Alone ~Wilfried & Roman ~

Il enchaîne les journées à la galerie et tente de rentrer à des heures raisonnables le soir afin d’être avec Ruben. Une façon de se racheter. De lui prouver qu’il tient à faire des efforts. À être présent pour lui. Il le fait sans arrière pensée, juste parce qu’il l’aime. Mais ce soir, lorsque son amant lui a dit qu’il sortait avec des amis, et sans lui, il a vu rouge. La colère a dévalé en lui. Il a serré les lèvres afin de ne rien lâcher de ce qu’il pensait mais, s’il avait pu le retenir, il l’aurait fait.  Il serait prêt à l’attacher même. Après le départ de Ruben, sa colère a éclaté. Il a hurlé de rage.  Taper sur tout ce qu’il trouvait pour se défouler. Ce n’est qu’après de longues minutes qu’il a réussi à se calmer. À retrouver un rythme cardiaque normal. Une bonne douche et des vêtements propres ont fait le reste. Quelques cigarettes ont réussi à faire cesser le tremblement de ses mains. Une sortie s’imposait avant de saccager complètement la maison.
Maintenant qu’il est assis au bar, Wilfried se perd dans ses pensées. Le retour de Ruben dans sa vie n’est pas aussi idyllique qu’il le pensait. L’amour ne résiste pas à la trahison et il s’en rend compte chaque jour qui passe, faisant peser un peu plus ce fardeau sur ses épaules. Il a du mal à accepter que la situation ne soit pas comme il le souhaite. Avant Ruben n’assumait pas leur relation à cause de la différence d’âge et tout un tas de conneries que Wil avait fini par accepter. Aujourd’hui, rien n’a changé. Ce n’est plus leur écart d’âge qui est en cause, mais le fait que Wil est responsable de l’accident qui a coûté la carrière de son amant et en plus,il l’a trompé. Ruben préfère encore une fois taire à son entourage qu’il s’est remis avec lui, le monstre qui a bafoué son amour et a brisé sa vie.
Ses iris clairs se noient dans son whisky et un léger soupir s’échappe de ses lèvres.
Il a eu un besoin impérieux de sortir. De quitter la maison pour retrouver la vie. Des inconnus. Une ambiance. Ne plus se retrouver en tête à tête avec sa solitude. Il pense à Thiago et a hésité à lui téléphoner afin de l’inviter pour prendre un verre en toute amitié. Finalement, il n’a pas osé, eu égard à Ruben.
Malgré tout, Wil est en colère. Il ne veut plus de cette vie. C’est à cause de cela qu’il s’est retrouvé avec un autre homme dans son lit et l’on dirait que Ruben fait tout pour le pousser à bout. Le tester. Il a horreur de ça et si cela continue, il risque d’exploser. Cela fait un moment qu’il prend sur lui, mais il voit que les choses ne s’arrangent pas vraiment et malgré son amour, leur amour, rien n’est plus comme avant. Ils se détruisent plus qu’autre chose. Portant le verre à ses lèvres, il avale quelques gorgées - alors qu’il ne rêve que de descendre le tout cul sec - avant de reposer le verre sur le comptoir en bois.
Comme souvent dans ce bar, l’ambiance est chaleureuse. Le décor y est pour beaucoup. De nombreux photophores confèrent à l’endroit une atmosphère intime. Les grands canapés dépareillés donne l’illusion d’une demeure familiale ouverte aux amis. Ce soir, un chanteur interprète ses morceaux tout en s’accompagnant au piano. Un petit rire s’échappe soudain de ses lèvres, bien malgré lui, lorsqu’il se rend compte que l’homme chante en espagnol. Décidément, même loin de chez lui, tout lui rappelle Ruben. Reviennent alors ses pensées sombres. Ses griefs et ses doutes. La ribambelle habituelle.
Une main sur son épaule le fait presque sursauter. Une connaissance qui vient le saluer. Un sourire enjôleur aux lèvres, ils échangent quelques mots avant qu’elle ne s’éloigne et que Wil ne retourne à la contemplation de son verre.
