Night Wolves (Jake & Elijah I)

Pour quiconque connaît Jake, sa passion pour la culture et les arts est loin d’être un secret. Il aime la littérature, la musique ou encore le cinéma mais ce qu’il affectionne particulièrement, c’est le fait de jongler avec tout cela et de tisser des liens, parfois incongrus, mais qui donnent naissance à des sens nouveau. Son approche de la littérature pendant les cours qu’il donne au lycée se base donc là dessus et ce, dans un seul but : l’ouverture d’esprit, apprendre à réfléchir et à voir les choses au delà du premier plan.
Le lien entre littérature et cinéma est si proche… Alors que l’un inspire l’autre, l’autre donne vie à une vision de l’un. Voilà pourquoi, dans la conception de ses cours, le cinéma occupe une place importante.

A la fin de l’été, alors que les cours n’avaient pas encore repris, le jeune professeur de littérature avait été convié à une réunion complètement inédite à l’université. En réponse à un nombre croissant d’abandon du système scolaire après le lycée, le gouverneur de Californie a tenté de mettre en place une politique tentant de redonner du sens aux études supérieures pour les nouvelles générations. L’une des solutions mises en place cette année est l’organisation d’activités dites « passerelles » entre les lycées et les universités. Pour mener à bien ce projet, une grand réunion avait donc été organisée sur le campus entre le lycée où exerçait Jake (qui a été sélectionné comme établissement pilote) et un certain nombre de professeurs à l’unversité.

Après une présentation du projet en grande pompe par le gouverneur, le doyen de l’université et d’autres représentants politiques et institutionnels, des sortes de « speed dating » avait été mis en place pour permettre aux enseignants de se rencontrer et d’envisager des ateliers communs en fonction de leur domaine d’enseignements. C’est de manière plutôt instinctive que Jake s’était orienté vers le pôle Lettres, arts, communication. Il y fit la rencontre de plusieurs confrères enseignants dont celle d’Elijah, un jeune enseignant en cinéma, tout fraîchement débarqué à l’université. Assez rapidement, Jake avait senti qu’un feeling plutôt positif était en train de se développer (surtout lorsqu’il plaça une référence à Beetlejuice qui sembla faire mouche).

Les ateliers auraient lieu lors du dernier trimestre de l’année scolaire ce qui laisserait le temps aux enseignants de mettre en place un projet solide et cohérent. A l’issue de la réunion, Jake et Elijah officialisèrent leur collaboration. L’échange aurait pu se terminer ainsi mais les choses se passèrent autrement. Bien lancés dans leur discussion, des idées semblaient fuser de tous les côtés si bien que Jake proposa de prolonger la discussion autour d’un verre. Depuis ce jour là, ils continuèrent de se voir assez régulièrement, évoquant d’abord uniquement le projet puis, de fil en aiguille, ils commencèrent à laisser tomber quelques barrières, dépassant peu à peu le stade de simples collègues.

Depuis l’été, ils avaient eu l’occasion d’aller chez l’un et l’autre, de se faire une toile au cinéma ou encore de boire des verres à droite à gauche et ce soir encore, ils avaient prévus de se retrouver. La soirée aurait lieu chez Jake. Les bières étaient au frais, l’appart était clean, seul manquait l’invité principal qui devait apporter de quoi se remplir l’estomac. Il finissait à peine de revêtir une chemise en flanelle à carreau que des coups retentirent contre la porte. Il ouvrit la porte quelques secondes plus tard, terminant de fermer les boutons manquants à sa chemise.

« Toujours aussi ponctuel à ce que je vois ! » dit-il ironiquement. Il l’invita à rentrer, ses bras chargés de nourriture dont une odeur absolument alléchante venait chatouiller ses narines. « Wow ! ça à l’air divin, je crois que j’ai bien fait de te faire confiance sur le choix de la nourriture pour ce soir ! ». Ils se dirigèrent tout deux dans le salon. Elijah déposa la nourriture sur la table basse. « Fais comme chez toi ! » lui dit-il avant de partir dans la cuisine. « Eli ! Bière ? ». Avant même qu’il réponde il revint avec deux bouteilles dans le salon. Comme à chaque fois, la soirée se présentait sous les meilleures auspices possibles.

En débarquant aux États-Unis, l’une de mes plus grandes craintes était de ne pas réussir à m’intégrer. Demeurer un « outsider » jusqu’à ce que la solitude me ramène de force en Europe. Cinq mois après, cette peur était derrière moi. Si j’étais loin d’être le type le plus populaire de la Cité des Anges, je comptais maintenant un petit nombre de connaissances – trop tôt pour les étiqueter « amis » ? – qui me donnait la motivation de me bouger l’arrière-train après mes soirées d’enseignement. Hors de question de passer ma vie affalé sur mon canapé à regarder des films en solo. Autant le faire à plusieurs ! C’était exactement ce que je m’apprêtais à faire tandis que j’enfilais un pull de couleur bordeaux, me coiffais à la volée puis sorti en trombe de mon appartement. Je craignais d’être en retard après qu’une réunion imprévue ait décalé tout mon planning de la soirée. Dieu merci, j’avais de la marge au départ. Il n’empêche que, maintenant, les aiguilles tournaient à vitesse grand V. Je haïssais débarquer après l’heure convenue – si ce n’est pour une poignée de minutes supplémentaires – ce qui expliquait ma hâte.

Les bras chargés de bouffe, je posais les plats sur le sol au niveau du siège passager puis démarrai avec les tympans en ébullition. Pourquoi me mettre dans un état pareil sérieusement ? Au pire des cas, ce n’était pas la mer à boire que d’arriver avec un quart d’heure de retard ! … Nop. Même quand je tâchai de m’en persuader je ne pouvais qu’échouer lamentablement. Aussi dingue cela puisse paraître, décrocher une médaille pour un timing idéal ne constituait pas l’unique facteur expliquant cette précipitation. Je refusais juste de me l’admettre. J’adorais passer du temps en compagnie de mon hôte. Nous nous étions rencontrés au cours d’une journée visant à établir un lien entre l’Université et le lycée dans lequel ce dernier était embauché et, depuis, nos rendez-vous se multipliaient. C’était sa présence qui, en grande partie, me permettait de me sentir intégré, allégeant la frousse que j’avais ressenti en faisant mes adieux à l’Allemagne et au Luxembourg.

Tout chez cet homme était un régal. De sa voix profonde à son caractère qui frôlait le « faux macho » à plus d’une occasion. Entre sa moto, sa passion pour la bière et les blagues grivoises, il me rappelait une partie de moi que je pensais avoir abandonné en Europe. Sauf pour le véhicule. Je n’avais jamais eu de deux roues. Dès que je le voyais, j’hésitais à dépoussiérer ma vieille veste en cuir histoire de pousser le côté « bad boy » jusqu’à ses stéréotypes les plus ancrés. Ce ne serait pas pour ce soir cependant. Là, nous avions voté pour une soirée pépère où la bouffe et allez savoir quels sujets de conversation primeraient. Pas de bar en vue et encore moins de bagarre d’alcoolos. Bref, le professeur était le Bro’ à l’état pur.

Finalement, j’arrivai en avance. Le Destin semblait être avec moi puisqu’une place de parking était livre à deux mètres de sa porte d’entrée. Le truc impossible à Los Angeles ! Armé de la nourriture que je craignais de fracasser au sol à chaque instant, je tapai à sa porte à l’aide de mon coude. Je n’eus pas à attendre longtemps puisque ce fût un Jake en plein habillage qui vint m’ouvrir. Mes yeux clairs se perdirent l’espace d’un instant sur la danse de ses doigts autour des boutons avant de se plonger dans son regard.

