Muddy Waters | Oxie

Son bras s’écroula de l’autre côté du lit pour se faire mordre par le froid tenace des draps. Dans un grognement mécontent, elle se redressa sur un coude pour constater qu’elle était bel et bien seule dans sa chambre. Elle bougonna quelque peu puis quitta son matelas douillet pour attraper une serviette et allait à la douche. Depuis que son boulot l’avait abandonné et qu’elle attendait d’avoir ses horaires de la part du cabaret, Ohana perdait la notion d’heures et ne cessait de se lever dans les alentours de onze heures, chose qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Après une bonne douche et un bol de céréales avalé, la noiraude enfila un t-shirt rayé et une salopette avec des baskets. Ses lunettes de soleil sur le nez, elle quitta l’appartement et descendit quatre à quatre les marches.

Elle passa son trajet de bus à faire des grimaces à un gamin qui se mit finalement à pleurer contre sa mère qui était bien trop plongée dans la lecture d’un magazine de mode avec la moitié des fringues qu’elle ne pourra jamais s’offrir puis Ohana quitta le véhicule pour terminer sa route à pied. Elle profitait du soleil et ne prit qu’un bon dix minutes avant d’arriver à destination. Les mains dans sa poche ventrale, sa tête se leva pour observer le bâtiment, elle avait encore du mal à croire que Lexie travaillait là-dedans, elle qui pourrait faire un métier tellement plus… Juste aux yeux d’Ohana qui comme beaucoup de personne de sa situation ethnique n’appréciait pas forcément les forces de l’ordre.

Elle poussa un bref soupir avant de s’engouffrer à l’intérieur, mais une main se posa sur sa poitrine et elle retira ses lunettes de soleil pour faire face à l’agent de sécurité de l’entrée. Elle pensait qu’il s’agissait d’une procédure habituelle, mais un type dans son même accoutrement entra sans le moindre mal. Ses sourcils se froncèrent et elle le toisa. « Vos papiers. » Elle croisa les bras « Vous le contrôlez pas lui ? » Elle le vit serrer la mâchoire. « Vos papiers. » Ohana secoua la tête et fit un pas de côté pour continuer sa route, mais il la saisit par la bretelle de sa salopette.

« Lâchez-moi ! Vous n’avez aucune raison de me contrôler ! » Quelques têtes se tournèrent dans sa direction mais personne ne bougea le petit doigt alors l’hawaïenne tenta de se dégager d’un coup brusque mais il lui saisit les poignets et la plaqua contre le mur. « Je vais t’apprendre à ne pas vouloir coopérer. » Le métal froid des mentales planta ses crocs dans sa chair et Ohana ferma les yeux en jurant en silence.

Lexie regarda le dernier message d’Ohana avec un sourire, verrouillant de nouveau son téléphone et le tapotant contre son menton brièvement, pensive. Leur premier rendez-vous s’était incroyablement bien passé, mais elles n’avaient pas eu le temps de se voir depuis à cause de l’emploi du temps chargé de Lexie. Alors quand elle lui avait proposé de manger ensemble un midi, elle avait sauté sur l’occasion. Même si maintenant qu’elle se relisait elle se disait qu’elle aurait pu montrer plus d’enthousiasme. Elle était vraiment rouillée pour ce genre de truc il fallait croire.
« T’as l’air pensive, inquiète pour ton rendez-vous ? »
Lexie leva les yeux au ciel.
« Je n’ai pas de raison de m’inquiéter tu sais ? »
Elle observa le léger sourire se dessiner sur les lèvres fines de son collègue. Elle savait que ça ne servait à rien de lui cacher quoi que ce soit, comme dans toute cette unité. Ils étaient tous experts en comportement humain, avoir des secrets ici serait comme essayer de dire qu’on a pas mangé de chocolat avec une tablette entamée dans les mains.
« Ca ne veut pas dire que tu ne le fais pas. Et puis ça se voit. »
Elle lui jeta une boule de papier et regarda l’heure en fronçant les sourcils. Normalement elle était presque certaine qu’Ohana aurait déjà dû arriver. Après, elle s’était peut-être perdue. Il faut dire que le quartier général du FBI de LA était plutôt grand.
« Je vais aller la retrouver, c’est mieux qu’écouter tes bêtises. »
Elle se leva et attrapa son blazer qu’elle passa par-dessus sa chemise blanche. Elle prit la direction de l’entrée, arrivant rapidement vers l’accueil où se trouvaient les contrôles, fronçant les sourcils quand elle entendit une voix qu’elle reconnaissait s’élever plus fort que d’habitude. Elle s’approcha, voyant un agent de sécurité maintenir Ohana contre le mur.
Fuck.
C’était quoi ce bordel ?
« O’ ! » Elle s’approcha d’un pas rapide et attrapa le bras de l’agent de sécurité pour le repousser. « Frank, lâche là ! »
« Elle refuse de montrer ses papiers ! »
Lexie serra la mâchoire et leva la main pour l’empêcher d’avancer vers elle de nouveau, appuyant sur son torse pour le maintenir à distance malgré sa tête de plus sur Lexie.
« Elle est avec moi, c’est ma petite amie. Laisse-la. » Frank sembla hésiter puis hocha la tête, tendant les clefs des menottes à Lexie quand elle fit un geste de la main. Elle prit la clef sèchement. « Et excuse-toi. »
En attendant qu’il le fasse, elle se tourna vers O’ et défit les menottes d’un geste expert, regardant ses poignets pour vérifier qu’elle n’avait rien. Elle garda ses mains dans les siennes et la regarda dans les yeux « Ca va aller ? »

