be careful... beautiful flower got thorns

Onze avril, mille neuf-cent quatre-vingt-douze. Neuf heure trente résonne, sur la pendule de cette salle d'hôpital, accrochée en haut du mur. Il fait jour depuis un moment, les jours rallongent doucement. Déjà, le soleil cogne, sur l'unique vitre présente, inondant la pièce de sa chaleur. Dehors, les gens vaquent à leurs occupations. La plupart courent, s'affolent, s'affèrent à arriver au travail à l'heure... Et dans cette fameuse pièce, où le soleil cogne, une autre sorte de travail a lieu. Les cris de ta maman résonnent dans cet endroit. Elle est en train de souffrir. Anormalement souffrir. Elle pousse, de toutes ses forces. Elle pousse jusqu'à presque s'évanouir. Son bébé... Toi. Tu ne veux pas sortir. Tu n'es pas décidée, tu es trop bien là où tu es. C'est presque comme si tu sentais ce que te réservait la vie, et que tu refusais de l'affronter. Malheureusement pour toi, c'est de force qu'on finit par t'extirper de ta mère... Car la situation devenait critique, elle perdait beaucoup trop de sang. Césarienne effectuée en urgence, ton premier cri fut poussé à seulement midi quarante-cinq. Comme tout bébé qui vient de naître, et bien qu'elle soit mal en point, on te déposa dans les bras de ta maman, qui, avec le peu de force qui lui reste, t'as serré avec tendresse dans ses bras. Et c'est ainsi que ta petite vie commença. Petite vie qui s'annonçait pourtant parfaite et peine d'amour, entourée de ta maman et ton papa. Mais tout ça... C'était sans compter sur l'acharnement que le destin allait avoir contre toi.



Tu viens d'avoir trois ans, il y a environ deux mois et le moins que l'on puisse dire, c'est que tu es une petite fille pleine de vie. Toujours joyeuse, souriante et joueuse, tu as tout de la petite fille parfaite. Enfin ça, c'est seulement quand tu es avec ta maman. Avec elle, tu es libre. Libre d'être insouciante, d'être une petite fille normale. Sans histoire. Mais... Tu étais loin d'être normale. Tu ne pouvais pas être normale. Tu n'en avais pas le droit. Enfin, on ne t'en laissait pas le droit. Pour toi, pas d'école. Pas de petits camarades de jeu. Pas de cours de récréation. Juste une salle, exiguë, comportant juste une table et deux chaises. Pas de décoration, rien. Rien qui ne puisse être un objet de distraction. Rien... À part toi, tes livres et ta maman. Vous vous demandez sûrement pourquoi une enfant si jeune était autant encadrée. La réponse est assez simple, pourtant. Ton père... C'était déjà à l'époque, une personne froide, méfiante et sévère. Trempant dans des affaires louches depuis bien avant ta naissance (c'est même ça qui l'a fait s'expatrier aux USA) il avait catégoriquement refusé que sa fille fréquente une école, même privé... Pour sa sécurité. Enfin, ça... C'est ce qu'il avait sorti à ta mère, pour qu'elle arrête d'insister sur son envie de te laisser vivre une vie d'enfant lambda. Parce que la vérité était tout autre et la seule personne à laquelle il pensait, en faisant ça... C'était lui. S'il aimait sa femme et un minimum sa fille, la personne qu'il aimait le plus, dans le fond, c'était lui-même. Lui, et surtout son petit business de malfrat. Car c'est comme ça, qu'il gagne sa vie. Il n'a pas un petit travail calme, honnête et confortable. Il n'en a jamais eu, et n'en aurait jamais. Parce que c'est comme cela qu'il fonctionne. Sa fille... Ce n'est rien d'autre qu'un fardeau. Une chose, que l'on pourrait lui prendre, pour l'atteindre, chercher à lui nuire. Et c'est pour ça qu'il devait la cacher. Faire comme si elle n'avait jamais existé. Quittes à lui voler sa vie... Et son avenir. Bien évidemment, ta mère n'était pas d'accord avec ça, et pendant un long moment, elle fit pression sur lui, pour qu'il te laisse vivre une vie normale. Mais tout ce que ça lui apporta... C'est du souci. Enfin ça, et les foudres de ton père, bien entendu. Et cet amoncellement de soucis, pesant un peu plus chaque jour sur elle et son corps frêle, finirait malheureusement par avoir de très lourdes conséquences. Aussi bien pour lui, que pour sa petite fille, qu'il voulait tant effacer...




