everything’s so fragile (kezai #6)

Y'a quelque chose qui cloche, j'ai un mauvais pressentiment. Je me sens toute bizarre depuis que j'ai couché avec Wyatt. Et ce n'est pas seulement à cause de cette terrible culpabilité qui me ronge. Non, c'est autre chose. J'ai deux semaines de retard dans mon cycle menstruel, et c'est pas normal. Je n'ai jamais eu plus de trois jours de retard avant, ça a toujours été très régulier. Mais là c'est loin d'être rassurant. Je pense qu'à ça depuis des jours, je ne dors plus, je mange presque pas... comme si j'avais besoin de ça en ce moment. Depuis que Kai est partie vivre chez sa mère, c'est le bordel dans ma tête. J'ai évité Wyatt pendant des semaines avant de finalement prendre mon courage à deux mains pour rompre avec lui. C'est sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire finalement. Kai n'avait peut-être pas tord à mon sujet. Je suis un monstre. J'ai trompé Wyatt avec Kai en couchant avec elle à Bali. Et c'est comme si j'avais plus ou moins trompé Kai en couchant avec Wyatt à mon retour. C'était une belle connerie. Une connerie qui a tout fait voler en éclats. Et ce n’est peut être pas fini justement. Après la pause déjeuner, mon cours de psycho annulé, je fais un détour à la pharmacie pour acheter un test de grossesse. Il faut que je sois fixée. Je peux pas continuer à laisser ce doute planer au dessus de ma tête sans rien faire. Ça me bouffe encore plus. Une fois rentrée à la maison, je tombe sur la grand-mère de Kai un peu surprise de me voir arrivée aussi tôt. « Mais Kezia tu n'avais pas cours cet après-midi ? » Je secoue la tête à la négative dans un petit sourire. « J'ai un cours qui a été annulé. » J'ai pas forcément envie de m'éterniser avec elle en bas vu les circonstances. C'est pas comme s'il y avait un test de grossesse caché dans mon sac à main mais presque. Je tourne les talons et file à la hâte à l'étage pour me réfugier dans la chambre. Elle ne juge pas forcément nécessaire de me prévenir que Kai vient juste d’appeler. Information à priori anodine pour elle mais qui a pourtant toute son importance. Je dépose le test de grossesse sur le lavabo de la salle de bains avant de m’allonger sur le lit, pensive. J’ai besoin d’un peu de temps avant de sauter le pas. En réalité je suis terrifiée à l’idée de faire ce test. Et s’il était positif ?

C’est pas la joie, j’avais pas forcément envie de retourner chez ma mère mais j’ai pas trop le choix. C’est impossible pour moi de rester chez ma grand mère pendant que Kezia dort dans mon lit, surtout après notre dernière dispute. J’y pense jour et nuit, j’ai beaucoup de mal à dormir. Ma mère essaie de s’intéresser à moi, elle sent bien que quelque chose ne va pas - en même temps sinon je ne serai pas là - mais j’ai pas envie d’en parler, pas avec elle. Je sais pourtant qu’elle serait compréhensive vu qu’elle aime les femmes. Et puis maintenant que j’ai vécu ce que j’ai vécu avec Kezia, j’peux plus trop blâmer ma mère. Mais de là à avouer que j’ai été conne de lui en vouloir et de me barrer comme ça quand j’ai compris qu’elle aimait les nanas… Enfin bref, je parle pas trop. Le seul bon point dans ma vie en ce moment, c’est que les résultats de santé de mon père son plutôt bons, le nouveau traitement expérimental lui convient et il y a de l’espoir qu’il soit en rémission. Ça me laisse du temps avec lui, même si en ce moment je ne profite pas de sa présence, à cause de Kezia, et ça me fait chier. Bref. Aujourd’hui je dois aller chercher des affaires chez ma grand mère, et je lui passe un coup de fil pour être sûre que Kezia n’est pas dans les parages. Elle est à la fac, parfait. Je prends mon sac et file droit chez ma grand mère. Quand j’arrive elle est même pas là, c’est fermé à clé. Je fais ma vie et grimpe dans ma chambre, tombant des nues en voyant Kezia allongée sur le lit. « Qu’est-ce que tu fais là, t’avais pas cours ? » Fait chier. J’avais pas envie de la voir. Enfin maintenant, je vais pas rentrer bredouille. Je vais m’efforcer de ne pas lui donner d’attention, récupérer mes affaires, et me casser. « Fallait que je récupère quelques affaires. » Je ne la regarde même pas, parce que c’est trop dur et que j’ai peur de craquer si elle me parle, si elle s’excuse encore, si elle veut discuter. Il faut pas, parce que je lui en veux, et je veux lui en vouloir encore un moment. Elle mérite pas que je lui pardonne ses conneries. J’ouvre mon placard et fous quelques affaires dans mon sac à dos, referme et ouvre la table de nuit en essayant de faire fi de la présence de Kezia sur le lit.