- Et toi toujours aussi exhibitionniste ! ripostai-je comme pour me tirer d’affaire – alors même que je n’avais commis aucun pêché – en riant de bon cœur.

Je ne résistai pas à sa proposition et posai toute ma « livraison » sur sa table basse. Ce n’était pas la première fois que je venais ici et pourtant je me surpris à redécouvrir des éléments alors qu’il revenait, déjà armé d’une bouteille pour chacun d’entre nous. Mon remerciement se forma sous la forme d’un large sourire. On ne change pas une équipe qui gagne ! Je me rapprochai d’un cadre photo dont je n’avais pas le moindre souvenir. Le cliché ne datait clairement pas de la décennie actuelle !  

- Je n’y avais jamais prêté attention ou c’est nouveau ? Moi qui pensais que tu étais né avec une bière à la main, je prends une volée !

Fier de ma boutade pourtant simple, je lui fis un clin d’œil puis décapsulai celle que je tenais fermement. Je ne prêtais plus tellement attention à l’odeur dégagée par notre futur repas – m’y étant accoutumé avant mon arrivée – mais la voir disposée si nonchalamment me rappela que je ne pouvais pas l’abandonner à son triste sort. Nous avions beau être des mecs, inutile de la gâcher en jouant les porcs plus que nécessaire ! Ainsi, je me mis à genoux et me mis à trier les aliments devant rester au frais tout en commentant.

- Ça fait un bail que tu attends ce moment alors le voici. Il est enfin arrivé. J’ai cuisiné pour toi !

J’agitai en l’air mes poings chargés de nourriture tout en affichant une expression faciale d’excitation extrême. Oui, je lui avais déjà rabâché à quel point j’aimais cuisiner des bons petits plats typiques de mon pays natal mais sans jamais lui proposer de quoi y goûter. Aujourd’hui, cette erreur de parcours serait corrigée. Je me dirigeai vers le frigo que j’ouvris sans même lui demander son avis. Après tout, n’avait-il pas dit de faire comme chez moi ? Nous n’avions pas à être gênés pour si peu ! Surtout quand mes décisions nous permettraient d’éviter l’intoxication alimentaire !

- Comme je sais que tu as un appétit d’ogre, je me suis dit qu’il valait mieux en faire trop que pas assez. Tu devrais en avoir pour au moins quatre jours si tu restes raisonnable. Qu’est-ce que quatre jours tu demandes ? dis-je dans une mise en scène aux penchants humoristiques où je devinais ses paroles avant qu’elles ne sortent de sa bouche. Eh bien… Tu comprendras pourquoi il est nécessaire d’y aller doucement dès que tu auras goûté à cette pas si délicate mais très calorique nourriture allemande !

Je fermai le réfrigérateur, les lèvres étirées jusqu’aux oreilles. La malice se lisait dans mes prunelles. Jake aimait la malbouffe. Il se nourrissait souvent de hamburgers/frites. Mais, d’après ses dires, il n’avait encore jamais eu l’occasion de participer à un voyage culinaire direction l’Allemagne ! Il ne devrait pas le regretter !

Après avoir chopé ma bière au vol, je me positionnai devant lui, tous les deux debout, et bu une première gorgée. Cela faisait un bien fou. La lumière ambiante faisait ressortir le vert de ses yeux d’une sublime façon. Il m’avait fallu une ou deux retrouvailles avant de réaliser qu’ils n’étaient pas marrons. Allez savoir pourquoi. Mais maintenant que je m’en étais aperçu, je me plaisais à le remarquer à chaque fois.

- Alors… Quoi de neuf ? Je veux dire… Qu’est-ce que tu as fait de beau si ce n’est lustrer tout l’appartement pour me faire croire que tu ne laisses pas traîner ton linge sale par terre pendant une semaine ?

Je me plaisais à le taquiner, à le provoquer. Dès que nous nous étions éloignés de l’ambiance strictement professionnelle, c’était devenu un véritable hobby. Mon interlocuteur n’était pas sans reste en général pour m’envoyer sur les roses. Un jeu comme un autre en somme.

Une bonne heure avant que son invité pointe le bout de son nez, Jake s’était attelé au nettoyage de l’appartement. Que l’on ne se méprenne pas, le jeune professeur n’est pas du genre à vivre au milieu de ses caleçons sales et des restes de la veille à l’air libre. Bien qu’il ait eu cette phase de type « garçonnière » de nombreuses années auparavant, il veille aujourd’hui à garder un lieu de vie sain sans pour autant être totalement un maniaque du ménage. Un peu de vaisselle, quelques coups sur les coussins pour leur redonner forme et un petit coup d’aspirateur robot et le tour était joué. Heureusement d’ailleurs puisque c’est en consultant la grande horloge murale de sa cuisine qu’il se rendit compte qu’Eli devrait arrivé d’ici 10 minutes. 
Ni une ni deux, il avait foncé dans la douche histoire d’être présentable et, à peine avait-il enfilé sa chemise que l’on frappa à la porte.

« Si t’étais arrivé une dizaine de minutes plus tôt, tu aurais su ce qu’est réellement l’exhibitionnisme ! ».

Lorsqu’il revint dans le salon armé de deux bière de la célèbre marque aux sonorités mexicaines, il découvrir Eli en pleine visite. Depuis son récent emménagement, Jake avait fait évoluer la pièce de semaines en semaines. Quelques éléments de décorations, de nouvelles plantes mais aussi des vinyles tout fraîchement reçus, le salon était en pleine évolution si bien qu’Eli avait pu découvrir de nouveaux éléments à chacune de ses visites. 
Cette fois ci, c’est sur un cadre photo qu’il était tombé. Les couleurs de la photo qu’il renfermait étaient légèrement jaunies comme usées par le temps en témoignage des années qui s’étaient écoulés depuis la prise du cliché.  Néanmoins, l’on pouvait encore totalement distinguer les 4 personnes présentes sur la photo : Sa mère, son père et Jake tenant dans ses bras Dante, à peine âgé de quelques mois. C’était d’ailleurs la seule photo familiale présente dans l’appartement.

« Et non ! Avant les bières il y a eu un frère et tout un tas de biberons ! ». L’histoire de la famille Dempsey n’a jamais été un long fleuve tranquille et elle ne l’est toujours pas si bien que, pendant des jours, il avait hésité à mettre cette photo dans le cadre du salon. Ce moment sauvegardé dans le temps le ramenait à une période apaisée et heureuse mais il lui était impossible de ne pas songer aux années qui suivirent, les relations tendues avec Mamma, cette déchirure qui ne cesse de s’agrandir. Le sujet n’était pas tabou pour Jake, au contraire mais à chaque fois que le sujet était abordé, l’expression de son visage se marquait légèrement.

Jake ne saurait dire si cette expression l’avait trahie auprès d’Elijah mais ce dernier avait réorienté le sujet vers les sacs de nourriture aux odeurs envoutantes. Ce dernier avait eu pour mission de s’occuper de la nourriture mais il s’était bien gardé de révéler quels mets il allait ramener. Jusqu’à ce jour, les deux amis s’étaient contentés de commander à manger via des services de livraison mais cette fois ci, les plans seraient différents. En effet, Eli avait cuisiné pour Jake ! Cuisiner est quelque chose de plutôt anodin au quotidien mais pour Jake, cela témoignait aussi d’une vraie preuve d’affection. Cuisiner pour quelqu’un, c’est vouloir lui faire plaisir, prendre du temps pour y parvenir et partager un moment avec l’autre. Eli se révélait être un ami de plus en plus important pour le professeur de littérature.

