser de questions, et de prendre ce qu’il y avait à prendre. Mais quelque-part, elle s’implique.

Nous rentrons à la maison et je propose de m’occuper du sapin. « Je range les courses. » Les tâches sont réparties, et il est clair que nous seront de toute façon une meilleure équipe si on s’équilibre. Elle n’a que faire de la déco de Noël et il vaut mieux qu’elle range les courses, étant donné les bouteilles de vin et de champagne que nous avons ramené.
Je vais chercher tout ce qu’il faut pour faire le sapin idéal, j’ai tout au garage. Quand je grimpe à l’échelle, les mains pleines de décorations, un ensemble m’échappe et tout se fracasse au sol. « JE VAIS BIEN !!! » J’alerte pour que ça parvienne à la cuisine et puisse rassurer Eliot. Mais elle est tout près, sur le canapé. « Je vais bien. » Je viens de la remarquer juste à côté, comme si elle avait senti la catastrophe venir. On commence à trouver notre mode de fonctionnement. Mais ce fut sans compter sur son instinct de protection. « T’as pensé à acheter des décos en carton ou en plastique. Même Woody aurait pas fait mieux. » « Tout est vraiment cassé ? » Demandais-je avec une grimace. Je suis encore perchée sur l’échelle et maintenant il me faut en descendre… Je le fais, non sans manquer une marche mais je retrouve mon équilibre au sol. « Laisse Eliot, j’aurais pu le faire. » Je regarde les dégâts. Et merde ! Ben on va faire avec ce qu’il reste. Je soupire et finis de passer un coup de balais pour tout retirer et ne pas risquer que Woody ne se blesse. « Si tu veux bien me passer ce qui te plaît là-dedans, on va se contenter de ça. » Comme ça elle participe sans le vouloir et elle choisit, elle aussi.
« Voilà, ça a de l’allure ! » Je suis très fière de ce que nous avons fait. Je descends de l’escabeau et me place juste à côté d’elle. « Il nous manque la musique et le pull de Noël, mais t’inquiète pas. J’ai tout prévu. » Et là, j’éclate de rire. La tête qu’elle vient de faire est juste épique. « C’est le pull de Noël ou la musique qui passe pas ? » Oui, je continue à me foutre d’elle. Mais c’est trop mignon. Et surtout trop facile. Je l’embrasse en passant mes bras autour de son cou. « Je plaisante. On va se contenter de manger. Beaucoup. Trop. Et de boire, aussi. » Alors ça, ça lui parle, étrangement !

« Je ne fais pas de transfert ou quoi que ce soit de ce genre. Je dis juste que vous aviez une personnalité qui aurait matché. » Pourquoi j’ai toujours l’impression qu’elle arrive à lire dans ma tête ? Je suis si transparente que ça ? C’est un truc de fou quand même, personne n’avait jamais réussi ça avant elle. Je sais qu’elle est attentive et observatrice, mais bon quand même, ça me choque presque à chaque fois. Je devrais en avoir l’habitude depuis le temps, mais en fait non. Toujours pas. Je reste silencieuse après sa remarque, un peu rassurée, je crois.
Nous rentrons à la maison - je commence de plus en plus à utiliser cette expression, est-ce que c’est un signe de quelque chose ? J’en sais foutre rien - et propose de ranger les courses pendant qu’elle s’occupe du sapin. Je la laisse faire, ça m’intéresse pas. Mais bien sûr, j’aurai dû me douter qu’il allait y avoir des complications d’ordre catastrophique, puisque c’est à peu près tout ce que constitue le quotidien de Miss Hamilton. Elle hurle qu’elle va bien, et ça me fait rire un peu. Je me fous gentiment d’elle, mais bon en même temps elle aurait pu y penser, elle pense à tout. Entre le chien et sa maladresse, des décos en carton ou en plastique auraient été judicieuses. « Tout est vraiment cassé ? » Je regarde l’étendue des dégâts en haussant les épaules. « Y’a pas beaucoup de rescapées, non. » Je me dépêche de ramasser les dégâts pour éviter une surenchère, elle est du genre à se couper avec les débris. C’est du vécu je vous assure. On fait ça à deux une fois que j’ai ramassé le plus gros, et je tiens le chien à l’écart pour ne pas qu’il se blesse. Ellen me demande de lui passer ce qui me plait. Me plaire. C’est un bien grand mot. En réalité, je m’en fous complètement, mais j’ai envie de lui faire plaisir, alors je lui donne quelques trucs. Elle a l’air contente, c’est bien le principal. Je me contente d’un hochement de tête pour affirmer son enthousiasme. On va dire que ça a de l’allure. Si on veut. Pour un sapin de noël quoi. Rien de fou. Mais ça lui fait plaisir. « Il nous manque la musique et le pull de Noël, mais t’inquiète pas. J’ai tout prévu. » Je la regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes. Elle est sérieuse là ? Elle éclate vite de rire et je lève les yeux au ciel en soupirant, glissant mes mains dans mes poches d’un air nonchalant, comme j’en ai l’habitude. « C’est le pull de Noël ou la musique qui passe pas ? » « Les deux. » Je m’en passerai volontiers, mais après tout je vis chez elle, si elle veut mettre de la musique, pourquoi pas. Mais le pull c’est mort. Et puis quoi encore ? On va se contenter de boire et de manger, et ça, ça me plait davantage. Je hoche la tête activement. Un regard à ma montre, j’ai déjà faim. C’est pas vraiment l’heure, alors je vais juste piquer un fruit pour me caler en attendant le déjeuner.