C'est inconcevable que ce test soit positif. J'ai dix-neuf ans, et c'était ma première fois... je ne peux pas tomber enceinte comme ça. Non c'est impossible. Et pourtant je suis consciente qu'il y a quand même un risque. On a bien pris nos précautions cette nuit-là, mais la protection s'est déchirée. Sur le moment ça nous a pas vraiment inquiété. Il y a peu de chance que ça puisse avoir une réelle incidence non ? Enfin c'est ce que j'essayais de me dire - jusqu'à m'en persuader, avant de commencer à vraiment paniquer. Mais c'est la merde maintenant. Allongée sur le lit, je ferme les yeux quelques minutes pour respirer un grand coup. Si je veux pas devenir complètement parano, je dois essayer de me détendre. Mais cétait sans compter sur l'arrivée inattendue de Kai dans la chambre. Merde alors. Mon coeur fait un bond dans ma poitrine alors que j'ouvre les yeux en grand. Elle semble toute aussi surprise que moi de me voir ici. « Qu’est-ce que tu fais là, t’avais pas cours ? » Sa phrase m'interpelle, et je comprends vite qu'elle ne savait pas que j'étais là. Comme si elle s'était arrangée pour venir à un moment où je serais absente. Elle s'efforce de continuer à me fuir comme la peste et c'est en train de me rendre folle. Depuis notre dernière dispute, je n'ai pas réussi à la revoir. Elle ne répond pas à mes messages, rien. C'est le silence radio. « Kai... » Son prénom vient s'échapper du bout de mes lèvres dans un murmure presque inaudible, mais Kai ne me regarde même pas. « Fallait que je récupère quelques affaires. » Ma demi-soeur s’exécute et récupère ses affaires dans son placard alors que je reste totalement impuissante. En réalité je ne sais plus quoi faire. Je réalise brusquement que ce n'est apparemment pas qu'une passade, c'est vraiment sérieux. Et c'est ça qui m'inquiète le plus. Je pensais qu'avec un peu de temps, et de recul, elle finirait par revenir. « Tu ne comptes pas revenir alors ? » Je me redresse pour m’asseoir sur le bord du lit, essayant de capter son regard. « Si tu veux pas me parler, je peux comprendre, mais on peut peut-être essayer de trouver une autre solution ? » Je trouve ça con que notre histoire vienne impacter sa famille. Sa grand-mère et son père n'y sont pour rien. Surtout que c'est un peu compliqué à leur expliquer. Elle laisse un énorme vide dans la maison. Et dans mon coeur surtout aussi. « C'est pas pareil sans toi ici... » Je tente d'attraper doucement son bras pour la faire me regarder. C'est fou comme elle me manque...

Je force mon cerveau à ne pas imprimer quand j’entends Kezia prononcer mon prénom de sa petite voix. Par contre, je n’arrive pas à réfréner un frisson qui heureusement est invisible à l’oeil nu. Je m’active pour éviter de la regarder, parce que j’ai peur, peur de moi, peur de flancher, peur de dire des trucs ou faire des trucs que je finirai par regretter. « Tu ne comptes pas revenir alors ? » « C’est pas prévu non. » Mon ton est toujours aussi sec, distant. Je n’ai aucune envie de faire d’effort. « Si tu veux pas me parler, je peux comprendre, mais on peut peut-être essayer de trouver une autre solution ? » Cette fois je me redresse pour la regarder, et baisse finalement les yeux le temps de zipper la fermeture de mon sac qui est quasiment rempli. « Je vois pas bien quelle solution on peut trouver. A moins que tu décides de t’installer avec ton mec pour que je puisse récupérer ma chambre, je vois pas non. » Je suis dure en affaire, je sais. « C'est pas pareil sans toi ici... » finit-elle par lâcher en attrapant mon bras. Je m’électrise et ferme les yeux tout en serrant les mâchoires. Elle ne me facilite clairement pas la tâche. Je plonge mon regard dans le sien, hésitante entre l’envie de l’embrasser et celle de me barrer loin, comme je sais mieux le faire. Mon instinct me pousse à me protéger avant tout. « Fallait y penser avant. » De ma main libre, je prends son poignet pour retirer sa prise de mon bras, sans aucune animosité, juste je veux pas qu’elle me touche plus longtemps, c’est déjà assez compliqué comme ça. Je vais dans la salle de bain pour récupérer quelques trucs cosmétiques qui me manquent et mon regard tombe sur la boîte posée près de l’évier. Un test de grossesse. Je pourrai bien m’évanouir je crois. Je pose mes mains sur le rebord du lavabo, j’ai la tête qui tourne, j’essaie de respirer doucement mais c’est comme une crise d’angoisse qui me saisit, et j’entends Kezia qui arrive. Je sais même pas comment je dois réagir. De toute manière, là je suis juste paralysée j’arrive pas à bouger, c’est pas l’envie qui me manque de me barrer d’ici définitivement. Un gosse avec Wyatt, manquait plus que ça.