« Bah ça alors ! Tu as prévu les chandelles et la musique d’ambiance aussi ? Ah et je tiens à préciser… je ne couche jamais le premier soir si c’était ton objectif ! » dit-il en riant à coeur joie. « Sans blague, merci, ça me fait super plaisir ! » dit-il alors qu’Eli avait le nez dans le frigo. Jake, lui, avait attrapé deux assiettes et des couverts pour venir les déposer sur la table basse du salon. « Alors petit 1 : je ne te permets pas et petit 2 : le gras c’est la vie ! Mais je te remercie de te soucier de l’entretien de mon corps d’athlète ! ». Il tapota avec sa main son torse.

Après avoir trinqué en faisant tinter leurs bouteilles, Jake se laissa tomber sur le canapé pendant qu’Elijah restait debout face à lui. Sa seule présence au sein de l’appartement apportait énormément de chaleur.
« Hum… » dit-il comme une complainte… « Quatre heures de cours ce matin et un après midi à corriger des copies ! Ca donne envie hein ? Heureusement qu’on avait prévu cette soirée, ça m’a permit de tenir le coup ! ». 
Il porta la bouteille de bière à ses lèvres avant de reprendre : « Et toi alors ? Comment s’est passée cette réunion de dernière minute ? »

« Tiens, je te laisse choisir un vinyle pour mettre une petite musique de fond ? ». C’était une habitude qu’il avait prit depuis pas mal de temps : laisser le choix d’un vinyle à son invité. Cela lui permettait de connaître un peu mieux ses invités et parfois, il avait de sacrées surprises sur les choix de ses invités !
La platine se mit alors à crépiter jusqu’à ce que le diamant vienne déchiffrer la musique du disque. Elijah vint alors le rejoindre sur le canapé.

« Sacré choix… Bon alors… c’est quoi le menu du soir ? » dit-il alors que son regard croisa le sien, un sourire au coin des lèvres.

Dix minutes plus tôt et j’aurais eu un défilé digne d’Alerte à Malibu. Cette pensée me fit rire intérieurement alors que j’essayais de chasser l’image de mon interlocuteur habillé du splendide maillot rouge une pièce qui mettait tant le corps de Pamela Anderson en valeur. Sa virilité en prendrait un coup mais je serais avide d’immortaliser cet instant dans ma caboche ! Néanmoins, ce n’est pas cette vision que je vis présentée au centre d’un cadre mais celle d’une famille paraissant unie, avec une version miniature de l’homme qui se tenait à quelques mètres de là. Ses traits étaient reconnaissables mais sa bouille de bambin contrastait avec le visage plus creusé et mal rasé qu’il arborait de nos jours. J’avais toujours aimé découvrir des clichés de mes proches, les voyant peu à peu se rapprocher de leur physique présent. C’était fascinant. De mon côté, j’avais bel et bien quelques clichés de mon enfance et adolescence que j’avais chopé à la va-vite quand j’avais quitté le domicile familial une bonne fois pour toute. Je redoutais de les regarder cependant. Tout du moins une poignée d’entre eux. Tant de mauvais souvenirs y étaient rattachés de près ou de loin !

- Je n’y aurais jamais cru sans preuve ! ripostai-je à sa remarque concernant les biberons.

Jusqu’ici, nous n’avions jamais discuté frontalement de nos familles. En outre, il m’apprenait à l’instant qu’il n’était pas fils unique. Nous avions beau être de très bonnes connaissances – amis ? J’avais toujours des difficultés avec ça ! – nous étions encore loin de nous connaître de long en large et en travers. Élément que j’apprécierais rectifier à l’avenir tant sa compagnie m’était agréable. Mais pas tout de suite. Là, il me fallait voler au secours de la bouffe avant que celle-ci tourne à cause de la chaleur ambiante. Je ne m’étais pas donné tout ce mal pour qu’elle finisse à la poubelle ! Occupée à déplacer les plats dans le frigo, je ris à sa blague.

- Je t’en prie ! Ça me fait plaisir ! Et puis… est-ce vraiment notre premier soir ? Bon… J’avoue, je ne suis pas contre l’idée de prendre notre temps. Dans le cas contraire j’aurai glissé des préservatifs dans ta part histoire de te donner des idées.

Ce tableau si saugrenu me fit pouffer, menaçant un instant de me faire lâcher prise. Tellement ridicule ! Il n’y avait qu’avec lui que je réussissais à proférer des sous-entendus homosexuels sans culpabiliser. J’avais été éduqué dans un milieu si réfractaire aux LGBTQ+ que j’évitais toujours de me mettre en scène dans ce type de scénario. Comment avais-je pu flirter avec un mec à mon arrivée au Luxembourg ? Allez savoir ! L’exception qui confirme la règle sans doute.

La discussion prit une autre direction alors que je lui faisais un topo sur les futurs restes qu’il pourrait dévorer au cours des prochains jours. Jake trouvait toujours la faille dans mes propos, un point à exploiter afin de développer une boutade de son cru. Je n’y échappai pas là non plus ! Tandis que je referai la porte du réfrigérateur, je le vis se tapoter le torse avec une mine ravie sur la face. Quel idiot je vous jure ! Je secouai la tête, mimant l’exaspérant avant de laisser un rire s’échapper.

- Que veux-tu. Je refuse qu’on prétende que je te fais de l’ombre uniquement car je te gave comme une oie !

Je frappai mes pectoraux de mes poings, à la Tarzan. Nous formions un tandem terrible. N’importe qui assisterait à nos petits rendez-vous qu’il se retrouverait à se « facepalmer » du début à la fin. Sauf là où, après avoir trinqué, nous échangions les dernières nouvelles. La journée du professeur n’avait pas été palpitante à en croire son résumé maussade et je ne pouvais pas prétendre avoir mieux vécu de mon côté. Je bus une gorgée de ma boisson fraîche avant de répliquer.

- Toujours ravi d’être utile sans effort ! dis-je en souriant. Pareil de mon côté. La routine quoi ! Je dois commenter les scénarios de chaque groupe, voire s’il y a un moyen de les améliorer, si je peux apporter des suggestions, etc. Bon, après je ne me plains pas. C’est franchement cool comme job !

Vrai. En-dehors des examens de fin de semestre, je pensais m’en sortir bien mieux que le propriétaire des lieux. Lui se trouvait plongé dans un cadre bien plus scolaire, avec moins de libertés, etc. De mon côté je n’avais aucun programme précis à suivre si ce n’est celui que je m’imposais. Beaucoup d’enseignants aimeraient être à ma place !

- Quant à la réunion… Elle était plus inutile qu’autre chose. C’était pour discuter du budget du département mais ça ne me concernait pas directement. Va comprendre. Enfin bon, tu sais de quoi je parle…

Les péripéties avec l’administration faisaient partie du quotidien une fois que vous endossiez ce job. Sans cesse déranger pour rien, bloqué dans nos projets à cause d’une question de billets verts, des modifications intempestives quant aux salles, horaires et ainsi de suite. Les secrétaires étaient encore plus à plaindre que nous. J’étais toujours impressionné par leur sang-froid. Comment faisaient-ils pour ne pas disjoncter dès la rentrée ? Kudos à eux !

Bref, je me vis attribuer une mission : celle de choisir le vinyle à faire tourner en fond sonore. Je me mordis la joue pour ne pas lancer une vanne lui rappelant qu’il ne manquait plus que les chandelles désormais puis fouilla dans sa collection. Cette dernière s’épaississait de jour en jour. Tout du moins me semblait-il. J’avais des terribles lacunes en matière de musique. Je n’y connaissais rien pour ainsi dire ! Malgré tout, je perçus un genre récurrent : celui du rock et de ses sous-catégories. Guère surprenant. Je ne pouvais l’imaginer autrement qu’à écouter du ACDC à en faire exploser ses enceintes. Du Enya, ça ! ça aurait été un coup de théâtre digne de ce nom ! Après hésitation, mon choix se porta sur un groupe plutôt soft pour que ce ne soit pas trop distrayant : Simon and Garfunkel. Ceci fait, je m’assis à côté de Jake, nos regards établissant un contact. Le sien était si pénétrant que je me sentis minuscule une fraction de seconde. Son charisme m’impressionnait toujours.

