i' don't know what i'm doing here... (jean)

C’est la merde, c’est la grosse merde. Depuis que Kezia a débarqué à Los Angeles, j’ai l’impression que tout se barre en couilles. Wyatt a fait son apparition, j’ai appris qu’ils étaient ensemble, et puis j’ai surpris mon mec en train de flirter avec un de ses coéquipiers, j’ai bu, j’suis rentrée, j’ai dormi avec Kezia… non mais qu’est-ce qui tourne pas rond chez moi franchement ? Là, je sais juste plus où j’habite. Ça me bousille le cerveau, je sais pas quoi penser, quoi faire, quoi dire, j’ai la sensation que je vais exploser sous peu. Ne parlons pas de mon père qui voit son espérance de vie s’écourter à chaque seconde. Je suffoque, je crois que je suis en train de me créer une putain de crise d’angoisse de l’espace. Je peux pas rester là, je peux pas rester assise sur ce lit alors que Kezia devrait bientôt rentrer de sa soirée avec Wyatt. Faut que je sorte, que je prenne l’air, que j’évacue. Bordel.

Je quitte la maison de ma grand mère sans un mot, marche un peu et décide de grimper dans un taxi. Pour aller où ? Bonne question. Je lui réponds que j’en sais rien, que je veux juste rouler, rouler comme les larmes qui finissent par quitter mes yeux. Je me sens vraiment mal, je sais plus qui je suis, où je vais, ce que je veux. Je me suis tellement battue pour en arriver là, et maintenant que j’y suis quoi ? Rien. C’est pas mieux, c’est même presque pire. Je demande finalement au chauffeur de me déposer à l’adresse de ma mère. Le trajet n’est pas long et lorsque la voiture s’immobilise, je me contente d’un soupir, encore hésitante. Fait chier. Je paye le taxi et descend, le pas lourd, prête à faire demi-tour à chaque instant. Mon doigt presse finalement la sonnette, je sais pas si y’a quelqu’un, je sais pas si j’ai envie de voir ma mère, de lui parler, je sais pas si je préfèrerai pas que Jean soit là, qu’elle soit là toute seule. Tout est confus, autant au moins que mes yeux sont tout embrumés. La porte s’ouvre, c’est Jean. J’ai pas été cool avec elle par sms, on s’est jetée comme des malpropres, et pourtant. J’sais pas. Y’a un truc chez elle qui m’apaise, peut-être aussi que savoir qu’elle m’a défendue à l’époque du lycée, ça me rassure un peu, j’en sais rien. « J’peux entrer ? » Evidemment, c’est chez moi, elle va pas dire non. Puis vu ma gueule, elle serait sans coeur. J’entre donc, enfouis mes mains dans mes poches. « Ma mère est là ? » Je sais même pas les liens qu’elles entretiennent toutes les deux, pourquoi Jean vit encore ici hein ? Faut pas que j’pense à ça ou je vais péter un plomb…

J’aime travailler la nuit. C’est calme, les appels sont rares et puis je ne suis pas habilité à faire le travail d’une infirmière. En gros je suis gardienne. D’une maison de retraite. Y’a pire comme activité. Du moins lorsque les pensionnaires n’essayent pas de fuguer. Je les aime bien mes p’tits vieux, je dois bien l’avouer. A moi même en tout cas parce que je ne le dirai jamais à haute voix. Que ce soit à mes proches ou à mes patients. Même si eux se doutent que je les apprécie. Ca ne trompe pas. Ils ont juste assez de retenue pour ne pas m’emmerder avec ça. Sauf une qui s’amuse à me taquiner à chaque fois que je m’occupe d’elle. Mais bon, je le lui rends bien et au moins je ne m’ennuie pas. Quoiqu’il en soit la journée commence et je rentre à la maison pour dormir. Totalement décalée mais je m’en fiche un peu. Aucun impératif en vue alors je fais ce que je veux. Une fois rentrée, je me douche, j’enfile un shorty, un tee shirt quatre fois trop grand pour moi et me glisse dans mon lit. C’est parti pour une nuit ou plutôt une journée de récupération. Je m’endors assez rapidement, la douche ayant aidé. Tout est parfait jusqu’à ce que j’entende la sonnette de la porte d’entrée. J’ai le sommeil léger depuis des années alors forcément ça me sort des mon sommeil instantanément. J’attends personne mais sait on jamais. Je me passe la main dans les cheveux, tente de les remettre en ordre et en chaussette vêtue de mon pyjama j’ouvre la porte. Sur Kai. ” Salut. “ Je ne lui a pas reparlé depuis nos derniers échanges par sms et j’ai comme qui dirait pas franchement envie de lui parler. J’suis pas rancunière mais elle m’a vraiment soulée. Elle n’a pas besoin de moi de toute façon à ce qu’elle m’a bien fait comprendre alors je n’ai plus rien à lui dire. ” J’peux entrer ? “ Je hausse les épaules et la laisse passer. ” C’est chez toi donc oui. “ Et pitié que je puisse aller me recoucher. ” Ma mère est là ? “ Ah bah non je ne retournerai pas me coucher de si tôt. ” Nope. Elle est sur une affaire en ce moment. “ Je ferme la porte et me dirige vers la cuisine pour sortir un verre de coca du frigo. C’est pas franchement recommandé pour moi mais tant pis. ” T’as besoin d’un truc ? “ Quitte à être réveillée…

