family time (maé, jamie & eden)

Depuis le départ de sa correspondante, Maé n’est pas dans son assiette. Je le vois bien quand elle est à la maison, elle est facilement distraite et reste accrochée à son téléphone encore plus qu’avant. Je n’aurai même pas pensé que ce soit possible. Pour en avoir discuté avec elle, j’ai fini par comprendre ce qui se tramait entre ces deux là. J’espère simplement que la jeune Gioia ne sera pas du genre à s’éloigner à cause de la distance. Je n’ai aucune envie que le coeur de ma fille soit piétiné, même si je sais que c’est inévitable. Que ce soit par Gioia, ou par quelqu’un d’autre. J’ai même été une des premières à le faire, et je m’en mords encore les doigts. Je ne suis pas du genre à avoir des remords ou des regrets, mais en ce qui concerne ma fille, j’ai l’impression de ne jamais faire ce qu’il faut depuis qu’elle est née. Et pourtant, je ne regrette pas un seul instant d’avoir cédé aux yeux doux de Jamie pour la naissance de notre princesse.
En parlant de Jamie, ce soir, nous avons décidé d’enterrer la hache de guerre - au moins pour la soirée - histoire de se faire un dîner tous les trois, pour penser un peu à autre chose. Maé reste une adolescente imprévisible, ce n’est même pas sûr qu’elle soit vraiment contente de ce dîner avec ses parents, mais c’est tellement rare que j’ai un petit espoir qu’elle soit ravie. Je ne lui ai pas dit qu’on attendait un invité, elle est encore lovée dans le canapé quand mon ex mari sonne à la porte. « Maé chérie, tu veux bien aller voir ? J’ai les mains dans la farine ! » Pâte à pizza maison, depuis que j’ai cuisiné pour Rayan, je crois que ça m’a un peu donné envie de remettre ‘la main à la patte’, dans le sens le plus littéral du terme ce soir.

@Maé Ukhar @Jamie Ukhar

J’ai reçu un message d’Eden pas plus tard que ce matin. D’habitude, quand mon ex-femme me rend compte, c’est pour me rappeler à quel point je suis un connard égoïste, un peu trop prétentieux, un peu trop sûr de lui, mais qu’elle me doit tout de même une grande partie de l’éducation de notre fille. Ce qui est très juste. Maé et moi sommes fusionnels, peut-être plus assez, selon moi, mais elle grandit, je me dis que c’est comme ça que doivent se passer les choses, non ? Elle a l’âge de se foutre de mon avis, ou plutôt d’aller contre. C’est le processus, celui qui fait qu’elle va devenir adulte. Et je déteste quand elle est triste, alors quand je peux inverser la donne, je le fais. Malheureusement, je n’ai plus la réponse à tout, comme quand elle était petite et que je devenais automatiquement la solution à tous ses problèmes. Petits enfants, petits soucis, grands enfants, grands soucis. Ça ne me plaît pour autant pas plus que ça. Je la surprotège. Mais j’ai toujours fait ça. Eden me taxait souvent de mâle Alpha. C’est exactement ça. Et ça lui plaisait à une époque. Pas si lointaine d’ailleurs. Même si ça nous valait nos disputes les plus véhémentes. Quoi qu’à tout bien réfléchir, ça faisait aussi nos meilleurs ébats.
Pour le dîner de ce soir, elle m’a fait savoir s’occuper de tout, mais que j’étais convié à la mission qui visait à remonter le moral des troupes. Maé est plutôt secrète en ce moment, sur sa vie sentimentale. Mais je crois avoir compris depuis un moment. Elle aussi, a un penchant pour les femmes. Le souci que j’ai avec ça, c’est qu’elles sont cruelles, et n’hésitent généralement pas à piétiner toute estime de l’autre… Je le sais, je l’ai vécu. Les hommes sont plus francs, en tout cas, plus maladroits et donc moins subtiles dans leur façon de vous faire du mal… Mais qu’importe, homme ou femme, il y en aura toujours un pour lui faire du mal, et c’est à cet instant que j’interviens.
20h, je sonne. J’entends quelques pas derrière la porte, une bouteille à la main, et du pain, du vrai pain français, comme Maé l’adore. Eden aussi, si je me souviens de ces moments volés à Paris. « Bonsoir ma puce. » Je lui souris et l’embrasse tendrement sur la tête, en la prenant contre moi une seconde. « Ta mère ne t’avait donc rien dit. » Etant donné la tête pleine de surprise qu’elle m’affiche.