Sa joue commençait sérieusement à lui faire à être ainsi collée contre un mur comme tout le reste de son corps. Ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait contrôler sans raison mais elle avait décidé que ça serait la fin de la soumission et qu’elle ne se laisserait pas faire, il y en avait plus qu’assez de cette guerre qui durait depuis des années. L’homme ne voulait pas la lâcher et elle continuait de l’insulter copieusement, se débattant comme un animal sauvage mais il ne fit que resserrer sa prise encore plus et Ohana crut voir un téléphone braquer dans sa direction, ces enculés étaient en train de filmer pour défendre qui au juste ?

La voix de Lexie lui parvint et elle arrêta de s’époumoner un instant pour glisser un regard dans sa direction. Elle fut surprise de l’autorité qu’elle dégageait et poussa un soupir de soulagement quand on termina enfin de l’écraser ainsi contre un mur, sa joue était abîmée par la surface rugueuse et elle grimaça, ça faisait mal cette merde. Mais la douleur fut secondaire quand le mot petite-amie résonna à ses oreilles bourdonnantes. Pardon ? Il devait seulement s’excuser, c’était une blague ?! Attaque d’un citoyen sans défense et innocent, et il devait bredouiller un simple pardon ?

Les menottes lui furent retirer mais elle retira promptement ses mains de celles de Lexie. « De s’excuser ? Il vient de m’agresser sans aucun motif, j’ai été non-violente et il doit s’excuser ? Putain moi qui pensais que vous étiez plus réglos que les flics j’me suis bien foutue le doigt dans l’œil. » Elle grommela et remit correctement ses lunettes de soleil sur son nez pour ensuite tourner les talons. « Mange chinois toute seule, je perds pas de temps avec des gens comme ça. » Elle foudroya le gars de la sécurité du regard et s’en alla sans rien demander, elle n’avait pas le temps pour ce genre de choses, elle qui s’était déjà projetée avec Lexie, c’était foutu d’avance.

Apparemment non, ça n’allait pas aller comme en témoignait la façon dont Ohana retira ses mains des siennes. Lexie ne s’était pas attendue à ça. À une réponse sèche, éventuellement, à du soulagement d’être libérée des menottes, mais pas à de la colère pure dirigée contre elle. Surprise, elle recule d’un pas pour encaisser les paroles. Lorsqu’elle évoqua la police, la brune fronça les sourcils avant de commencer à comprendre. Ohana pensait avoir été prise pour cible parce qu’elle n’était pas blanche ? Dans l’esprit de Lexie ça semblait absurde, même si une voix au fond de son esprit lui rappeler que le racisme existait encore bel et bien, d’autant plus aux USA.
Quand Ohana tourna les talons, elle passa une main dans sa nuque et lança un regard noir à Frank. Elle avança pour suivre Ohana qui venait de franchir la porte principale.
« O’, reviens ! »
Lexie pressa le pas et courut sur quelques mètres pour la rattraper. Bientôt elle fut à son niveau, et si elle aurait pu facilement la retenir en attrapant son poignet elle préféra se contenter d’avancer à la même vitesse qu’elle.
« S’il te plaît, je suis désolée, il y a toujours des contrôles faits au hasard à l’entrée, je pensais qu’on te laisserait passer sans soucis si tu disais que tu venais me voir. » Ce qui était vrai. Les choses auraient probablement été différentes si elle avait dit ça, ou peut-être que ça aurait été ignoré ou moqué, elle ne savait pas, mais dans tous les cas elle avait du mal à concevoir la rage qui saisissait Ohana. « Ce n’était pas contre toi, enfin… je ne pense pas. »
Lexie était incertaine d’un coup. Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait dire que Frank tendait à viser certaines populations pour ses inspections, mais elle avait toujours mis ça sur le compte de rumeurs Peut-être qu’elle en parlerait à son chef d’équipe pour

Elle eut cette soudaine envie de rejoindre sa grand-mère pour se rassurer avec elle, mais elle se souvint abruptement que cette dernière se trouver à l’hôpital depuis une semaine. Son cœur se serra à cette pensée et elle continua de tracer sa route, ignorant le cri de Lexie qui lui ordonnait de revenir. Elle fuyait ses émotions, sa colère comme lors de cette fameuse soirée de colocataires, mais il n’y avait aucune personne en pyjama pour la retenir cette fois, seulement cette femme qu’elle avait pensé différente de ses compères. Elle pouvait l’entendre se rapprocher à vive allure et elle hésita à courir pour attraper le premier bus qui venait, histoire de ne pas à avoir à lui parler, mais elle fut bien plus rapide que ses pensées.