Vu sa tête, elle a pas l’air bien réveillée. Je sais pas si je dois culpabiliser ou non. Non. J’ai pas l’énergie pour culpabiliser de l’avoir réveillée. Je lui demande si je peux entrer, quand même. Je vis plus là depuis un moment, alors qu’elle oui. En soi, c’est plus chez elle que chez moi. « C’est chez toi donc oui. » laisse-t-elle entendre d’une voix lasse avant de se décaler pour me laisser entrer. Je ne me fais pas prier. Je demande si ma mère est là, toujours sans savoir si j’ai envie de la voir ou pas. C’est délicat. « Nope. Elle est sur une affaire en ce moment. » Je me contente d’un hochement de tête, enfouissant mes mains dans mes poches à mesure que j’avance dans la pièce à vivre, laissant un regard traîner sur Jean qui va boire quelque chose qu’elle trouve dans le frigo. « T’as besoin d’un truc ? » Un haussement d’épaules, qu’elle n’a sûrement pas vu, et aucun son qui ne sort de ma bouche. Lorsque je tourne à nouveau les yeux vers elle, je sens son regard qui est un peu plus insistant comme si elle attendait une réponse, ce qui semble légitime. Je sens ma gorge qui se noue un peu, je sais pas si j’ai envie de parler, je sais pas si j’ai envie de parler avec elle. « J’savais pas où aller, le taxi est passé pas loin et j’me suis arrêtée. » Nouveau haussement d’épaules, et je contourne le canapé pour venir m’échouer à l’intérieur en soupirant largement. « Est-ce que t’as déjà eu l’impression que tu subissais ta vie ? » Je ne connais pas Jean, quand j’y pense. Je ne sais pas exactement ce qui lui est arrivé parce qu’on en a jamais trop parlé. J’étais jeune, un peu trop centrée sur mes propres problèmes pour être ouverte à ceux des autres. J’ai entendu quelques bribes de discussions entre elle et ma mère, discussions auxquelles j’étais pas conviée d’ailleurs. Je sais qu’il y avait une histoire de drogue, je reste m’échappe. Toujours est-il que ce soir, je sais pas si j’ai envie de parler de moi, ou me changer les idées en demandant à quelqu’un de me parler de lui. Et visiblement, sans vraiment m’en rendre compte, mon dévolu s’est posé sur Jean. Désolée pour sa nuit.