Il est venu se changer les idées mais il a l’impression qu’elles sont bien accrochées et ne veulent pas le laisser en paix.
Il incline doucement la tête et sent tout le poids du monde peser sur sa carcasse. Pas vraiment malheureux mais plus tout à fait heureux. Un entre deux désagréable.
Il finit son verre et en recommande un autre. Au diable son état. Lors de certaines soirées, il lui arrive d’en boire plus de deux. Il devrait tenir le choc avec ces deux fonds de verre. Pas assez pour oublier et bien trop peu pour le saouler. Il trouve que cela résume assez bien sa vie.

Wilfried FT. Roman ||

Avec le brouhaha ambiant,il n’a pas fait attention que la musique a cessé. Que les notes se sont tues et que la voix ne chante plus. Il est toujours dans son monde intérieur, à ressasser cet ersatz de vie de couple qu’ils ont. Il aime Ruben mais, l’amour ne fait pas tout et il recommence à s’en rendre compte. Noyer ses soucis dans l’alcool, non plus. Il a l’impression de replonger dans le passé ; de revivre la même situation et cela l’agace profondément. L’insupporte même. Tous les efforts qu’il fournit et à chaque fois, en un claquement de doigt, la situation bascule. Il en a marre.  
Il lève la tête lorsqu’on l’interpelle, sourit et acquiesce dans un premier, surpris. L’invitation à tenir compagnie vient d’un homme, plutôt jeune et plutôt mignon. Wil le dévisage. Il s’arrête sur les yeux bruns et chaleureux. Le visage avenant. La voix chaude et profonde. Un bel homme. Le briquet qui gît au fond de sa poche lui rappelle qu’il n’est pas seul et qu’il a déjà fait une connerie. Ruben ne pardonnera pas deux fois. Le lui dirait-il s’il venait à faire la même erreur ? Sûrement pas.
Wil pivote légèrement sur son tabouret afin de se trouver face à l’artiste qui interprétait les chansons, un moment plus tôt.
Il se décide enfin à parler avant que son silence ne passe pour de l’impolitesse.
« Je suis effectivement seul et j’accepte volontiers un peu de compagnie »
Forcément il est encore seul puisque son mec n’a pas trouvé bon de l’inviter à rejoindre ses amis. Il a encore trouver des excuses. Penser à Ruben lui fait froncer les sourcils tandis que sa bouche se pare d’un pli amer, vite chasser. Pas question que cela lui gâche sa soirée. Il faudra bien qu’ils finissent par avoir une discussion. Ses pensées reviennent vers l’homme et il accompagne sa tirade d’un grand sourire tout en  levant son verre pour venir trinquer avec Roman, puisque c’est ainsi que le barman l’a appelé.
«  À cette rencontre »
Le verre tinte contre la bouteille et l’allemand lance
« Wilfried, enchanté de faire ta connaissance » et il incline légèrement la tête en signe de salut.
Il évite le vouvoiement. Vu la façon dont les choses se passent, certaines formalités peuvent être mises au placard.
« Tu te produis souvent ici ? Je n’ai jamais eu l’occasion de t’entendre. Je n’ai pas du venir au bon moment » et il lui adresse un grand sourire. Cette fois, tout son visage est souriant, même ses yeux qui en se plissant font apparaître tout un faisceau de petites rides. De fines lignes qui peuvent témoigner de sa vie. Son front aussi est barré par deux lignes qui lui donnent parfois un air soucieux ou sérieux, ça dépend des circonstances. Wil s’en fiche. Il fait attention à son apparence, il travaille avec du public et sa clientèle a plus tendance à faire dans le jeunisme excessif que dans le naturel. Son visage lui convient très bien. Il n’a pas envie d’effacer les traces du temps. Il veut se souvenir que le temps passe et qu’il doit profiter de la vie.  Arrêter de perdre du temps. Faire enfin les bons choix. Et ne plus se voiler la face. L’activité bat son plein et Wilfried aime cette effervescence qui règne dans ce lieu atypique. De sa place, il peut admirer le jardin avec ses fauteuils adirondacks qui se teintent de couleurs arc-en-ciel au gré de la brise qui balance doucement les guirlandes colorées suspendues dans les arbres. Les braseros aussi diffusent leur éclat orangé sur les personnes attablées en petit groupe.