Ohana s’arrêta brusquement et la fixa, complètement abasourdie. « Mais dans quel monde tu vis toi ? » Elle rit en se tapant le front de la paume de sa main. « Tu vis dans le continent le plus raciste de ce monde et tu penses que c’était juste un contrôle au hasard ? » Certains passants jetèrent des regards dans leur direction, une mère pressa son enfant alors que ce dernier la questionnait sur un certain mot. Ohana secoua la tête « J’ose pas le croire quoi. » Ses bras se croisèrent et elle la fixa comme s’il s’agissait d’un abruti sans nom qui sortait uniquement de sa bulle à l’instant. Elle n’avait rien contre Lexie, elle la savait tendre et aimable, mais la savoir aussi naïve avait de quoi lui donner un coup de poing en plein visage.

Lexie s’arrêta en même temps qu’Ohana, dont la colère était plus que visible. La brune avait la sensation que la situation lui échappait complètement et elle n’était pas sûre que cette fois-ci elle aimait ça.
Dans quel monde elle vivait… blanche, venue d’une classe aisée, elle n’avait jamais vraiment eu à se plaindre des biais qu’elle subissait, pas au-delà du sexisme général qui règne sur le monde. Et même là, elle avait pu en faire fi sans que ce soit réellement un problème. Et en général, quand ça l’était, elle remettait les coupables à leurs places.
Apparemment, Ohana agissait de la même façon pour le racisme et ceux qui semblaient l’accepter, ou le défendre. Et pour Lexie qui ne s’était jamais considérée comme raciste, c’était la réalité qui lui mettait un coup de poing dans le ventre. Parce que pour elle le racisme, c’était les suprématistes, c’était ceux qui soutenaient le drapeau conféré, c’était ceux qui admettaient ouvertement leurs idées, et oui, ça pouvait aussi être plus pernicieux mais pas comme ça.
Elle se sentait idiote. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de tenter le coup.
« [color=#336699]Avant de venir ici ? Je vivais en Ecosse, ce n’était pas exactement un modèle de mixité raciale, avant d’arriver à Edimbourg je n’avais même jamais vu de personne noire en chair et en os.[color=#336699] » Ce qui était une raison, mais pas une excuse. « Et je suis désolée d’être ignorante sur ces sujets. Je sais que les USA ne sont pas un exemple de tolérance, je le sais, mais je n’y ais jamais fait face, alors j’imagine… j’aurais dû. Pour toi. Pour être juste une personne décente. Alors je suis désolée. »
Elle semblait défaite. Elle ne savait pas quoi faire de plus, pas quoi dire de plus. Ce n’était pas comme si Lexie pouvait faire plus que s’excuser – avec sincérité – pour le moment. Elle croisa les bras à son tour, pour se protéger du probable départ d’Ohana.
Elle détourna son regard bleu pour ne pas avoir à lui faire face plus longtemps et se plongea dans le lointain. C’était une façon de prendre ses distances encore, une protection supplémentaire.

Elle espérait des explications suffisantes pour lui faire oublier ce goût amer qu’elle avait contre le palais, le goût de la déception sans aucun doute. Il lui arrivait toujours d’être victime de discrimination à cause de sa couleur de peau et elle ne supportait plus l’idée de se laisser faire, seul le monde du mannequinat lui avait laissé le temps de souffler, tout comme le cabaret. Hélas les représentants de l’ordre et de la justice avaient encore du mal à faire des efforts à ce sujet et se prélassait dans les héritages racistes des traites négrières. C’était comme ça que ses ancêtres avaient débarqué à Hawaï pour aider les petits riches qui voulaient s’enrichir jusqu’à s’étouffer dans son pognon. Elle l’écouta alors sans sourciller et sans décroiser les bras, la gorge nouée. "Je pensais que la mixité s'améliorait dans les îles?"