Il n'y a rien de pire que de voir le regard qu'elle porte désormais sur moi. Ce n'est même plus de la colère que je vois dans ses yeux, mais la présence d'une blessure terriblement profonde. Comme un point de non-retour. Je l'ai blessée, déçue aussi. Et cette boule de culpabilité coincée au fond de ma gorge ne fait que grandir. « C’est pas prévu non. » Je baisse les yeux en direction du sol. « Je vois pas bien quelle solution on peut trouver. A moins que tu décides de t’installer avec ton mec pour que je puisse récupérer ma chambre, je vois pas non. » Je secoue la tête un peu pour moi-même. Je lui ai dis la dernière fois que ce n'était pas avec Wyatt que je voulais être... c'était peut être maladroit de ma part certes, mais c'était sincère. Mon coeur l'a choisi elle, et je crois même qu'il l'a choisi depuis le tout début. Avant même que je puisse en avoir réellement conscience d'ailleurs. C'est pour ça que j'ai rompu avec Wyatt. Je ne pouvais pas continuer de lui mentir. Ni de mentir à moi-même aussi. Mais ça Kai n'est pas au courant. En réalité je n'ai pas vraiment eu l'occasion de lui en parler. Et avec le recul je ne suis même pas convaincue que ça puisse réellement changer quelque chose. C'est un peu tard non ? « Fallait y penser avant. » Ma demi-sœur semble sûre d'elle, et je ne peux que rester impuissante face à ce constat. Je veux bien tout faire pour me faire pardonner, mais si elle ne m'en laisse pas l'opportunité, c'est mort. J'ai l'impression que je pourrais dire n'importe quoi que ça ne changerait pas grand-chose en soit. Et c'est une sensation horriblement frustrante. Kai retire ma main de son bras, et se dirige vers la salle de bains pour continuer de récupérer ses affaires. Je suis au pied du mur, impuissante. Après quelques secondes, je tente une nouvelle approche sans penser une seule seconde au pire qui est sur le point d'arriver. « Je peux partir. » Je peux chercher un studio ou un petit appartement étudiant, quelque chose du genre pas trop loin de la fac. Si ma mère se porte garante, je pense que ça peut le faire. Faudra peut-être que je me trouve un petit boulot à côté, mais c'est jouable. « Si c'est vraiment ce que tu veux... » Même si ça me briserait définitivement le cœur. Kai reste comme paralysée, et je ne comprends pas tout de suite pourquoi. Mon regard se fige lorsque je vois le test de grossesse posé près du lavabo. Putain de merde, j'avais complètement oublié. « Kai... je... » Je passe devant elle pour le récupérer, totalement paniquée. Ce n'était pas prévu qu'elle voit ça. Je finis par me laisser glisser au sol, la tête entre les mains. Les larmes qui se bousculent en sanglots sur mon visage. Je suis incapable de dire quoi que ce soit. J'ai tellement besoin d'elle...

