talk about our imperfections (maeden 1)

J’entends la voiture de Jamie qui vrombit devant chez moi. Il m’a prévenu, ce soir il dépose juste notre fille, il a un rendez-vous. De toute manière, depuis que nous avons bu quelques verres de vin et laissé parler une pulsion sexuelle enterrée depuis longtemps, nous ne nous sommes pas vraiment revus. De loin seulement, et quelques échanges de sms houleux en prime. Ce n’est pas plus mal, il n’est pas prévu que ça se reproduise. Surtout pas, c’est déjà bien assez le bordel comme ça. J’ouvre la porte avant que Maé n’ait à utiliser sa clé, et offre un sourire à mon adolescente chérie qui entre sans même me saluer. « Bonjour ma chérie, moi aussi je suis très contente de te voir. » Ça commence bien. Je referme la porte et la suit jusque dans la cuisine où elle est déjà partie faire ses provisions, j’imagine pour aller se goinfrer dans sa chambre devant une série. Depuis qu’elle est au courant que Rayan et moi avons eu une aventure - heureusement qu’elle n’en sait pas plus - Maé me fuit comme la peste, et je vois bien qu’elle n’est pas heureuse de se retrouver ici. Mais son père a une vie aussi, et ça l’arrange bien de me laisser notre fille un jour ou deux pas semaine, pour faire ce qu’il a envie tranquillement. Je m’assieds sur un tabouret de bar et la regarde se servir et tou mettre sur un plateau. Je me décide à lancer les hostilités. « Papa m’a dit qu’il avait reçu ton bulletin, et que les appréciations étaient pas géniales… » Définitivement, la pédagogie et moi ça fait deux. Elle ne m’adresse même pas un regard. « Chérie, j’suis pas là pour t’engueuler, j’aimerai juste qu’on discute. On peut prendre un moment pour discuter s’il te plait ? » Je formule une demande, c’est moi l’adulte dans l’histoire, c’est moi la mère aussi, c’est à moi d’aller vers elle. Elle a du caractère, et je sais que ce n’est clairement pas elle qui ferait le premier pas pour discuter, surtout qu’elle m’en veut. Elle se retourne avec son plateau et je lui barre le passage, prenant son plateau entre mes mains. « On partage ? » Je vais poser le plateau sur la table basse et m’installe dans le canapé, espérant qu’elle veuille bien faire preuve d’une once de maturité pour venir discuter avec sa mère.

Vas-y, c'est chiant-là. C'est justement le soir même où j'ai envie d'être tranquille et de parler à personne que mon père s'invente un rendez-vous à l'extérieur. Comment se débarrasser de sa fille pour sortir avec une fille en une leçon. Génial. Résultat des courses ; il va me déposer chez ma mère. Alors là, j'ai gagné le pompon. Comme si je pouvais pas rester une soirée toute seule à la maison, non mais franchement ? Ça va, j'ai quinze ans maintenant, je suis mature - ou presque, j'ai pas besoin d'avoir mes parents constamment dans les pattes. Et comme si ça ne suffisait pas, ma journée au lycée a été merdique. Nul à chier. Une des filles que je ne peux pas voir en peinture a décidé de profiter du cours de sport pour me chercher des noises. Mais je crois qu'elle ne me connait pas encore suffisamment celle-là. Bref... ça m'a saoulé. Arrivée à destination, mon père ne s'arrête même pas. Genre je suis un objet qu'on ballotte comme ça d'une maison à l'autre, dans le plus grand des calmes. Bah voyons. « Bonjour ma chérie, moi aussi je suis très contente de te voir. » Ouais salut. Je ne lui adresse pas même un regard, rien. J'ai pas envie d'être chez elle, qu'elle compte sur moi pour lui faire comprendre. Je me réfugie directement dans la cuisine. La bouffe, y'a que ça de vrai. Et là, tout de suite, c'est tout ce dont j'ai envie. Me goinfrer de cochonneries dans