Un sourcil se arqua et elle pencha la tête sur le côté sous l’incompréhension puis elle ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, elle avait déjà oublié sa remarque. Les excuses arrivèrent enfin et elle secoua la tête, elle faisait des efforts mais ce n’était pas encore ça, elle ne semblait pas mettre le doigt sur ce qui dérangeait l’hawaïenne. Mais cette dernière chassa la colère d’un revers de main et s’approcha d’elle pour la prendre dans ses bras. Elle était bien heureuse de vivre à Los Angeles, les couples métisses comme elle les appelait étaient parfois encore très mal vus dans les Etats conservateurs, notamment la Caroline du Nord.

« Eh. Ce n’est pas moi le centre du monde. Mais tu dois comprendre que tu as débarqué dans un pays sexiste et raciste, je sais que beaucoup de progrès sont faits dans les grandes villes comme New York ou autres, mais il faut encore travailler avec acharnement, tu viens d’en voir la preuve. » Elle se recula pour croiser son regard. « Je suis désolée, je n’aurais pas dû m’emporter comme ça mais tu sais ce que c’est un traumatisme hm ? » Elle lui offrit un sourire et glissa sa main dans la sienne. « Allons parler de ça en nous remplissant le bide et loin de flics, j’ai pas envie de me faire arrêter pour complot. »

Peut-être que la mixité s’améliorait dans des endroits comme Londres, mais en Ecosse les personnes de couleur représentaient un pourcentage tellement bas que c’en était presque inquiétant. Et c’était sans parler des îles les plus au Nord – d’où venait Lexie. Donc non, la mixité ne s’améliorait pas. Et puis c’était sans parler de la politique protectionniste des britanniques. Le Royaume-Uni n’était pas mieux loti que les USA à ce niveau là, comme quoi le géant américain tenait bien de quelque part. Mais ça la jeune femme ne commenta pas, se contentant de secouer la tête. Cette question ne méritait pas plus de réponse pour le moment.
Ce qui comptait, c’était plus qu’Ohana venait de prendre Lexie dans ses bras, une étreinte que la brune rendit immédiatement en l’enserrant à son tour. Au moins, ses excuses étaient acceptées. C’était un bon point.
Ceci dit, Lexie comprenait très bien le sexisme de ce pays à défaut d’en saisir toutes les subtilités du racisme.
Finalement leur étreinte fut rompue et Lexie la regarda. Sa remarque la frappa et elle détourna brièvement le regard en hochant la tête. « Oui… Oui je sais ce que c’est. » Elle bloqua les souvenirs qui remontaient sournoisement jusqu’à elle du mieux qu’elle put, sachant qu’il valait mieux ne pas penser à ça maintenant. Elle venait juste de faire une connerie, il n’était pas utile de s’étaler et de pleurer sur son propre passé. Pas maintenant.
Elle soupira et passa une main dans ses cheveux, lui rendant son sourire brièvement avant d’enlacer ses doigts aux siens.
« Oui, allons-y. »
Elle commença à avancer sous le soleil qui venait doucement réchauffer sa peau. Elle avait beau être pâle – surtout à côté d’Ohana – elle avait réussi à développer un léger bronzage qui la protégeait assez lorsqu’elle faisait attention.
« Toujours prête pour le chinois du coup ? Ou on peut se tenter autre chose, vu que du coup j’aurais pas ma moto pour nous conduire. » Et que l’endroit où elle voulait aller à l’origine était un peu loin. Il allait donc falloir chercher dans les environs ce qu’elles pourraient manger. Bien sûr, avec un quartier général du FBI juste là, des restaurants il y en avait dans le coin. « Ou en tout cas trouver un autre restaurant. »

Quelque chose avait brusqué l’agent du FBI, Ohana l’avait remarqué du coin de l’œil mais ne revint pas là-dessus de peur de se mettre à marcher sur des bouts de verre et entamer un sujet sensible qu’elle regretterait sûrement. Alors elle se contenta de lui sourire et de prendre sa main pour prendre la direction de leur pause déjeuner, bien heureuse de sentir les caresses brûlantes du soleil contre sa peau. Puis Lexie parla et elle tourna délicatement la tête dans sa direction, s’arrêtant pour ne pas se prendre un passant ou un poteau. Doucement, elle l’attira vers elle pour se placer dans un coin où elles ne dérangeraient personne. Il était question de l’endroit où elles allaient manger, un sujet primordial pour une amoureuse de la nourriture comme elle. « Oui totalement j’ai envie de nouilles et de nems. » Elle sautillait presque sur place à cette idée, une véritable enfant. C’était surtout que le chinois était un moment sacré avec Oscar quand il avait encore le temps de passer du temps avec elle. Mais l’habitude avait disparu et elle avait besoin de rafraîchir cet instant, peut-être que Lexie pourrait reprendre le flambeau ?