Ma mère est en train de cuisiner, ça, déjà, c'est quelque chose d'assez surprenant en soit. Elle ne le fait jamais, c'est Joana qui s'occupe habituellement de nous préparer les repas pour la semaine. Franchement c'est bizarre, je me demande même si elle est pas en train de me cacher un truc. Et en même temps je ne fais pas plus attention que ça. Je suis affalée devant la télévision, mon portable vissé dans ma main. Et lorsque la sonnette retentit, je suis la première surprise. On peut jamais être tranquille ou quoi ? « C'est qui ? » Ou le réflexe de poser des questions connes. Bah ouais, genre on peut pas encore voir à travers les portes à ce que je sache. Mais c'est plus fort que moi. « Maé chérie, tu veux bien aller voir ? J’ai les mains dans la farine ! » Je soupire un peu, me levant à contre coeur du canapé. J'suis sûre que je vais louper le plus croustillant de ce feuilleton bidon en plus. Ouais, je peux faire semblant d'être captivé par tout et n'importe quoi quand je veux. La vérité, c'est que j'étais en train d'écrire un message. Et on ose me couper dans mon élan, bah voyons ! J'ai pas le time pour des conneries moi. « Non mais faut vraiment tout faire dans cette maison, c'est dingue ! » Je le dis sur le ton de la plaisanterie, riant un peu. Finalement j'ouvre la porte, me retrouvant nez à nez avec mon père. Attends, mais c'est quoi ce bordel ? « Bonsoir ma puce. » J'accueille son baiser sur la tête en lui rendant son étreinte, restant tout de même légèrement perplexe. Qu'est-ce qui se passe au juste pour que ces deux-là se soient mis d'accord ? « Ta mère ne t’avait donc rien dit. » Je la vois justement qui passe la tête au loin pour regarder en notre direction, et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. « J'ai fait une connerie ? » Là, tout de suite, je ne vois que ça. « Non j'sais pas, parce que pour que vous soyez dans la même pièce tous les deux y'a forcément un truc. » Je zieute de tous les côtés de la pièce pour trouver une quelconque caméra. Y'a un truc, c'est pas possible autrement. « C'est une caméra caché ? » Ils sont en train de me faire une blague les c*ns. Bon ok, j'en rajoute volontairement un peu. Mais en même temps c'est tellement rare que je préfère me méfier. Sait-on jamais avec eux.

« Non mais faut vraiment tout faire dans cette maison, c'est dingue ! » lâche la jeune demoiselle tout en se levant. Je me retourne pour la regarder, vérifier si elle joue la comédie ou si elle est vraiment d’une humeur massacrante. Heureusement, elle rit et me rassure par la même occasion. On l’a échappé belle. J’entends la voix de Jamie et espère que ça fera plaisir à notre fille. « J'ai fait une connerie ? » demande-t-elle alors que je ris légèrement, plus pour moi que pour qu’ils m’entendent. « Non j'sais pas, parce que pour que vous soyez dans la même pièce tous les deux y'a forcément un truc. C'est une caméra caché ? » J’essuie mes mains et les rejoins dans l’entrée en riant. « Pas de caméra cachée non. C’est si difficile à croire que tes vieux parents partagent un dîner avec leur fille chérie ? » Je glisse une main dans las cheveux soyeux de ma princesse, avant de m’approcher de Jamie pour lui offrir une accolade chaleureuse. On a dit qu’on enterrait la hache de guerre, au moins ce soir. Et puis, Maé étant présente, il est impossible que la soirée dérape comme la dernière fois qu’il a mis les pieds ici. D’ailleurs, autant éviter d’y penser. Je récupère la veste de Jamie et vais l’accrocher, lui proposant de se mettre à son aise. « J’ai l’impression que ça fait un millénaire qu’on a pas partagé un moment tous les trois. » Et je crois même que ce n’est pas qu’une impression. Je sors quelques petits trucs pour l’apéritif et débouche une bouteille de vin blanc. Cette fois, il n’y en aura qu’une, et je ne compte pas abuser dessus. « Tu veux boire quoi Chérie ? J’ai commandé des trucs, avec et sans alcool, regarde dans le bas du frigo. » Le ‘avec alcool’ reste modéré, mais je me doute bien que quand elle fait des soirées chez ses amis, elle ne boit pas que de l’orangina. Soyons honnêtes. Je sers un verre de vin à Jamie, et un pour moi, avant d’aller dans le salon pour profiter de ce début de soirée en famille.