J’ai envie de vomir. C’est contagieux. Haha. Même pas drôle. La vue de ce test de grossesse me donne autant mal à la tête qu’il me file la nausée. C’est pas possible. Elle peut juste pas être enceinte en fait. Sinon je vais vraiment croire que la vie m’en veut. J’ai rien fait pour mériter tout ça. « Je peux partir. » sa voix se rapproche, et moi je reste tétanisée à cause de cette boîte à côté de moi qui me paralyse. « Si c'est vraiment ce que tu veux… » Je suis incapable de lui répondre, incapable de quoi que ce soit de toute manière. J’ai presque du mal à respirer. Et puis je la sens passer près de moi pour récupérer la boîte en question. Je me tends immédiatement en la sentant me frôler et mon coeur s’emballe. Elle va m’en parler ou pas ? Je sais même pas si j’ai envie. Vaut peut-être mieux pas finalement. « Kai... je... » Je respire plus vite, parce que j’ai peur, parce que j’ai mal, parce que je sais même plus ce que je veux, ce que je ressens. Tout ça c’est trop compliqué, et ça fait trop mal. Je tétanise, je tremble, j’ai l’impression de plus vraiment être dans mon corps. Et puis je l’entends pleurer. Je fais un effort sur humain pour me retourner, me tenant toujours à la vasque, cette fois dans mon dos. Elle est recroquevillée dans un coin et des sanglots finissent par la secouer. Mon coeur se brise, encore. Encore plus. « Vous vous êtes même pas protégés ? » Pas de réponse. C’est pas vraiment comme ça qu’il fallait que je m’y prenne, mais comment elle veut que je réagisse au juste ? Je laisse s’écouler quelques secondes et je ne peux pas la laisser comme ça, ça fait trop mal. Alors je m’approche, un peu tremblante, me laisse glisser près d’elle. Je n’ai pour le moment pas la force de la prendre dans mes bras, mais c’est un premier pas. « Bon ben. Vous avez plus qu’à vous marier. » Je laisse échapper un rire jaune. C’est pas drôle. Ok. Je soupire et laisse tomber ma tête en arrière contre le mur, les yeux rivés sur le haut du mur en face de moi. Dans le vague. « Une chose est sûre, si c’est ça… c’est pas moi l’père. » Je tourne la tête vers elle, tentant un léger sourire pour essayer de détendre l’atmosphère. C’est pas gagné, mais je ne peux faire que ça dans l’immédiat.

Je suis vraiment mal en point. Tout est en train de se mélanger dans ma tête... la peur, le doute et la honte aussi. Je n'arrive plus à tout gérer, c'en est trop. J'ai l'impression d'être dans un putain de cauchemar. Mais pourtant c'est bien réel. L'incertitude qui plane sur ce foutu test de grossesse est là, bien présente. Et ça me retourne les tripes. Mon visage noyé par les larmes, je suis incapable de croiser à nouveau le regard de ma demi-sœur. J'en ai plus la force ni le courage. Je crois que je préférerai pouvoir l'éviter à tout jamais. Et pourtant c'est d'elle dont j'ai besoin. Elle et uniquement elle. Maintenant plus que jamais. Je veux qu'elle soit là, à mes côtés. Je veux pouvoir compter sur elle. Même si c'est probablement égoïste de ma part. « Vous vous êtes même pas protégés ? » Si justement. Elle me connait un minimum quand même, elle doit se douter que je ne suis pas totalement inconsciente non ? De toute façon à ce niveau-là ce n'est plus la question. La protection a merdé, et c'est quitte ou double maintenant. Je ne relève toujours pas la tête, assaillie par de nouveaux sanglots. Mais je finis finalement par sentir Kai se glisser près de moi après quelques secondes. Inconsciemment ça me fait déjà beaucoup de bien. C'est un premier pas de sa part qui compte énormément à mes yeux. « Bon ben. Vous avez plus qu’à vous marier. » Bah voyons ! « Une chose est sûre, si c’est ça… c’est pas moi l’père. » Je laisse échapper un espèce de semblant de rire un peu maladroit. Ouais c'est nerveux mais au moins ça a le mérite de me faire sourire. Ne serait-ce qu'un peu. Et ma respiration finit par se calmer un peu. Je souffle un bon coup, essuie d'un revers de main les larmes sur mes joues avant de réussir à capter son regard. « Non mais je... je peux pas. Ça ne doit pas être ça. » Je secoue vivement la tête à la négative. « Je ne peux pas être enceinte. » Je ne dois pas être enceinte... surtout pas. C'est déjà bien trop compliqué comme ça. Avec elle, avec Wyatt aussi. Et c'est pas à dix-neuf ans qu'on peut avoir - et surtout assumer un enfant. Surtout quand il n'est pas désiré et que les parents ne sont plus en couple. C'est pas la vision que j'ai de ma vie, ni d'un quelconque futur en tant que mère. « On est même plus ensemble... » C'était pas vraiment comme ça que j'avais prévu de lui dire à la base, mais j'ai besoin qu'elle le sache. J'ai besoin de lui prouver que ce que je lui ai dis la dernière fois n'étaient pas que des paroles en l'air. C'est elle dont mon cœur est amoureux. Ça a toujours été elle.