Le calme est revenu dans sa tête. Il se sent mieux.
« C’est sympa ce que tu fais » et d’un geste du menton, il indique le piano demi-queue qui règne dans un coin de l’immense salon, car cet endroit est un vrai salon et non une mise en scène pathétique. C’est à cause de cela que le lieu a autant de succès.
« Cela fait longtemps que tu te produis ? Tu vis de ta musique ou tu fais simplement ça en dilettante, comme certains ? »
Pour être dans le milieu de l’art, Wil est bien placé pour savoir que parfois, en vivre est extrêmement compliqué, voire impossible. Que ce soient les peintres, sculpteurs ou les musiciens, ils ont plus tendance à crever la dalle que rouler sur l’or. Beaucoup d’appelés et très peu d’élus. Le parcours est difficile. La sélection encore plus quant à la gloire, elle est aléatoire.
Soudain, il se met à rire
« Désolé, tu dois me juger trop curieux mais ... »
Il n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un groupe de femmes viennent demander la permission de faire des selfies avec Roman. Elles gloussent, se poussent du coude, prennent la pose tandis que le jeune homme reste souriant et avenant. Ébahi, Wilfried regarde la scène et sourit. Décidément, on dirait qu’il a un don pour attirer les musiciens hispaniques. Un peu en retrait, il attend que le groupe s’éloigne enfin pour se rapprocher et dit avec un grand sourire
« Quel succès ! »
Son talent doit y être pour beaucoup, mais son physique doit aussi l’avantager grandement. Le brun ténébreux fait souvent recette, et s’il s’agit d’un bel hidalgo, c’est le jackpot.
Wil a perdu le fil de ses questions et ne peut s’empêcher de rire en repensant à la scène qui vient de se dérouler sous son nez et rajoute, en riant « Elles m’ont perturbé toutes ces femmes » pas dans le sens hétéro mais dans celui où elles sont venus l’emmerder. Tout simplement.
Bon joueur, un sourire orne ses lèvres. Personne n’arrivera à gâcher sa bonne humeur retrouvée.

Wilfried FT. Roman ||

C’est peut-être due à l’ambiance qui règne dans ce lieu, mais Wil se sent bien et il a enfin l’impression que le poids qui pèse sur ses épaules depuis des mois, s’il n’a pas disparu, semble s’être allégé. Sa respiration est plus fluide. Comme si une nouvelle énergie le traversait. Une énergie positive. Ses problèmes lui paraissent lointains.
Il adresse un grand sourire à Roman. Une conversation informelle. Cela fait tellement longtemps qu’il n’en a pas eu. Toujours peur de dire le mot qu’il ne faut pas. Une attitude qui met le feu aux poudres. Sa culpabilité qui lui colle à la peau dès qu’il est avec Ruben n’arrange rien.
Pour le moment, il sourit, décontracté et écoute les réponses du chanteur. Wil comprend tout à fait qu’il cumule plusieurs activités, c’est souvent le cas pour ceux qui n’ont pas encore percés et qui doivent vivre et payer les factures. Le monde des arts est ingrat. Il est bien placé pour le savoir. Parfois, le talent ne fait pas tout. Une expression surprise vient se peindre sur son visage à l’évocation du refuge. Wilfried a déjà tant à faire avec les humains, qu’il ne s’est jamais embarrassé avec des animaux. Il a peut-être eu tort. Moins exigeant et surtout dépourvu de parole et de reproches…
« Un refuge ? Ce ne doit pas être évident tous les jours ça aussi »
Il examine l’homme en face de lui avant de rajouter
« Tu ne choisis jamais la facilité toi » et un grand sourire prend place sur ses lèvres avant qu’un petit rire vienne ponctuer ses paroles.
