Jettes toi à l'eau (Taley#2)

Il y a autant de méthode de coaching que de gens à coacher. En tout cas c’est mon avis et c’est comme ça que je travaille. Mes clients sont tous différents bien que leurs attentes, elles, peuvent parfois se rejoindre. Le chemin n’est jamais le même, c’est aussi cette richesse que j’adore dans mon boulot. Si j’ai besoin de certaines choses fixes et bien établies dans ma vie pour me rassurer, je m’épanouie dans la constante adaptation dans mes méthodes de travail. Qui serais-je pour aider les gens si je n’étais pas moi-même capable de le faire ? J’ai déjà une petite part d’imposture dans mon rôle, le truc du “cordonnier le plus mal chaussé“ qui me colle à la peau et dont étrangement je m’échappe en me donnant à fond pour aider les gens qui font appellent à moi. J’en ai eu des cas divers, mais celui de Tara est assez inédit ainsi ma méthode va devoir s’adapter à elle et j’ai déjà eu mes premières idées d’atelier de travail en allant chez elle pour signer le contrat d’engagement. Elle a une sacrée baraque, pas du tout adapté à son handicap et pour cause ça lui ai tombé dessus du jour au lendemain. C’est rarement le truc qu’on prévoit, se faire faucher par une bagnole et finir dans une chaise roulante… et pourtant c’est un risque qui existe, comme celui que tout s’arrête tout aussi brutalement. Tara peut au moins se féliciter d’être en vie, c’est ça qu’il va falloir l’aider à admettre, au moins dans un premier temps. Sa mobilité réduite, elle le vit un peu comme d’être en prison, c’est classique et légitime… elle était danseuse, maintenant c’est un pouss-pouss sans chauffeur. Le but de notre première séance sera donc de lui faire ressentir ce petit sentiment de liberté perdu, histoire de lui mettre un peu de baume au cœur. Tout au moins essayer.
J’arrive pile à l’heure convenue, c’est son aide ménagère qui m’ouvre, nous nous sommes déjà croisées la fois précédente. Elle m’indique que Tara est dans le salon, je m’engage dans cette direction et trouve ma cliente assise là. Oui, bon ça c’est pas une surprise et elle ne se lève pas non plus pour me saluer, CQFD. Je lui tends la main « Bonjour Madame O’Donell, prête pour cette première séance ? » je lui souris et enchaine avec enthousiasme, je l’espère communicatif parce qu’elle a l’air d’être contente de me voir comme de se brûler « Avant de vous présenter le programme je propose que vous m’appeliez par mon prénom et que je fasse de même. Ça vous convient ? » Je pense qu’elle appréhende un peu, c’est normal elle ne sait pas à quoi s’attendre. « J’ai pu voir lors de ma dernière visite que vous êtes la chanceuse propriétaire d’une magnifique piscine couverte. Ce serait dommage de ne pas en profiter, je vous invite donc a aller enfiler un maillot de bain. » ok, là elle tire une tête encore un peu plus dubitative, c’est vrai que j’y vais un peu fort pour une première mais faut créer un électrochoc, elle en a besoin. Non je vous arrête, j’ai pas l’intention de jeter un sèche cheveux dans la piscine quand elle y sera, je ne suis pas une criminelle ! « Faites moi confiance ! On va quand même pas rester toutes les deux assises là à discuter, non ? Je suis pas psy. » je lui souris « Allez hop. » je frappe trois fois dans mes mains pour l’encourager « Je vais chercher deux trois trucs dans ma voiture » je tourne les talons et file chercher la planche et les deux frites en mousse que j’ai ramené pour l’occasion. Qu’est-ce que je ferais pas pour un client, hein ?

C’est aujourd’hui que ça commence. J’ai peur. Je ne le montre pas, comme le plus souvent, mais je ne sais pas à quoi m’attendre. Melle Simons a l’air d’avoir des pratiques pour le moins particulières en ce qui concerne sa manière de travailler, et j’ai parfois des envies de tout arrêter alors que je n’ai même pas commencé. Mais j’ai toujours été une battante et je ne vais pas m’arrêter la. Je prend sur moi, fais un effort pour m’habiller, même si je ne sais pas trop comment vu que je ne sais pas ce qu’elle me réserve. Je me hisse de plus en plus facilement de mon lit à mon fauteuil, même si je mets une bonne vingtaine de minutes à enfiler mes vêtements. Je porte plus facilement des jupes, plus faciles à enfiler, même si j’ai bien conscience que je ne pourrai pas toujours en porter, mes jambes finiront par perdre leurs muscles à force de ne pas les utiliser, et elles ne me plairont bientôt plus. Enfin, dire qu’elles me plaisent est déjà beaucoup quand on y pense. J’entends déjà la sonnerie de la maison et mon coeur s’emballe. Pas de plaisir, loin de là. Je prends une grande inspiration et me dirige dans le couloir qui mène à la pièce principale. Heureusement, pas de marches sur l’étage inférieur, il n’y a que l’étage supérieur que je ne visiterai sans doute plus jamais. Mais je n’ai aucune envie de changer de maison. Peut-être que je trouverai quelqu’un pour vivre avec moi, pas pour une question financière mais pour éviter de mourir seule. Peut-être.