- Outch euh… Alors…, commençai-je tout en essayant de me remémorer. J’ai préparé des galettes de pommes de terre frites à la poêle qu’on pourrait déguster dès maintenant si ça te dit, un [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] – une tarte au bacon avec poireaux et oignons, précisai-je en réponse à sa mine dubitative -, des [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], soit des pâtes d’Allemagne du Sud avec une dose généreuse de fromage et, en dessert… quelques [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]. À celles-ci on ajoute entre autres des épices et des noix. Voilà. Ce doit être à peu près tout ! Je t’ai épargné la choucroute et les saucisses !

Je ris, mes yeux toujours plantés dans les siens. Disons que c’était pour analyser ses réactions. Il est vrai que j’ignorais quels aliments n’étaient pas à son goût et s’il avait des allergies. Peut-être avais-je tort sur toute la ligne avec mon menu et, si c’était le cas, j’espérais qu’il jouerait la carte de la sincérité. Je ne voulais pas le rendre malade. Uniquement lui faire plaisir en régalant son ventre et sa curiosité culinaire. Au passage, je me demandai s’il m’avait déjà entendu parler ma langue natale, ne serait-ce que pour trois termes se battant en duel. Je ne m’étais pas totalement départi de mon accent mais ce devait sonner encore plus étrange à ses oreilles quand j’oubliais tout de mon anglais.

- Ton estomac de quarantenaire devrait survivre tu penses ?

Je lui tirai la langue, moqueur.

L’amitié c’est souvent progressif… Sauf dans de rares cas où certains s’ouvrent tout de suite à l’autre mais c’est aussi ça le jeu de l’amitié. Se laisser porter avec le feeling, ne rien planifier de l’évolution de la relation et se confier lorsque l’on en ressent l’envie ou le besoin. En l’occurence, Eli et Jake avaient encore beaucoup de choses à découvrir l’un de l’autre, mais cela ne pouvait pas être un mauvais présage, bien au contraire.
Il faut dire que le sujet familial n’était pas celui que Jake préférait aborder en premier. Pourquoi ? Tout simplement parce que généralement, ce genre de questions se retournait contre celui qui en était à l’origine : « Et toi alors ? ». Il lui en parlerait si Eli lui posait la question mais il aurait forcément du mal à se lancer. Là où Jake avait plus de facilités à se lancer par contre, c’était lorsqu’il s’agissait de parler nourriture !

« Je crois qu’on joue sur deux terrains différents ! Enfin, je veux dire, nous sommes dans deux catégories différents, moi je fais parti de celle des bruns ténébreux et j’ai le regret de t’annoncer que tu en peux concourir dans cette catégorie, même si tu me fais dévorer toutes les spécialités absolument pas diététiques de l’Allemagne. ».

Si une chose était sûr, c’était qu’Eli était un garçon charmant, surtout lorsqu’il laissait traîner sa petite barbe de quelques jours. Les étudiant.e.s devaient en pincer pour lui, c’était certain ! A vrai dire, le professeur de cinéma n’avait pas été très explicite sur sa sexualité là où Jake, pour une fois, s’était confié à ce sujet sans trop d’effort. Il parvenait à mettre en application ce qu’il s’était promis lors de cette nouvelle rentrée: vivre pour lui et ne plus se cacher auprès des gens dont il avait confiance.

« Non mais ça doit être franchement sympa ! Je trouverais ça vraiment interessant qu’on s’en inspire pour notre projet. Tu dois lire des trucs assez dingues parfois mais je trouve que c’est un bon moyen de laisser les gamins exprimer leurs créativités ! D’ailleurs… on est à Los Angeles, tu as pas un contact dans le cinéma qui pourrait, je sais pas moi, aider le meilleur scénar’ à tourner une bande annonce par exemple ? Enfin je dis ça comme ça me vient ! ».

Jake était de ce genre là, par moment, sa tête fusait d’idées qu’il sortait aussi vite qu’elles lui apparaissaient. On pourrait comparer ça à un ciel étoilé, calme, subitement envahi par une pluie de comètes qui apparaissent dans tous les sens. Certaines sont visibles un long moment, d’autres disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues. Peut être qu’Eli serait réceptif à cela. Il espérait en tout cas que ça ne le refroidisse pas.

L’ambiance était en tout cas détendue et le petit fond sonore soigneusement sélectionné par son invité collait parfaitement si bien que, pendant un instant, il s’était tu, le temps de boire une gorgée certes, mais aussi le temps de se regarder un instant. Leur contact visuel fut brisé par la présentation du menu tant attendu ! Il semblait s’être vraiment donné pour partager avec lui la cuisine de son pays.

« Ah ouais… donc en fait t’as vraiment pas rigolé ! Je vais avoir l’air de quoi moi pour les prochains repas ? Surtout que je suppose que la nourriture italienne, tu connais… ». Il faut dire que Jake avait été à bonne école avec une mère italienne cuisinière et chef de son propre restaurant. Malgré leur relation calamiteuse, il avait su garder en mémoire les petits secrets de cuisine transmis de génération en génération.  

« Attends mais… tu essayes de me faire passer un message là ? Quarantenaire… Trop gavé… j’ai l’impression de passer pour un vieux dégueu ! » dit-il ironiquement. « Bon… quitte à finir vieux et obèse, on passe à table ? ». Il frappa entre ses mains pour lancer le repas. « On commence par tes galettes de pomme de terre, toute façon c’est le seul nom prononçable du menu de toute manière ! Pour le reste, il va falloir que tu me donnes des cours d’allemand ! ».

La discussion allait bon train alors que nous échangions les nouvelles. Rien de palpitant en somme, mais mon interlocuteur rebondit sur les derniers travaux que j’avais à corriger. Visiblement, son inspiration était piquée à vif dès qu’il s’agissait de coucher des idées sur des pages blanches. Le littéraire en lui ! La passion se lisait toujours dans son regard dès que nous abordions l’écriture, ce qui était beau à voir. Il ne feignait pas cet amour, tout comme je ne feignais pas celui que je portais au cinéma. L’art constituait le premier centre d’intérêt ayant établi un lien entre nous et, aujourd’hui encore, il me rappelait sans cesse que nous avions eu une chance miraculeuse de nous trouver. D’accord, nous devions notre rencontre à l’administration de nos établissements mais j’y voyais malgré tout une part de hasard que je remerciai dès lors que nous partagions un moment. Difficile d’expliquer pourquoi cela clique aussi bien avec certains individus et pas avec d’autres. Mais pourquoi s’en soucier après avoir fait une aussi agréable rencontre ?

Je souriais bêtement tandis que Jake m’exposait ses idées à toute vitesse. Cette histoire de scénario l’avait artistiquement touché en plein cœur et il se trouvait là à se glisser dans mes baskets, se donnant pour mission de récompenser dignement mes meilleurs étudiants. C’était touchant. Autant pour eux que pour moi. J’aimais être conseillé, recevoir des suggestions. D’autant plus quand celles-ci provenaient d’un type pour lequel j’avais énormément d’estime. Le plus étrange dans tout ça et que, malgré la proximité de nos âges respectifs, son soutien me rappela celui que je n’avais jamais connu de la part de mes parents. Ils avaient lamentablement échoué à la tâche, me dévalorisant plus qu’ils ne me tiraient vers le haut et fondant un environnement hostile. Ici, dans cet appartement, avec cet homme, je me sentais décomplexé, stimulé, en sécurité et… apprécié à défaut d’« aimé ». D’ailleurs, ce terme m’échappait toujours du haut de mes trente ans. « Aimer. » Savais-je au moins ce que c’était ? Bref, je ne m’étais toujours pas départi de ma bonne humeur quand je repris enfin la parole.