Certaines de ses clientes et ‘amies’ organisent quelques fois des galas où l’argent récolté sert à financer ce genre d’endroit. Les animaux ont besoin de soins et tout cela coûte cher.
« À l’occasion, donne-moi le nom et l’adresse de ton refuge, j’ai quelques connaissances qui viennent en aide à ce genre d’endroit. On ne sait jamais » un haussement d’épaules accompagne sa proposition. Wilfried suppose que cela pourrait fonctionner, surtout si les dites dames apprécient le physique de Roman, il pourrait obtenir encore plus de fonds… Wilfried ne préfère pas penser à ce que certaines pourraient demander en retour mais son regard appréciateur l’imagine fort bien. Entre adultes consentants tout est permis.
« Je gère une galerie d’art. Et lorsque je le peux, je tente de faire découvrir de nouveaux talents en les exposant et en leur donnant une chance d’être connus. Je fais dans l’humain » et un sourire taquin illumine son visage tandis que ces yeux ont retrouvé leur lueur amusée.
Il évitera de dire qu’il essaye de mettre en contact des artistes et des « humains bourrés de fric » car il trouve que ça casse l’image du philanthrope qu’il reste au fond de lui. Dans la chaîne alimentaire, il en faut à tout les niveaux. En ce qui le concerne, il préfère se situer en haut. Manger plutôt que d’être mangé. Question de caractère.
« J’adore ce que je fais. Les rencontres sont souvent enrichissantes et je voyage pas mal aussi » une expression songeuse vient ternir sa bonne humeur. C’est aussi à cause de cette vie qu’ils en sont là aujourd’hui avec Ruben. Ce tourbillon incessant qui les a uni, séparé et recollé comme deux morceaux d’une même pièce à l'assemblage pas vraiment réussi.
« Il n’y a pas que les paillettes et le champagne » il se met à rire car souvent c’est l’image que les gens ont de son métier.
« Si un jour tu as envie de participer à un vernissage, ou simplement venir faire un tour, n’hésites pas, tu seras le bienvenu. Il ne faut pas hésiter à pousser la porte »
Il sait que certains n’osent pas entrer de peur de devoir forcément acheter quelque chose et lorsque l’on connaît les prix de certaines œuvres, forcément, ça laisse perplexe et un peu timide.
Il aime cet échange bon enfant, sans arrière-pensée autre que celle de passer un bon moment.
Il se permet une petite taquinerie à l’évocation de son physique qui pourrait attirer les fans, comme la démonstration dont il a été le témoin quelques minutes plus tôt.
Wil se rapproche, comme s’il ne voulait pas que ses paroles soient entendues par leurs voisins
« J’ai vu et entendu que tu étais talentueux mais, avoue que ton physique doit aussi en faire chavirer plus d’unes » un petit rire accompagne ses paroles.
« Tu dois bien avoir conscience de ton charme. J’en ai eu la démonstration » son rire gagne un peu en intensité lorsqu’il songe à la cohorte de nanas en folie.
« Je suis sûre que tu ferais exploser les ventes si tu venais dans ma galerie » et cette fois, c’est un rire franc qui s’échappe de sa gorge. Il s’éloigne un peu afin de regagner sa place, un sourire facétieux sur la face.
Ses muscles se sont enfin relâchés et Wil se sent bien.
« Je n’ai pas vraiment le temps d’avoir des passes-temps au sens propre du terme mais ce que je fais est une véritable passion. Je baigne dans l’art et ça me convient »
Wilfried n’a ni le temps de faire du sport, il estime qu’il court assez comme ça pour organiser, visiter et faire tout ce qu’il doit accomplir chaque jour pour que sa galerie reste une des meilleures de la ville, et du pays. La preuve, son corps fin qui par période d’intense activité frôle la maigreur. Heureusement qu’il a des muscles secs qui dessinent sa silhouette. Il n’ose pas s’imaginer sans ça.