Je rejoins donc la pièce à vivre, Paola a déjà ouvert la porte et Melle Simons est déjà dans le salon. Elle me salue, me tendant la main de laquelle je me saisis sans tarder. « Prête pour cette première séance ? » « Est-on seulement un jour réellement prêt pour ce genre de chose ? »[/color] Je lui offre un léger sourire, un brin dépressif, mais pour le moins sincère. « Avant de vous présenter le programme je propose que vous m’appeliez par mon prénom et que je fasse de même. Ça vous convient ? » Je hoche doucement la tête. « D’accord. » C’est un premier pas vers elle, et elle vers moi. Son prénom est plutôt singulier, mais je trouve qu’il lui va plutôt bien. « J’ai pu voir lors de ma dernière visite que vous êtes la chanceuse propriétaire d’une magnifique piscine couverte. Ce serait dommage de ne pas en profiter, je vous invite donc a aller enfiler un maillot de bain. » J’ouvre grand les yeux, choquée de ce que j’entends, et lâche un « Pardon ? » entre mes lèvres entre ouvertes par la surprise. « Faites moi confiance ! On va quand même pas rester toutes les deux assises là à discuter, non ? Je suis pas psy. Allez hop. Je vais chercher deux trois trucs dans ma voiture » Je reste immobile sur mon fauteuil alors qu’elle est déjà partie vers sa voiture. Paola sourit et je fronce les sourcils. « Y’a rien de drôle Paola ! Dites-lui que je risque d’en avoir pour un moment ! » Tant pis pour elle, elle attendra. Et ça ne compte pas dans l’heure de coaching, je ne la paye pas à se foutre de ma gueule. Je file dans ma chambre le coeur battant la chamade à cause de l’angoisse mêlée à une forme d’énervement. Je sors du fond de mon tiroir mon maillot de bain deux pièces, je retrouve pas le une pièce, fait chier. J’ai pas encore appris à aimer mon corps comme il est désormais, légèrement moins athlétique mais avec surtout quelques belles cicatrices un peu partout. Tant pis, je suis pas là pour être belle. Je me déshabille et enfile le maillot, c’est moins dur que d’enfiler un jean, je pensais que ce serait plus long. Heureusement que j’ai payé une épilation définitive il y a quelques années et que je n’ai pas à me soucier de ce détail. Je reviens dans le salon, Bailey m’y attend, j’ai pris le temps de récupérer une serviette. « Ils sont nombreux les coachs de vie à prétexter être avant-gardistes juste pour profiter de la piscine chauffée de leurs clients ? » Un premier pic sarcastique qui lui montre un côté de mon humour parfois particulier. Je stresse. Voilà tout.

Wouhou ! Ça sent le bon gros enthousiasme de la part de ma cliente. Je ne m’en formalise pas, j’ai bien senti depuis le début que l’affaire ne va pas être simple. Et c’est peut-être en partie pour ça que j’ai décidé de commencer fort, pour la secouer, la tester et voir si elle est déterminée malgré son manque d’entrain. Sans plus de cérémonie je l’invite à aller enfiler un maillot de bain, me confrontant directement à sa surprise et à un brin de réprobation, je le sens dans son regard. Pas question de lui laisser le temps de discuter, de toute façon quoi que je vais proposer elle trouvera une excuse pour y aller à reculons, alors autant prendre le taureau par les cornes, ou dans son cas la raleuse par les roulettes. Je m’éclipse sous le regard amusé de Paola et je l’entends vaguement se faire réprimander. De retour dans la maison cette dernière m’indique que Tara va sans doute mettre un peu de temps à s’habiller. Ça ne me pose pas de problème, j’ai prévu large pour ce rendez-vous et je profite de ce temps pour me changer moi aussi dans une pièce indiquée par sa femme de ménage. J’attends sagement que la blonde revienne et l’attente n’est même pas si longue. « Vous voyez ça ne vous a pas pris tant de temps que ça. » fais-je remarqué avec le sourire. Pour toute réponse ma cliente me gratifie d’une question pleine de sarcasme. Mais c’est qu’elle a du répondant, j’aime ça. « Je suis si transparente ou alors vous avez un don ? Je suis démasquée… » lâché-je avec légèreté. Nous rejoignons la piscine, moi la planche et les frites en mousse sous le bras et elle aux commandes de son bolide. « Faites pas cette tête, je vais vous mettre à l’eau, je ne vous emmène pas à l’abattoir. » je hausse les épaules « Et puis j’aurais aussi pu vous emmener à dans une piscine publique, alors voyez le bon côté des choses. » c’est sans doute sa plus grande difficulté du moment, et je peux aisément le comprendre étant donné les circonstances. « Vous n’en profitez jamais ? » elle m’adresse un regard interrogateur « La piscine. » elle pourrait avec un peu d’aide. Je l’aide à quitter son fauteuil et s’asseoir sur le bord du bassin, les pieds dans l’eau, l’avantage c’est que si elle est froide elle ne le sent pas. Oh ça va, je sais que c’est douteux. Mais la température est idéale, je m’en rends compte en m’installant juste à côté d’elle « Vous êtes sur la défensive Tara, je le sens. Je ne vais pas vous pousser à l’eau, c’est vous qui déciderez quand vous serez prête. » je ne peux pas être constamment dans la provocation ou presque, mon rôle c’est d’être nuancée et lui offrir le juste équilibre pour la guider dans sa progression. C’est pas gagné mais j’aime les défis.