ma chambre pour oublier. Netflix est mon meilleur ami. « Papa m’a dit qu’il avait reçu ton bulletin, et que les appréciations étaient pas géniales… » Je lève les yeux au ciel, lâchant un long soupir d'entre mes lèvres. Merde, j'avais oublié ce détail. Il manquait plus que ça. Je suis sûre que c'est encore un coup de ma prof d'anglais, elle a un truc contre moi depuis quelques mois, j'sais pas c'est quoi son problème. Au pire, je m'en fous. J'ai pas besoin de savoir faire une dissertation argumentée pour devenir actrice. Le talent, ça ne s'apprend pas. C'est inné non ? « Chérie, j’suis pas là pour t’engueuler, j’aimerai juste qu’on discute. On peut prendre un moment pour discuter s’il te plait ? » J'ai une tête à vouloir discuter ? Je me retourne et essaye de tenter une esquive pour me barrer dans ma chambre. Raté. Maman me prend le plateau des mains, s'interposant devant moi. « On partage ? » Et sans même que je lui donne mon accord, elle installe le tout sur la table du salon. Allez, super. « Sérieusement ? » Je croise mes bras sur ma poitrine, plantant mon regard agacé dans le sien. « Ça y est, c'est maintenant ? Genre c'est le soir où tu décides de jouer les mamans parfaites ? » Je tape un peu du pied, parce que clairement elle est en train de jouer avec mes nerfs. On n'utilise pas la bouffe pour me faire rester. Bon ok... ça peut marcher, mais chut. « J'ai pas envie de discuter. » Et de toute évidence ça se voit.

Je sais quelle m’en veut encore et elle a toutes les raisons de m’en vouloir. Parce que j’ai jamais été la mère parfaite, parce que je l’ai abandonnée en quelques sortes lorsqu’elle était petite, et que je viens de la trahir. De trahir son coeur d’adolescente ayant un crush sur sa prof de théâtre. J’aurai dû faire plus attention, pour une fois, Jamie a raison. J’ai été plus discrète dans le passé, et il a fallu que ça compte pile sur celle qu’il ne fallait pas. J’ai un mauvais karma, faut dire que j’ai jamais fait les choses vraiment comme il fallait. Ce n’est pas tellement une envie de me rattraper - quoi qu’un peu - qui me pousse à discuter avec Maé. J’aimerai seulement retrouver un semblant de lien avec elle, pouvoir discuter un peu, même si je sais qu’elle ne va pas me pardonner de si tôt, vu son caractère. En même temps, mélange du caractère de Jamie et du mien, ça ne pouvait que donner une bombe à retardement.
Je m’installe sur le canapé après avoir subtilisé le plateau garni de Maé, et lui demande de faire un effort. Un tout petit effort. « Sérieusement ? » Je la regarde croiser ses bras sur sa poitrine, c’est mal barré. Son petit air renfrogné me ferait presque sourire, mais je n’ai pas envie de lui faire perdre l’application qu’elle met à me montrer qu’elle n’est pas contente. J’y peux rien, je vois toujours mon petit bébé. « Ça y est, c'est maintenant ? Genre c'est le soir où tu décides de jouer les mamans parfaites ? » Aïe. Celle là elle fait mal. Mais elle est légitime. Je serre les mâchoires, et tente au maximum de ne pas monter dans les tours. « J'ai pas envie de discuter. » Ah bon ? On dirait pourtant le contraire ! Je soupire un peu, parce que ça va être plus difficile que ce que je pensais. « Je vois bien. Mais des fois c’est important de faire certaines choses même si on en a pas envie. » Je tapote l’assise du canapé près de moi pour l’inciter à me rejoindre. « Je sais bien que je suis loin d’être la mère parfaite, mais je fais ce que je peux. Je fais des efforts même si tu t’en rends pas compte, j’aimerai que tu en fasses un ce soir. S’il te plait Maé. » J’aime cette gosse plus que tout au monde, je ne sais juste pas comment le montrer…