J’essaie de faire un peu d’humour, je sais même pas comment j’y arrive. Et puis la situation change de seconde en seconde, c’est dingue. Je devais passer sans qu’elle soit là, finalement elle est là, je suis toujours remontée contre elle, et triste, et je vois son text de grossesse et la situation s’inverse, maintenant c’est elle qui semble au fond du trou. Putain mais c’est quoi cette vie sérieux ? « Non mais je... je peux pas. Ça ne doit pas être ça. Je ne peux pas être enceinte. » finit-elle par dire en se calmant doucement. Je me mords un peu l’intérieur de la joue. « Techniquement, si. » Même s’il est évident que j’aimerai que ça ne soit pas le cas. Je crois que c’est un peu le pire de ce qui pourrait arriver en fait. « On est même plus ensemble... » Cette fois je tourne la tête vers Kezia en fronçant les sourcils. « Quoi ? Il t’a plaquée ? » Oui je sais pas pourquoi mais c’est ma première hypothèse, avant de croiser son regard. « Non c’est toi. Ok. » Alors peut-être qu’elle disait vrai quand elle disait que c’était moi qu’elle voulait. Avec moi qu’elle voulait dormir. Ne pas penser à ça. Je détourne le regard et le repose sur un point imaginaire au fond de la pièce, lâchant un long soupir. « Tu… tu veux que je reste. Pendant que tu le fais ? Enfin que je sois là quoi, je sais pas… » Au cas où que ce soit positif, j’en sais rien… Je sais pas bien ce qu’elle attend de moi, ni moi ce que j’attends d’elle. Je suis juste totalement dans le flou quant à mes sentiments, et c’est pas prêt de s’arranger. Celui qui tire les ficelles là haut se bout bien de nos gueules des fois. Il a l’air de bien s’amuser ce con. « Et puis, quoi qu’il arrive… je s’rai là. Pour toi. Comme le sont les amis quoi. Ou les soeurs. Ou.. ouais. Enfin tu m’as comprise quoi. » Non mais là c’est de moins en moins clair et je m’embourbe totalement j’en deviens ridicule…

Je lui balance pour Wyatt et moi. C'est ce que je voulais lui dire depuis quelques jours déjà mais sans en avoir eu l'occasion. Au moins comme ça elle est au courant. Peu importe si ça change rien à ses yeux, parce que pour moi, ça veut dire beaucoup. C'est mon coeur qui a fait ce choix. Le choix de ne plus se mentir à lui-même et d'assumer ce qu'il ressent pour elle. Même si ça reste toujours compliqué en soit, c'est déjà un grand pas en avant. « Quoi ? Il t’a plaquée ? » Je secoue la tête pour lui faire comprendre que c'est moi qui ai rompu avec lui, pas le contraire. Et c'est là toute la différence. « Non c’est toi. Ok. » C'est elle qui voulait que je remette de l'ordre dans ma vie sentimentale la dernière fois. Voilà maintenant qui est fait. Même si ce test de grossesse est peut-être sur le point de tout remettre en question ? Je crois qu'on y arrivera jamais. « Tu… tu veux que je reste. Pendant que tu le fais ? Enfin que je sois là quoi, je sais pas… » Kai me propose de rester avec moi pendant le test, et honnêtement ça me soulage. Je ne voulais pas lui imposer quoi que ce soit - je suis quand même mal placée pour le faire. Mais j'ai terriblement besoin d'elle, ça c'est une certitude. Elle est la seule personne sur qui je peux compter dans un moment aussi important que celui-là. « Et puis, quoi qu’il arrive… je s’rai là. Pour toi. Comme le sont les amis quoi. Ou les soeurs. Ou..  ouais. Enfin tu m’as comprise quoi. » Je ne peux m'empêcher de sourire. Pendant une seconde je ne pense plus aux conséquences du foutu résultat de ce test. Je ne pense qu'à ses mots et leur signification. Parce qu'elle sera là pour moi, et ça, ça vaut tout l'or du monde à mes yeux. « T'es sûre que ça te dérange pas ? » Je préfère m'en assurer, pas qu'elle puisse le regretter ou me le reprocher plus tard. Elle me confirme d'un petit hochement de tête alors que ma main vient naturellement se glisser dans la sienne à la recherche d'un peu de courage. On dit qu'un simple geste vaut bien plus que n'importe quel mot. « Merci d'être là pour moi Kai... » Malgré le mal que j'ai pu lui faire, malgré tout ce qui a pu se passer entre nous. « Je sais pas trop si je le mérite, mais merci. » Je plonge mon regard dans le sien, ma main toujours accrochée à la sienne. « Ça compte énormément pour moi. » Je me relève doucement, le coeur battant, avant de récupérer la boite entre mes doigts. Je prends quelques instants pour parcourir la notice avant de m'exécuter. Kai reste légèrement en retrait, je crois qu'elle est aussi angoissée que moi ou presque. Mais l'important c'est qu'elle soit là, et sa présence m'est rassurante. Il y a plus qu'à attendre maintenant. Des minutes de silence qui paraissent interminables avant d'apercevoir le résultat. « Je suis incapable de regarder. » Tout peut basculer en l'espace d'une seconde, et c'est justement ça le problème.