« Vous voyez ça ne vous a pas pris tant de temps que ça. » Elle se fout de moi en plus ? Je rêve. Si elle veut jouer, on va jouer. Elle va voir tous les côtés de la Tara qu’elle ne connaît pas encore. Elle a l’air de tout prendre à la légère, j’ignore si c’est une bonne chose pour un coach de vie. D’ailleurs, il n’y a pas de diplôme pour exercer ce métier, n’importe qui pourrait s’auto-proclamer coach de vie… Je me demande encore pourquoi j’ai accepté cette idée. « Faites pas cette tête, je vais vous mettre à l’eau, je ne vous emmène pas à l’abattoir. Et puis j’aurais aussi pu vous emmener à dans une piscine publique, alors voyez le bon côté des choses. » Je soupire et lève les yeux au ciel. « Encore heureux oui ! » Faut pas pousser mémé dans les orties. Un pas après l’autre. Quelle ironie quand même cette expression… « Vous n’en profitez jamais ? » me demande-t-elle alors que je plisse un peu les yeux, ne comprenant pas réellement la question. Ah. La piscine. Je hausse les épaules avant de secouer la tête. « Avant oui… » C’est sur ça qu’on va devoir beaucoup travailler. L’avant/après. J’ai l’impression que tout a changé, tout a été bouleversé. Alors qu’au fond, je me doute bien qu’il y a encore des choses que je pourrai faire. Pour nager, deux membres suffisent non ? J’ai peur de ne pas y arriver, moi qui ai longtemps été un exemple à suivre pour les jeunes danseuses, un exemple de combativité et de force. Tu parles.

Bailey m’aide à me hisser de mon fauteuil pour m’asseoir sur le rebord de la piscine. Mes pieds et mes mollets dans l’eau, je me baisse un peu pour plonger ma main à l’intérieur et ainsi ressentir la température de l’eau. Comme je l’imaginais, elle est bonne et ça ne sera pas trop compliqué d’y rentrer. Pour une question de température en tout cas, pour le reste c’est une autre histoire. La jeune femme s’installe près de moi et je la laisse faire, silencieuse. « Vous êtes sur la défensive Tara, je le sens. Je ne vais pas vous pousser à l’eau, c’est vous qui déciderez quand vous serez prête. » Je soupire légèrement. Elle a raison, je suis sur la défensive, c’est plus fort que moi. « J’ai… j’ai toujours eu du mal à faire confiance, il me faut du temps, c’est pas contre vous, je suis désolée. » Il va falloir que je fasse un effort si je veux que ça fonctionne. « C’est quoi l’exercice exactement ? Seulement me pousser dans mes retranchements ? Je dois apprendre quoi exactement ? » Je suis dans le contrôle, ce n’est pas nouveau, et ce n’est pas elle qui changera ça. Pour autant, je suis dans le désir que ma condition change. Pas celle d’handicapée parce que ça, ce n’est pas prêt de changer, mais plutôt ce que j’en ressens, ce qui me bloque dans ma vie de tous les jours. Je dois sans doute apprendre à ne pas me voir uniquement comme une handicapée. Je me baisse un peu à nouveau et récupère de l’eau que je glisse jusque dans ma nuque, pour préparer mon corps. « Vous avez un brevet de secouriste au moins ? » Quoi ? Je me renseigne !

Ce contrat ça va pas être de la tarte ! Je le sais, je le sens et j’ai appris à me fier à mon instinct même si je suis la reine pour douter de moi. En fait y’a bien que dans le boulot où j’arrive à me faire confiance, tout en prenant garde à ne pas tout prendre pour acquis et savoir me remettre en question. Sur le plan personnel je fais l’inverse, je doute de tout et fini par faire des conneries. Les cordonniers les plus mal chaussés, bla bla bla on connaît la rengaine. Chaque nouveau client est un nouveau défi, c’est se lancer un peu dans l’inconnu tout en aidant l’autre à trouver des repères. Tara est clairement sur la défensive, il reste une part de moi pas franchement convaincue sur son envie de travailler sur elle, mais puisqu’elle affirme que c’est le cas je fais comme si. Je ne le montre pas vraiment car à cet instant ce n’est pas de cela dont elle a besoin mais je compatis à sa situation… avoir une vie pleine et dynamique puis tout perdre dans un accident. Je comprends que la pente soit difficile à remonter, surtout à la seule force de ses bras. Ils auraient peut-être pu lui donner un fauteuil à moteur, non ? Elle est face à cette montée, la pense insurmontable et mon rôle c’est de lui donner envie de se lancer puis être cette corde à laquelle s’accrocher dans les coups durs et qui la guidera jusqu’au sommet. Mais pour l’instant je dois bosser sur le déclic, j’y vais totalement à l’impro en me servant de ce qu’il y a à ma disposition, en l’occurrence une piscine chauffée privée. Assise au bord de l’eau l’ambiance change légèrement, une atmosphère plus confidentielle se créée et c’est le moment pour moi de me montrer moins désinvolte. Je mêle remarque concrète et sous-entendus, Tara soupire et c’est plutôt bon signe, la pression se relâche. « Vous avez raison, la confiance ça se construit et ça se mérite. » dis-je en lui adressant un regard compréhensif, sûrement le premier de ma part qui soit de cette nature là. J’ai bien compris que l’absence de contrôle n’est pas franchement quelque chose que la blonde apprécie, pas plus que la patience d’ailleurs. Elle m’interroge sur l’exercice et son but, ce qu’elle doit apprendre « A vous détendre. » lâché-je avec un léger sourire « Pour commencer. Et pour la suite, laissez vous guider par ce que ça vous inspirera. » la solution est en elle, je suis juste là pour la faire émerger mais elle est l’actrice principale de sa vie et ni moi ni un fauteuil roulant changeront quelque chose à cela. Je ris légèrement en la voyant se mouiller la nuque mais avant que je n’ai pu lui poser une question elle me devance. J’arque un sourcil « Evidemment que j’ai un brevet de secouriste. » il date un peu, mais ça elle n’est pas obligée de le savoir. Je sais ce que je fais et mettre sa vie en danger n’est pas au programme. « Racontez moi, vous aviez des rituels en tant que danseuse ? Avant un entrainement ? Une représentation ? » je la sens intriguée, il va vraiment falloir que je justifie toutes mes questions ? « Vous vous êtes mouillées la nuque. » ça peut traduire un certain attachement à la routine.

