nightmare and 'friendship' (lela#2)

« Pourtant, s’il y a bien un plaisir que tu pourrais me donner, c’est bien celui-là. » Qu’elle balançait non sans un rire taquin, rappelant son homosexualité, tellement peu consciente des plaisirs qu’il voudrait vraiment lui donner. La discussion prenait un tournant plus sérieux sans en avoir le caractère obligatoire. Elle cherchait surtout à soulager la conscience de son colocataire. S’il avait besoin d’en parler, elle était prête à l’écouter. Si jamais il ne souhaitait pas mettre un mot de place sur sa fille biologique, elle respecterait son choix en dépit de sa curiosité. Elle ne voulait pas vraiment s’avancer mais une partie d’elle restait inquiète de cette nouvelle. Et si elle venait assez souvent pour vivre ici ? Et s’il n’y avait pas de place pour trois ? Et si, même sans vivre sous le même toit, elle venait si souvent que Nicola ne pourrait pas le supporter ? Sans poser la question au concerné, il lui paraissait évident que Nell passerait avant elle, qu’une histoire de gênes prendrait le pas sur tout le reste. Alors oui, forcément, elle appréhendait la suite sans y poser de mots. Elle était comme ça Nicola, à tout garder pour elle, à fuir face à l’adversité pour mieux se débrouiller seule sans rien demander à personne. Elle trouverait un ailleurs, c’est tout, même si au fond d’elle, ça la ferait bien chier maintenant qu’elle était de plus en plus à l’aise avec Leah, que ça se passait au mieux et qu’ils avaient réparti les tâches à leurs façons pour que ça aille à tout le monde – et surtout à elle, il fallait l’avouer. « C’est la peur de l’inconnu, c’est normal que ça te travaille. » et qu’il ait besoin qu’on l’écoute… c’était humain – et du coup c’était devenu normal pour elle de lui donner ce soutien. Elle l’écoutait parler tout en dégustant son petit porridge. Il semblait perdu dans cette masse d’informations inconnues sans savoir quoi en faire. Il voulait d’elle près de lui, évidemment, mais il ignorait si c’était le cas de son côté et ça rendait tout ça brouillon, sans avenir certain sans que ce soit une négation nette et précise, de quoi bloquer le jeune homme dans sa réflexion. « Si tu as un quelconque moyen de communiquer avec elle, tu devrais lui envoyer un message simplement pour dire que tu es content de la connaître et que tu restes ouvert à la discussion si jamais elle en a envie, tout simplement. » Ça paraissait idiot dit comme ça, tellement simple, mais c’était sûrement la meilleure chose à faire. Laisser la balle dans le camp de la gamine, lui laisser savoir qu’il était prêt à lui faire une place dans sa vie si elle le voulait. « Ça t’évitera à toi d’être dans le flou en plus. Elle sait que tu es open et c’est elle qui choisira ce qu’elle veut faire. »