« Pas de caméra cachée non. C’est si difficile à croire que tes vieux parents partagent un dîner avec leur fille chérie ? » Oui, je crois que c’est trop difficile à croire pour elle. En même temps Maé n’a pas beaucoup profité du temps où nous nous entendions à merveille sa mère et moi. Nous ne sommes pas ce qu’on peut appeler les parents du siècle, ni même le coup de foudre de l’année. Mais on s’aimait, réellement, et passionnément. Et comme toute passion, ça fini par exploser. C’est comme ça. Je crois qu’Eden ne sait aimer profondément que de cette façon. Et je pense même que je le savais dès le départ. Ma fille a 15 ans, et forcément, pour elle, ses parents ne font pas ces choses-là… si elle savait pour la dernière fois. Mais je ne préfère pas y penser. En tout cas pas comme ça. « Il y a même eu une époque où on s’entendait. Sans se jeter. Enfin presque pas. » Je lance un regard amusé à Eden, je pense que Maé a fini par comprendre que parfois ça se finissait au lit. Elle n’est pas si innocente que ça, et elle connaît surtout sa mère.
Je prends place dans le salon, tout près de ma fille sur le canapé. C’est une place que nous avons l’habitude d’occuper tous les deux. Il n’est pas rare que nous partagions une série. Quand j’ai le bonheur d’avoir un peu de temps le soir. Le temps que je prends, pour elle. « J’ai l’impression que ça fait un millénaire qu’on a pas partagé un moment tous les trois. » « Ca fait théoriquement dix ans. » Ça n’est pas tout à fait un reproche, mais n’est pas tout à fait innocent non plus. Maé me lance un regard, auquel je réponds par un genre d’expression voulant dire que je suis ici en paix. En même temps, provoquer Eden est un réel bonheur. Et elle en fait autant, quand elle le peut. Ça a toujours fonctionné comme ça tous les deux, et on adore ça.
« Tu veux boire quoi Chérie ? J’ai commandé des trucs, avec et sans alcool, regarde dans le bas du frigo. » De l’alcool. Je ne suis pas pour, mais je ne peux rien dire. Après tout, je ne suis pas sans ignorer qu’elle sort et voit des amis, participe à des soirées, alcoolisées, parfois même un peu limites. Mais ça… Je ne vais pas lui dire que je cautionne. Je veille, c’est tout. Elle se lève pour aller chercher ce dont elle a envie dans le frigo. Et j’en profite pour m’entretenir avec Eden. « Tranquille sur l’alcool. » Dixit celui qui boit comme il fume.

Je n'en crois pas mes yeux quand je tombe sur mon père. Apparemment cette idée de diner tous les trois était une sorte de surprise. Et pour l'effet de surprise, c'est gagné. « Pas de caméra cachée non. C’est si difficile à croire que tes vieux parents partagent un dîner avec leur fille chérie ? » Et pas qu'un peu ! Honnêtement je suis curieuse de voir ce que ça pourrait donner. Parce que franchement je ne sais pas trop à quoi m'attendre. D'un côté ça me fait plaisir, mais d'un autre côté c'est vraiment trop chelou. « Il y a même eu une époque où on s’entendait. Sans se jeter. Enfin presque pas. » Je lève les yeux au ciel, comme par réflexe. « Ouais merci mais en fait je veux pas savoir. » C'est dégueu d'imaginer ses parents intimement parlant. Et là, bizarrement, j'ai des visions d'horreur qui me traversent l'esprit et c'est pas beau à voir. Eurk. « J’ai l’impression que ça fait un millénaire qu’on a pas partagé un moment tous les trois. » Est-ce que c'est déjà arrivé ? Je crois pas en avoir le souvenir. « Ça fait théoriquement dix ans. » Ah bah oui... je grimace un peu, plus pour moi-même qu'autre chose, non sans toiser mon père du regard. Temps mort pour ce soir. « Tu veux boire quoi Chérie ? J’ai commandé des trucs, avec et sans alcool, regarde dans le bas du frigo. » AH ça c'est cool ! J'ai encore jamais bu devant mes parents, mais j'ai quinze ans maintenant et ils ne sont pas bêtes. En même temps je ne tiens pas du facteur, j'dis ça j'dis rien. Je prends une bière aux fruits rouges, ma préférée, avant de rejoindre mes parents au salon. « C'était l'idée de qui alors ? » J'ai un peu de mal à croire que c'était une idée commune, ça doit forcément venir de l'un ou de l'autre. « C'est toi Maman ? » Ouais c'est plus son genre quand même. Et puis depuis que nous avons crever l'abcès toutes les deux, ça se passe quand même beaucoup mieux. Est-ce qu'il y a une raison précise derrière cette idée de soirée en famille ? Je vais tout faire pour le découvrir. Parce que oui, je suis curieuse, et comptez sur moi pour mener mon enquête. Quelque chose me dit que ce n'est quand même pas tout à fait normal. « Bon alors qu'est-ce qu'on fête ? » Je ne vais pas lâcher l'affaire si facilement.