Distraitement, elle lui remit une mèche derrière l’oreille et promena son regard dans la rue, à la recherche d’une idée toute bête qui leur permettrait de trouver une solution. « Et pourquoi pas un taxi ? Je veux dire j’ai encore de l’argent de mon ancien boulot et j’ai déjà payé mon loyer, je peux me sacrifier pour ça. » Elle haussa les épaules et lui vola un baiser dans un sourire, bien heureuse de ne pas à avoir se mettre sur la pointe des pieds, un avantage quand elle sortait avec la gente féminine. « J’ai vraiment très très envie de manger chinois aujourd’hui. » Et alors qu’elle s’était mise à chercher un taxi dans cette jungle de voiture, une petite voix malicieuse résonna dans son crâne et elle frappa dans ses mains.

Souplement, la jeune femme fit un pas de côté pour sortir son téléphone de sa poche et composa un numéro dans un sourire presque rusé. Il eut trois coups avant qu’on ne se décide à lui répondre. « Oh salut Gaspard, tu penses que tu peux venir me chercher ? J’ai vraiment besoin qu’on me conduise au restaurant ? Oh t’es génial je t’adore tu sais ? Je te passe l’adresse par message ! Merci vraiment ! » Elle raccrocha et rangea l’appareil avant de revenir vers Lexie. « Toujours être aimable avec ton chauffeur ! Il te rendra toujours service même si tu t’es fait virer. »

Le verdict était tombé : elles mangeraient chinois. Bien. C’est vrai que pour le coup, Lexie se voyait mal manger autre chose avec la fille des îles. S’en tenir au plan lui semblait être la meilleure idée possible même, surtout quand elle voyait Ohana sautiller comme ça. Lexie cacha un sourire idiot en baissant la tête, la trouvant absolument adorable. Encore plus quand elle lui remit une mèche de cheveux en place. Décidément, elle était contente que les choses se soient arrangées entre elles.
Finalement O’ suggéra un taxi et Lexie commença à regarder autour d’elle pour essayer d’en voir un. Quand elle dit qu’elle pourrait payer pour, Lexie secoua la tête avant de la laisser déposer un baiser sur son front. Il était rare pour Lexie de trouver des filles plus grandes qu’elle, mais elle aimait bien.
« Non, tu ne payes rien aujourd’hui ! »
Mais apparemment, et malgré cette affirmation, Ohana venait juste de penser à un plan. Lexie pencha la tête sur le côté en l’observant, étudiant une seconde son langage corporel avant de s’arrêter. Non, ce n’était pas utile, et elle ne voulait pas faire ça, pas dans sa vie privée. Elle regarda donc ailleurs en écoutant la jeune femme parler à un certain Gaspard qu’elle adorait.
Pas ce que Lexie avait adoré entendre, mais elle ne serait pas jalouse. Surtout que le fameux Gaspard allait les conduire toutes les deux, donc il n’y avait pas de raison de l’être. Surtout qu’Ohana lui offrit une réponse à la question qu’elle n’avait pas posé et lui dit qui était l’homme au bout du fil. Son ancien chauffeur. Ceci expliquait tout.
« En effet, pratique. Il ne doit pas travailler pour quelqu’un d’autre maintenant ? »
Si c’était le cas, ce serait un peu suspicieux qu’il accepte à la volée de rendre service, mais Lexie ne serait pas celle qui se plaindrait. Elle prit Ohana par la main et la conduisit tranquillement vers un banc qui se trouvait dans un petit parc – bon d’accord c’était devant les grilles du cimetière mais ce n’était pas comme si elle savaient beaucoup de choix. La zone venait juste d’être rénovée récemment, l’endroit était donc plutôt joli.
Lexie s’assit sur le banc sans lâcher la main de la jeune femme.
« En attendant, on peut officiellement commencer notre second rendez-vous, qu’en penses-tu ? Ce n’est pas aussi cool qu’un cabaret et ça ne sent pas les nouilles sautées, et on est à deux pas de la circulation, mais c’est plutôt sympa non ? » plaisanta Lexie. « Si j’avais su j’aurais amené ma guitare pour te faire la sérénade. Au moins on aurait pas dérangé les voisins. »

Ohana n’avait même pas songé à poser la question à Gaspard à savoir si la patronne avait besoin de son chauffeur, qu’est-ce qu’elle s’en foutait, cette garce pouvait marcher et se tordre la cheville avec ses talons trop haut. « Meh. Je suis prioritaire sur tout. » Etre Diva n’était pas dans ses plans mais elle faisait une exception pour cette fois. Merde quoi elle avait le profil de Beyonce, les cuisses et le talent en moins. Elle tira la langue et se laissa tirer par Lexie. Charmant le cimetière, elle rêvait pas mieux, enfin c’était toujours mieux que sa première fois dans des toilettes du MacDo dans une rue pourrie au fin fond du Bronx. Elle en était pas fière Ohana, clairement pas et personne n’était au courant de ça, elle l’emporterait dans la tombe. Ahem où en étions-nous ?

