Wake up, it's time, you're not a teen anymore [Eliott]

Le jour vient à peine de se lever, et d’habitude, je me lève avec. Mais ça, c’était avant de prendre sous notre aile une petite fille de trois ans à l’énergie inépuisable, mais vraiment inépuisable. C’est dire, même Eliot à côté fait ado en pleine crise. Ceci dit, a eu le bienfait de réguler le sommeil de ma petite amie. Elle qui me traitait facilement de mamie à m’endormir sur le canapé passé les 22h, elle n’est pas loin d’être la première à sombrer devant une série qu’ELLE choisit. Mais je me retiens de le lui dire, elle s’en rend compte bien assez vite toute seule.
Il y a des tas de choses qui sont remises en cause, et qui sont surtout posées sur la table concernant la vie que nous menions et celle qui est la notre à présent, avec la petite. Léo est un genre d’hyperactive, qui ne dort que très peu et qui pourtant est doté d’un humour à toute épreuve.
Le réveil affiche à peine 6h. Eliot et moi dormons à poings fermés, mon bras autour d’elle, mon visage dans son dos. Son sommeil est moins agité depuis que nous partageons toutes nos nuits.
De petits pas se font entendre dans le couloir, que je n’entends que d’une oreille et d’un sommeil hyper lointain. Eliot a plutôt besoin d’un semi-remorque pour se réveiller, ou d’environ 5 ou 6 réveils qui réveillent pour ainsi dire toute la maison. Mais ce fut sans compter sur notre petite boule d’énergie, qui se glisse dans notre chambre, et grimpe sur notre lit, difficilement, non sans arracher une partie de la couette et s’énerver parce que le lit est trop haut.
Une fois au sommet, c’est contre Eliot qu’elle se colle, et lui secoue un peu l’épaule. « Moi lé plus fatiguée, lé bien dormi et le soleil il fait plus dodo non plus. »
Eliot dort d’un sommeil profond, et moi, je viens d’émerger, mais par curiosité, je la laisse poursuivre, et laisse Eliot en proie à une gamine de trois ans, sans remords aucun.
« Lé veut pas te réveiller ? Le veut jouer et Woody aussi. » Elle hausse les épaules en voyant que son entreprise est vaine, alors elle entreprend plutôt de lui grimper dessus pour s’assurer qu’elle ne va pas prolonger sa nuit trop longtemps. « Allez, ti te plaît… » Elle boude ou je rêve ? Je suis à deux doigts d’éclater de rire, et c’est moi qui devient sa victime à présent. « Toi lé réveillée. La assez dormi, lé peut descendre ? » « Viens ma chérie, on fait un câlin avant. » Lui tendant les bras.

C’est devenu rare, les nuits où je dors dans ‘ma chambre’. J’estime que c’est toujours ma chambre, parce qu’il y a toutes mes affaires là bas, tout mon bordel. Mais je dors avec Ellen maintenant, dans son lit, qui est devenu notre lit. Et d’ailleurs, la petite Leo n’a pas perdu son sens de l’orientation quand il s’agit de venir nous réveiller. Je n’étais pas vraiment prête à me lever si tôt le matin. En général à cette heure ci, c’est plutôt l’heure à laquelle je rentrais de soirée. Aujourd’hui je suis devenue comme tous ces gens que je détestais avant. Avec un train de vie rangé, plan-plan, une femme, un gamin et un chien, tout ça dans une grande maison. Qui l’aurait cru, hein ? Comme quoi, tout peut arriver. Je ne suis pas sûre d’être encore bien dans ma peau concernant ce rôle de femme au foyer. Je n’ai jamais demandé tout ça, c’est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Est-ce que c’est ce que je voulais ? Je crois que je ne suis pas prête à me poser la question, sans doute un peu par peur de la réponse.
Le lit commence à bouger, j’émerge en surface, sans pour autant ouvrir les yeux, parce que je sais qu’une fois fait, ce sera fini pour moi. Leo est déjà là en train de gigoter, je suis sûre qu’il n’est même pas huit heures. Des petites mains se posent sur mon bras et commencent à me secouer doucement, puis avec plus d’intensité. J’entends à peine sa petite voix, et le rire d’Ellen derrière qui se fout bien de ma gueule. Leo me grimpe dessus, et j’hésite entre lui faire peur en lui grognant dessus, et jouer la morte. J’opte pour la seconde option, et sens qu’elle abandonne - temporairement - pour aller voir Ellen qui réclame un câlin.
Je finis par m’étirer et ni une ni deux, la petite fille quitte les bras d’Ellen pour me sauter dessus. « Hmmmm… pourquoi Ellen a droit à un câlin et moi tu me prends pour un trampoline ? » Elle rit et continue de me rebondir dessus. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Je finis par l’attraper et la bloquer contre moi, alors qu’elle continue de me rire dans les oreilles. Quel réveil ! « Y’a un petit asticot qui frétille dans tous les sens. Est-ce que tu as un sac pour le mettre dedans et le remettre à la vie sauvage? » que je demande à ma partenaire, alors que la petite fille continue de rire…