« Il y a même eu une époque où on s’entendait. Sans se jeter. Enfin presque pas. » Je lève un peu les yeux au ciel. Parce qu’il est vrai que notre relation n’a jamais été vraiment au beau fixe. Même quand on s’aimait, on s’engueulait beaucoup. On a fait des erreurs, mais on a au moins eu le mérite de se donner l’un à l’autre pleinement. « Ouais merci mais en fait je veux pas savoir. » Cette fois j’échappe un rire à la réaction de ma fille. « On n’allait pas te donner des détails. » C’est pas notre genre, et je n’ai aucune envie de la traumatiser. Je n’ai pas conscience du temps qui a passé depuis que nous nous sommes retrouvés tous les trois. Jamie appuie là où ça fait mal en me donnant le temps qui s’est écouté. Dix ans. C’est vrai. J’aurai mieux fait de fermer ma gueule, et je me contente d’un soupire, adressant un regard réprobateur à Jamie. Qu’il fasse un effort un peu, merde.
Je propose à boire à Maé, il y a des boissons peu alcoolisées, je me doute qu’elle ne boit pas que du jus de fruit quand elle a ses soirées avec ses amis. Ce n’est plus une enfant, il va falloir qu’on s’y fasse. « Tranquille sur l’alcool. » Mais quel rabat-joie ! Nouveau regard réprobateur à l’attention de Jamie, et je lui fais signe de me suivre jusque dans le salon, notre bouteille de vin à la main. « C'était l'idée de qui alors ? » Visiblement, elle se doute que c’est plutôt moi, et je hoche un peu la tête. « Tu vois ton père s’inviter à dîner ? Ou même proposer un dîner avec son ex-femme… » Je donne un coup de genou gentil à l’intéressé, en souriant. Qu’est-ce qu’on fête ? Bonne question. « On fête notre famille. C’est bien non ? » Je le regarde tour à tour alors que je suis entre eux, pas la meilleure place. « C’est pas parfait, mais ça reste notre famille, et je l’aime comme elle est. » Même si Jamie est chiant. Et qu’on a recouché ensemble. Pas une bonne idée de penser à ça. Je nous sers et il est temps de trinquer avec notre fille. En espérant que la soirée se passe bien.

Je n’apprécie pas forcément de savoir que ma fille boit de l’alcool comme j’ai pu le faire à son âge. Pire, que sa mère ait pu le faire à son âge ! Parce que, croyez-le ou non, Eden a une descente digne de l’enfer. Pas que ça me posait souci à l’époque. J’ai moi aussi un penchant très prononcé pour le whisky irlandais. Ma fille a grandi en voyant ses parents se venger là-dessus… Comment voulez-vous qu’elle en reste loin ? Elle aurait pu s’en dégouter. Mais nous sommes de la classe sociale qui sait boire comme un trou. Je veux la préserver, c’est sans doute idiot vu son âge. Mais elle a 15 ans, et ça restera ma fille, haute comme ça. La vie est dure, les gens sont méchants, et même si je ne pourrais pas la protéger de tout, je voudrais au moins la préserver…
Mais le fait que notre vie intime dégoute un tant soit peu ma fille me fait rire, et pour la première fois depuis longtemps, Eden et moi échangeant un sourire complice. Je crois qu’à son âge, on aurait encore plus mal vécu la chose… Non, nos parents ne font pas ça. C’est tout bonnement impossible. Pourtant, elle est bien placée pour savoir que sa mère comme moi, n’avons pas vraiment froid aux yeux. Même si je suis plus discret qu’Eden pour mes histoires de cœur. Ou de cul. A voir. « C'était l'idée de qui alors ? » « De ta mère. Et elle a sans doute bien fait. » Pas que j’aime concéder, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Pourtant, je me demande bien ce qui peut se passer, si elle est vraiment sincère, ou si c’est un coup de pub pour récupérer un peu de confiance de la part de sa fille. Tous les coups sont permis chez elle. Comme chez moi, en fait. Et c’est pour ça qu’on s’entendait si bien. « Tu vois ton père s’inviter à dîner ? Ou même proposer un dîner avec son ex-femme… » Je ne réponds pas, je fais un effort dans son sens et elle en place une bien sentie. Je ne crois pas qu’on sache ce que veux dire une trêve. Quelle qu’elle soit. « On fête notre famille. C’est bien non ? » C’est bien… Mais on aurait pu faire ça plus tôt. « C’est pas parfait, mais ça reste notre famille, et je l’aime comme elle est. » « Comme ce que tu en as fait, Eden. » Je me fais incendier, des deux filles, d’une même voix. OK ! Je suis une  tête de con, et alors ? Ce n’est plus un secret pour personne, et clairement, j’en veux beaucoup à Eden de nous avoir abandonné. OK ce n’était pas la vie qu’elle voulait, en tout cas qu’elle ne se sentait pas prête à assumer, mais sa fille avait besoin d’elle. Elle nous a laissé tous les deux. Et aussi con que je sois, Eden était la femme de ma vie. Alors oui, pardon, mais je suis encore empreint de rancœur. Que je vais tâcher de mettre de côté pour ce soir. « On profite du moment présent. Trêve pour ce soir. » Levant les mains en signe de pardon. Je récupère un verre et trinque avec elles. « A vous deux. » Je me lève pour embrasser ma fille sur le front. Nous avons une vraie complicité tous les deux, et au fond, je suis plutôt satisfait qu’elle entretienne une vraie relation avec sa mère… Elle lui a cruellement manqué. Je le sais, mieux que quiconque. « Et à ton futur stage de théâtre à Paris, ma fille. » On a vu ça avec sa mère, d’un commun accord pour une fois. C’est sa passion, et si on peut au moins se mettre d’accord sur son avenir… Ce serait un grand pas, non ?