Je la sens totalement désemparée, et il m’est complètement impossible de la laisser seule ici, alors que je la sais dans une situation vraiment embarrassante. Ça m’est arrivé moi aussi, de croire que j’étais enceinte. Heureusement, les tests se sont révélés négatifs. J’espère que l’issue sera la même aujourd’hui et qu’elle aura autant de chance que moi. En attendant, je lui propose de rester avec elle, de l’épauler pendant cette étape pénible. « T'es sûre que ça te dérange pas ? » Bien sûr que si, ça me dérange. J’aurai préféré choisir de rester pour d’autres raisons. Mais je ne veux pas la laisser seule, c’est impensable pour moi. Alors à défaut de trouver quelqu’un pour l’aider, je resterai là. Je hoche la tête légèrement, et récupère la main qu’elle vient glisser dans la mienne, entremêlant nos doigts. « Merci d'être là pour moi Kai… Je sais pas trop si je le mérite, mais merci. » Je ne réponds rien à ça, je crois que ce n’est pas vraiment une question de mérite ou pas. Elle a fait des erreurs, j’en ai fait aussi, mais ça fait partie de la vie non ? Elle m’a blessée, profondément, mais je l’avais fait aussi, avant de m’échapper de San Francisco. On ne peut pas dire qu’on soit quittes, parce que ce n’est ni un jeu ni une compétition, mais je dois peut-être remettre les choses dans leur contexte.

Kai se lève finalement pour récupérer la boîte et je la laisse lire le mode d’emploi. C’est pas bien compliqué, il lui suffit de pisser sur le morceau de plastique. Je sors de la salle de bain le temps qu’elle s’en occupe, restant appuyée sur le mur jusqu’à ce que je l’entende se laver les mains. J’entre à nouveau, m’appuie sur l’encadrement de la porte, silencieuse. Je récupère le mode d’emploi et mets un minuteur sur mon téléphone. Il ne nous reste plus qu’à attendre le résultat. Appuyées toutes les deux contre le meuble accueillant la vasque, on laisse le temps défiler. Ça me semble une éternité. Et quand mon téléphone sonne, je crois qu’on est deux à sursauter. « Je suis incapable de regarder. » Je soupire un peu, pas parce qu’elle me fatigue, mais parce que je prendre une espèce de dose de courage. Un nouveau regard sur la notice pour vérifier le signe. C’est pas compliqué. Un +, elle est enceinte, un -, elle ne l’est pas. Je passe devant elle, la main un peu tremblante, et récupère le morceau de plastique pour découvrir le résultat. « Putain… » que je laisse échapper dans un filet d’air entre mes lèvres. Fait chier. Je me pince les lèvres, les yeux brillants. « Je vais venir avec toi, on va aller chez le médecin pour que tu fasses une prise de sang pour être sûre ok ? C’est pas fiable à 100% ces trucs là. » Je voudrais que ça ne soit pas vrai. Je le voudrais vraiment.