forcément j'ai l'impression de jouer les portières. elle devrait avoir une clé mais non. enfin c'est pas grave. j'ai ouvert les yeux, je suis réveillée mais si elle n'a pas besoin de moi j'irai me recoucher aussi sec. puis bon de toute façon elle connait la maison. elle y a vécu plus longtemps que moi. même si maintenant elle n'est plus là. " j’savais pas où aller, le taxi est passé pas loin et j’me suis arrêtée. " mouais. je hausse les sourcils mais de toute façon je suis bien trop fatiguée pour être sarcastique ou ironique. pitié qu'on me rende mon matelas. je bois mon verre espérant totalement connement que ça m'aidera à me rendormir. du coca. froid. y'a rien de pire. mais bon c'est pas grave on va faire semblant que ça ira. " ok. " est ce que j'ai la rancune tenace ? ouais, c'est vrai. elle s'installe sur le canapé, je la regarde faire, postée contre le mur qui sépare le salon de la cuisine. elle cherche peut être juste un endroit pour se poser. je ne vais pas l'el blâmer. au moment où j'allais lui annoncer que j'allais retourner me coucher, sa voix arrive à mes oreilles. " est-ce que t’as déjà eu l’impression que tu subissais ta vie ? " je ne sais pas si c'est la fatigue ou la colère ou un subtil mélange des deux mais j'éclate de rire. je crois que c'est juste nerveux. " je sais pas, à ton avis ? une gosse qui a été obligée de participer à tous les concours de mini miss existants. forcée de bouffer des hormones pour grandir plus vite puis quand elle s'est rebellée et a dit vouloir arrêter a été trompée pensant gober des vitamines alors qu'il s'agissait de coupes-faims qui ont finit par l'empoisonner. qui a terminé à l'hôpital entre la vie et la mort. qui a décidé de quitter sa famille pour se réfugier chez la seule personne qu'elle aimait à savoir sa petite amie qui l'a en gros envoyée chier parce que ses parents n'auraient pas apprécié que leur chère petite fille soit avec une nana. qui a fini dans la rue à prendre de la drogue, se prostituer pour survivre jusqu'à finir assister à distance à l'enterrement de son grand frère mort par sa faute sans qu'elle comprenne pourquoi. obligée de mentir sur la raison de la mort de ce frère et de sa descente aux enfers pour ne pas entacher l'image de la parfaite petite famille. tu crois que cette fille là aurait subit sa vie ? " c'est une vraie question même si le sarcasme a définitivement terminé sa trêve. le silence est présent. parce que même moi, je n'avais jamais réellement fait le résumé de ma vie comme ça à haute voix. c'est d'une tristesse. " désolée... j'crois que je ferai mieux d'aller me recoucher. " à dire des conneries pareilles franchement j'aurai mieux fait de faire comme d'habitude. fermer ma gueule et ouais, subir encore.

Je suis focalisée sur ma petite personne, comme depuis quelques. Egocentrique au possible, c’est souvent ce qu’on me reproche depuis que je suis devenue celle que je suis aujourd’hui, sans mes dizaines de kilos en trop, avec un physique plutôt avantageux, et le caractère de merde qui est arrivé avec. Faut dire qu’avec ce que je me suis pris dans la gueule quand j’étais gamine, il fallait bien que je trouve une façon de me rebeller un peu. Mais une fois la question posée, je sens que j’aurai mieux fait de me mordre la langue plutôt que de réellement poser cette question à Jean. A mesure qu’elle s’exprime, qu’elle me raconte son histoire, j’ai envie de me terrer dans un trou de souris tellement j’ai honte d’avoir posé cette question, tout autant que j’ai envie de la prendre dans mes bras pour lui dire que ça finira par aller. Tout ça, j’en connaissais pas un dixième, et je m’en veux de n’avoir jamais cherché à la connaître mieux. « tu crois que cette fille là aurait subit sa vie ? » finit-elle par demander sur un ton monocorde qui suit le reste de son déballage d’histoire pour le moins difficile. Je déglutis avec difficulté, ne sachant même pas quoi répondre. Je tente un début de quelque chose, un « Je… » sans rien qui vient derrière, et elle ne me laisse même pas le temps de trouver quoi dire. « désolée... j'crois que je ferai mieux d'aller me recoucher. » Je secoue la tête vivement en voyant qu’elle est sur le point de se lever. J’ignore ce qui me passe par la tête, mais je ne réfléchis pas à cet instant précis, c’est un geste naturel. Je m’avance vers elle sans lui laisser le temps de réagir ou de me repousser, et entoure son corps de mes bras, posant ma tête sur son épaule, le visage vers l’extérieur. « Je suis désolée. Je savais pas tout ça, et ma question était pas faite pour te replonger là dedans. » Je m’excuse, c’est une grande chose pour moi, parce que ma putain de fierté m’en empêche le plus souvent. Et là j’ai même pas réfléchi. Elle m’a touchée, c’est tout.