« Je dois même t’avouer qu’il est très rare que je vienne ici simplement en dilettante comme ce soir. Je suis souvent accompagné par de futurs acheteurs. Il y a toujours une raison commerciale à mes déplacements. Ils sont rarement générés par le plaisir simple de prendre du bon temps » il marque une petite pose et enchaîne « à part ce soir »
Sa vie est un tourbillon d’obligations parce qu’elle est vide. Qu’il ne sait pas comment faire pour se poser. Il a tellement envie d’autre chose.

Wilfried FT. Roman ||

C’est avec un sourire qu’il s’empare de la carte de visite de Roman, la lit rapidement avant de la faire tourner quelques instant entre ses doigts, lui lancer un « merci » avec un grand sourire et la ranger dans sa veste. En ce qui le concerne, il n’en a pas. Il ne sort jamais avec des cartes de visite.
« Je n’en ai pas, désolé mais ma galerie se situe sur Rodeo Drive et elle porte tout simplement mon nom « Wilfried Hoffman galery » il ne peut s’empêcher de rire.
« Je sais que ce n’est pas vraiment humble mais au moins, une chose est sûre, ça marque les esprits et les gens ne m’oublient pas comme ça même s’il faut avouer que la plupart des galeries d’art portent le nom de leurs propriétaires » et il se remet à rire « à croire que c'est notre façon de passer à la postérité sans avoir de talent »
L’art est un marché aléatoire et ingrat. Aussi bien pour celui qui le crée que pour celui qui le vend. Wil dit souvent qu’il est tombé au bon endroit, au bon moment. Il a fait aussi quelques investissements judicieux afin de préserver ses arrières.
Il avait tout prévu. Tout planifié pour lui et Ruben. Tout sauf ce qu’il s’est passé avec Thiago. Il regrette les conséquences mais pas cette bouffée d’oxygène que lui a apporté le jeune artiste au moment où il en avait le plus besoin. Il aurait dû tout lâcher, laisser Kate gérer la galerie seule pour quelques jours et filer voir son amant à l’autre bout de la planète. Il aurait dû…
La conversation est encore interrompue par des fans et cela fait sourire Wilfried. Décidément, cet homme a un succès fou avec la gent féminine. Il observe avec quelle gentillesse il se plie à leur désirs et il se dit que Ruben doit faire la même chose même s’il sait que son homme a parfois un caractère de chien…
Il imagine Roman avec des élèves et se dit qu’il devait vraiment avoir cette fibre pour enseigner.
Tandis que Roman se plie gentiment à toutes les intrusions d’inconnus dans leur conversation, il fait un petit signe au barman afin de lui demander un stylo. Il s’empare d’une serviette en papier et y gribouille sur nom, l’adresse de la galerie ainsi que son numéro de portable. Il pousse le tout du bout des doigts vers le musicien.
« Une carte de visite personnalisée » un  sourire et un regard taquin accompagne le geste tandis qu’il rend le stylo au barman avant que celui-ci ne reparte servir des clients à l’autre bout du bar.
Une fois leur tranquillité revenue, Wilfried retourne à la conversation. Il écoute les paroles de Roman. Il aime bien l’écouter parler. Il a l’impression que tout semble facile mais son expérience lui a prouvé le contraire.
En fait, Wilfried se rend compte, qu’il n’a jamais parlé de ce qu’il a vécu ni ressenti à qui que ce soit. Il s’est retrouvé dès le départ dans le rôle de celui qui a fauté, et il ne peut le nier, mais, personne n’a jamais songé à lui demander pourquoi. Personne n’a jamais voulu savoir pourquoi il en était arrivé là. Cela ne sert plus à rien de ressasser cette histoire mais son poids vient trop souvent peser sur ses épaules. Lui rappeler que rien ne s’efface jamais.
Il hésite à commander un autre whisky. L’envie est grande d’oublier pour une soirée sa vie mais, cela ne résout jamais les problèmes. Il profite de la course du barman derrière le comptoir pour commander une eau minérale et demande à Roman, s’il veut une autre bière.
Avec l’eau, il gardera l’esprit clair et non pas embrumé par cette douce torpeur qui peut l’envahir et lui faire perdre le contrôle.
Malgré tout, il ne peut empêcher un petit rire amer cette fois de s’échapper de ses lèvres.