Sans aucune gêne, l’Hawaïenne balança ses jambes sur les cuisses de l’écossaise. Etre démonstrative en public ? Bah si les gens n’étaient pas contents, ils pouvaient passer leur chemin et détourner le regard. Ohana n’était pas faute pour vivre en société mais plutôt dans la jungle où elle deviendrait amie avec des Gorilles et autres joyeusetés du lieu. Elle pencha la tête sur le côté et rit doucement à sa remarque, oui le second rendez-vous faisait pâle figure face au premier. En même temps, Ohana avait fait la connerie de danser sur scène, Lexie n’allait pas faire son Show en plein milieu de la route, même si ça pouvait être hilarant. L’idée de la sérénade lui plaisait terriblement, la voix de Lexie était un délice, totalement, rien qu’à l’entendre elle tombait sous le charme.

« Tu me joueras un morceau ce soir. » lâcha-t-elle le plus normalement du monde, en toute innocence, ses doigts tapotaient le banc et son regard joueur caressa le visage de la demoiselle. Elles ne s’étaient pas vues pendant plus de deux semaines, Ohana ne pouvait mentir, elle avait pensé plus d’une fois à la jeune femme et l’idée de la revoir avait manqué de la rendre dingue. Alors au lieu de se torturer l’esprit cette nuit à l’imaginer dans ses bras, elle préférait prendre les devants en s’invitant chez elle. Une berline noire aux vitres teintées apparut dans son champ de vision. « Allez princesse, le carrosse est arrivé. »

Sans attendre, elle bondit loin de sa place, mine de rien bien heureuse de s’éloigner du cimetière et ne prit pas la peine d’ouvrir la portière. Elle se jeta, tête la première, par la vitre ouverte et atterrit sur le cuir des sièges dans un rire enfantin. Elle n’avait rien fumé d’illégal aujourd’hui en plus. « Hey Gaspard ! Je te présente Lexie ! » Elle tendit la main vers l’agent du FBI puis se pencha vers le fauteuil du chauffeur avec qui elle échangea un coup d’œil complice. Monsieur lui avait déjà prêté sa voiture pour partager quelques moments de plaisir avec des conquêtes du milieu du mannequinat. Mais ce temps était révolu. « Mon date. Canon hm ? Et super intelligente ! Et musicienne, parfaite en soi. »

On aurait dit une enfant qui présentait sa copine de primaire à ses parents. Gaspard salua alors l’écossaise puis se réinséra dans la circulation. Ohana s’était alors soigneusement calée contre Lexie et jouait avec une mèche corbeau, ses cheveux étaient incroyablement doux. « Pour en revenir à tout à l’heure, si ton pays était à l’abris de la discrimination pourquoi t’es venue ici ? »

Evidemment elle était prioritaire sur tout, ou en tout cas c’est comme ça que ça devrait être, se dit Lexie qui se contenta de rire. Elle la complimenterait plus tard, quand elles seraient dans un cadre plus romantique, quand elle pourra lui faire la sérénade peut-être. Elle posa ses mains sur les mollets d’Ohana lorsque celle-ci prit ses aises. L’idée qu’elle lui chante la sérénade ce soir lui plaisait bien, d’autant que ça impliquait de passer la soirée avec la belle jeune femme. Une perspective pour le moins alléchante quand elle y pensait.
« Ce sera avec plaisir, » rit-elle.
Elle aimait bien qu’Ohana prenne les devant comme ça, au moins ça voulait dire qu’elle avait envie que les choses avance et ça la brune en était plus que ravie. Lexie écarta les bras pour les poser sur le dossier du banc ; elle prenait ses aises. Ce ne fut pas pour bien longtemps toutefois car une voiture aux vitres teintées s’arrêta devant elles. Lexie bondit sur ses pieds juste après qu’Ohana annonce qu’il s’agissait bien de leur voiture. Elle applaudit en la voyant se jeter dans la voiture par la fenêtre et se pencha à travers celle-ci.
« Bien joué, superbe forme. Maintenant place à la moins gracieuse. »
Et Lexie entreprit de grimper par la fenêtre à son tour, faisant d’abord passer sa tête et son buste puis le reste du corps. Ouvrir la portière ? Mais pour quoi faire ? La fenêtre marchait très bien. Elle se laissa tomber sur les sièges et ajusta sa position afin de pouvoir prendre la main d’Ohana plus confortablement alors que celle-ci la présentait. La façon dont elle parla d’elle la fit sourire et elle se pencha vers O’.
« Qui se ressemble s’assemble, tu es au moins aussi parfaite que moi. » Un sourire charmeur aux lèvres elle déposa un baiser contre sa joue.
Elle rendit son salut à Gaspard par la suite et reporta son attention sur O’. La façon qu’elle avait de jouer avec sa mèche de cheveux était adorable et lui donnait envie de l’embrasser. Ca faisait parti des petits gestes qui la faisaient craquer. Ce qui la faisait moins craquer en revanche c’était ce genre de questions. Pourquoi être venue aux Etats-Unis.
Elle se crispa légèrement, sans pour autant prendre ses distances, ses doigts se resserrant simplement sur la main de son rencard. En s’en rendant compte, elle relâcha à peine la pression.
« C’est à cause d’une situation familiale compliquée. » Elle hésita un peu plus longuement, son regard suivant brièvement le paysage qui défilait. Enfin elle inspira avant de reprendre la parole. « J’avais dix-huit ans quand je suis arrivée ici, et c’était parce que mon père venait de sortir de prison. »
Elle laissa le reste dans l’ombre, peu désireuse de s’attarder sur le sujet. Ce n’était pas vraiment le genre de conversation qu’elle aimait avoir avant d’aller au restaurant avec une magnifique jeune femme comme Ohana. Ca n’engageait pas trop la conversation le ‘mon père est un psychopathe, tu me passes le sel ?’ si elle devait être honnête.
« Et ne t’en fais pas, la nationalité américaine me vient de ma mère, il ne risque pas de débarquer ici du jour au lendemain. » Elle lui offrit un sourire rassurant. Depuis qu’elle était arrivée ici, elle n’avait plus eu de nouvelle de lui. C’était autant une bonne qu’une mauvaise chose, car ça voulait dire que celle restée là-bas n’avait pas réussi à le retrouver, mais aussi qu’il n’avait jamais agi. Un mal pour un bien. « Au pire, j’ai toujours voulu faire un road trip à travers les USA. Tu seras bien sûr la bienvenue, maintenant que tu as du temps libre. » chuchota-t-elle finalement à son oreille pour détendre l’atmosphère. Puis elle se redressa.
« Maintenant que tu sais ça, j’ai le droit d’en savoir plus sur toi et ta famille ? »