Je suis obligée de penser que cette "réunion" familiale n'est pas tout à fait normale. C'est plus fort que moi, et en même temps c'est pas vraiment le genre de la maison. Donc ouais y'a de quoi se poser quelques questions. Je demande des détails supplémentaires pour essayer de creuser un peu. Ok, c'est effectivement bien ma mère qui a organisé tout ça. Elle cherche peut-être simplement à se rattraper ou marquer des points. C'est temps. Mais stop, je n'ai pas envie de pester contre elle ce soir. Nous avons passé un cap toutes les deux, et ça serait dommage de tout gâcher. « On fête notre famille. C’est bien non ? C’est pas parfait, mais ça reste notre famille, et je l’aime comme elle est. » C'est vraiment inhabituel tout ça, mais c'est pas pour autant que ça ne me fait pas plaisir non plus. En réalité, j'ai toujours secrètement regretté de ne pas avoir une vraie famille. Une famille unie, j'entends. Comme certaines de mes copines peuvent avoir, même si ça devient plus que rare de nos jours. Je ne suis pas malheureuse pour autant, je ne dis pas ça, mais voilà. « Comme ce que tu en as fait, Eden. » On a dit stop putain. « PAPA ! » Je le fusille du regard en même temps que ma mère. Ce soir, il a tout gagné : deux chieuses pour le prix d'une. En l’occurrence c'est plutôt lui qui joue les relous là. « On profite du moment présent. Trêve pour ce soir. » Voilà qui est mieux. Nous trinquons alors tous les trois, et je ne peux m'empêcher de les regarder tour à tour. Je suis quand même contente de les avoir tous les deux pour moi ce soir. « A vous deux. Et à ton futur stage de théâtre à Paris, ma fille. » Mes yeux s'illuminent instantanément lorsqu'il mentionne mon stage dans l'une des plus prestigieuses écoles de théâtre européennes. Je crois que, même encore maintenant, je n'arrive pas à réaliser. C'est vraiment le plus beau cadeau qu'ils pouvaient me faire. Surtout qu'ils se soient mis d'accord entre eux d'ailleurs. « J'ai vraiment trop hâte d'y aller, ça va être trop biiiien ! » Je tape des pieds sur le sol comme une enfant de huit ans, surexcitée. « D'ailleurs, j'y pensais, après mon stage est-ce qu'il y aura moyen que j'aille quelques jours en vacances chez ma correspondante ? » En Italie, chez Gioia. En vrai ça fait un moment que j'y pense, mais ça serait l'occasion ou jamais. Ma mère est plus ou moins au courant de ce qui se trame entre nous, mais je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec mon père pour le moment. Je sais juste pas quoi dire en fait, parce que je ne sais moi-même pas trop ce qu'on est. Bref. J'aurais peut-être mieux fait de ne pas parler de ça maintenant en fait. Quelle erreur. Maé ou l'art de se tirer une balle dans le pied toute seule. Je suis blonde un peu. Mais bon, faut bien que je tente de négocier. Et comme ils sont en mode "peace" ce soir, c'est le moment ou jamais de jouer de mon art de manipulation.

