long time no see ft. Lilith

Journée classique au boulot. Une garde interminable, quelques appels mineurs. Du moins jusqu'à ce que la sirène retentisse : feu de cuisine dans un fast-food dans le sud de la ville. Tyler avait sauté dans sa combinaison puis dans le camion qui avait démarré au quart de tour, avec ses coéquipiers il avait foncé à travers les rues de Los Angeles jusqu'à arriver au fast-food en question. Finalement, le feu était beaucoup moins impressionnant que prévu, mais néanmoins important. Il fallait s'en occuper avant que ça prenne de l'ampleur, réduise en cendre le bâtiment entier, s'étende ou même explose. Bref, il ne fallait pas tarder. Alors l'équipe s'était divisée en deux, certains évacuaient le restaurant, l'autre équipe contournait le bâtiment, raccordait les tuyaux et se préparaient à éteindre le feu. Tyler faisait partie de l'équipe "tuyau et éteindre le feu". Malgré tout, ça ne l'avait pas empêché de remarquer une femme, une employée, qu'il semblait reconnaître. Certes cela faisait plusieurs années, mais il était pratiquement sûr que c'était elle. Mais il était loin, et dans le feu de l'action, il n'avait pas franchement le temps de se poser et de la regarder en détails. Alors il avait fait son boulot, puis il était reparti avec ses collègues pompiers vers un autre appel. Le reste de la journée, il avait repensé à cette fille. Il était presque sûr que c'était elle.

Après sa garde il avait donc décidé de retourner dans le fast-food. De ce qu'il avait vu ce matin, il n'y avait pas eu trop de dégâts, alors avec un peu de chance ce serait toujours ouvert. Et par chance, il avait bien fait d'y revenir. Il entra dons dans le restaurant et s'installa sur un des tabourets du bar. Quand la serveuse se tourna vers lui, un grand sourire s'afficha sur le visage de Tyler. « Lilith Coleman ! J'me disais bien que c'était toi ! » s'exclama t-il, presque triomphant. « J'étais un des pompiers ici ce matin. » précisa t-il, se souvenant qu'à l'époque où ils se "fréquentaient" il était seulement ambulancier et pas encore pompier. « Ça va, y a pas trop de dégâts ? Parce que j'avoue que je dirais pas non à un petit burger et une part de tarte... » Au moins une chose qui ne changeait pas: Tyler était toujours un estomac sur pattes.

Même alors que la journée se terminait lentement, j’avais encore du mal à retrouver mes esprits. Je revoyais encore les flammes qui jaillissaient ; je sentais encore l’odeur de brûlé qui semblait vouloir m’emplir les poumons. J’avais l’impression que les pompiers étaient toujours là, dans un coin du restaurant où je travaille depuis quelques temps déjà. Les dégâts n’ont pourtant pas été bien importants et nous avons pu reprendre le service dans le courant de l’après-midi comme si de rien n’était. Mais je me sentais complètement troublée, bouleversée. Et alors que je tendais son plateau à un des derniers clients du soir, je vois mes mains trembler. Je pince les lèvres et force un sourire avant de souffler bruyamment lorsque l’adolescent s’est installé à sa table. Heureusement, mon service était bientôt terminé et j’allais pouvoir retrouver la sécurité de mon petit appartement certes miteux mais dans lequel je parvenais à me sentir protégée. Peut-être qu’il me faudrait aller à une réunion, parce que je me sentais encore trop fébrile pour être totalement seule chez moi mais j’avais encore un peu de temps pour me décider. Je ne suis pas certaine d’avoir véritablement envie de parler, ce soir.