Nos nuits sont courtes, et la plupart du temps, les cauchemars de Léo nous réveillent et rythment nos nuits. Les miens aussi, parfois, bien que j’en fasse de moins en moins. Nous avons pour le moins une vie tranquille, bien que ce soit encore bancal. Une petite fille à peine adoptée, un couple qui n’en n’est pas clairement un, tout ça est un joyeux bordel, qui vit sur le fil, mais ça a le mérite d’exister au moins.
Et puis c’est dans ces moments-là que je veux continuer à me battre pour ce que nous avons Eliot et moi. Parce que c’est une enfant qui a besoin de nous et que si parfois le manque de clarté de notre relation me blesse, je sais qu’il y a un dénominateur commun à tout ça. Je suis très compréhensive, parce que je lui laissais le temps de se stabiliser, et de profiter de tout ce que je pouvais lui apporter pour devenir adulte. Elle l’est, un peu trop d’une certaine façon et pas assez d’une autre.
En tout cas la petite fille qui vient de nous rejoindre, a décidé que Léo serait son animation de la journée. Un peu comme tous les jours vous me direz. Moi je suis l’adulte responsable, qui pose les règles et lui donne un cadre.
Elle tente le tout pour le tout et puis finalement préfère se rabattre sur moi qui vient d’ouvrir un œil. Loupé ! La dernière qui l’ouvre a gagné, et c’est sans conteste sur Eliott que ça tombe. « Hmmmm… pourquoi Ellen a droit à un câlin et moi tu me prends pour un trampoline ? » « Parce que toi lé pas réveillé. Voilà. » Voilà, si c’est plus clair. Léo a un franc parlé comme on n’en voit pas partout. En même temps pour sa défense, elle est née dans un milieu où si vous ne vous défendez pas, vous ne survivez pas. Tout simplement.
Eliot joue une fois de plus les meilleurs potes, et la coince contre elle pour prendre la petite à son propre jeu. Ce qui a juste pour effet de l’énerver un peu plus et de la faire éclater de rire. « Mais c’est pas juste, t’es trop grande, c’est pas juste ! » Deux poids, deux mesures, oui, mais au niveau de l’âge mental, je dirais quand même que ça se vaut un peu. « Y’a un petit asticot qui frétille dans tous les sens. Est-ce que tu as un sac pour le mettre dedans et le remettre à la vie sauvage? » « Moi je vous laisse vous battre, et je vais préparer le petit dej. Vous me tiendrez au courant de qui a gagné ? » Je m’éclipse avant que le lit ne devienne un véritable champs de bataille et enfile le sweat d’Eliot, posé juste à côté du lit. Plutôt jeté, à côté du lit. Mais à ça aussi on se fait. Je quitte la chambre, non sans broncher sur les pompes de ma petite amie. Ben oui voyons, laisse trainer, je m’en n’occupe pas. C’est ma maladresse légendaire qui se charge de me faire remarquer ce qui traine.

Une fois en bas, je prépare des tartines, du café, du chocolat chaud pour Léo, et tout un tas de gâteaux qu’elle adore. C’est le weekend, on peut se permettre de faire un peu plus que la moyenne. J’y ajoute quelques coupelles de fruits. Ça n’est pas évident de lui faire goûter à tout, elle a des habitudes qui ne se quittent pas comme ça.
Les filles finissent par me rejoindre autour de la table de la terrasse, dans le soleil du matin. Ça pourrait être idyllique, si le téléphone d’Eliot n’arrêtait pas de vibrer sur la table en bois. Mais soit elle s’en fout, soit ça la met mal à l’aise. « Une admiratrice secrète ? »