Spoiler:

« Comme ce que tu en as fait, Eden. » L’enfoiré ! Je le fusille du regard alors que Maé hurle un ‘PAPA’ sorti d’outre tombe. Il l’a bien mérité. Mais quel con. « On profite du moment présent. Trêve pour ce soir. » Je lève les yeux au ciel d’un air dépité. Il dit ça mais je suis sûre qu’il sera capable de me renvoyer un truc dans les dents dans pas plus longtemps que cinq minutes. Il trinque alors à nous deux , et au stage de théâtre de notre fille à Paris. « J'ai vraiment trop hâte d'y aller, ça va être trop biiiien ! » Son enthousiasme me fait rire. Au moins on sait qu’on ne lui offre pas ça pour du vent, elle va vraiment profiter. Ça me fait plaisir de pouvoir lui offrir ça, même si je sais que j’étais très réticente qu’elle entre dans cette industrie. Parce que je la connais, et je sais à quel point elle peut être destructrice. Mais je serai là pour la surveiller, et veiller sur elle tant que je le peux. « D'ailleurs, j'y pensais, après mon stage est-ce qu'il y aura moyen que j'aille quelques jours en vacances chez ma correspondante ? » Je la regarde en arquant un sourcil. Oh voyez-vous. Quelques jours en vacances chez Gioia. Je ne sais pas si son père est au courant de ce qui a pu se passer entre elles, mais elle n’a pas froid aux yeux de poser la question. Je tourne alors la tête en direction de Jamie qui me regarde aussi comme si on allait pouvoir donner une réponse d’un commun accord sans se concerter. C’est mal nous connaître. « Ça tombe sur quelle semaine ? » Je me penche pour récupérer mon téléphone sur la table basse et regarde mon agenda. « J’avais décidé de prendre un peu de vacances… je pourrai peut-être te rejoindre à Paris à la fin de ton stage, aller avec toi en Italie, et rester quelques jours là bas. » Pas pour la surveiller, mais pour passer un peu de temps avec elle, tout en lui laissant du temps pour profiter de sa ‘correspondante’. Je regarde alors Jamie pour voir ce qu’il en pense. « Je te propose pas de venir, je suis pas sûre qu’on rentre sain et saufs si on voyage ensemble. » Je lui adresse quand même un petit sourire taquin.

Maé est un des rares sujets sur lequel Eden et moi pouvons nous mettre éventuellement d’accord. Mais ça reste rare. Parce que chacun y trouve à redire, d’une façon ou d’une autre, et que c’est ce qui fait ce que nous sommes. C’est comme ça. Nous ne parvenons pas à trouver de terrain d’entente, sauf quand il s’agit de l’avenir de notre fille. Sans doute parce que nous avons les mêmes peurs du danger, des mauvaises fréquentations, des mauvaises influences. Nous y avons tous les deux été confrontés, d’une façon ou d’une autre et nous voulons protéger Maé d’à peu près tout. Ce qui reste particulièrement utopique.
« D'ailleurs, j'y pensais, après mon stage est-ce qu'il y aura moyen que j'aille quelques jours en vacances chez ma correspondante ? » Sur le coup, je n’y vois pas d’inconvénient, mais le regard qu’Eden vient de lancer à sa fille en dit très long. Apparemment, ça ne serait pas simplement un échange de correspondance. Sinon, elle n’aurait pas réagi. J’agis beaucoup, mais j’observe tout autant et j’ai besoin de savoir ce qui se trame. J’étais tenté de répondre oui, dans un élan de bonté, et pour prouver ma bonne foi, sur le bon déroulement de la soirée. « Ça tombe sur quelle semaine ? » OK, je la laisse gérer puisque visiblement elle aurait des contre arguments. « J’avais décidé de prendre un peu de vacances… je pourrai peut-être te rejoindre à Paris à la fin de ton stage, aller avec toi en Italie, et rester quelques jours là bas. » A voir la tête de ma fille, ça n’était pas exactement ce qu’elle avait prévu. OK, quelque-chose se trame, et je suis le dernier au courant, ça, je n’en n’ai pas l’habitude et je n’aime pas ça. « Je te propose pas de venir, je suis pas sûre qu’on rentre sain et saufs si on voyage ensemble. » « Tu me mets au défi ? » Parce qu’il faut aussi savoir que nous sommes aussi cons l’un que l’autre quand il s’agit de défi. Au dernier qui aura raison, et au plus provocateur. Je ne suis pas sûr de vouloir être prévenue de ce qui se trame une fois que ça me tombera sur le coin du nez. A savoir ce qui se passe avec cette fameuse correspondante.