Elle a toujours le don pour tout gâcher ou elle prend spécialement des cours pour ça ? En vrai, je me demande. A croire qu'elle cherche à tout prix à me faire vriller. Le pire ? C'est que ça marche, et franchement ça me saoule. Moi qui pensais passer ma soirée tranquille devant Netflix, ça commence mal. Mais ma mère n'est qu'un obstacle et je compte bien essayer de m'en débarrasser le plus vite possible. Enfin ça, c'était sans compter son insistance. Parce qu'elle aussi quand elle veut elle peut être têtue. Les chiens ne font pas des chats comme on dit. « Je vois bien. Mais des fois c’est important de faire certaines choses même si on en a pas envie. » Je soupire fortement avant de lever les yeux au ciel. Ah effectivement ça donne moins envie le monde des adultes dans ce genre de cas. Génial. Elle m'invite à prendre place sur le canapé d'un geste de la main, mais je n'en fais pas cas tout de suite. « Je sais bien que je suis loin d’être la mère parfaite, mais je fais ce que je peux. Je fais des efforts même si tu t’en rends pas compte, j’aimerai que tu en fasses un ce soir. S’il te plait Maé. » Des efforts ? Laisse-moi rire. Sur le coup, je ne peux m'empêcher de ricaner un peu nerveusement. C'est un peu mesquin de ma part mais à quoi bon ? « En fait t'es en train de me faire une blague, c'est ça ? » Ouais, son embuscade, son envie de parler, tout ça. Honnêtement ça me fait rire, mais pas dans le bon sens du terme. Ma mère a le don (et l'art ?) de retourner la situation à son avantage. Bah voyons ! Comme si c'était à moi de faire des efforts. Dois-je lui rappeler toutes les casseroles qu'elle traine derrière elle dans notre relation ? Parce que ce n'est pas nouveau hein, même si cette histoire avec Rayan n'a fait qu'empirer les choses. « Genre c'est à moi de faire un effort, c'est le monde à l'envers. » Que je laisse échapper du bout des lèvres, malgré moi. Je suis en colère, et ce n'est pas juste pour faire joli dans ma crise d'ado. C'est réel. « Je te laisse cinq minutes. Pas une de plus. » J'enclenche le chronomètre de mon téléphone, très sérieuse, avant de la rejoindre sur le canapé. « Vas-y, je t'écoute. » Je reste sur la défensive, c'est plus fort que moi. N'inversons pas les rôles, c'est à elle de me prouver des choses si elle veut réellement que je me détende. Et encore plus pour regagner ma confiance.

« En fait t'es en train de me faire une blague, c'est ça ? » Une blague ? Est-ce que ça ressemble à une blague ? Non parce que j’ai pas l’impression. Je tente au mieux de rester calme face à sa désinvolture, et elle me ricane au visage. Je vais finir par perdre patience. « Genre c'est à moi de faire un effort, c'est le monde à l'envers. » Je soupire un peu. Ok. Elle ne compte pas faire le moindre effort visiblement. Je sais que je n’ai pas toujours fait les bons choix la concernant, mais j’essaie pourtant. Elle n’a pas l’air de s’en rendre compte. « Je te laisse cinq minutes. Pas une de plus. Vas-y, je t'écoute. » Ah oui, elle est comme ça, à me mettre des limites ? C’est le monde à l’envers. Mais est-ce que j’ai vraiment le choix ? Elle enclenche même le chronomètre sur son téléphone, sérieusement ? Je la regarde pour être sûre qu’elle se fout pas de ma gueule, mais elle a l’air bien sérieuse. Génial. Gé-nial. Je soupire, perds quelques secondes pour savoir comment aborder les choses. « Ecoute chérie, je sais que c’est une période difficile, que tu es en âge d’avoir du ressentiment, et je le comprends. Je comprends que tu m’en veuilles pour beaucoup de choses, que tu as envi de me faire payer mon absence, mes erreurs… » Je marque une pause, essayant