family time (maé, jamie & eden)

Je tiens à garder mon rôle de mère intact, maintenant que je l’ai retrouvé. Ça n’a pas été évident, et je sais que ça sera encore probablement semé d’embuches. Mais j’y crois, et je veux que ça fonctionne. J’ai perdu trop de temps, je veux pouvoir me rattraper, même si on ne rattrape jamais le temps perdu. Alors je garde la tête haute et me tiens à mes idées quand il s’agit de donner des arguments à ma fille. Je ne compte pas la laisser aussi libre qu’elle le voudrait, elle n’a que quinze ans. Jamie en profite pour me lancer quelques petites piques que je tente de laisser de côté. Finalement, je me tourne vers lui pour avoir son approbation, en espérant qu’il ne joue pas les têtes de con, et qu’il n’aille pas dans le sens inverse juste pour me faire chier. « Aucun. Je n’y vois rien à redire. Maé, c’est non négociable, ce sera comme dit ta mère. » Merveilleux, tout peut arriver. Maé soupire, elle capitule. « C'est toujours mieux que rien. » Je hoche alors la tête, satisfaite qu’on ait pu tomber d’accord. Et même si je sais que je ne passerai pas beaucoup de temps avec elle en Italie parce qu’elle sera occupée à autre chose, je suis ravie de la perspective de voyager un peu avec elle, passer du temps avec elle en dehors de l’agitation de Los Angeles et de mon boulot.
Maé me secoue un peu, elle a faim et demande où en sont les pizzas. Merde les pizzas ! « Oui ! Les pizzas ! » Je me lève d’un bond et passe devant Jamie pour rejoindre la cuisine et sortir les plats du four. C’était moins une, heureusement que Maé m’y a fait penser. « In extremis ! » Je les coupe et ramène des assiettes et des serviettes. Tout est prêt. Il y en a deux différentes, une basique et une trois fromages. « Et voilà » Je ne cuisine pas souvent, mais une fois de temps en temps, j’y prends beaucoup de plaisir. Et des pizzas maison, c’est toujours mieux que de les acheter, alors qu’on ne sait pas ce qu’ils mettent vraiment dedans. Chacun se serre et je donne un coup de genou à Jamie pour le réveiller un peu. « Cache ta joie de partager un dîner avec nous hein ! On dirait que tu cherches une solution pour t’ôter la vie là ! » Je me moque un peu, mais c’est de bonne guerre. « Ça va ? » J’ai beau le détester la plupart du temps, il y a toujours une part de moi qui l’aimera toujours. Je le sais.

Je me vois dans l’obligation de suivre les recommandations de la mère de ma fille. Après tout, elles ne sont pas sans fondement, et je suis même plutôt d’accord avec. Pour une fois qu’on trouve un terrain d’entente elle et moi. Nous avons fait du fait de s’emmerder mutuellement, un sport olympique, une discipline. Sans doute par provocation, par jeu, parce qu’on s’aime de cette façon-là. Je n’ai jamais eu une relation calme et reposante avec Eden. Et je n’en voulais de toute façon pas. Alors quand nous tombons effectivement d’accord, c’est ma fille qui tombe de haut, sans comprendre ce qui peut bien se passer, on fait alliance, et elle n’avait pas franchement compté sur ça… Raté !
« C'est toujours mieux que rien. » « C’est mieux que rien. » Embrassant la tête de ma fille. Je ne veux pas l’encourager à croire que tout est facile, et encore moins que passer toute une semaine chez sa correspondante, qui doit être bien plus que ça, est normal à son âge. Je prends soin d’elle, et je me méfie de qui elle fréquente. Filles, garçons, là n’est pas le problème, je protège l’estime qu’elle peut avoir d’elle-même, c’est mon rôle de père non ?
« Oui ! Les pizzas ! » Ca aurait été bien trop beau qu’elle réussisse sans faire une connerie. Eden… Eden qui fut toujours plus intéressée par le numéro de la serveuse que par l’origine des produits utilisés. Peu importe, certains aspects de sa personnalité sont déroutants, tout autant qu’ils peuvent se révéler être séduisants. Et je n’estime pas être un coup de chance d’avoir réussi à lui faire un enfant, de m’être mariée à elle, je dirais que nous avions à le vivre, et qu’à présent, nous avons d’autres besoins. « In extremis ! » J’applaudirais presque. Mais je vais garder toute cette ironie pour moi, rien ne sert de forcer le trait. Je la remercie pour le dîner.
Je suis discret, observateur, comme je l’ai toujours été. Je ne parle jamais pour ne rien dire. Et mes prises de paroles ont le mérite d’être écoutées, elles sont rares. « Cache ta joie de partager un dîner avec nous hein ! On dirait que tu cherches une solution pour t’ôter la vie là ! » Je relève la tête, un peu surpris de cette injonction. C’est ça de penser à tout un tas de choses en même temps. Je pense que je me sens assez à l’aise pour m’apaiser et ne pas être sur le qui vive constamment. « Ça va ? » « Ca va. Des trucs de boulot qui me reviennent. » Maé me lance un regard assassin. « Une seconde. » Je pose mon assiette, embrasse la tête de ma fille et vais passer un coup de fil de la plus haute importance. Une fois mon affaire réglée, je rejoins les filles. « Je viens de racheter une école de théâtre à Malibu. » Jetant un œil fier à ma fille. Je ne fais rien à moitié, et je n’étais pas moi-même en attendant la réponse à mon offre. Eden tombe des nues. « On a toujours convenu que ses études passeraient avant tout, non ? » Je me rassieds, reprenant mon assiette. Même si mes repas sont frugaux la plupart du temps. « Tes pizzas sont très bonnes. Tu fais des progrès. »