« Vous avez raison, la confiance ça se construit et ça se mérite. » Je suis rassurée qu’elle me comprenne sur ce point. En même temps, vu son boulot, elle se doit d’être compréhensive et bienveillante, je pense que c’est la clé de la réussite. En dehors du fait d’avoir une vrai envie d’aider son prochain, et d’avoir les idées pour s’adapter à chaque nouveau cas. C’est d’ailleurs pour ça que je m’interroge sur l’exercice en question. Comme toujours, j’ai besoin de contrôler, c’est plus fort que moi. Elle me répond tout simplement que le but de cet exercice est simplement de me détendre. Et bah c’est pas encore gagné, je suis tendue comme un string trois tailles en dessous. « Pour commencer. Et pour la suite, laissez vous guider par ce que ça vous inspirera. » Gros dossier que voilà. Je hoche la tête, pensive, les yeux un peu dans le vague. M’inspirer. Lâcher prise. C’est tellement difficile, il n’y avait que par la danse que j’y arrivais, même si au fond je gardais toujours un point de contrôle. Heureusement, avec l’ouverture de mon école, j’ai réussi à perdre mes mauvaises habitudes, apprendre à mes élèves que la technique ne fait pas tout. Je fais les choses à l’envers dans mon avancée face à ce handicap, de toute évidence. Elle me rassure en me disant qu’elle a son brevet de secouriste, nous voilà sauvées. « Racontez moi, vous aviez des rituels en tant que danseuse ? Avant un entrainement ? Une représentation ? » Je tourne cette fois la tête dans sa direction, cherchant à comprendre - comme toujours - le but de la question, ou ce qui a pu la déclencher. « Vous vous êtes mouillé la nuque. » « Ce n’est pas ce qu’on fait pour habituer son corps à la température de l’eau ? » Je tente un sourire, et même un trait d’humour : faisant un signe de menton en direction de mes jambes plongées dans l’eau, je poursuis. « Le mécanisme de chauffe aurait très bien pu être désactivé, la piscine à 10 degrés, j’aurai rien senti ! » C’est un inconvénient de mon handicap évidemment, mais autant en rire n’est-ce pas ? Enfin.. rire c’est pas pour tout de suite. Mais en parler c’est déjà un premier avancement non ? Je prends appui de mes mains sur le rebord, force sur mes avant-bras et me retourne pour être face au bord de la piscine, avant de me laisser glisser doucement jusqu’à sentir la température de l’eau au niveau de mon bassin, et ce jusqu’au niveau de ma poitrine. « Ok. Première phase validée. Et maintenant ? » Je suis pas à l’aise pour autant, je sais même pas si j’ai pied, et même si c’était le cas, ça me servirait pas à grand chose…

Y’a un petit truc qui se passe au bord de cette piscine, ma cliente a l’air de se détendre un peu. C’est pas du luxe ! Je déborde d’inventivité et j’ai de la ressource mais faut qu’elle y mette un peu du sien sinon les séances vont être très longues pour nous deux. Mais du coup j’ai ciblé ça comme un premier point à travailler, le lâcher prise. Parce que cette nana m’a tout l’air d’être du genre control freak. La danse classique est une discipline rigoureuse, mais comme toute pratique artistique elle demande également de livrer un peu de soi pour faire passer une émotion. Désormais clouée dans un fauteuil roulant Tara se referme sur elle en s’accrochant à ce qui lui reste de contrôle sur sa vie. Tout cela fait sens avec son histoire, ce qu’il lui est arrivé et mon boulot ça va être de l’amener à voir les choses différemment afin de pouvoir avancer. Je dois faire le lien entre son ancienne vie et son présent, je prends ce qu’elle me donne, la moindre petite chose et en l’occurrence ce geste anodin de se mouiller la nuque. La blonde ne comprend pas tout de suite où je veux en venir et elle veut la réponse, preuve supplémentaire de son désir de contrôle. C’est un repère intéressant pour moi je vais pouvoir juger de mon avancée. Sa réponse me fait sourire, je hoche la tête et l’écoute me faire une petite argumentation sur la raison de ce geste. « Vous pensez vraiment que moi j’aurais mis les jambes dans une eau à dix degrés ? » dis-je en les agitant un peu « Je ne mets pas un orteil en dessous de vingt sept degrés. Vous pouvez me faire confiance là dessus. » je note qu’elle a réussi à plaisanter un peu sur sa situation, c’est un petit progrès.
Sans que je n’ai à l’inviter à le faire Tara entre d’elle même dans la piscine, se tenant solidement au bord. C’est qu’elle deviendrait presque impatiente une fois lancée « Et maintenant vous attendez que je me foute à l’eau aussi. » dis-je en joignant le geste à la parole puis attrapant le matériel que j’ai prévu pour réaliser cet exercice. Je lui tends une frite en mousse « Vous savez faire la planche n’est-ce pas ? Mettez ça derrière votre tête, je m’occupe du reste. » je l’aide s’allonger sur l’eau, ses pieds reposant sur la planche afin qu’elle puisse flotter facilement, un second appuis dans le bas de son dos et le troisième derrière sa nuque.« Vous pouvez fermer les yeux ou non. » elle fait son choix et je poursuis « Vous vous sentez comment ? » demandé-je restant juste à côté d’elle pour pouvoir agir si besoin « Vous pourriez me donner trois adjectifs pour résumer vos sensations à cet instant ? Prenez votre temps… » nous entrons dans le vif du sujet.