« Pourtant, s’il y a bien un plaisir que tu pourrais me donner, c’est bien celui-là. » Allez bam, dans ta face Leah. Si j’avais des doutes, maintenant j’en ai plus. J’en ai jamais eu à vrai dire, mais ça ne m’a jamais empêché non plus de me sentir attiré par la jeune femme. En fait je crois qu’elle a oublié de saisir une chose essentielle. Si elle n’est pas attirée par moi , ne l’étant seulement par les femmes, de mon côté je ne suis pas moins un homme attiré par les femmes. Et jusqu’à preuve du contraire, elle reste une femme, fortement attirante, et qui se pavane en petite tenue dans mon appartement. Je devrais lui faire payer des charges supplémentaires pour avoir à supporter ce genre de comportement. Bref. Là n’est pas la discussion, il n’est pas prévu que je lui avoue mon attirance d’ici peu. D’ici jamais même ce serait cool. Pour éviter toute sensation de malaise, tout ça…
La jeune femme revient sur le sujet de ma descendance. C’est encore difficile d’en parler, je sais pas exactement ce que je veux, mais elle me pousse dans mes retranchements. Elle dit que c’est normal que la peur de l’inconnu me travaille. Elle a fait une formation psy qu’elle a acheté sur amazon, à bosser pendant ses pauses au resto ou quoi ? Bref, faut que j’arrête de penser à ça ou je vais rire. C’est pas le moment. C’est pas drôle. Elle me propose d’envoyer un message à Nell pour mettre la balle dans son camps. C’est une idée qui se tente, elle a raison. Ça pourrait éviter que je stresse trop. Lui dire ce que je ressens sans trop en rajouter. Tout dans la mesure. Ça je sais faire. Je suis seulement étonné que ce soit Nicky qui me donne ce genre de conseils, je crois savoir qu’elle est plutôt démesurée elle. Je hoche la tête, le regard un peu dans le vague, pensif. « T’as raison, je vais faire ça. Je vais me poser et écrire un truc tout à l’heure. Tu voudras bien lire et me dire ce que t’en penses ? » Cette relation entre nous, c’était inespéré quand on voit de quoi on est partis. Mais je me sens chanceux, d’avoir réussi à l’amadouer, et d’avoir trouvé en elle une amie, à défaut d’avoir le droit à autre chose. C’est comme ça mon vieux, on peut pas toujours avoir tout ce qu’on veut dans la vie.

Mon téléphone se met à vibrer à côté de moi et c’est le petit logo de the Chart qui s’affiche. Je vois le regard de Nicky se poser machinalement sur l’écran allumé de mon téléphone alors que je n’y ai pas touché. « Interdit de te foutre de moi. J’suis sûr que t’y es toi aussi. T’as de la chance que j’ai pas accès aux profils des filles qui aiment les filles… » Je lui tire la langue, comme un gamin. Je crois que finalement cette notification est tombée à pic pour un changement de sujet. J’ai besoin d’un peu de légèreté.

Un rire glissait entre ses lèvres quand Leah lui demandait gentiment si elle pouvait vérifier le message qu’il allait écrire à sa fille biologique. « Tu es sûr de vouloir me demander ça à moi ? Je ne suis pas très douée avec les mots tu sais. » Miss brut de décoffrage, droit au but, à foutre les pieds dans le plat sans aucune gêne, il voulait vraiment des conseils d’elle à ce niveau-là ? « Je pourrais lire si tu veux mais en terme d’amélioration, je ne pourrais pas t’aider. » Ca, c’était plutôt sa curiosité qui parlait, avide de avoir ce qu’il allait lui écrire mais elle ne l’obligeait à rien pour autant. Cette même curiosité, comme tout à chacun, quand son regard dérivait vers une nouvelle source de lumière : l’écran de téléphone de Leah, affichant une notification de l’application The Chart. C’est que le cœur de la jeune femme loupait presque un battement. Pas de sentiments, oula non, mais d’étonnement. Leah O’Malley sur The Chart. Si elle n’avait pas vu la notification d’elle-même, elle n’y aurait probablement jamais cru. « Mais je n’ai rien dit ! » Ok, le sourire malicieux qu’elle arborait entre deux bouchées de pancakes parlait pour elle. « Je suis juste étonnée que tu sois encore sur ce type de site quoi. » Il ne fallait pas se leurrer. Comme toutes les applications de rencontre, elle était en train de tourner en site de plans culs vite fait bien fait. Autant qu’elle-même soit dessus, ça n’avait rien de fort étonnant, mais Leah… elle le savait loin des coups d’un soir puisqu’ils en avaient déjà discuté. Avait-il changé d’avis ? « Oui j’y suis toujours, j’assume totalement. Je n’ai pas le temps de traîner dans les bars pour satisfaire ma vie sexuelle, je vis avec mon temps. » Tout bêtement. On lui donnait accès à une application qui lui faisait gagner du temps sur le peu qu’elle avait, elle n’allait certainement pas se gêner pour s’en servir. « Tu as presque oublié qu’on a discuté toi et moi sur ce site. » Ca faisait longtemps, certes. Depuis le site avait évolué et avait rendu invisibles les profils des gays pour le sexe opposé. Tant mieux, elle ne tenait à ce que Leah – ni aucun autre mec – n’ait accès à ses photos. « Et tu aurais fait quoi si tu avais eu accès à mon profil ? » Après tout, ses mots sur un air taquin sonnaient comme une pseudo menace, ça la rendait curieuse de savoir ce qu'il en aurait fait. « Tu peux répondre tu sais, il faut pas te gêner pour moi. Tu arrives à trouver ce que tu veux sur ce site ? » Mister love.