« Être bien entouré... » il n’y a plus que de l’amertume cette fois dans ses paroles. Il a vu son entourage se disperser. Le juger. À tort ou à raison. Il a vu sa solitude se creuser. Sa vie devenir une façade de réceptions, de vernissages et de travail. Même si peu de personnes n’étaient au courant de leur liaison, ceux qui l’étaient, ont eu vite fait de se détourner de lui « … c’est sûrement ça ... »
Son regard se perd quelques instants dans le passé. Dans sa tête, les bons moments côtoient les mauvais. Le paradis est proche de l’enfer. Les frontières se sont effacées pour laisser sa pauvre carcasse minable sur le bord de la route. Dépassé par les événements.
Il n’ose pas lui dire que la musique n’adoucit pas sa douleur, au contraire, elle ronge encore plus sa culpabilité car il se dit qu’à cause de lui, Ruben ne pourra plus jamais rejouer. Alors, entendre des notes de piano s’élever et remplir l’air, c’est juste une torture supplémentaire mais qu’il tait, comme tout le reste, en espérant qu’un jour, tout cela cesse. Que la vie reprenne enfin ses droits.
Il avale une longue gorgée d’eau car il a l’impression que ses pensées le dessèchent plus que les paroles. Un sourire amical vient sur ses lèvres.
« Il faudrait effectivement, que je me trouve d’autres pôles d’intérêts mais, je dois avouer que je n’ai pas vraiment le temps ni le courage » un petit rire ponctue son aveu « de chercher ».
Il avait cru qu’avec Ruben, ils auraient une vie simple et remplie d’amour. Rien de bien exceptionnel. Il demandait juste le bonheur de vivre avec l’homme de sa vie. De construire quelque chose ensemble mais le tourbillon de leurs obligations a eu raison de son rêve.
Il pourrait aussi avouer qu’en ce moment, il ne va pas très  bien et que se remettre avec Ruben fait ressurgir tout le passé. Toutes les blessures.
Il l’aime plus que tout au monde, donnerait sa vie pour lui mais, tout cela ne pèse pas bien lourd dans la balance.
« J’avoue que c’est assez agréable de se couper quelques heures de son quotidien surtout dans cet endroit magnifique » et son regard se porte sur la grande pièce accueillante où les gens discutent et boivent dans une atmosphère agréable.
« Il faudrait que je réitère l’expérience plus souvent » un sourire prend place sur ses lèvres tandis que ses pensées plus réalistes lui rappellent que cela impliquerait que Ruben le plante pour aller passer une soirée avec ses amis… sans lui.

Wilfried FT. Roman ||

Wilfried sourit à cet homme qu’il vient juste de rencontrer et avec qui il échange tranquillement. Il se détend au fur et à mesure que la soirée avance. Il sent la crispation de ses muscles disparaître doucement. Il expire et inspire. Son être semble se régénérer. Se débarrasser d’une mue encombrante, au moins le temps de cette conversation.
« Tout semble si facile lorsqu’on t’écoute »
Il penche légèrement la tête sur le côté tandis qu’un petit sourire est toujours collé sur ses lèvres. Wil n’a pas dit cela d’un ton moqueur. Bien  au contraire. Il est admiratif de cet état d’esprit sain et efficace. En ce qui le concerne, il n’arrive plus à être positif. Il y met toute sa bonne volonté mais il n’y arrive pas. Ou plus, au choix. Sa vie qui pourrait paraître idyllique n’est que mirage et même en essayant de recoller les morceaux, il voit bien que la situation s’enlise. Que l’amour n’arrive pas à colmater les failles et qu’avec Ruben, il a l’impression de faire naufrage. Il se sent toujours aussi mal vis à vis de son homme. Il a le sentiment d’avoir foiré trop de choses et que plus jamais rien  ne sera comme avant, si ce n’est déjà Ruben. Voir son corps estropié le fait encore plus culpabilisé. Il porte une croix tous les jours et sûrement jusqu’à la fin de sa vie il la traînera.