« Vous pensez vraiment que moi j’aurais mis les jambes dans une eau à dix degrés ? Je ne mets pas un orteil en dessous de vingt sept degrés. Vous pouvez me faire confiance là dessus. » Je lui offre un sourire. Je vois bien qu’elle fait un effort pour me détendre, en même temps, c’est son boulot, ou du moins ça en fait partie. Je n’attends pas son top départ et prends l’initiative de fondre dans l’eau, c’est vrai qu’elle est bonne, mon ventre ne s’est pas trop contracté en entrant, la différence de température avec l’air n’est pas flagrant. « Et maintenant vous attendez que je me foute à l’eau aussi. » Je la regarde en arquant un sourcil. « Vous ne croyez pas que je vais rester là toute seule ! » Si je suis là c’est a cause d’elle, alors il va falloir y aller aussi. Elle me donne le matériel qu’elle a ramené pour moi, j’ai l’impression de revenir à l’école primaire quand on apprenait à nager. Elle me demande si je sais faire la planche. J’ai envie de dire oui, mais je me rappelle bien vite que ça, c’était avant mon accident, et là, je vois pas bien comment remonter mes jambes à la surface de l’eau sans un peu d’aide de mes muscles - qui n’ont pas de liaison avec mon cerveau. Elle me tend alors une frite en mousse que je dois mettre derrière ma tête, et elle m’aide pour le reste. Le coeur battant, je m’en remets à elle mais je ne suis pas vraiment à l’aise, ni même rassurée. « Vous pouvez fermer les yeux ou non. » demande-t-elle alors que je réponds du tac au tac « Vous pouvez restez en apnée sous l’eau pendant 10 minutes ? » C’est faisable, mais pas commun. Et là, je me sens comme en apnée, preuve en est, je pense qu’on pourrait me marcher dessus sans que mon corps plie, tellement tendue, comme sous hypnose tiens. Voilà qu’elle me demande comment je me sens. Ça se voit pas ? « Tendue. » Elle s’approche pour me montrer qu’elle ne va pas me laisser couler, encore heureux. « Vous pourriez me donner trois adjectifs pour résumer vos sensations à cet instant ? Prenez votre temps… » Je souffle un peu pour chercher à me décontracter, un peu. C’est vraiment pas facile. « Ridicule, c’est le premier qui me vient! » et je lâche un rire nerveux. Parce que là étendue à la surface de l’eau, sur des frites en mousse couleur fluo, je suis pas au max de mon sex apeal voyez-vous… « Je me sens… vulnérable aussi. » C’est une certitude, et c’est pas réellement comme ça que je me sens le mieux. « Et je trouve pas d’adjectif pour dire à quel point j’ai envie de vous noyer, présentement… » J’essaie de prendre les choses à la rigolade, un peu, un peu plus que comment je me sens. « Je suis censée apprendre quelque chose là ? Ou comprendre quelque chose ? Non parce que je cherche, je puise, mais à part la peur de boire la tasse je trouve pas grand chose… »

Je fais peut-être fausse route avec cet exercice, c’est un risque que je prends, de toute façon quoi qu’il en soit j’en retirerai forcément quelque chose. Rien n’est jamais totalement vain en coaching, les gens laissent toujours filtrer des informations, même dans les pires fiasco. Je me jette à l’eau, façon de parler mais c’est presque littéral dans le cas présent, rejoignant Tara dont l’impatience va être une donné à gérer. Elle ne fait pas vraiment preuve de bonne volonté, mais elle est semble pressée par le temps, comme si j’étais là pour lui en faire perdre. Je crois pas qu’elle ai de train à prendre pourtant. Je compte un peu sur l’effet de l’eau pour l’éloigner de cette tension qui émane d’elle, c’est pas gagné mais faut tenter le coup. Je l’aide à faire la planche, soutenue par des frites et une planche, je sais pas pourquoi mais rien que ça j’ai l’impression que ça lui déplait. Je l’invite à fermer les yeux si elle le souhaite, certaines personnes n’arrivent pas à se détendre autrement et se serait une petite marque de confiance. C’est raté si j’en crois sa rhétorique « Jamais essayé, mais je suis balance, pas poisson. » répondis-je tout naturellement avant de lui demander comme elle se sent. Tendue. Non sans blague ? Mais encore ? Je me rapproche un peu plus, elle a peut-être juste besoin d’être rassurée. Je tente de m’y prendre autrement, lui demandant trois adjectifs qui reflètent ses sensations de l’instant… je ne suis pas déçue. Ridicule, vulnérable et elle a envie de me noyer, je ris parce qu’elle a dit ça avec beaucoup de spontanéité c’est déjà un début. Mais Madame control freak ne me laisse pas le loisir d’un placer une qu’elle enchaine. Je sens qu’en sortant de là je vais être fatiguée, vraiment. « Soufflez pour voir ? » la blonde me regarde comme si j’avais dit une ineptie « Va quand même falloir y mettre du votre… pour apprendre ou comprendre quelque chose. » et puis faudrait pas que ça finisse en bavure cette histoire, je suis plus à même de la noyer que le contraire. Mais je le ferais pas, je ne veux pas que Jay doive me rendre visite en prison. « Vous êtes tendue et vulnérable parce que vous craignez de comprendre quelque chose justement. » je lui demande de nouveau de souffler « Essayer de vous concentrer sur le contact de l’eau. Votre corps, plus léger. » j’échappe un rire « Même sur votre envie de me noyer si vous voulez, mais oubliez la vulnérabilité, vous l’êtes pas Tara y’a personne qui vous veut du mal. Soyez ici et maintenant, c’est juste vous et moi. » et si la confiance ne s’installe pas, je crois que mon travail sera vain quoi que j’essaye.