La fumée de l'encens s'envole, et s'échappe dans les airs. Les larmes coulent, abondamment, sur tes joues de jeune fille de dix-huit ans, rougies. En silence, tu pleures, longuement, sans t'arrêter, les yeux rivés sur cette photo qui brise ton cœur en mille morceaux, à chaque fois que tes yeux s'attardent sur elle. Seule, dans cette pièce immense qu'est ta chambre, tu célèbres, à ta manière, car tu sais pertinemment que lui s'en fiche l'anniversaire de la personne la plus importante de ta vie. Mais alors... S'il s'agit d'un anniversaire, pourquoi ces larmes, vous demanderez-vous ? Simplement parce qu'il ne s'agit pas d'un anniversaire comme les autres. Ici, pas de place pour les rires, les gâteaux, cotillons et bougies... Juste toi, face à cette image d'elle. Elle qui te sourit. Car elle n'a jamais cessé de sourire, jusqu'à la fin. Déjà quinze ans, aujourd'hui, qu'elle t'a abandonnée. Quinze ans qu'elle est partie rejoindre les étoiles, arrachées à toi à cause de cette saleté de maladie... Quinze ans que tu vis un enfer, que tu livres un combat de tous les jours, pour repousser cette envie dévastatrice, de tout lâcher... Et de juste t'enfuir. En finir avec cette vie. Et partir loin de cette prison de verre. Depuis le décès de ta maman, les choses s'étaient tellement dégradées que ta vie, déjà difficile était devenue comme un combat de tous les jours. Ton père, que l'âge rendait un peu plus aigrie et détestable chaque jour, ne t'accordait pas la moindre attention, par contre, il ne te laissait pas une seconde de répit... Tout ce cirque de surveillance permanente s'étant pire qu'empiré, au point que c'est à peine si tu pouvais aller aux toilettes, sans être surveillée. L'âge, ainsi que ses affaires de plus en plus florissantes, le rendait de plus en plus paranoïaque et détestable... Et c'est toi qui en payais le plus les frais. Tu n'avais pas de vie. Pas la moindre parcelle d'existence. Tu n'étais rien... Juste une ombre, une chimère, un fantôme, flottant dans les couloirs de cette immense maison, comme une âme en peine, à la recherche d'un but. Mais quel peut bien être le sens de la vie de quelqu'un qu'on étrangle, au point qu'elle ne puisse plus respirer ?...




Les années ont continué à défiler, si lentement, que tu avais cru mourir à petit feu... Et tu n'arrives toujours pas à croire que tu arrivais déjà à ta trentième année. Chez toi, rien n'avait changé. Bien au contraire. Au cours des six derniers mois, la paranoïa de ton père était devenue comme une vraie maladie et tout ça pour quoi ? Parce que dernièrement, un gang rival avait émergé et malheureusement pour ton paternel... Son chef, s'amusait à le provoquer, sans vergogne, en venant sur ses plates-bandes et en le narguant ouvertement. Enfin, ça, toi t'en savais rien, c'est ce que tu avais cru comprendre, en entendant ton père hurlé des ordres à ses hommes. De ton côté, tu n'en avais que faire, au contraire... L'idée que ton père puisse se faire descendre de son piédestal te plaisais assez. Mais tu avais quand même tendance à en douter, et à ton avis, ce "gang" rival finirait comme les autres avant lui, broyés, entièrement dévoré par son père et ses sbires. De toute façon, tu ne voyais pas l'intérêt de t'intéresser à eux, puisque toi, tu n'es rien d'autre qu'un oiseau en cage... Jusqu'à ce qu'un soir, lors d'une sortie exceptionnelle, cet homme essaie de t'approcher. Se présentant rapidement à toi, il essaya, comme tous les autres, de se servir de toi, en te questionnant sur les affaires de ton père... Mais c'était sans compter sur toi, ton tempérament explosif, et ta capacité impressionnante à rembarrer les gros lourds de son espèce. Sauf que manque de bol pour toi, ton comportement à semblé lui plaire, et après ça, il s'amusa à revenir tous les soirs, flirtant avec toi, encore et encore si bien qu'à force, ton grand isolement n'aidant en rien... Tu as fini par tomber sous son charme. Et pas qu'un peu. T'es tombée amoureuse de cet homme. Amoureuse de lui et son charme dévastateur. Ne sachant que trop bien la réaction que pourrais avoir ton père s'il apprenait que tu fricotes avec l'ennemi, tu t'es arrangée pour le voir très tard le soir, t'extirpant de ta chambre en douce, pour rejoindre l'homme qui faisait frétiller ton cœur, tombant un peu plus sous son charme à chaque minute passé en sa présence. Ceci étant dit et comme tu aurais pu t'en douter, malheureusement... Ce petit jeu, très dangereux, ne dura pas bien longtemps. Ton père ayant eu vent, on ne sait comment, de tes sorties nocturnes, il finit par te faire suivre, un soir, par plusieurs de ses hommes... Et le pire se produisit. Sans que tu n'es le temps de rien voir venir, un violent coup de feu te fit sursauter, et éboulant de nulle part, les hommes de ton père firent irruption devant toi, t'emmenant avec eux, tandis que tes cris résonnaient dans la nuit. Te débattant de toutes tes forces, tu ne pus qu'observer, les yeux dégoulinant de larmes, le corps inerte de l'homme que tu aimais laisser là, comme un chien, s'éloigner de devant tes yeux... Avant de simplement t'évanouir, prisonnière de ses hommes. Jetée dans ta chambre après que ton père t'es affreusement battue pour te passer l'envie de fricoté avec l'ennemi, tu t'es simplement effondrée sur le lit, pleurant toutes les larmes de ton corps jusqu'à ce que le sommeil s'empare de toi, ton corps frêle totalement vidé de ses ressources, et ton cœur totalement brisé. Tu ne pouvais pas réaliser ce qu'il venait de ce passé. Tout ça... Ce n'était qu'un cauchemar. Un atroce cauchemar, à ajouté à ta liste, duquel tu ne pourrais jamais te réveiller...



Tes doigts passent sur l'une de ses joues et finissent dans ses cheveux. Cheveux que tu caresses, avec tendresse, pendant que des larmes inondent tes yeux. Tu es là, assise sur cette chaise inconfortable, comme tous les soirs, depuis des mois maintenant. Échappé de ta prison de verre, tu veilles sur lui, sur cet homme qui a volé ton cœur. Tu te moques des risques encourus... Car miraculeusement, il a survécu. Et tu espères chaque soir, en entrant dans cette chambre, que ses yeux se poseront dans les tiens et qu'un sourire illuminera ce visage...