Écouter de la musique ce  n’est pas vraiment ce dont il a envie en ce moment. Ce soir est une pure coïncidence. La musique lui rappelle le gâchis qu’il a fait de leurs vies. Une plaie supplémentaire.
Il n’est pas encore prêt à tout déballer à un inconnu, aussi sympathique soit-il.
« Malgré tout, je vais suivre ton conseil et revenir plus souvent... » avant de rajouter plus bas et d’un ton beaucoup plus sérieux « en fait, revenir plus souvent voudra dire que ma vie est un vrai fiasco et crois-moi, que la réalité dépasse de loin tout ce que tu peux imaginer »
Une main lasse passe dans sa chevelure tandis que le poids est revenu peser sur ses épaules, le voûtant légèrement. Comme si le poids des années n’était plus qu’un fardeau trop lourd à porter.
Un soupir, vite chassé par un léger mouvement de la main et le sourire charmant vient se loger sur ses lèvres, lui redonnant cet aspect d’homme d’affaires à qui tout réussit dans la vie.  
« Et sache qu’il n’y a pas d’agent de sécurité dans la galerie, juste des caméras et un système hightech d’alarme, mais chut, je ne peux pas en dire plus » et il lui adresse un sourire amusé tout en haussant le sourcil « mais maintenant que tu as mon numéro de téléphone, n’hésites pas à me prévenir et je viendrais en personne t’ouvrir la porte et t’accueillir »
Chose qu’il ne manquera pas de faire si Roman se présente.
Autour d’eux, l’animation n’a pas baissé. Les groupes se déplacent à l’intérieur comme à l’extérieur. Les lumières des photophores distillent des ombres sur les murs et Wilfried se dit qu’il en est une lui aussi. Une ombre parmi tant d’autres. Éphémère.
« Si tu viens me rendre visite à la galerie, je te rendrais la politesse en venant te voir au refuge »
Ne pas avoir d’animaux ne veut pas dire qu’il ne les aime pas. Il rêve d’un aquarium incrusté dans le mur de son salon. Il pourrait regarder les poissons évoluer pendant des heures. Il trouve le spectacle fascinant et reposant. Il se doute bien que Roman ne s’occupe pas de ce genre d’animaux mais, peu importe.
Il pourrait proposer son aide mais force est d’avouer qu’il ne s’en sent pas le courage. Après peut-être que pris dans l’ambiance… il pourra toujours aider financièrement. Ça, c’est dans ses cordes.
Il songe à Kate et imagine le sourire moqueur qu’elle arborerait si elle savait ce qu’il a promis. Elle le considère trop souvent comme un animal distingué et trop civilisé.
Alors qu’il erre dans ses délires, le vibreur de son téléphone le ramène à la réalité. Son cœur s’affole, il s’excuse et se calme lorsqu’il comprend que rien de grave n’est arrivé. Depuis l’accident de Ruben, il lui arrive d’angoisser lorsque son portable sonne ou vibre. Toujours cette culpabilité qui lui colle à la peau.
C’est Ruben qui l’informe qu’il rentre. Wil ne sait jamais comment réagir face à ce genre de message. Il aimerait rester car la compagnie de Roman est très agréable mais il doit avoir une conversation avec son homme avant que la situation ne devienne invivable pour lui et indirectement pour Ruben.
« Je dois rentrer. On m’a prévenu que mon carrosse allait se transformer en citrouille » et il adresse un sourire joueur à Roman.
« Ce fut un plaisir de faire ta connaissance. J’espère que tu passeras me voir à la galerie. Quant à moi, promis, je vais revenir »
Wilfried descend de son tabouret, reste quelques secondes à côtés du musicien avant de dire « Bonne fin de soirée et à bientôt » il pose sa main quelques secondes sur l’avant-bras du musicien et rajoute « merci, c’était sympa »
Dans sa tête tourne déjà des phrases et des questions. Des attentes de réponses. Toujours présent mais déjà loin. Il retire sa main et s’éloigne, laissant derrière lui les conversations et les rires. Le bruit et la bonne humeur.

Wilfried FT. Roman ||