Je profite que le sujet de mon stage à Paris soit mis sur la table pour demander à mes parents l'autorisation d'aller passer quelques jours en Italie chez ma correspondante. On en a parlé avec Gioia, et il nous a pas fallu beaucoup de temps pour commencer à se faire des films. C'est toujours mieux d'avoir une date précise en tête comme objectif pour se donner un peu d'espoir auquel se raccrocher. En même temps, c'est l’occasion ou jamais. Puisque je vais fouler le sol européen pour mon stage, autant en profiter pour faire un petit détour en Italie avant de rentrer à L.A. Mais encore faut-il que mes parents soient d'accord sur le principe. Là, c'est un autre problème. Ma mère devrait être plus facile à convaincre sur ce coup-là puisqu'elle peut plus facilement comprendre de quoi il s'agit. Mais je redoute un peu la réaction de mon père, et son côté protecteur, tout ça. « Ça tombe sur quelle semaine ? » Je suis déjà toute excitée rien qu'à l'idée qu'il soit possible que je la revois, et j'ai un peu de mal à cacher mon enthousiasme. J'ai l'impression que ça se voit comme le nez au milieu de la figure que nous entretenons pas qu'une simple amitié platonique toutes les deux. Et les regards de ma mère n'arrangent rien à ma situation. « Celle-là. » Je lui montre sur son portable la semaine en question. « J’avais décidé de prendre un peu de vacances… je pourrai peut-être te rejoindre à Paris à la fin de ton stage, aller avec toi en Italie, et rester quelques jours là bas. » Ah. Ouais... c'était pas vraiment ce que je m'étais imaginée. En même temps, si c'est la condition pour qu'ils acceptent le deal, je n'aurais pas trop le choix. Même si bon voilà quoi. « T'es sûre ? » Elle ne prend que très peu de vacances, et n'arrive jamais à décrocher complètement du boulot alors c'est quand même bizarre. Si c'est juste pour me surveiller, c'est pas la peine. Ils peuvent me faire confiance. Mais apparemment elle est sérieuse. Merde. « Je te propose pas de venir, je suis pas sûre qu’on rentre sain et saufs si on voyage ensemble. » Il manquerait plus que ça. Les deux pour le prix d'un, mon dieu. « Tu me mets au défi ? » Je soupire tout en levant les yeux au ciel. « Non mais c'est bon hein. » Merci mais non merci. « Toute seule, c'est bien aussi. » Ajoutais-je dans un petit sourire. Je peux comprendre qu'ils s'inquiètent pour l'organisation du trajet, mais pour le reste il n'y a rien à craindre. « Je ne veux pas être responsable d'un drame. » Entre eux, qu'ils finissent par s'entretuer ou quelque chose du genre. Mais c'est une bonne chose que la discussion ait dérivé sur eux, je pourrais peut-être esquiver les questions de mon père sur ma correspondante. En espérant que ma mère ne fasse pas trop d'allusions étranges non plus. Ouais c'est chelou un peu là.

Je vois bien dans les yeux de Maé que quand je propose de l’accompagner en Italie, elle ne le voit pas d’un bon oeil. Bien sûr avoir un chaperon, c’est pas l’idéal. Mais ça me ferait plaisir de passer un peu de temps avec elle en dehors de Los Angeles. « T'es sûre ? » J’ai envie de rire de voir presque un peu de détresse dans son regard, et je m’adresse finalement à Jamie. Parce que voyager tous les deux ce serait juste l’enfer. « Tu me mets au défi ? » demande-t-il soudainement avec son petit air joueur. C’est pas vrai, il en loupe pas une. « Non mais c'est bon hein. Toute seule, c'est bien aussi. Je ne veux pas être responsable d'un drame. » Je lève les yeux au ciel. « Le drame c’est si ton père décide de s’incruster sur mes vacances. Déjà que j’en prends pas beaucoup… » Je regarde le principal visé et secoue la tête. Même pas la peine d’imaginer un voyage avec lui. Finalement je reporte mon attention sur Maé et poursuis. « Je te rappelle chérie que tu viens de fêter tes 15 ans. Tu vas déjà aller à Paris seule, j’ai pas l’intention de te laisser voyager seule en Europe à ton âge. » Et ça c’est pas vraiment négociable. En réalité, ça ne l’est pas du tout. « Si tu veux aller voir ta… correspondante. Ce sera sous certaines conditions. Et celle que je sois dans les parages est la première. » N’exagérons rien. Je sais qu’elle a grandit, et je veux bien faire des efforts pour lui offrir certaines choses, d’autant que je n’ai pas été présente pendant de nombreuses années dans sa vie, mais je ne veux pas non plus tomber dans l’exagération. Elle est trop jeune pour voyager seule, alors je compte bien remédier à ça, tout en lui laissant la possibilité d’aller quand même passer quelques jours chez Gioia. Je me tourne finalement vers Jamie et lui demande. « Tu vois un inconvénient à ce qu’elle aille en Italie, si je suis dans le coin ? » Après tout, il a aussi son mot à dire.