Elle me demande de souffler. Vraiment ? Elle croit qu’expirer mon souffle m’aidera à me sentir moins vulnérable ? J’en doute très sincèrement. Mais mon regard semble en dire long puisqu’elle ne perd pas de temps pour ajouter : « Va quand même falloir y mettre du votre… pour apprendre ou comprendre quelque chose. » Ce n’est pas un souffle mais un soupir qui s’échappe d’entre mes lèvres, et je détourne le regard pour ne plus la regarder, mais je regarde un point fixe un peu plus loin, un peu plus haut. « Vous êtes tendue et vulnérable parce que vous craignez de comprendre quelque chose justement. » Je me doute qu’elle n’a pas tort sur ce point, d’autant que c’est son métier. Mais on ne repousse pas quarante années de vie méthodique et carrée, en soufflant alors allongée à la surface de l’eau. « Essayer de vous concentrer sur le contact de l’eau. Votre corps, plus léger. Même sur votre envie de me noyer si vous voulez, mais oubliez la vulnérabilité, vous l’êtes pas Tara y’a personne qui vous veut du mal. Soyez ici et maintenant, c’est juste vous et moi. » Son rire semble me détendre un peu, je souris légèrement. Le reste de son discours pourrait être celui d’un chaman dans une secte. Ici et maintenant, blablabla. Peut-être, en attendant, c’est pas elle qui est à ma place. Ok. On essaie. Je ferme un peu les yeux, me concentre sur ma respiration. Bailey est tout près, je sens sa présence qui étonnamment me rassure un peu, je me dis que si je coule, elle sera là pour me faire remonter à la surface. Mon corps devient légèrement moins tendu, et je me sens flotter un peu plus que tout à l’heure, comme si le reste de mon corps prenait exemple sur ces jambes inertes que je ne sens plus depuis un certain temps. « J’ai des fournis dans les doigts. » Information inutile, mais qui semble l’amuser un peu. « J’en ai peut-être aussi dans les pieds, faudrait leur demander ! » Visiblement, cet exercice a réussi à me détendre un peu puisque je fais preuve d’un peu d’humour. « Bon ça m’aide quand même pas à savoir ce que je dois comprendre. Enfin si, lâcher prise j’imagine. Mais c’est pas facile. Vous savez faire vous ? » Ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mal chaussés ?

Cette retenue, la réticence à jouer le jeu et tenter de se laisser porter par les exercices, c’est ce que je craignais en acceptant de bosser avec cette femme. Je l’ai sentie tout de suite durant notre premier entretien. Oui elle a envie d’avancer, mais je ne suis pas totalement sûre qu’elle soit prête à se laisser aider pour le faire. Alors ok c’est vrai je propose un truc vraiment atypique, ça passe ou ça casse, je suis humaine je peux me planter et quelque chose me dit qu’avec elle je vais forcément en passer par là. J’avais perçu cette piscine comme une véritable aubaine pour que Tara lâche un peu prise, qu’elle ne se sente plus prisonnière de ce corps qui ne répond plus totalement à ses sollicitations. Mais c’était sans compter sur l’esprit de “control freak“ de la prof de danse. Mon métier m’a appris la patience et j’en fais preuve avec elle, je me permets néanmoins de replacer le pourquoi de ma venue afin de l’inviter à y mettre un peu plus de volonté. Tant qu’elle se braque en m’interrogeant sans cesse sur l’utilité de l’exercice elle n’arrivera justement jamais à le comprendre. Je parviens à la convaincre d’au moins essayer, elle joue un peu plus le jeu, fermant les yeux et se prêtant à adopter une respiration plus contrôlée, plus ample. Alléluia ! Le manche à balais commence à se détendre, comme quoi tout arrive. Tara fait même de l’humour qui cette fois n’est pas du sarcasme, baby step. Ouais vraiment tout petit ce pas, parce que la blonde revient une fois de plus sur son incompréhension face au but de la manœuvre. Je me retiens de soupirer, surtout ne pas penser à lui foutre la tête sous l’eau parce que là ça en sera fini du peu de confiance acquise. Evidemment que c’est difficile de lâcher prise ? Elle pensait quoi ? Que je suis une sorte de magicienne, que j’allais claquer des doigts ou agiter mon nez et ses problèmes seraient résolus ? Bah non ma grande va falloir bosser et arrêter de tout remettre en question tout le temps. « Est-ce qu’à un seul instant vous m’avez entendus dire que ça serait facile ? » répliqué-je avec calme. Et voilà qu’en plus elle me retourne la question… Bien sûr que je sais lâcher prise ! Je peux le faire. « Tout à fait. » répondis-je avec conviction, de toute façon c’est pas ses oignons que je sache. « Bon vous voulez retourner sur la terre ferme si je comprends bien ? » je peux accepter de m’être trompée et d’avoir fait un flop avec ma tentative de la faire se détendre. « Ne prenez pas ça pour un échec. Les erreurs font parties du chemin et si la flotte c’est pas assez votre truc pour vous faire lâcher prise, je trouverai autre chose. » je ne manque pas de ressources, même face à quelqu’un comme elle qui a tout l’air d’avoir envie de me donner du fil à retordre pour masquer sa propre peur d’avancer. C’est bien beau de vouloir quelque chose, mais le réaliser est une toute autre étape.