La clochette de l’entrée tinte et je ne lève pas les yeux tout de suite. Occupée à ralentir les battements de mon cœur cognant contre mes côtes comme un oiseau en cage, je ne me tourne vers le nouveau client qu’après quelques secondes avant de croiser un regard bien trop familier. Il y a un frisson qui dégringole le long de ma colonne vertébrale et un sourire craquelle mes lèvres de façon automatique. « Tyler ? C’est bien toi ? » Je lâche un léger rire, haussant les sourcils avec étonnement lorsque j’apprends qu’il faisait partie des pompiers qui étaient intervenus au fast-food dans la matinée. « Wow, tu es devenu pompier alors, je souffle d’un air admiratif. » D’aussi loin que je me souvienne, il était encore ambulancier à l’époque où l’on se fréquentait encore. Et je me sens soudain un peu honteuse de n’être qu’une pauvre petite serveuse de hamburger et de frites, avec l’impression d’avoir stagné dans mon existence alors que les autres continuaient d’avancer. Je baisse un peu les yeux sur mon tablier d’un blanc encore immaculé et plisse les pans de ma jupe d’une main maladroite. Nerveuse. « Non, ça va. On a pu reprendre le service assez rapidement après votre intervention, je réponds avec un léger sourire. Vous avez fait du super boulot. » Hochant la tête à la commande passée, je m’affaire à demander le hamburger en cuisine et place une part de tarte – la plus grosse – sur une petite assiette. Déposant couverts et un verre encore vide devant lui, je me permets un sourire un peu timide. « Alors, qu’est-ce que tu deviens depuis tout ce temps ? En dehors de ton nouveau métier, je veux dire. » Tyler n’avait pas tellement changé et me semblait pourtant bien différent alors que j’étais toujours la même – cette même petite fille paumée qui ne sait jamais où elle va dans la vie.

Revoir Lilith après tout ce temps c'était... étrange ? Incroyable ? Dur de choisir entre les termes. En tout cas, c'était clairement inespéré. Il ne pensait vraiment pas la revoir un jour. Pas après qu'elle se soit barrée sans rien dire après qu'il ai été obligé de faire interner sa mère. Deux ans plus tôt. C'est dingue ce que le temps pouvait passer vite ! Et pourtant ça faisait bien un peu plus de deux ans que sa mère était internée et que Lilith s'était envolée. Sa vie lui paraissait tellement différente aujourd'hui. Il se demandait même comment sa vie avait pu changer à ce point en si peu de temps ! Parce qu'après deux, deux ans dans une vie, c'est quoi ? « Et oui, pompier ! Depuis presque un an maintenant. Ironiquement, j'ai fini ma formation pile quand il y a eu ces énormes feux à travers tout Los Angeles... » répondit Tyler en secouant légèrement la tête. C'est certain qu'il y avait de meilleures façon de faire son baptême du feu... Mine de rien, malgré le danger, les pertes et les dégâts, Tyler était fier d'avoir pu y participer, d'avoir pu aider à contrôler et arrêter ces incendies. Bien sûr le mieux serait qu'il n'y ai jamais plus aucun incendie, mais tant qu'il y en aurait, Tyler comptait bien être là pour les éteindre et protéger la population, comme il l'avait fait plus tôt dans ce restaurant. Heureusement ils avaient pu intervenir à temps, et comme le lui confirma Lilith, les dégâts restaient minimes. Du moins comparé à ce que ça avait pu être. « Merci. » dit-il simplement quand elle lui lanca qu'ils avaient fait du bon boulot. Il la remercia de nouveau quelques secondes plus tard, lorsqu'elle se mit à préparer sa commande. « Alors, qu’est-ce que tu deviens depuis tout ce temps ? En dehors de ton nouveau métier, je veux dire. » demanda finalement Lilith. Tyler ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Bon sang, il s'en était passé des choses en deux années ! Par où commencer ?  Et surtout, qu'est-ce qu'il pouvait bien lui confier ? Après tout ils avaient été proches autrefois, ça ne voulait pas dire qu'ils l'étaient encore aujourd'hui. « Ouh, tu ne me croirais pas si je te le disais ! » répliqua t-il avec un petit clin d’œil complice. Deux ans plus tôt il était un petit con arrogant qui couchait avec tout ce qui bouge, qui faisait son possible pour ne jamais montrer qu'il avait des faiblesses et des sentiments, qui cachait ses mal-êtres derrière de l'humour et qui surtout, n'avait de cesse de s'auto-détruire. Alors oui, Tyler avait énormément changé en deux années. « Figure toi que je suis fiancé ! » lâcha t-il finalement avec un grand sourire. De quoi en choquer plus d'un ! Tyler Alcott, fiancé, qui l'eut cru après tout ! « Et toi alors, qu'est-ce que tu deviens depuis deux ans ? » demanda t-il enfin, très curieux de connaître les raisons qui avaient précipité le départ de Lilith.