Ma fille adore l’idée qu’on se retrouve en famille, mais aime forcément moins celle sur laquelle on se met d’accord tous les deux pour faire front contre ses idées saugrenues. Je ne dis pas que ça n’est pas de son âge de flirter, mais on y va tranquille. On ne sait rien de sa correspondante. Mais elle est quand même gonflée, même sa mère n’a pas osé me la faire celle-là. Le coup de la correspondante… Ou de la copine. Elle était assez franche pour me dire que c’était un coup comme ça. Pas quand nous étions ensemble, mais je pense que ma demande de fidélité a fini par la gonfler, et surtout par l’étouffer. Mais je suis un homme entier, je veux tout ou rien.
« Le drame c’est si ton père décide de s’incruster sur mes vacances. Déjà que j’en prends pas beaucoup… » « C’est ce que tu appelles pas beaucoup ? » Finissant mon verre d’une traite. J’estime que se barrer à l’autre bout du pays sans mari ni enfant ressemble assez à des vacances, mais j’ai dit que je me tenais. Je vais essayer. Ça m’est parfois très difficile. Et ça l’est encore, disons que je l’ai en travers de la gorge pour le restant de mes jours. Je le sais. « Je te rappelle chérie que tu viens de fêter tes 15 ans. Tu vas déjà aller à Paris seule, j’ai pas l’intention de te laisser voyager seule en Europe à ton âge. » Je plussoie. Mais n’en dis rien, je la laisse parler. Après tout, elle veut reprendre son rôle de mère, je ne veux pas m’interposer, elle a entièrement raison sur le fond. Et même sur la forme. Fait chier. Elle va devenir une bonne mère. « Si tu veux aller voir ta… correspondante. Ce sera sous certaines conditions. Et celle que je sois dans les parages est la première. » Maé tente de me lancer un regard façon sauve-moi au secours mon papa chéri. Je hausse les sourcils et laisse terminer sa mère. Je dois reconnaître qu’elle s’en sort avec brio. Je n’aurais pas fais mieux.
« Tu vois un inconvénient à ce qu’elle aille en Italie, si je suis dans le coin ? » Ah, on requiert mon avis à présent ? Je viens de me resservir un verre et je le tiens à mi-chemin entre la table et mes lèvres quand elle m’interpelle. « Aucun. Je n’y vois rien à redire. » Alors je sens Maé se décourager et souffler, vous le sentez venir vous aussi le caprice ? « Maé, c’est non négociable, ce sera comme dit ta mère. » Parce que si j’ai peu confiance en sa pédagogie, je sais aussi qu’elle connait les dangers pour une gamine de 15 ans un peu trop aventureuse et qu’elle fera tout pour les lui éviter. Je suis assez fier de ça.

Et après c'est moi l'ado de la maison. Vous les avez vu ces deux-là à se chercher et à se balancer des piques dès qu'ils en ont l'occasion ? Des vrais gamins. En même temps c'est pas plus mal, au moins on évite les questions indiscrètes à la con sur Gioia. J'ai déjà vécu cette discussion avec ma mère, ça m'a suffit. Même si je sens bien que mon père a compris ce qu'il se tramait derrière cette histoire de correspondance. D'ailleurs je commence à le connaitre, et je vois très bien qu'il est un peu surpris de ne pas avoir été mis au courant lui aussi. Un peu vexé même je pense. C'est pas contre lui, c'est juste que maman a quasiment deviné sans que je lui dise quoi que ce soit. Elle est mieux placée pour ce sujet-là. « Je te rappelle chérie que tu viens de fêter tes 15 ans. Tu vas déjà aller à Paris seule, j’ai pas l’intention de te laisser voyager seule en Europe à ton âge. Si tu veux aller voir ta… correspondante. Ce sera sous certaines conditions. Et celle que je sois dans les parages est la première. » Elle pose ses conditions et la première d'entre elles ne semble pas être discutable. Je tente quand même de zieuter en direction de mon père, avec mon petit regard de chien battu, pour voir si je peux réussir à le faire flancher. Mais ça n'a pas l'air de fonctionner. Pourquoi est-il aussi silencieux d'un seul coup ? « Tu vois un inconvénient à ce qu’elle aille en Italie, si je suis dans le coin ? » Est-ce qu'ils vont réussir à se mettre d'accord pour moi ? Ça serait un miracle, mais finalement pas si étonnant en soit. « Aucun. Je n’y vois rien à redire. Maé, c’est non négociable, ce sera comme dit ta mère. » Je lâche un petit soupir d'entre mes lèvres, résignée. « Ouais c'est bon, j'ai compris. » Je râle un peu quand même, juste pour la forme. « C'est toujours mieux que rien. » Un léger sourire se dessine tout de même sur mes lèvres rien qu'en pensant à la surprise que je vais faire à Gioia pour lui annoncer ça. Je suis déjà toute excitée. « Bon c'est pas le tout mais j'ai la dalle moi ! » Ou comment essayer de changer de sujet en toute discrétion. « Elles en sont où ces pizzas maisons ? » Demandais-je à ma mère. La transition avec l'Italie n'est pas si loin finalement.