Elle était pas devin Ohana, elle pouvait pas deviner qu’elle venait de toucher un sujet sensible qui risquait de détruire la bonne humeur de la brune, mais il suffisait à cette dernière de lui refuser une réponse pour qu’elle oubliât et passât à autre chose comme par exemple, était-elle plus sexy en uniforme ou en sous-vêtements ? Mais Lexie accepta toutefois de réponse et la danseuse de cabaret se fit muette comme une tombe, l’écoutant avec attention. Elle ne s’était pas redressée pour autant, toujours blottie contre elle comme pour lui apporter la force de continuer son récit. Ses sourcils se froncèrent à l’annonce du père sorti de prison et elle dut retenir une question qui lui brûlait le bout de la langue, qu’est-ce qu’il avait foutu pour avoir été envoyé derrière les barreaux ? Pas mal des potes d’Ohana y avaient enfermé pour trafic de stupéfiants ou autres, mais elle avait comme un doute pour le père de la jeune femme, on ne fuyait pas un pays aussi jeune pour fuir un simple dealer. Un frisson d’effroi lui saisit la nuque mais elle le chassa rapidement. Lentement, elle se saisit de ses lèvres pour un baiser tendre, ses doigts caressant distraitement son poignet.

Elle n’aurait jamais pensé que Lexie puisse posséder de tels démons sans en montrer la moindre ombre sur son visage. Lors de leur premier rendez-vous, elle avait semblé si merveilleuse et si libre qu’on n’aurait pu imaginer qu’elle eût des problèmes de famille dans le passé. Ohana se demandait ce qu’il était advenu du père et s’il cherchait réellement à retrouver sa fille pour des raisons qu’elle ignorait complètement, mais ce n’était pas les tueurs en série que l’écossaise devait craindre mais son propre père. Nouveau frisson et grimace mais la voix de Lexie dans le creux de son oreille lui insuffla un élan de bonne humeur qui se dissipa immédiatement. Putain non pas sa famille. Il n’était certes aucunement question de père en prison mais plus de parents inconnus au bataillon et d’une jeunesse pas très glorieuse. Elle pinça les lèvres et décida d’être franche. Elle aimait pas mentir Ohana, seulement en cas d’extrême urgence. Seule Dakota connaissait son passé, elle se confiait parce que Dakota s’était longuement confiée à elle, sur ses tatouages et sur leurs histoires, mais elle ne pouvait faire confiance à Lexie aussi rapidement. Et puis… « Je peux pas en parler. Je veux pas en parler. »

Ses doigts se mirent à jouer distraitement avec une natte et elle poussa un soupir. « J’en ai même pas parlé à ma petite-amie. » Elle se figea aussitôt et balança un regard à Lexie. Merde. C’est vrai qu’elle n’avait jamais parlé à Zelda de son passé parce qu’elles passaient leur temps à faire des conneries ou à simplement se détendre alors parler d’un sujet qui fâche, très peu pour elle. En plus de ça, Ohana n’était pas sûre que Lexie soit déjà à l’aise avec l’idée de sortir avec une polyamoureuse. « Elle s’appelle Zelda et je t’en parlerai quand tu seras prête. Mais pour l’instant on va manger. » Et sans plus attendre, elle quitta le véhicule.