C'est au dessus de mes forces, je n'ai pas le courage de regarder. Je crois que c'est à cet instant là même que je prends véritablement conscience des choses. Un simple test, quelques minutes à peine, et tout peut finalement basculer. La vie ne tient vraiment qu'à un fil... et en l’occurrence à un + ici. Si c'est ce signe qui s'affiche sur le cadran, alors ça voudra dire que je suis enceinte. C'est pas plus compliqué que ça. Mais je suis tout bonnement incapable de l'imaginer. C'est juste impossible... pas à mon âge, pas comme ça. On se dit que ça ne peut arriver qu'aux autres, on pense pouvoir être à l'abri de tout ça, mais non. Il suffit d'une toute petite erreur, une minuscule faille de rien du tout et c'est le drame. Kai récupère alors le test entre mes mains, et la tension est à son comble. J'ai l'impression que mon coeur est sur le point de s'arrêter. Ou d'exploser en fait, je ne sais plus trop. Je crois que je n'ai jamais été aussi mal. Le visage de Kai se décompose à une vitesse déconcertante, mais je ne réalise pas tout de suite de quoi il s'agit vraiment. « Putain… » C'est comme si mon cerveau avait décidé de se mettre en off. Une sorte de blocage qui paralyse mon corps tout entier. « Je vais venir avec toi, on va aller chez le médecin pour que tu fasses une prise de sang pour être sûre ok ? C’est pas fiable à 100% ces trucs là. » Ses mots me font l'effet d'un électrochoc. Tout s'accélère et se bouscule dans ma tête. Mon regard se fige alors sur le cadran du plastique. Putain. « Non... » C’est tout ce qui arrive à sortir de ma bouche, alors que je secoue vivement la tête. Kai essaye de me rassurer, mais ça ne fonctionne pas. Même s’il reste peut être une infime chance que le résultat ne soit pas sûr à 100%... je n’y crois plus. Les probabilités sont tellement minimes. « Qu’est ce que je vais faire Kai ? » La tête entre les mains, les sanglots reprennent de plus bel. Je sens le sol se dérober sous mes pieds, mon cœur se serrer dans ma poitrine. « C’est pas possible... je peux pas, je suis trop jeune. Et puis c’est pas ce que je veux... » Mais c’est fait, c’est trop tard maintenant. « Pas maintenant, pas comme ça. » Je pense à Wyatt, et ça rend les choses encore plus complexes. Surtout après tout le mal que j’ai pu lui faire. Et puis il y a Kai aussi. J’ai tellement honte de devoir lui imposer ça. Elle a déjà assez souffert de mes conneries. « Je me dégoûte. » C’est un mauvais coup du destin et pas nécessairement de ma faute en soit, mais je me déteste encore plus quand même. Comment vais-je être capable de me regarder dans un miroir après ça ? Cette potentielle grossesse me fout directement le nez dans ma merde. Et je ne suis plus du tout certaine d’être capable de me pardonner à moi-même.

Etrangement, on dirait que mon rôle de ‘grande soeur’ se remet en place. Je propose de l’accompagner chez le médecin pour faire une prise de sang et être sûre du résultat. Il faut qu’on sache avant qu’elle réfléchisse à une solution pour la suite. Elle regarde le résultat et secoue la tête, entrant dans une phase de déni. « Qu’est ce que je vais faire Kai ? » Voilà qu’elle se remet à pleurer et mon coeur se serre. Je ne peux pas rester loin d’elle et m’approche alors pour la prendre dans mes bras. « C’est pas possible... je peux pas, je suis trop jeune. Et puis c’est pas ce que je veux... Pas maintenant, pas comme ça. Je me dégoûte. » Je secoue la tête et la serre un peu plus fort. « Arrête de dire des trucs pareils, c’est pas de ta faute ok ? Ça arrive. » Je laisse glisser mes mains dans son dos, de haut en bas, dans des gestes lents et tendres, visant à la calmer du mieux que je peux. « On va attendre d’être sûres, et tu réfléchiras à la décision à prendre. Si tu veux t’en débarrasser je viendrai avec toi. Et si tu veux le garder, tu trouveras des aides, et puis je serai là, si tu as besoin. » Quelle place j’aurai, ça j’en sais rien, c’est fou, et difficile à gérer. Mais c’est surtout d’elle dont il s’agit, et je ne peux clairement pas la laisser seule. Pas maintenant, pas comme ça. Je la serre un peu plus contre moi, ma main dans ses cheveux, et lui laisse le temps dont elle a besoin pour vider les larmes qui ont besoin de sortir. Putain enceinte à dix-neuf ans, ça fait chier. « Il faut qu’on y aille au plus vite Kez, sinon tu vas pas dormir. Viens. » Je m’écarte d’elle et passe mes mains sur son visage rougi pour essuyer les larmes, avant de déposer un baiser sur son front. Je récupère sa main, son sac à main, mes clés, et nous quittons la maison pour aller dans un cabinet médical le plus proche. Une fois la prise de sang faite, le médecin nous assure que les résultats nous parviendront dans la soirée, par mail. En attendant, nous rentrons à la maison et je la fais s’allonger sur mon lit, m’allongeant près d’elle, mes bras autour de son corps fatigué. « Ça va aller. Ça va aller. » J’essaie de m’en persuader moi aussi.