Je commence à me détendre. Un peu. Faut pas aller trop loin non plus, petit pas par petit pas, mais au moins je ne campe pas (trop) sur mes positions. Il faut savoir voir l’avancement, aussi petit soit-il. J’arrive même à faire de l’humour, preuve que je suis un peu plus détendue. C’est pas encore tout à fait ça et mon esprit control-freak a tendance à me remettre les pieds sur terre, si tant est que je puisse encore utiliser cette expression. Je réouvre les yeux et lui demande quand même si je suis censée comprendre à quoi sert cet exercice. Et plus encore, je pousse la coach dans ses retranchements. Voyons voir si elle est dure à l’épreuve autant qu’elle veut en faire voir à ses clients. « Est-ce qu’à un seul instant vous m’avez entendus dire que ça serait facile ? » Je fais une petite moue et réponds sans tarder. « Hum non. C’est vrai. » Et en même temps, je ne m’attendais pas à ce que ça le soit, c’est clair. Je sens qu’elle est un peu agacée, ou peut-être plutôt dépitée par mon comportement. Elle a l’air de faire croire que c’est facile pour elle de lâcher prise, j’aimerai bien voir ça tiens. Mais je ne suis pas là pour lui tenir tête ou la mettre au défi. C’est plutôt censé être l’inverse. « Bon vous voulez retourner sur la terre ferme si je comprends bien ? Ne prenez pas ça pour un échec. Les erreurs font parties du chemin et si la flotte c’est pas assez votre truc pour vous faire lâcher prise, je trouverai autre chose. » Je la regarde et esquisse un sourire, peut-être pour la première fois - sincère j’entends. « Je rêve ou vous abandonnez ? » Je ne la lâche pas des yeux. « Qui a dit que la flotte c’était pas mon truc ? Je dis juste que je suis pas rassurée et que j’ai du mal à lâcher prise. Vous en attendant, vous avez l’air de lâcher l’affaire assez facilement, et ça, c’est pas sûr que ça me conforte dans l’idée que travailler avec vous soit une si bonne idée… » A mon visage, elle doit forcément voir que ce n’est que de la provocation, de la taquinerie. Je ne suis pas sincère, je veux juste, moi aussi, jouer un peu et la pousser dans un endroit qu’elle ne connaît sans doute pas. J’espère qu’elle ne croyait pas que ce serait facile avec moi. « Cela dit c’est vrai que me détendre là entourée d’eau en n’étant plus très sûre que je saurai nager, forcément ça aide pas. En revanche, si vous savez faire les massages, on peut trouver un arrangement. » Définitivement je suis plus détendue, moins sur la réserve, et carrément plus dans l’offensive taquine. J’ignore encore si ça lui plaira, mais vu les bribes de son humour, je crois que ça devrait marcher.

C’est aussi ça être coach, se confronter aux incompréhensions des clients et les faire sortir de leur zone de confort pour appréhender de nouvelles choses ou du moins leur donner un nouvel angle de vu, une nouvelle perception. Je ne dis jamais que ça va être facile, qu’importe la raison pour laquelle ils font appellent à moi. Une grande partie de la réussite dépend d’eux, le reste étant en lien avec la situation dans sa globalité. Mais pour Tara la difficulté vient d’une sorte de scepticisme que j’avais flairé à notre premier entretien, sa volonté est-elle complète ? J’ai accepté le challenge, maintenant à moi de trouver la brèche dans laquelle m’infiltrer. Face à son obsession à vouloir comprendre l’exercice, très simple, que je lui propose, j’en déduis un manque d’intérêt face à la situation voire même un inconfort. Je suis prête à changer mon fusil d’épaule si besoin, je ne suis obtus. Et bien souvent j’ai remarqué qu’en renonçant à un exercice, les gens, par esprit de contradiction sans doute, tendent à vouloir continuer. Au final mon “échec “ devient le leur, alors qu’en réalité il s’agit juste d’adaptation. La blonde semble être réceptive à ma proposition de passer à autre chose, la psychologie inversée à déjà de nombreuses fois fait ses preuves. Elle sourit, un peu différemment des fois précédentes et là je me dis que je l’ai peut-être atteinte, au moins un tout petit peu. L’abandon. Voilà une des clés du problème, elle a été contrainte de renoncer à la danse, elle a abandonné sa passion. Il y a à fouiller dans cette direction. Je hausse les épaules à sa question, je ne lui donne ni raison ni tort, la poussant à poursuivre son raisonnement. Elle remet en question mes compétences, me provoque, voulant sans doute me faire réagir de la même manière que moi je cherche à le faire avec elle. Echanger les rôles en quelques sortes. Elle entre dans un jeu, c’est finalement bon signe… peut-être avait-elle seulement besoin que je montre une sorte de faille à mon tour pour, au contraire de ce qu’elle affirme, me faire confiance. « Vous savez ce que l’on dit, l’erreur est humaine et je n’en suis pas à me prendre pour une entité supérieure. » j’esquisse un sourire en coin « Ça viendra peut-être. ». Tara admet son sentiment d’appréhension, face à des capacités qui pourraient lui faire défaut. Elle propose sa propre alternative, j’arque un sourcil « Les massages ? Et avec ça ? Une margarita avec une ombrelle dessus ? ». Je la ramène doucement plus près du bord « C’est un vrai problème pour vous l’échec, l’abandon. N’est-ce pas ? » celui des autres, mais surtout le sien. Quoi ? Elle a quand même pas cru que j’allais la laisser faire ses petits tours de passe-passe sans continuer de bosser, non ?