Je me sens comme une petite fille, face à Tyler. Il semble avoir tellement changé, il semble si différent tout en étant le même. Il semble avoir évolué, avoir fait quelque chose de sa vie – et moi, je suis là, dans mon petit uniforme de travail, les cheveux puant la frites et la peau luisante de sueur. « C’était peut-être un signe, plutôt, je rétorque avec un léger sourire, le cœur au bord des lèvres et les mains tremblantes. » J’avais l’impression que, durant des années, mon existence s’était comme mise en pause. Elle s’était comme arrêtée. Le monde avait continué de tourner, à toute vitesse, sans m’attendre et les gens avaient continué leur vie, avait continué d’avancer. Me laissant seule derrière, sans même se retourner. La bouche sèche et les mâchoires serrées, je me détourne un instant du châtain pour récupérer le hamburger tout chaud que je dépose sur le plateau dans un geste marqué par l’habitude. Je tente vaguement de faire la conversation, pour ne pas le laisser penser que cela me déplaît de le voir aujourd’hui – parce que ce n’était pas le cas, j’étais heureuse qu’il soit là.

Lorsqu’il m’apprend qu’il est fiancé, je sens comme une pierre qui me tombe sur l’estomac. Mes yeux s’écarquillent et je le fixe en silence, un peu hébétée. Tyler est fiancé. Les mots semblent tourner à toute vitesse à l’intérieur de mon crâne et je ne sais pas quoi en faire, comment réagir. Quoi dire. « Tu es… fiancé ? Wow, je souffle, la voix trop rauque. » Ce n’est pas tant que je suis jalouse de sa situation – ou peut-être le suis-je un peu – mais je me sens surtout envieuse. Parce qu’il a l’air heureux, lorsqu’il le dit. Il a les yeux qui brillent, quand il le dit. Tyler est extatique quand il annonce qu’il est fiancé. Et moi, je suis là, à ne pas totalement me réjouir parce que je suis égoïste et que je ne peux pas simplement être heureuse pour mon ami et ancien amant. « Toutes mes félicitations, tu as l’air tellement épanoui, rétorqué-je, les doigts serrés. Elle doit être spéciale, cette fille pour qui tu as décidé de te ranger. » J’ai un petit rire amusé, parce que je me souviens de sa nature volage de l’époque et des regards qui s’égaraient sur les courbes d’inconnues. Je rougis un peu sous mon maquillage léger alors qu’il me demande des nouvelles sur ma propre vie. Le regard détourné, je ne sais pas quoi lui répondre alors je hausse les épaules. « Oh, tu sais… Pas grand-chose, j’avoue du bout des lèvres. Comme tu peux le voir, je travaille ici. Rien de bien intéressant en somme. » Dans un raclement de gorge, je lui tends son plateau et force un sourire poli et commercial. « Tiens, c’est tout prêt. J’ai une pause d’ici dix minutes, je pourrais te rejoindre à ta table pour que tu m’en dises un peu plus sur ta fiancée ? je propose doucement. »

La réaction de Lilith face à la nouvelle de ses fiançailles ne se fait pas attendre. Il faut dire que c'est plutôt surprenant quand on connait Tyler. Il n'a jamais été du genre à se ranger, ni même à se poser avec la même fille assez longtemps pour appeler ça une "relation". Alors, se fiancer ? En effet, c'est très surprenant. Lui-même n'est pas certain d'y croire. Et pourtant ! Lilith finit tout de même par se reprendre, du moins en apparence, et va même jusqu'à le féliciter. C'est encore étrange pour lui tout ça. L'engouement que les gens ont en apprenant qu'il est fiancé... Il ne l'a pas lui ce genre d'engouement. Bien évidemment il est heureux d'être fiancé à Casey, il aime Casey. Mais l'idée du mariage lui parait encore si abstraite que c'est difficile de s'en réjouir pleinement, comme une personne normale ! « Oui elle l'est. » il réponds simplement, le sourire aux lèvres, quand Lilith lui dit que Casey doit être une fille spéciale. « Puis... on a vécu beaucoup de choses elle et moi, mine de rien ça rapproche. » renchérit-il avant de changer de sujet pour se concentrer un peu sur elle. Elle réponds mais elle semble un peu éluder la question. Tyler plisse un peu les yeux mais ne dit rien. Il attrape simplement le plateau. « A dans dis minutes alors ! » s'exclame t-il avant d'aller s'asseoir à une table, patientant jusqu'à ce que Lilith prenne sa pause et vienne le rejoindre.