La tendresse d’Ohana rassura Lexie dans sa décision de lui avoir dit la vérité. Elle lui rendit son baiser, et pour la première fois depuis longtemps son cœur rata un battement. Elle le mit sur le compte de la surprise pour le moment, préférant ne pas trop réfléchir après cette révélation digne d’un film dramatique.
Bien sûr, elle aurait pu facilement esquiver la question, mais au final elle savait très bien que celle-ci aurait fini par revenir un jour ou l’autre, alors autant que ce soit dit aujourd’hui. Au moins elle savait désormais qu’elle acceptait simplement le fait que la famille de Lexie n’était pas exactement fonctionnelle. Ce qui était probablement le cas de celle d’Ohana également quand on considérait sa réaction au retour de question de la brune.
Son choix de mot lorsqu’elle répondit fit tiquer Lexie mais elle décida de ne rien dire à ce sujet : ce n’était pas à elle de presser le sujet pour avoir une réponse absolue. Elle tenait à respecter la vie privée d’Ohana et pour ça elle devait faire taire ses instincts durement acquis. Alors au lieu d’insister elle déposa un baiser contre la tempe d’Ohana et joua un peu avec ses doigts en hochant la tête.
« D’accord. »
Elle allait déposer un nouveau baiser quand de nouvelles paroles parvinrent à ses oreilles. Elle n’en avait pas non plus parlé à sa petite amie. Enfin, son autre petite amie. Quoique. Est-ce qu’elles sortaient ensemble ? Elles avaient juste eu un rendez-vous sans parler de leur statut au final. En tout cas, cette fois-ci Lexie ne se figea pas, forte de sa conversation avec son amie et mentor. À son regard Lexie lui glissa un sourire – peut-être moins radieux que ce à quoi elle était habituée mais indulgent. Il n’y avait pas de quoi se braquer, elle savait dans quoi elle s’embarquait.
Elle quitta le véhicule avec elle.
« Oui, je pense aussi que c’est mieux de ne pas en parler tout de suite. Surtout si le repas nous attend. » Elle se tapota le ventre.
Voyant Ohana prête à avancer, Lexie attrapa par contre son poignet et la ramena vers elle, déjà pour déposer un baiser contre ses lèvres et ensuite pour la regarder dans les yeux de son regard si particuliers, à la fois rieur et sérieux.
« Par contre avant d’y aller, question : est-ce que j’ai le rang de petite amie aussi ? Et si non il y a un formulaire à remplir pour l’avoir, parce que si oui je ferais l’effort de vaincre ma phobie administrative pour toi, » plaisanta-t-elle avec humour.

Elle avait eu peur Ohana, peur de se faire poursuivre par la brune des questions plein la bouche. Mais la chance était avec elle aujourd’hui, Lexie accepta sans broncher et un vent de soulagement balaya son cœur, glissa un regard chaleureux en sa direction. Elle pouvait penser à son menu chinois sans être inquiétée par son passé, si c’était pas parfait ! Sa marche était dynamique comme si elle allait conquérir le restaurant et balancer des nouilles sur toute la ville, mais une main s’abattit sur son poignet. Elle se retourna brusquement, ses tresses sifflèrent dans l’air et manquèrent de percuter les jolies joues de l’agent du FBI. Un baiser fut donné et Ohana arqua un sourcil, se demandant bien ce qu’elle avait à lui demander. Peut-être aurait dû fermer sa bouche par rapport à sa petite amie non ? Histoire de pas foutre la merde tout de suite. Ohana oubliait la sensibilité et la jalousie parfois, des choses qu’elle comprenait à peine, sauf en présence de sa blonde qui avait un don rare pour la foutre hors d’elle.

Son bras s’enroula autour de sa taille et l’hawaïenne s’empara longuement de ses lèvres, goutant une nouvelle fois ce piquant fruité qui la faisait frissonner. Chaque étreinte était nouvelle et différente, comme unique et Ohana saisissait l’instant avec gourmandise. Bordel on vivait qu’une fois ! Elle lui mordilla la lèvre et plongea son regard amusé dans le sien. « Le formulaire peut aller se brosser, t’as passé toutes les épreuves haut la main. » Elle la libéra pour attraper sa main et lui tenir la porte du restaurant. « Allez Miss McKay, allons fêter votre nouveau statut. » rit-elle en fermant derrière elle.