- Et tu as raison. J’adore entendre tes idées ! Je t’en remercie, dis-je avec douceur. Alors, je t’explique la manière dont j’ai anticipé cette année. Le but pour les premières années est de proposer des courts-métrages par groupes de cinq ou six en guise d’évaluation finale. Grâce aux cours pratiques je vais petit à petit leur apprendre à passer devant, mais aussi derrière la caméra. Là, on bosse donc sur l’avant-dernier jet de leur scénario.

Je fis une pause, buvant une gorgée de ma bière avant de me réhydrater. Ça faisait beaucoup de paroles d’un coup pour une minute en-dehors du campus !

- Le seul point noir est qu’on ne peut pas composer de bandes originales donc on va devoir se servir dans des bases de données accessibles via l’Université. Mais bon, pas comme si j’allais me montrer ultra exigeant. J’ai conscience que ça sera plutôt sommaire puisqu’ils commencent juste ! rappelai-je. Je suis curieux de voir ce que ça donnera. Je me prépare à tout. Sans oublier qu’ils ne sont pas les seuls à apprendre sur le tas.

En confiant cela, je faisais bien sûr référence à ma propre personne. Je débarquais juste dans ce métier et rien ne valait la formation de terrain même si je n’étais pas à l’abri de l’échec ni de l’erreur. J’espérais être en capacité de peaufiner ma technique au fil des ans même si je gardais en tête que la perfection n’existe pas. Rien ne m’empêchait de m’en rapprocher néanmoins ! D’ici-là j’avais espoir que je les aiderai à s’améliorer pour que le tout dernier projet de leurs études soit mémorable.

Après ce discours s’étirant plus que je l’aurais souhaité, il me fallut citer tous les plats que j’avais concocté. La liste et ses quantités étaient suffisantes pour nourrir quatre hommes, mais je m’étais régalé à les préparer. J’étais si heureux de partager tout ça avec le propriétaire des lieux que j’accueillais à bras ouverts dans sa découverte de mes origines ! Sa réflexion me fit pouffer.

- Rassure-toi. Ce n’est pas une compétition ! Je voulais juste… je n’en sais rien. Te faire voyager. Te donner accès à un passé que je ne peux pas vraiment partager autrement… Bon d’accord, je m’avance sûrement en pensant que ça t’intéresse mais je tente le Diable !

Mes prunelles claires croisèrent ses yeux d’où la bonté transparaissait, me donnant l’impression qu’il pouvait lire dans mes pensées. Qu’y verrait-il ? Cela suffirait-il pour qu’il comprenne que j’espérais que cette soirée durerait une éternité pour ne pas avoir à quitter cet endroit, me faisant retrouver une solitude que je me plaisais à concevoir comme « rassurante » ? Dans le doute qu’une telle magie puisse bel et bien lui être accessible, j’enchaînai sans trop tarder, relevant un point de ses paroles précédentes. Tactique de diversion.

- Italienne, hein ? Comme tu ne réponds pas aux critères clichés que je me fais du physique d’un italien – tu es plus imberbe qu’un nouveau-né excepté pour ta barbe - j’imagine qu’il y a une autre raison derrière cette connaissance particulière ?

À mon tour d’être curieux. Et puis, qu’il se rassure, à part les plats typiques, la nourriture de ce pays faisait office de mystère pour moi. Jake avait donc matière à m’épater ! En parlant de bouffe – car il est toujours question d’appétit en présence de la gent masculine – il était temps de passer à table comme son enthousiasme l’attestait. Je bondis sur mes pieds à sa suite, puis me permis – après autorisation – de mettre à réchauffer la suite du repas que ce soit au four ou sur les plaques. En passant, je répliquai :

- « Vieux dégueu… » Hum. C'est une façon de voir les choses, oui !

J’éclatai de rire, lui donnant un coup d’épaule amical. Impossible d’arrêter de le charrier. Il était une source inépuisable d’inspiration !

- Ok, je suis prêt à négocier ! Pour racheter ma méchanceté, j’accepte de t’apprendre à draguer en allemand. Je parie que tu ferais tomber tous les mecs en te faisant passer pour un étranger. Après tout, ça marche avec les femmes alors…

Clin d’œil. Je n’avais pas tenté quoique ce soit depuis mon arrivée dans le pays mais je m’en étais donné à cœur joie au Luxembourg à une époque. Oui, je m’étais payé une conduite depuis. Cependant, être exotique aux yeux de quelqu’un peut te rendre irrésistible comme je m’en étais rendu compte à maintes occasions. Mon interlocuteur m’avait très vite dévoilé son orientation sexuelle et ce n’était aucunement tabou entre nous. Je lui faisais confiance pour ne pas me sauter dessus. Il savait à quoi s’en tenir sur ce plan-là.

- D’ailleurs, comment ça se passe de ce côté-là ? lui demandai-je tout en servant ce qui ferait office d’entrée, lui proposant de la compote de pomme en accompagnement comme il était coutume en Allemagne. Oui, cela peut déconcerter mais que voulez-vous ? Je n’avais pas inventé la recette !

Si Jake ne doutait pas d’une seule chose : c’était de la sincérité de son invité du soir. S’il avait choisi de lui faire découvrir les saveurs de chez lui, c’est qu’il l’avait souhaité et Jake saisirait cette invitation au voyage avec grand plaisir. Le jeune Dempsey était déjà curieux à l’époque et aujourd’hui, il l’était tout autant, voir même plus. Il était toujours intéressé par la découverte et c’est Elijah qui en ce moment lui permettait d’en apprendre plus sur lui.
« T’es pas sérieux… Bien sûr que ça m’intéresse, sinon tu serais pas là ! » lui dit-il en toute sincérité. Comment pouvait-il croire le contraire ? « Qu’est-ce que tu connais de ma pilosité d’ailleurs ? Je dois m’inquiéter ? Tu as mis des caméras dans l’appart la dernière fois pour me mater à poil c’est ça ? ». Il fit mine de sonder la pièce à la recherche d’une caméra cachée quelque part.
« Et oui… mais je comprend ta surprise… Dempsey ça sonne pas très italien, Jake non plus et pourtant ma mère est une italienne pure souche mariée à mon père qui est Irlandais.»

La suite de la discussion aurait lieu autour du repas avec cette fameuse entrée à base de galettes de pomme de terre et de… compote de pomme.

« Va pour la drague en allemand mais je suis pas sûr que ça me serve beaucoup… ». En effet, l’image de Sacha dans son uniforme de travail lui vint à l’esprit. Comme tous les jours depuis qu’il avait fait sa connaissance, il pensait à lui. Pourquoi ? C’était encore très flou pour lui mais il savait que quelque chose existait. C’était fébrile, à peine palpable mais ça avait au moins le mérite d’exister et à ce jour, c’est tout ce qui lui importait. La drague était donc le cadet de ses soucis en ce moment.

Jake eu un petit sourire au coin des lèvres en entendant la question d’Elijah. Non pas que ce soit un sujet tabou mais plutôt parce que la situation était délicate et qu’à ce jour, il n’avait pas vraiment franchit le cap d’en parler à qui que ce soit.