Et dix minutes ça passe vite. A peine le temps de jouer à un jeu sur son téléphone, qu'elle est devant lui. « Ça va ? Pas trop dur le service aujourd'hui ? Je suppose qu'être serveuse dans un fast-food n'est pas ton rêve. C'est sûrement pas évident... » demande t-il maladroitement. Les pieds directement dans le plat, du Tyler tout craché. Mais c'est vrai qu'il y a de quoi se questionner. Il y a quelques années elle travaillait pour les Alcott, aidant Marlen à la maison. Après avoir disparu sans une trace, voilà qu'elle réapparaissait en serveuse. Il y avait tout un mystère à élucider. Et pour être honnête, Tyler avait bien envie de connaître les raisons de tout ces changements. Mais même s'il était connu pour son manque de tact légendaire, il essayait tout de même de se contenir. Un peu. Après tout, peut-être que ça viendrait naturellement dans la conversation. Peut-être valait-il mieux commencer par la conversation qu'ils avaient entamée dix minutes plus tôt et toujours pas terminée. « Allez vas-y pose tes questions, je sais que tu en meurs d'envie ! » s'esclaffa t-il avant de mordre dans son burger - très bon soit dit en passant.

Les dix minutes qui suivent passent terriblement vite et profondément lentement à la fois. Je me sens impatiente de retrouver Tyler et de lui poser toutes ces questions qui tournoient dans mon crâne mais je sais aussi que les réponses ne me plairont peut-être pas. Je retiens un soupir, force des sourires polis alors que les clients font la queue à ma caisse et commandent toujours à peu près la même chose. De temps à autre, je laisse mon regard dévier jusqu’à la table du pompier comme si j’avais l’espoir qu’il s’en aille ou bien qu’il soit toujours là malgré tout. J’ai encore le souvenir de l’éclat brillant dans son regard lorsqu’il m’a parlé de sa Casey. J’ai encore le souvenir de sa bouche qui sourit toute seule à la seule mention de son prénom et, dans ma poitrine, mon cœur se fait un peu plus lourd. J’aurais aimé que quelqu’un parle de moi avec cette même lumière au fond des yeux ; j’aurais aimé que quelqu’un dise mon prénom et se mette à sourire comme ça. J’aurais aimé que Naomi fasse tout ça. Alors que je tends un dernier plateau à une adolescente en uniforme, je m’éloigne et retire mon tablier, laissant la place à Connor, un collègue. « Je prends ma pause, je lâche à la volée sans même être certaine que l’on m’entende. »

Un milkshake à la fraise entre les mains, je rejoins le châtain à sa table et il lève vers moi son regard océan alors que je m’approche. Un sourire fin, je m’assois, soupire de plaisir alors que je me rends compte que mes jambes sont douloureuses. « Ça va, je réponds en haussant les épaules. Tu sais, c’est pas pire qu’autre chose ici. Et puis, on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie alors… » Bien sûr que travailler ici n’était pas mon rêve. Était-il seulement le rêve de quelqu’un ? Et avec un patron aux mains baladeuses et aux sourires trop graveleux, il y avait de quoi désirer autre chose, chaque jour. Mais avec mes problèmes de drogue, ma nature imprévisible, il était difficile de trouver quelqu’un prêt à m’employer. Alors je devais faire contre mauvaise fortune bon cœur et accepter que c’était là tout ce que je pouvais avoir pour l’instant. La roue tournerait sûrement – un jour. Un jour, peut-être. Je souris légèrement en observant Tyler avant de demander : « Ça fait quoi ? D’être fiancé, je veux dire. Tu sembles heureux. C’est aussi bien qu’on le dit ? » Je n’éprouvais pourtant plus aucun sentiment à l’égard du jeune homme et je ne pouvais cependant pas empêcher la morsure de la jalousie d’être douloureuse entre mes côtes. Parce que je voyais le monde autour de moi qui avançait, continuait, vivait – et moi, j’étais juste coincée dans un trou sombre dont je ne parvenais pas à sortir malgré mes efforts.