***

Je lui ai acheté un cadeau. Un seul, parce qu’il m’a coûté un peu cher, et puis je pense qu’on a pas besoin de s’en offrir cinquante non plus, c’est le geste qui compte non ? Le joli bracelet en or est placé dans son écrin, emballé dans une boîte un peu plus grosse, pour ne pas laisser sembler qu’il s’agit d’un bijou. J’ai fait un effort et j’ai mis une chemise. Bon, à carreaux, mais c’est mieux qu’un vieux sweat tout pourri. Je descends avec mon paquet et vais pour le mettre sous le sapin quand je vois qu’il y en a déjà beaucoup, là dessous. Je l’ai pas vue faire. Fronçant les sourcils, je vais dans la cuisine où se trouve Ellen, avec mon paquet dans les mains. « T’as invité tous les gamins du quartier pour avoir mis autant de cadeaux sous le sapin ? J’te préviens si c’est ça, je partage pas ma bouffe ! » Je pourrai même grogner.

Ce truc qu’elle a contre Noël, je finis par m’en amuser. J’ai fini par comprendre comment elle fonctionnait. Au lieu de me dépiter de sa façon de vivre, de ce à quoi elle renonce, je le tourne en dérision, et ça passe beaucoup mieux. Je ne fais pas un drame de ce qui ne tourne pas rond chez elle, je le sublime, et ça passe tout seul ! En fait, il m’aura fallu un peu de temps pour savoir comment me comporter face à elle. Quand je devais la bousculer, quand je devais l’épauler, l’écouter ou au contraire lui rentrer dedans. Ça se met en place, doucement, mais je dirais que sa façon de dire « à la maison » est déjà bon signe, non ?
Comme j’aurais pu le prévoir, je me retrouve à faire une connerie, une maladresse parmi tant d’autres. Alors oui, je suis parfois un peu maladroite, et parfois un peu ailleurs, mais ça fini par faire mon charme. Et Eliot est on ne peut plus patiente. Elle a surtout peur que je ne finisse par réellement me faire mal. Je sais qu’elle n’est pas tranquille à me savoir en train de bricoler quand elle n’est pas là.
Je la chambre un peu sur les coutumes de Noël en parlant de pull et de musique. Un vrai cliché de télé ! Mais elle ne mord pas totalement à l’hameçon.