Je vais partir en Italie ! Et surtout je vais revoir Gioia. En vrai, à l'intérieur de moi, c'est la folie. Mais je ne veux pas forcément le montrer. Par principe déjà, parce que je n'ai pas eu totalement gain de cause. Mais aussi pour ne pas risquer d'interrogatoire sur ma correspondante. Je ne serais pas vraiment à l'aise d'en parler comme ça devant eux. Moins ils en savent, mieux c'est. Même si techniquement ma mère est déjà plus ou moins au courant. Dans les grandes lignes, ne nous enflammons pas ! Je ne lui ai pas tout dit non plus. Encore heureux. « Oui ! Les pizzas ! » Bah oui, j'ai faim moi avec toutes ces émotions. On sait tous que la bouffe et moi, c'est une grande histoire d'amour. Ma mère se précipite dans la cuisine pour sortir les pizzas du four. « In extremis ! » C'était moins une. « Qu'est-ce que vous ferez sans moi hein ? » Si j'avais rien dit, je pense que ma mère aurait fini par cramer la baraque. Ouais pas douée qu'elle est quoi. Mais je lui pardonne, parce que sa pizza aux fromages a l'air d'être une tuerie. La base. Je me fais pas prier pour me servir, on dirait que je n'ai pas mangé depuis quinze jours. « Cache ta joie de partager un dîner avec nous hein ! On dirait que tu cherches une solution pour t’ôter la vie là ! Ça va ? » J'avoue qu'il est un peu trop discret à mon goût. Enfin plus que d'habitude quoi. « Ca va. Des trucs de boulot qui me reviennent. » Mais il y en a pas un pour rattraper l'autre ou quoi ? « AH NON ! » Ils ne vont pas commencer à parler boulot. « Une seconde. » Sérieusement ? « C'est une blague ? » Que je demande dans un regard plus assassin qu'interrogateur. Apparemment non, ce n'est pas une blague puisqu'il s'éclipse pour passer un coup de téléphone. Je rêve. « Ça ne changera donc jamais... » Je laisse échapper ces quelques mots d'entre mes lèvres en soupirant, déçue. « Je viens de racheter une école de théâtre à Malibu. » Hein ? « Quoi ? » Attendez, je crois que j'ai pas bien entendu là ? « On a toujours convenu que ses études passeraient avant tout, non ? » Il la complimente ensuite sur ses pizzas passant littéralement du coq à l'âne. Mais pour le coup, nous restons toutes les deux sur le cul de l'annonce qu'il vient juste de faire. « Une école de théâtre ? » Il me regarde trop fier de lui, et je ne peux m'empêcher de sourire. Clairement il n'a jamais fait les choses à moitié, mais là, on est encore à un autre niveau. « Mais quoi, quand, comment, pourquoi ? » J'enchaine les questions en rigolant, mais ouais, j'attends qu'il nous en dise plus maintenant.