C'était assez étrange de se retrouver face à Lilith après tout ce temps. En soit il ne s'était pas écoulé tant d'années que ça pourtant... pourtant il avait l'impression qu'à présent un gigantesque gouffre les séparait. Il avait l'impression d'avoir vécu une vie entière en son absence. Faut dire qu'il avait eu de sacrées sensations fortes ! Beaucoup de hauts et beaucoup de bas. Alors se retrouver soudain là, dans un fast-food, face à Lilith. Ouais, c'était assez étrange. Mais après tout, ce serait l'occasion de rattraper le temps perdu. Alors c'est ce qu'il essaye de faire, maladroitement comme à son habitude. Il commence donc par quelques petits commentaires compatissants sur son lieu de travail et son statut de serveuse. Puis il lui laisse tout simplement le champ libre pour poser ces questions qui lui brûlent la langue. « Ça fait quoi ? D’être fiancé, je veux dire. Tu sembles heureux. C’est aussi bien qu’on le dit ? » demande t-elle alors. Ah ! La grande question ! Une question qu'il entends régulièrement depuis qu'il est fiancé. Une question à laquelle il ne sait jamais comment répondre et qui lui arrache toujours un petit rire gêné, et qui provoque toujours ce petit tic où sa main vient gratter sa nuque. « A vrai dire j'en sais rien... Enfin... disons que... » commence t-il en se mettant à trifouiller dans ses frites. « Je réalise pas vraiment en fait. Les fiançailles, le mariage, tout ça c'est... ça a toujours été abstrait pour moi. Enfin tu connais ma mère, alors tu sais. » lâcha t-il finalement. Quand on avait une mère telle que Marlen, qui s'était mariée cinq fois, fiancée deux fois en plus de ça, et qui ramenait sans cesse des conquêtes à la maison, toutes plus désastreuses les unes que les autres... c'était compréhensible qu'il ait des réticences concernant le mariage ou même les relations sérieuses de manière générale. « Casey est géniale. C'est drôle parce qu'elle est comme moi. Le mariage c'est pas son genre non plus, ni la stabilité. Faut croire que nos réticences s'annulent l'une l'autre. On s'est bien trouvés tous les deux. » lança t-il finalement. Comme à son habitude il se perdait dans ses explications, il paraissait confus, et pourtant un sourire s'étalait sur son visage. Toute cette situation était difficile à expliquer, il essayait tant bien que mal. « Mais ouais je suis heureux d'être fiancé, d'aller de l'avant. De plus être ce petit con arrogant qui ne prenait même pas la peine de connaître le nom de ses conquêtes. J'étais pas franchement un exemple à suivre ! » s'exclama t-il dans un rire. Ah ça non, il n'était pas quelqu'un de très recommandable. Il ne l'était pas, jusqu'à ce qu'il rencontre Casey. « Parle-moi un peu de toi. Quelles nouvelles depuis le temps ? »

J’essaye vraiment de museler la petite fille jalouse et envieuse qui semble se réveiller à l’intérieur de moi. Je n’éprouve pourtant aucun sentiment à l’égard de Tyler et ce que nous avions vécu était loin derrière nous – mais j’enviais son bonheur. J’enviais cette étincelle au fond de ses yeux. J’enviais ce sourire heureux qui courbait ses lèvres. Pourquoi est-ce qu’il avait le droit d’être heureux et pas moi ? Pourquoi est-ce qu’il avait le droit d’avoir quelqu’un dans sa vie et pas moi ? Pourquoi est-ce qu’il avait le droit d’avancer et pas moi ? Je ne comprenais pas. Je garde cependant un sourire affiché sur ma bouche alors qu’il me parle de ses fiançailles avec cette Casey. Je suis heureuse pour lui, sincèrement, mais j’ai l’impression qu’une petite fée à l’intérieur de moi tente de noircir mon âme du sentiment de l’envie. J’ai toujours eu ce côté un peu égoïste mais je tente de le faire taire pour ne pas gâcher le bonheur du blond. « Elle a l’air géniale, oui, vu comment tu en parles. Elle semble te rendre heureux, commenté-je doucement, la tête penchée sur le côté. Elle doit même être très spéciale pour que tu aies autant mûri. C’est chouette. » À l’intérieur de ma poitrine, mon cœur soupire de désespoir. J’en avais assez de voir les gens évoluer alors que je semble rester coincée au moment endroit, au même moment. Comment est-ce qu’ils faisaient, tous ? Comment est-ce qu’ils faisaient, tous, pour être si heureux ?