« Tu veux savoir quoi exactement ? Si j’ai quelqu’un en vue ? ». Jake but une gorgée de bière en levant les yeux au ciel avant de reprendre : « Ouais j’ai quelqu’un en vue ! C’est un peu compliqué mais je pense qu’on s’apprécie mutuellement. Et ça fait du bien mais j’ai du mal à voir clair dans tout ça ! ». Elijah était professeur tout comme Jake et, s’il savait que c’était sur un de ses élèves qu’il craquait, peut être aurait-il la pire des réactions. Ou bien serait-il compréhensif voir même un soutien pour lui et Sacha… Il n’en savait rien.

« Et toi alors ? Tu en es où depuis tes exploits du Luxembourg ? ». Il n’y avait pas de raison que lui aussi n’est pas à se mouiller sur ses relations amoureuses. Bon, évidement, Jake ne forcerai jamais la main à quelqu’un qui n’aurait pas envie de se confier et si c’était le cas d’Eli, il ne lui en voudrait pas. .

J’esquissai un sourire touché quand l’homme me confirma son intérêt. Je n’étais pas qu’une vague occupation pour lui éviter l’ennui, il souhaitait bel et bien apprendre à me connaître. C’était touchant. Je me liais si peu avec les gens en temps normal que cela me réchauffait le cœur. Bon sang, j’adorais ce type ! Néanmoins, les mots me manquaient, interrompus par ma pudeur. Jake devrait donc se contenter de mon faciès réjouit, mes joues légèrement teintées de rose. Il était si direct, sans tabou. Il n’avait pas honte de se dévoiler. Comment dire qu’il était exactement la personne dont j’avais besoin pour m’épanouir ? Tout du moins c’était ce que mon instinct me m’assurait depuis notre rencontre et que nos échanges successifs ne faisaient que confirmer.

Cette bulle de délicatesse fut éclatée par nos bêtises tandis que nous abordions les origines de mon interlocuteur. Le voir inspecter du regard tous les recoins de la pièce à la recherche de caméras cachées me fit glousser. Il dégageait un naturel incroyable même quand il faisait le pitre. Son humour n’était jamais bien loin, aucun effort nécessaire pour le laisser s’exprimer.

- Et merde ! Je me suis vendu ! Je peux quand même les laisser ? Je n’ai pas encore vu tout ce que je souhaitais en les installant.

Je pris un air enjôleur en répliquant ça, toujours à deux doigts d’exploser de rire. Ce n’était pas mon genre habituellement de me mettre en scène dans un scénario « gay » mais, à ses côtés, c’était comme si je pouvais tout me permettre. Rien n’aurait de conséquences. Après tout, nous ne faisions que jouer sans le moindre témoin. Pourquoi bouderais-je notre complicité juste car je n’étais pas à l’aise à l’idée de tourner autour de la gent masculine ? Quant à ma remarque sur sa pilosité… Il suffisait de voir le peu de peau apparente quand il portait des cols ouverts. Imberbe ou épilé ! Étais-je vraiment en train de débattre là-dessus ? Bref, je poursuivis.

- Je ne l’aurais jamais deviné ! Eh bien, si ça peut te rassurer, je suis sûr que tu peux encore m’épater avec de la cuisine italienne. Tes parents n’étaient pas très souples niveau alimentation et ensuite… Disons que je me suis contenté des plats typiques. Les fourneaux n’attendent que toi donc !

Plusieurs minutes passèrent avant de nous retrouver à table à parler techniques de drague et accents étrangers. La réponse du professeur à ma proposition me fit lever un sourcil, puis je lâchai, amusé :

- Monsieur a une forte opinion de lui-même !

À moins qu’il sous-entendait que quelqu’un lui avait tapé dans l’œil ? Incapable de retenir ma langue, je cherchai à en savoir davantage sur cette possibilité. Est-ce que Jake avait un crush ? Dire qu’on accusait les femmes d’être des commères ! Les hommes n’étaient franchement pas mieux : pour preuve ! Après avoir levé les yeux au ciel, ce dernier confirma mes soupçons. Il avait quelqu’un dans le collimateur ! Néanmoins, son explication restait vague et manquait étonnamment d’informations. Lui qui d’habitude semblait se ficher de tout déballer, se montrait étrangement pudique. Pourquoi ? À en croire ses mots, il y avait un « hic » quelque part qui l’empêchait d’embrasser son attirance envers un autre.

C’est alors que je fus frappé par une théorie rocambolesque. Son malaise soudain, la non-divulgation du prénom du garçon en question ou de toutes autres informations le concernant… Ça ne pouvait… ? Non ! Je me montais le bourrichon (vive cette expression). Il ne parlait pas de moi hein ? Impossible. Mais si c’était le cas… comment devais-je réagir ? Ok, il serait sûrement un petit-ami doux et attentionné, un excellent mari même mais… Pour un autre. Pas pour moi. Mon Dieu ! Et si je lui avais envoyé de faux signaux tout à l’heure en « flirtant » avec lui ? M’étais-je précipité dans une situation malaisante par excellence sans y prendre garde ?

Mes yeux durent se perdre dans le vague car Jake enchaîna sans même me laisser le temps de réagir. L’enseignant me renvoyait la balle. C’était à mon tour de lui livrer mes derniers déboires sentimentaux ! Était-ce une façon de tâter le terrain ? De voir s’il y avait une ouverture de mon côté avant de se déclarer ? Tais-toi. Tu penses de la merde là… me coupa une petite voix intérieure. Je bus une énième gorgée de ma bière puis me lançai.

- Nada. Ce n’est pas que ça relève de l’impossible mais… Je n’en sais rien. J’ai l’impression de ne pas être d’humeur à me soucier de tout ça actuellement. Ok, je pourrais avoir des coups d’un soir – j’ai eu que ça toute ma vie – mais qu’est-ce que j’aime me poser tranquille chez moi ! Quand je ne fais pas les quatre cent coups avec toi bien sûr ! dis-je en trinquant avec lui à nouveau.

Les premiers mois seraient forcément les plus éprouvants. Peut-être que le jeu de la séduction redeviendrait bien plus attrayant par la suite. Cependant, je n’aimais pas prendre le risque de me créer une sale réputation si des rumeurs montaient aux oreilles de mes étudiants. En ce sens je me sentais bien plus prisonnier qu’autrefois. Je tentai de déceler le moindre indice concernant mes suspicions en prêtant attention à ses réactions, mais je fis chou blanc.

- Est-ce que j’ai le droit de demander en quoi s’est compliqué entre vous ?

Je baissais les yeux, dissimulant ma gêne en coupant ma galette de pommes de terre.

Jake marquait un point. Être en couple n’équivalait pas automatiquement à se mettre en ménage et à pondre des gosses dans la minute. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’étaient obligatoires bien que très courants. J’avais cette vision du duo traditionnel dont je ne me dépêtrai pas encore totalement. Jusqu’ici, je m’étais exclus des relations de longue durée, enchaînant les histoires sans lendemain ou les amourettes d’adolescents. Craignais-je de prendre une direction trop sérieuse car l’exemple du couple parental devant lequel j’avais grimacé des années durant n’était d’aucun attrait pour moi ? Un duo froid, n’affichant jamais leur tendresse en public – en était-il autrement une fois les portes fermées je n’en étais pas certain – et se contentant du luxe comme cadre de vie. Dans notre demeure familiale, la chaleur n’y avait jamais trouvé refuge et, quelque part, je craignais de n’être qu’une réplique de mes géniteurs. Je me refusais à faire souffrir quelqu’un en n’étant pas à la hauteur, en ne sachant comment m’y prendre pour créer un sentiment de sécurité et d’amour prenant aux tripes. Si c’était pour ne faire les choses qu’à moitié, autant m’en abstenir ! Et tant pis si ce sacrifice signifiait pour moi de rester le loup solitaire que j’avais toujours été. Mais qui sait ? Peut-être que l’air américain me ferait le plus gros bien ? J’avais besoin de changement et, mieux, j’en ressentais l’envie. L’envie de faire mieux, de me dépasser et de repousser mes limites. Quand ? Comment ? Avec qui ? Tant de questions auxquelles je n’avais actuellement aucune réponse à apporter.