Si, c’est de ma faute. Si je n’avais pas couché avec Wyatt, si je n’avais pas fait la conne, on en serait pas là. Et Kai n’aurait aucune raison de m’en vouloir ni de me détester. Parce que je suis consciente que ça ne doit pas être facile pour elle non plus. Tout juste après avoir appris ma nuit avec lui, je crois que là c’est le bouquet final. Je n’ose même pas imaginer ce qu’elle doit ressentir. Elle ne mérite pas ça. « On va attendre d’être sûres, et tu réfléchiras à la décision à prendre. Si tu veux t’en débarrasser je viendrai avec toi. Et si tu veux le garder, tu trouveras des aides, et puis je serai là, si tu as besoin. » Elle se veut rassurante, dans ses mots, dans ses gestes, et ça me fait énormément de bien. J’ai l’impression l’espace d’une seconde de la retrouver vraiment, comme avant. « Je sais pas Kai, j’en sais rien... » C’est tellement surréaliste que je suis incapable de réfléchir à une quelconque décision pour le moment. Je secoue un peu la tête, complètement perdue. « Comment suis-je censée savoir quoi faire ? » Il n’y a pas de mode d’emploi pour ça. C’est une décision importante que je ne suis pas encore prête à prendre. Je me plonge alors instinctivement dans ses bras, enfouis ma tête dans son cou pour m'imprégner au maximum de son odeur. J’en profite pour évacuer toutes les larmes de mon corps. Je lâche tout, extériorise, pour finir par souffler un grand coup. « Il faut qu’on y aille au plus vite Kez, sinon tu vas pas dormir. Viens. » Je hoche un peu la tête, et me laisse guider jusqu’au cabinet médical. Heureusement qu’elle est là, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans elle. Ça compte vraiment beaucoup pour moi. Une fois la prise de sang terminée, il ne reste plus qu’à attendre. Nous aurons les résultats dans la soirée. La journée me paraît interminable, je suis tellement fatiguée de tout ça. Trop d'émotions, trop de stress. Dans la chambre, nous nous allongeons l’une contre l’autre, les bras de ma demi-sœur s’enroulant autour de mon corps. « Ça va aller. Ça va aller. » Je sens que la fatigue commence peu à peu à prendre le dessus. « Tu ne vas pas t’enfuir hein ? » Que je laisse échapper du bout des lèvres. J’ai peur que si je m’autorise à fermer les yeux ne serait-ce qu’un instant elle disparaisse. « Je ne veux pas que tu partes... » Je ne veux pas qu’elle s’en aille, pas tout de suite... jamais. C’est peut être égoïste de ma part, mais je ne peux pas me résoudre à la perdre. Elle est tout pour moi, et j’ai besoin d’elle. Si seulement nous pouvions tout recommencer à zéro. Tout oublier, ensemble. « Plus jamais. » Elle peut revenir s’installer à la maison, avec nous. Avec moi.

Je sens bien que tout va vite, que tout va mal, et que je dois dire à mon putain d’ego de fermer sa gueule, parce qu’elle a besoin de moi. Kezia a besoin de moi, et je dois être là pour elle. Je le sens, je le sais. C’est comme ça. Alors je prends les choses en main, avec douceur et bienveillance, comme je peux, du mieux que je peux. Elle est perdue, et y’a de quoi. J’ignore ce que j’aurai pu ressentir si le jour où j’ai eu des doutes, le test s’était avéré positif. J’aurai vécu l’enfer. Comme elle. Alors je la prends par la main, l’accompagne, la soutiens, et une fois de retour à la maison, je la laisse s’effondrer sur le lit et reste près d’elle, pour la rassurer. « Tu ne vas pas t’enfuir hein ? » Je secoue la tête et me serre un peu plus contre elle, me rapprochant, comme si c’était encore possible. En position de la cuillère, je suis dans son dos, la main sur son ventre, mon nez dans ses cheveux. « Je ne veux pas que tu partes… Plus jamais. » Mon coeur se serre, je comprends à quel point ma décision de partir l’a affectée, deux fois. Même si la deuxième, c’était de sa faute, pas de la mienne. Pourtant je ne veux pas lui faire de promesse que je ne serai pas capable de tenir, parce que je ne suis sûre de rien, et encore moins de l’avenir. « Ne pense pas à ça. Je suis là, et je serai encore là quand tu te réveilleras. Endors-toi maintenant. » Je caresse son ventre en bougeant mon pouce doucement, le temps qu’elle s’endorme. Elle en a besoin, et le plus dur est sans doute à venir, j’en ai peur. Je serai là pour elle, je m’en fais la promesse, à moi-même, même si je sais que ça risque d’être dur, pour moi aussi, surtout si elle prends la décision de garder cet enfant. Un enfant de Wyatt. Je suis pas prête de trouver le sommeil moi…