Je suis en train de me faire victimiser par une enfant de trois ans. A quel point j’ai merdé dans ma vie pour en arriver là aujourd’hui ? Mais il n’est pas question que je me laisse faire, et je décide alors de coincer la petite fille contre moi, le temps qu’elle se débatte. Le jeu, c’est ce qui nous rapproche elle et moi. Avec Ellen c’est autre chose, elle est l’adulte responsable, celui sur qui on peut compter n’importe quand, pour n’importe quoi. A côté, je me sens vite en dessous, mais je travaille pour que ce ne soit pas trop souvent le cas. « Moi je vous laisse vous battre, et je vais préparer le petit dej. Vous me tiendrez au courant de qui a gagné ? » Et voilà, Ellen fuit, elle ne veut même pas jouer avec nous. Remarque, elle n’a pas tort, parce que souvent, ça finit par un coup de pied dans le menton ou un coup de boule dans le nez. Pas de moi à elle, mais de elle à moi. Leo est une petite brute, et ce n’est pas moi qui vais chercher à la canaliser.
Nous continuons de jouer encore un instant dans la chambre jusqu’à ce qu’Ellen nous appelle pour prendre le petit déjeuner. J’essaie d’inciter la petite fille à ne pas courir dans les escaliers, mais j’aurai fait la même chose à son âge alors je fais ce que je peux, mais moi, je ne sais pas crier. Nous rejoignons la maîtresse de maison sur la terrasse et déjà Leo s’installe face à son bol de chocolat, et je prends place à côté d’elle.
Sur un coin de la table, mon téléphone vibre presque sans interruption. Ou en tout cas, les vibrations sont régulières, et je vois bien que le regard d’Ellen est attiré par ce dernier. « Une admiratrice secrète ? » me demande-t-elle. Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, si elle plaisante ou si elle pense vraiment ce qu’elle dit. « Non, ça doit être le groupe WhatsApp avec les collègues du Planet. Quand elles s’y mettent on les arrête plus. » Je récupère mon téléphone et remarque tous les messages qui sont ceux d’une cliente que j’ai rencontrée il y a quelques jours, et avec qui le courant passe plutôt bien. Je n’en ai pas parlé à Ellen parce que je ne suis pas sûre qu’elle le prenne très bien, et puis, vu mon passif… Bref. Je mets le téléphone en mode avion en attendant d’être tranquille pour y répondre, et le repose, face vers le ciel cette fois. « Bon, quel est le programme du week end ? » Est-ce que je vais être de corvée famille tout le week end ou je vais pouvoir m’échapper un peu ?

Je fuis tout ce qui ressemble de près ou de loin à une situation périlleuse, et connaissant mon adresse, même descendre les escaliers est une situation périlleuse en soi. Alors les bagarres sur le lit, vous voyez, je leur laisse. Souvent, il y a en a une des deux qui prend un coup perdu, et la plupart du temps, c’est Eliot qui se ramasse un bleu. Léo est on ne peut plus brutasse quand elle s’y met, surtout quand elle se met à jouer, après de toute façon, c’est ce qu’Eliot lui montre, comment la gronder ? Je leur dis de faire attention, mais prises dans le feu de l’action, elles n’en n’ont plus rien à taper. Mais j’aime bien ce petit côté immature chez Eliot, elle est aussi là pour la petite et bien que je sache qu’elle culpabilise de ne pas être celle vers qui Léo se retourne quand elle a un chagrin, elle a des tas de choses à lui apporter, et je m’efforce de lui faire comprendre. Elle a juste la tête un peu dure.
Je descends préparer tout ce qu’il faut pour le petit dej. Je sais comment Eliot aime prendre son café, et ce qu’elle mange le matin, tout autant que j’ai vite cerné les habitudes de Léo, à qui je fais très attention. Ses céréales préférées sont toujours les premières que la table, une pomme coupée en 6, parce qu’elle l’aime comme ça. Et puis un yaourt, mais avec un tout petit peu de miel, jamais trop. Elle ne fini jamais rien de ce qu’elle commence, mais au moins, elle n’a pas l’estomac vide.
Je les attends, et elles finissent par me rejoindre et se placer autour de la table.
Le téléphone d’Eliot n’arrête pas de sonner, et au fond de moi, je sais qu’elle manque de quelque-chose qu’on appelle la liberté. Elle y tient plus qu’à n’importe quoi d’autre, mais on a fait un choix en adoptant la petite, je lui ai laissé ce choix. Maintenant on doit assurer. Parce qu’on ne peut pas se permettre de foirer pour elle. « Non, ça doit être le groupe WhatsApp avec les collègues du Planet. Quand elles s’y mettent on les arrête plus. » Je ne réponds pas, je cherche à sonder si c’est vrai ou faux. Je croise son regard, et cet instant se suspend, quelques secondes, longues, et parfois déstabilisantes. Pour autant, c’est Léo qui nous interrompt. « Je peux avoir le jouet dans la boite ? » « Pardon chaton ? Oui, le jouet. » Je plonge ma main dans le paquet pour lui trouver le petit jouet planqué dans les céréales. « Tiens ma puce. » Avoir un enfant près de soi est une chance, et pour moi un immense bonheur, presque un anti-dépresseur. Je sais Léo abimée, mais nous le sommes toutes les trois…
« Bon, quel est le programme du week end ? » « Je sais pas, y a quelques étagères à bricoler et un peu de ménage. Du linge aussi, et les courses à faire. » J’abuse exprès, en manquant un peu d’amabilité. Parce qu’elle passe son temps à vouloir s’échapper. « Eliot, si t’as envie de sortir prendre l’air, tu le dis, arrête de passer par des chemins détournés. T’es pas en prison, je te l’ai déjà dit. » Je suis un peu agressive, sans le vouloir, en tout cas un peu sèche. « C’est pas comme si tu rentrais pas déjà à pas d’heures le soir. » Elle bosse au Planet, OK, je le sais, et a adopté les horaires de ma meilleure amie. Pour autant, Loan a vu grandir ses filles, elle.