« Vous savez ce que l’on dit, l’erreur est humaine et je n’en suis pas à me prendre pour une entité supérieure. » Me voilà rassurée. Je crois que d’un côté, j’avais besoin de l’entendre. Parce que je ne supporte pas les gens qui se croient au dessus des autres, et pour le coup, les médecins, les avocats, les psy et toutes ces professions, y compris coach, me donnent toujours l’impression qu’ils se sentent au dessus du reste du monde, et c’est une sensation que je déteste. Avec ce simple aveu, elle vient de me détendre d’un cran. Son sourire me rassure, j’avais un peu peur de passer pour la nana chiante, mais en même temps, c’est ce que je suis. Je ne cherche pas à le nier. « Les massages ? Et avec ça ? Une margarita avec une ombrelle dessus ? » Je ris cette fois plus franchement. J’aime son humour que je découvre cette fois plus enfantin, avec quelque chose de plus sincère que les piques qu’elle lance à la volée depuis le début de notre travail. « Oh une margarita ! Bonne idée ça ! Par contre l’ombrelle c’est surfait. » Je lui souris et la laisse me ramener jusqu’au bord où je prends à nouveau appui de mes bras. « C’est un vrai problème pour vous l’échec, l’abandon. N’est-ce pas ? » demande-t-elle presque l’air de rien. Voilà qu’elle revient à la charge, elle a trouvé une brèche dans laquelle s’immiscer, et c’est plutôt bien amené je dois dire. Alors je ne cherche pas à lutter cette fois, et je réponds avec beaucoup de sincérité tout en la regardant, alternant parfois mon regard entre le sien et un point imaginaire un peu plus loin. « Vous savez, la danse classique, c’est pas le milieu le plus sain qui existe. On a souvent voulu me couper les ailes, on m’a fait croire qu’il fallait que j’abandonne pas que je n’étais pas assez ceci, pas assez cela. Ça m’a poussée à redoubler d’effort pour prouver à tout le monde mais surtout à moi-même que j’étais capable, que je pouvais être celle qu’on attendait pas. Et j’ai réussi. Mais ça ne m’a pas empêchée de continuer à croire que je n’avais pas ma place, peu importe où je me trouvais. » J’ai du mal à croire que je suis en train de me dévoiler à ce point face à elle. Preuve qu’elle est douée, finalement. « Il n’y a que depuis que j’ai ouvert mon école que je me sens à ma place, que j’aime profondément ce que je fais. Enfin… ce que je faisais. » Et voilà que la porte qui s’était entre-ouverte se referme brutalement, dans un soupir à la place du grincement. « Je sais pas comment on apprend à vivre autrement, j’ai l’impression que je dois tout réapprendre. C’est déstabilisant. » Et désagréable aussi.

Spoiler alert ! Je ne suis pas Dieu. Je sais, c’est dur à encaisser. Quoi qu’il en soit si Dieu était une femme le monde tournerait un peu plus rond. Enfin bon moi les trucs comme ça j’y crois pas trop. L’essentiel a retenir là dedans c’est que je ne suis pas infaillible, je fais des erreurs et je sais même les admettre. J’ai appris, parce que d’instinct on est tous pareils, c’est plutôt difficile pour nous d’y faire face. A cet aveu ma cliente semble se détendre un peu plus, preuve qu’elle devait penser que je la prenais de haut. Je n’ai pas cette prétention, on a tous nos parcours de vie et je suis certaine que le sien est passionnant. C’est bien pour ça que la chute n’en est que plus grande, elle a tant vécu, s’est battue pour réussir et elle a le sentiment d’avoir tout perdu. Mon boulot c’est de lui faire comprendre que non, tout n’est pas perdu justement, elle a plus de ressources qu’elle ne le soupçonne, il faut juste se donner les moyens d’y croire. Tara est quelqu’un de complexe, sur la défensive car blessé par un destin brisé brutalement. J’ai travaillé avc des gens handicapés, accidentés ou non, mais son cas, comme chacun est unique. Petit à petit la glace se brise, son humour est un bon baromètre quant aux barrières qu’elle abaisse petit à petit. Elle propose de troquer l’activité piscine pour une séance de massage. Là elle s’est trompée de service ! J’entre dans le jeu, plaisante à mon tour en proposant un petit cocktail pour accompagné le tout. L’air de rien cet exercice sur l’eau a finalement porté ses fruits. Pas exactement comme je l’avais imaginé à la base mais il nous fait avancer et c’est finalement la seule chose qui compte. Une brèche s’est ouverte et tandis que je ramène Tara vers le bord afin de sortir de l’eau, je l’interroge sur son rapport à l’échec et l’abandon. C’est quitte ou double mais je dois tenter le coup.
A son regard je comprends que cette fois elle est prête à se livrer un peu, baisser les armes. Je l’écoute attentivement, décryptant son langage corporel, son regard un peu fuyant parfois. Son récit créé une sorte d’écho qui résonne en moi, je la comprends parfaitement pour avoir vécu à peu près la même chose, bien que dans un contexte différent. Il n’est pas rare que ça arrive et je sais gérer ce genre de similitude entre mon parcours et celui de mes clients. Elle fait preuve d’une entière sincérité, pour la première j’entrevoie qui est Tara O’Donnel. Si sa carrière de danseuse lui a donné sa légitimité dans le milieu, en revanche c’est la création et la gestion de son école, l’enseignement, qui l’ont réellement épanouis. Elle en parle au passé « C’est ce que vous faites. » corrigé-je sans pour autant l’interrompre. Un soupir et elle en revient à sa condition actuelle, les difficultés qu’elle rencontre à se projeter dans une vie où elle parviendrait à s’adapter. « Vous ne devez pas tout réapprendre Tara. Ce que vous savez, vos connaissances, l’œil expert que vous offrez à vos élèves personne ne peut vous le retirer. ». J’étais rester dans l’eau, je me hisse à mon tour hors de la piscine pour m’asseoir à côté d’elle « Vous devez vous adapter. Trouver de nouvelles réponses, un nouveau schéma de fonctionnement. » je lui souris « Et vous allez y arriver, parce que vous êtes une battante. Vous venez de me le dire. Votre histoire en est la preuve. ».