Nicky m’avoue ne pas être bien douée avec les mots. Ça merci, j’avais remarqué. Mais pour le moment, elle est la seule à savoir pour Nell, j’en ai même pas encore parlé à ma meilleure amie, disons que l’occasion ne s’est pas encore présentée, c’est trop frais, et puis avec le décès de sa soeur, elle a autre chose à penser. Je culpabiliserai plus tard d’en parler à Nicky avant d’en avoir parlé à Jazz. Nicola est gentille, elle me dit qu’elle me donnera son avis si j’en ai besoin, je trouve ça mignon venant d’elle, qui se présente toujours comme une brute de décoffrage. Et puis comme si la vie me donnait un coup de pouce - ou pas - je reçois une notification, nous permettant de changer de sujet. Je lui interdis de se foutre de moi. « Mais je n’ai rien dit ! Je suis juste étonnée que tu sois encore sur ce type de site quoi. » Je lève les yeux au ciel. Je suis étonné moi aussi, surtout après l’histoire avec Terri. « Oui j’y suis toujours, j’assume totalement. Je n’ai pas le temps de traîner dans les bars pour satisfaire ma vie sexuelle, je vis avec mon temps. » Je ris le plus naturellement du monde, parce que j’aime son franc parler, elle ne se cache de rien, elle est naturelle et c’est sans doute ce que je préfère chez elle. « Tu as presque oublié qu’on a discuté toi et moi sur ce site. » Un peu surpris, je laisse mon cerveau faire un flash back et ouvre grand les yeux. « Oh mais oui c’est vrai putain ! » Quel con ! En même temps, avec tout ce qui s’est passé dans ma vie ces derniers temps, je crois que j’ai le droit d’oublier ce genre d’infos. « Et tu aurais fait quoi si tu avais eu accès à mon profil ? Tu peux répondre tu sais, il faut pas te gêner pour moi. Tu arrives à trouver ce que tu veux sur ce site ? » « Boh. Pas grand chose. J’suis pas le genre de mec qui se la pète en disant à une lesbienne ‘si t’aimes pas les mecs c’est parce que t’as jamais couché avec moi’ ! » Je me suis redressé, gonflant mon torse et prenant une voix plus grave que la mienne pour dire cette phrase machiste complètement ridicule, et je reprends finalement plus de sérieux pour continuer. « J’ai lu ton profil la dernière fois juste par curiosité, mais si ça avait été une autre fille, même aussi belle que toi, j’me serai arrêté à la ligne ‘aime uniquement les femmes’. D’ailleurs entre nous, c’est bien qu’ils aient bloqué l’accès aux mecs pour vous. Au moins vous êtes tranquilles, pas de gros lourds pour vous emmerder. Et puis… j’t’avoue que ça évite la frustration. » Elle me regarde comme si elle avait du mal à saisir la fin de ma phrase. « Bah… je respecte totalement ton orientation, j’ai rien contre ça tu fais bien ce que tu veux. Mais bon pour nous les mecs, voir une fille aussi… canon que toi, et savoir qu’on a aucune chance. Bah c’est super frustrant quoi ! » Je hausse un peu les épaules, badaud. C’est simplement une constatation. « Et pour répondre à ta question, non. J’ai pas trouvé ce que je voulais. En même temps j’avais pas vraiment d’attentes. » J’ai juste trouvé une fille capable de me faire perdre ma dignité. C’est tout.