Je sens mon sourire s’évanouir cependant lorsque Tyler me retourne la question et je me tends malgré moi sur ma chaise. Je reste silencieuse, le regard baissé tandis que je malmène ma lèvre inférieure entre mes dents. « Oh tu sais, moi… La routine habituelle, quoi… » Qu’est-ce que je suis censée lui répondre ? Il n’y a vraiment rien d’intéressant à dire. Je n’ai rien d’intéressant à dire sur ma vie telle qu’elle est. « Mon quotidien n’est pas aussi excitant que le tien, je ris doucement, un peu gênée et embarrassée. J’ai réussi à tenir plus de trois mois dans le même travail, alors je suppose que c’est une petite victoire. Faut dire que je vais à des réunions pour parler de mes addictions, je vais bientôt recevoir mon jeton des cinq mois. » Mes doigts jouent avec le coin d’une serviette en papier, en déchire le tissu un peu nerveusement. Tout le monde aux réunions me répétait que je devais être fière d’avoir déjà tenu tous ces mois sans toucher à la drogue. Tout le monde aux réunions est heureux pour moi des efforts que j’ai faits jusque-là. Mais je ne parviens pas à me réjouir. Je ne parviens pas à être heureuse ou fière de moi. Au contraire, j’ai l’impression que le monde est devenu trop gris, trop terne pour moi. « Enfin bon, rien d’extraordinaire… » Comme si tout n’avait plus qu’un goût de papier mâché depuis que j’avais retrouvé mes sens. Depuis que mes veines n’étaient plus bleutées de drogue ou de substances chimiques m’obscurcissant les neurones.

J'ai l'impression de me vanter à chaque fois que je parle de Casey, de mon boulot, de plus ou moins tout à vrai dire. En même temps, j'ai tout. Le job de mes rêves, des amis fantastiques, une histoire d'amour passionnelle avec une femme qui est à présent ma fiancée. Ouais, tout va pour le mieux. Bon... bien sûr il y a toujours ma mère, dont l'état se dégrade et est plus qu'inquiétant. Mais d'un autre côté, ça a toujours été comme ça, alors on ne peux pas dire que ça change vraiment. Bref, je préfère vite détourner la conversation. Bizarrement je me sens gêné de parler de tout ça, parce que c'est comme si j'y croyais pas vraiment. Faut dire que je suis habitué à n'avoir que des merdes qui me tombent sur le coin de la gueule en permanence, alors pour une fois que c'est pas le cas, je crois que ça me fait un peu flipper dans un sens. C'est comme si j'avais peut qu'en en parlant, on se rende compte qu'il y a une erreur et que d'un coup tout se mette à basculer, et j'ai pas franchement envie de perdre ce que j'ai. Alors je change de sujet et me concentre sur Lilith et l'écoute me parler des nouvelles. « Rien d'extraordinaire ? Tu déconnes ??! » je m'exclame alors. « Mais arrête c'est énorme ! Cinq mois, c'est ouf ! Et même que t'ai réussi à garder un boulot et tout, c'est super ! » je renchéris, toujours avec le même ton. On ne se doute pas de la difficulté que c'est de lutter contre ses addictions. Les gens ont tendance à juger à se dire qu'on est faible si on rechute, qu'on est lâche, un loser, une sous-merde, j'ai tout entendu. On se doute pas à quel point c'est dur de lutter contre une addiction, c'est comme lutter pour ne pas laisser entrer d'air dans ses poumons. Bon à l'exception que l'air est vraiment vital pour rester en vie, alors que les drogues c'est seulement une impression. Mais l'idée est là. « Je suis super fier de toi, c'est génial ! Tu devrais l'être aussi ! » je réplique finalement. Est-ce que j'étais au courant qu'elle avait des problèmes d'addiction ? Franchement je sais même plus. Faut dire que bon, en tant qu'ambulancier j'en ai vu pas mal des overdoses, et puis bon... quand on voit l'endroit où j'ai grandi et les gens avec qui je trainais... bref, l'addiction à toujours fait partie de ma vie. Et puis moi c'est à l'adrénaline que je me droguais. La mauvaise adrénaline. Celle qu'on a en roulant à plus de 200km/h dans des voitures de sport, à faire des courses illégales de nuit. Quand Casey m'a quitté j'ai replongé dans mes "comportements à risques", j'ai eu un sacré accident qui m'a valu un petit coma et un an de rééducation. Chacun ses travers. En tout cas je suis content pour Lilith, content qu'elle arrive à... passer au dessus de ça ? Ouais, l'expression est cheloue, mais bon. « On dirait que c'est rien mais même une journée c'est incroyable. T'en est à 5 mois ! Ça fait quoi, dans les 150 jours ? Ouais j'suis une merde en maths mais on va dire que c'est ça. Bah écoute, félicitations ! Et puis si t'as besoin, tu peux compter sur moi. Après tout ce serait con qu'on arrête de se voir alors qu'on vient tout juste de se retrouver, pas vrai ? » je lâche alors. Tout en sachant que je crois bien qu'avec Casey on va aller se trouver un coin tranquille en périphérie de la ville pour essayer de vivre en dehors de toute cette effervescence. Au moins un petit moment.