***

Eliot est en haut et je profite qu’elle prenne sa douche pour organiser un peu le sapin. Je descends tous les paquets. On passe quasiment toutes nos nuits dans le même lit et pour cacher tout ça, j’ai eu un mal fou ! Je les descends en faisant bien attention à ne pas louper une marche, afin de ne pas gâcher la surprise. Je dispose tout à peu près harmonieusement autour du sapin et somme à Woody de ne pas y toucher avant que je le lui dise. Une douzaine de paquets, au bas mot, je dirais même plus une bonne quinzaine… J’espère que ça lui fera plaisir.
Je prépare ensuite quelques toasts dans la cuisine. Il est temps de s’y mettre et je lui ai promis qu’elle se régalerait. J’attends réellement ça avec impatience.
Des airpods, des fringues de sa marque préférée, une paire de baskets, des lunettes de soleil… j’ai ratissé large et j’ai même trouvé un nouveau téléphone. Je me suis fais conseiller mais le dernier est en lamentable état… Je crois qu’il n’a pas trop aimé la chute de l’échafaudage. Ce qui fait qu’elle se tape un écran complètement brisé, qui perd des bouts de verre à chaque fois qu’elle le sort de sa poche…
« T’as invité tous les gamins du quartier pour avoir mis autant de cadeaux sous le sapin ? J’te préviens si c’est ça, je partage pas ma bouffe ! » « On te perdra par ton estomac. » Je dois le reconnaître, elle est assez facile à satisfaire. Par l’estomac. Ceci dit, on tient un homme comment ? Par la bouffe et le lit. Elle n’en n’est pas si loin, et je suis à peu près sûre aussi que notre partage de l’intimité n’y est pas pour rien au fait qu’elle soit encore là.
Je me retourne pour lui faire goûter un toast. « T’en penses quoi ? » Je suis sûre qu’elle adore. Il suffit de voir sa main en chercher un autre. « Hey, il en restera plus pour les gamins du quartier après. » Ironique. Je sais qu’elle vient de jeter un œil au sapin. Je passe mes bras autour de sa taille et embrasse son cou. J’aime quand elle sent ce parfum-là. « Deux sont pour Woody. Et le reste est pour toi. » Je lève un regard vers elle, elle n’a pas intérêt à soupirer.

« On te perdra par ton estomac. » me répond Ellen après que je lui ai demandé si elle comptait partager notre repas avec tous les gosses du quartier. Y’a trop de cadeaux pour juste nous deux, enfin juste pour moi, en fait, parce que je ne pense pas qu’elle se soit elle-même fait un cadeau. Quoi que ça ne me dérangerait pas le moins du monde. Elle se retourne et me tend un toast qu’elle présente devant ma bouche, me poussant à ouvrir la bouche. Je suis pas difficile, et je goûte ce qu’elle me propose. Je hoche juste un peu la tête, laissant mes papilles apprécier ce que j’ai en bouche. Je vais en chercher un autre, c’est trop bon cette connerie. « Hey, il en restera plus pour les gamins du quartier après. » Alors du coup, je m’empare carrément du plat. Mais j’ai pas vraiment le temps de partir avec qu’elle enroule ses bras autour de moi, alors je laisse le plat à sa place. Je frissonne en sentant ses lèvres embrasser mon cou. Je sais pas si j’adore ou si je déteste ce qu’elle peut me faire ressentir. En fait, si, je sais, mais j’ai pas encore totalement la force d’assumer ce que je ressens pour elle. « Deux sont pour Woody. Et le reste est pour toi. » Je la regarde et glisse une mèche de ses cheveux cuivrés derrière son oreille. « Pourquoi t’en as acheté autant. T’étais pas obligée, juste une babiole ça aurait suffit. » C’est pas parce que j’ai quasiment jamais eu de cadeaux de Noël qu’elle devait se sentir obligée de me couvrir de cette manière, comme si elle allait pouvoir rattraper toutes ces années sans rien. Je m’en fous. Le passé c’est le passé. Je fais une petite moue et secoue la tête. « Toute manière, je peux dire ce que je veux, tu t’en fous. » Je le sais bien. Même si je lui avais interdit de m’offrir quoi que ce soit, elle l’aurait fait quand même. Si je suis bornée, elle l’est au moins autant que moi. « J’ai juste un seul cadeau moi, pour toi.. » Et je me sens conne. Encore ce foutu sentiment de pas être assez. Pas assez bien pour elle, pas assez riche pour la couvrir de cadeaux. Je fais ce que je peux avec ce que j’ai, je sais, mais je me sens un peu mal d’avoir plein de cadeaux alors qu’elle n’en a qu’un. « Je peux les garder et les ouvrir un peu toute l’année ? Ou je suis obligée de les ouvrir aujourd’hui ? » Je fais une petite moue. Définitivement, j’aime pas Noël.