- De toute façon je n’ai pas assez de place chez moi pour des affaires de fille. Je suis trop macho avec mes disques, mon grand écran et compagnie, répliquai-je avec un sourire aux lèvres.

C’était complètement faux et je le savais. Mais il me fallait bien sortir une vanne. Dans le cas où il me faudrait partager mon toit – et c’était franchement tirer des plans sur la comète – je serais le premier à pousser les murs si nécessaire. Nous en étions encore loin et même ma théorie finalement extrêmement loufoque tomba à l’eau. Ce n’était pas de moi que rêvait mon interlocuteur. Je m’étais fourré le doigt dans l’œil ce coup-ci. Le brun ne me percevait pas de cette manière et ce fait ne changerait jamais. J’ignorais si perdre la sensation de compter de façon romantique pour quelqu’un était responsable de ma légère déception mais j’occultais ça sur le champ. N’importe quoi !

À la place d’une déclaration enflammée, ce fut un aveu inattendu qui se fraya un chemin jusqu’à mes tympans. Mon ami était sous le charme d’un jeunot qui, qui plus est, n’était autre que l’un de ses élèves. Une partie de moi pria pour que ce dernier soit majeur mais Jake enseignait au lycée, pas à l’Université comme moi. L’image de Riley et de son fidèle bonnet me traversa l’esprit. Ce gars était adorable, je l’appréciais énormément mais, même sans once de romantisme, je jugeais d’ores et déjà mon comportement comme étant déplacé. Alors qu’en serait-il si je m’étais retrouvé dans la peau du propriétaire des lieux ? Avant de formuler quoique ce soit, je portai la fourchette à ma bouche et dégustai une part de l’une de mes galettes maison.

- Ok je mentirais en prétendant que je m’attendais à ça, avouai-je tout en m’éclaircissant la gorge – mieux valait-il qu’il ne sache jamais ce que je m’étais imaginé. Il a quoi ? Entre 16 et 18 ans en toute logique ?

Mieux valait-il que j’en ai le cœur net. Mes penchants scénaristiques étaient bien trop créatifs ce soir visiblement ! Est-ce que le brun craignait que je le dénonce, que j’étais totalement réfractaire à leur relation ? À vrai dire, je choisissais la neutralité. L’homme me faisant face ne pouvait être un prédateur, un abuseur. Impossible. Il y aurait eu des indices. Auquel cas, s’il s’avérait que je me trompais je ne pourrais le couvrir mais, d’ici-là, jamais je ne lui tournerai le dos. Nous ne parlions pas d’un enfant – heureusement. Là, ça aurait été extrêmement différent.

- Tout ce que j’en pense c’est qu’on ne contrôle pas ses sentiments. Ok, il est jeune. Peut-être même trop. Cependant, je refuse de généraliser. Ce type d’histoire… c’est du cas par cas. Quel est le degré de maturité de l’adolescent ? Que ressent-il exactement à l’égard de l’adulte ? Y a-t-il un sentiment d’obligation ? La liste est longue et je ne peux y répondre donc je ne vais pas te jeter la pierre.

Je lui adressai un petit sourire en guise de réconfort, osant même poser ma main droite sur la sienne. Une sorte d’étreinte chaleureuse. La seule que je pouvais lui fournir avec une table nous séparant. M’en serais-je permis une autre sinon ? Sûrement que non !

- Mon seul conseil est le suivant et j’aimerais vraiment que tu le prennes en compte, commençai-je avant de marquer une pause dans le but d’accentuer l’impact de ma demande. Tu dois absolument mettre les choses au clair avec lui mais aussi avec ses parents avant que ça devienne trop sérieux. La dernière chose que je te souhaite est de te retrouver avec un procès au cul. Ça nuirait à ta réputation et à ta carrière. Et franchement, on a beau se connaître depuis relativement peu, tu es bien trop un chic type pour le mériter.

Mon pouce fit deux brefs allers-retours sur sa peau. Mes prunelles ne pouvaient se résoudre à quitter les siennes. Ce type était si attachant, si… exceptionnel !

Jake se livrait à moi tout en se départant de sa pudeur. La raison était simple : il avait compris qu’il pouvait m’accorder sa confiance, que je ne l’accuserai pas d’être un pauvre dégénéré ou autre horreur. Les sentiments n’étaient pas des bêtes simples à apprivoiser. Ils s’installaient en nous sans qu’on ait notre mot à dire, sans même que l’on puisse les mettre dehors d’un claquement de doigt. Il fallait apprendre à vivre avec ou… tout refouler et se faire du mal sur le long terme. J’en savais quelque chose après tout. Je pourrais même écrire une thèse là-dessus ! Ainsi, je l’écoutais me faire le récit de leur rencontre qui, certes, avait tout d’un scénario de fiction mais était adorable. Le Destin s’amusait à nous jouer de drôles de tours mine de rien. Les faire se croiser, accrocher, pour finalement les mettre dans une position gênante et frôlant l’impossible de professeur et d’élève. Il y avait de quoi grincer des dents jusqu’aux gencives. J’étais navré pour lui. Sincèrement. J’adorais ce type, que je me représentais toujours en ours apprivoisé à cause de ses airs à la fois bourrus et tendre, et ne supportais pas de le voir si embarrassé, perdu. C’est pour ça que ma main vint se poser sur la sienne en guise de réconfort. Que pouvais-je faire d’autre ? Il s’agissait déjà d’un sacré pas en avant me concernant tant j’étais peu habitué aux contacts physiques entre hommes dès qu’ils soulevaient une quelconque notion d’intimité. Un bras autour du cou ce n’était rien. Mais ça… Néanmoins, je ne pouvais laisser ma gêne m’empêcher de le soutenir au moment où il avait besoin de moi. Je n’étais pas ce genre de personne.

- Si tu as trouvé le courage de m’en parler aujourd’hui, c’est qu’il compte vraiment pour toi. Qu’il soit encore tôt pour officialiser quoique ce soit… Compréhensible. Mais tu ne t’en serais pas donné la peine si tu doutais sincèrement de tes sentiments.

Je fis une pause, lui accordant un sourire chaleureux. Pour moi, c’était une évidence : si mon interlocuteur n’était pas amoureux, ça en prenait la direction. Probablement inévitable d’ailleurs à ce stade. Vu ses craintes que leur relation soit mal perçue, qu’il accepte de me la révéler n’était pas anodin et j’en étais d’autant plus touché. Mes yeux étaient plongés dans les siens tandis que j’ajoutai avec une sincérité à en sortir ébranlé :

- Je suis ton confident. Peu importe l’heure, tu as besoin de discuter ? Fais-moi signe. En échange, je demande juste à ne pas avoir à faire un discours à votre mariage. Je déteste prendre la parole devant une foule d’inconnus.

Il fallait bien dédramatiser la situation ! Je me mis à pouffer, appréciant l’absurdité de ma blague. Non seulement ils étaient à des années lumières de s’unir mais je venais aussi de créer un sacré paradoxe au vu de ma profession. Bref, il retira sa menotte pour reprendre la dégustation. Les minutes qui suivirent défilèrent rapidement et bientôt je lui présentais le plat principal. Même réchauffé il paraissait succulent. Aurais-je l’étoffe d’un cuistot à domicile digne de ce nom ? J’en doutais. Mais ne serait-ce pas agréable que de servir de bonnes assiettes à celui que je considérais comme étant mon meilleur ami à Los Angeles ? Ce serait ma façon à moi de prendre soin de lui. Ok, j’allais loin. De toute façon, ça ne risquait pas d’arriver pour mille et une raisons que je ne prendrai pas la peine d’énumérer.

J’interrompis mon geste, la cuillère suspendue dans les airs quand j’entendis Jake parler d’orgasme. Quelle connerie allait-il encore me sortir ? Cet homme ne cessait de me surprendre. Je n’avais plus qu’à m’attendre au pire donc ! Avant d’apprendre l’existence de son potentiel futur petit-ami, j’aurais été capable de penser qu’il s’apprêtait à me pondre une invitation salement érotique mais maintenant… je faisais chou blanc. Distrait, je terminais de nous servir, attendant la chute avec impatience. Celle-ci ne se fit pas trop attendre et eut le don de provoquer des émotions contraires. Amusé ? Oui. Gêné ? Certainement. Il est vrai que je ne m’étendais jamais sur mes histoires amoureuses car…

- Tout simplement car je n’ai rien à raconter, avouai-je en haussant les épaules. Je veux dire… J’ai eus des amourettes, des histoires sans lendemain mais… jamais rien qui m’ait fait me demander si j’avais trouvé le « grand amour ». Je ne suis peut-être pas fait pour ça. Tu y crois toi ? Que certains sont destinés à finir seuls ?

Mon but n’était pas de virer mélodramatique. Mon questionnement était des plus sérieux car, si je n’avais connu aucune romance digne de ce nom à 30 ans, mon cas était sûrement définitivement désespéré. Pas que passer le restant de mes soirées en compagnie exclusive de mon téléviseur était cauchemardesque cela dit. Néanmoins… le partager avec quelqu’un d’autre ne devait pas être mal non plus. Enfin ce n’était qu’une théorie. Comment pouvais-je le savoir ?

- Il y a bien eu une fille qui était raide dingue de moi au lycée. On est sorti ensemble quelques mois. Mais c’est pareil : ça ne compte pas. Je tiens tout de même à préciser que je n’avais jamais autant apprécié une nuit au camping qu’avec elle cet été-là, déclarai-je avec malice.

Puis, un point se souleva à mon esprit. Dans ce qu’il avait dit, Jake avait appuyé sur un point particulier : mon orientation sexuelle. J’abaissai le regard afin de préparer ma première bouchée tout en ajoutant :

- Quoi ? Tu pensais que j’étais gay ? Et tu n’as rien tenté ? Je me sens insulté.

Qu’il n’ait pas établi de rapprochement, pas la partie sur le fait que je puisse aimer les hommes. Je n’étais pas homophobe – et heureusement car ce serait très étrange d’en avoir un pour partner in crime. Plus sérieusement, je ne savais quoi penser de son commentaire. Était-ce car je m’étais permis différents gestes affectueux à son égard depuis que nous étions devenus de bons amis ? Si oui… était-ce le signe que je devais arrêter ça immédiatement dans l’optique d’éviter toute confusion ? Le côté positif de l’affaire était que je saurais probablement pourquoi le propriétaire des lieux était tombé sous le charme du jeunot… et non du mien.

S’il s’était imaginé une seule seconde que quelques semaines plus tard, lui et Sacha serait en train de s’embrasser avec passion sur le toit du lycée, il ne l’aurait pas cru. Au moment où Jake avait décidé de partager avec Eli ses sentiments naissants pour son jeune étudiant, tout était encore naissant, fragile entre lui et Sacha mais ce qu’il ressentait était tout de même assez fort pour qu’il ait l’envie d’aborder le sujet avec lui. Eli avait accueilli positivement la nouvelle. Se confier à lui était vraiment très facile pour Jake et clairement, ce n’était pas vraiment habituel pour lui.

« Ouais alors pour le mariage on verra ça plus tard hein ? On n’en est pas encore là et je doute même que cette histoire aille plus loin qu’une sorte de simple fantasme chelou ! Non mais c’est vrai quoi… Je doute que ce soit lui qui fasse le premier pas quoique… tu me diras, il a clairement plus de cran que moi à ce niveau là. » dit-il en repensant à Sacha et à la vie qu’il menait. Il était sur tous les fronts et pourtant il s’en sortait très bien. Il hocha la tête avant de reprendre une bouchée du plat concocté par son invité du soir. « De toute façon s’il y a des choses à savoir, tu seras le premier au courant ! » dit-il accompagné d’un clin d’oeil.

Le sujet des relations amoureuses avait été déposé sur la table pour la première fois. Habituellement, ces deux-là étaient plus du genre à échanger sur le cinéma, la musique mais rarement ils se confiaient l’un à l’autre sur leur vie passé et leurs envies futures. Maintenant qu’une brèche était ouverte, Jake eu l’envie de saisir l’opportunité pour en savoir plus sur l’allemand. Malgré un coeur bien rempli, ce dernier ne semblait pas avoir eu l’opportunité de le partager avec une autre personne ou en tout cas, pas de manière très sérieuse.

« Non, je suis pas tout à fait d’accord. Je pense que personne n’est destiné à finir seul… Sans parler forcément de relations amoureuses, je crois qu’on a tous besoin d’être entourés à un moment donné. Peut être que je me trompe fondamentalement mais je suis persuadé que mêmes les personnes qui sont seules depuis une éternité et qui ne cessent de dire qu’elles préfèrent rester seule n’y croient pas vraiment. A un moment donné, je crois qu’on a forcément besoin d’une épaule, d’une accolade, de tendresse et même avec toute la bonne volonté du monde personne n’est capable de s’auto satisfaire ! Non, vraiment, pour moi ce n’est pas une question de destin mais plus une question de choix. Est-ce que tu te laisses vraiment la liberté d’aimer ? » dit-il en pointant son index sur la poitrine d’ Elijah. « Telle est la question jeune Padawan ! ».

S’il s’était permis de parler aussi ouvertement, c’est parce que Dempsey commençait à connaître son interlocuteur. Il savait qu’il n’était pas du genre à prendre la mouche pour rien et qu’il pouvait s’exprimer en toute liberté (même pour sous entendre un quelconque doute sur son orientation sexuelle). Et après il s’étonnait que Jake se pose des questions sur sa sexualité… Monsieur ne dit jamais rien alors le doute était totalement permis.

« Ca t’apprendra à jouer les cachotiers ! Évidement, je me disais que si c’était le cas tu m’en aurais parlé vu que c’était plutôt clair me concernant… Mais on sait jamais ! Enfin bref, excuse moi, j’aurais pas du imaginer que tu puisses me cacher un truc pareil ! » dit-il en pouffant. « Quant-à une possible tentative de drague… peut être que tu n’as pas ouvert les yeux aux bons moments ! » dit-il en plaisantant avant de rajouter « Mais bon… tu n’as pas su saisir ta chance, je suis déçu mais tanpis ! ».

Plusieurs dizaines de minutes plus tard, Eli et Jake étaient avachis sur le canapé, alourdis par tant d’excès de nourriture. « T’es bon à marier mais je crois que c’était un peu too much pour une seule et même soirée ! » dit-il en posant une main sur son propre ventre. « Tu veux qu’on se mate un film ?». Quelques minutes plus tard, le lecteur dvd se refermait pour lancer un film en noir et blanc sciemment choisi. Toutefois, il ne fallut que quelques minutes au professeur de littérature pour s’endormir sur le canapé. Déséquilibré, sa tête se reposa sans même qu’il s’en rende compte, sur l’épaule de son ami. Il s’était endormi paisiblement après une soirée parfaite en compagnie d’un ami parfait.