de rester concise, je n’ai pas beaucoup de temps. « Je ne suis pas parfaite, et je ne te demande pas de l’être non plus. J’aimerai juste qu’on arrive à discuter toutes les deux, j’aimerai être là pour toi, malgré les erreurs que j’ai pu faire. Et malgré tout, je reste ta mère, je suis là pour toi, et pour ton éducation aussi. Ce n’est plus ton père qui décide de tout. » Il faut qu’elle le comprenne, et ça, elle n’aura de toute manière pas le choix. « J’aimerai qu’on puisse discuter toutes les deux, que tu me dises tout ce que tu me reproches si ça peut te faire du bien, mais j’ai pas envie qu’on reste comme ça à se repousser comme des aimants contraires. Je t’aime, Maé. Peut être que je t’aime mal, mais je fais ce que je peux, je t’assure. » C’est pas facile pour moi, la maternité, c’est pas quelque chose d’inné chez tout le monde. J’ai essayé, longtemps. Quatre ans, mais Jamie a toujours été celui qui était le plus ‘parent’ de nous deux. Et aujourd’hui j’aimerai pouvoir le soulager un peu, et surtout partager des choses avec ma fille. Mais je ne suis pas sûre qu’elle veuille m’en laisse l’opportunité.

Ça me saoule qu'elle veuille me parler, genre maintenant, tout de suite. Mais en même temps je sais qu'elle ne me laissera pas tranquille jusqu'à ce qu'elle puisse me dire ce qu'elle tient tant à me dire. J'ai passé une journée de merde au lycée en plus, et j'ai pas forcément envie de me prendre la tête avec elle ce soir. Moi qui voulais passer une soirée tranquille à rien foutre devant la télé, c'est raté. Alors je lui laisse le bénéfice du doute, m'efforçant tout de même de rester aussi froide que possible. Je ne veux pas lui donner gain de cause à 100% non plus. Esprit de contradiction bonjour. En même temps, j'ai longtemps espéré, un peu trop naïvement peut-être, de pouvoir avoir une vraie relation avec ma mère. Mais ça, c'était débile de ma part. J'ai été conne d'y croire. Maintenant les choses sont différentes. Je ne suis plus une gamine, et j'assume parfaitement ce que j'ai sur le coeur. Elle m'a blessée, trahie. Alors que je lui ai ouvert mon coeur en me confiant à elle sur mes sentiments pour Rayan. Ça n'a rien à voir avec cette période de mon adolescence ou que sais-je encore. S'il n'y avait que ça... Elle est consciente que je puisse lui en vouloir, et c'est déjà une bonne chose. La moindre des choses non ? J'ancre mon regard dans le sien, arquant un sourcil. Je ne lui coupe pas la parole, lui laissant l'opportunité d'aller jusqu'au bout des choses. « J’aimerai qu’on puisse discuter toutes les deux, que tu me dises tout ce que tu me reproches si ça peut te faire du bien, mais j’ai pas envie qu’on reste comme ça à se repousser comme des aimants contraires. Je t’aime, Maé. Peut être que je t’aime mal, mais je fais ce que je peux, je t’assure. » Ses mots me touchent, et je ne peux pas y rester totalement insensible. Peut-être qu'elle a raison, peut-être qu'il faudrait que je balance tout ce que j'ai sur le coeur une bonne fois pour toute. Ça me ferait sans doute du bien. Et ça nous permettrait d'essayer de mettre le passé derrière nous. Mais encore faut-il que j'en sois capable. Je ne sais pas si je suis prête à lui pardonner. Pas encore. « Tu veux que je te dise tout ce que je te reproche ? » Je jette un œil au chronomètre. Encore 2 minutes 30. « La liste est beaucoup trop longue, 2 minutes ne vont pas me suffire. » Aie. Les mots se délient de mes lèvres un peu trop vite. Et je crois que je suis en train de pousser le bouchon un peu loin là. Je grimace légèrement, en me laissant couler sur le canapé. « Bon, ok. » Je soupire un grand coup. « Je suis désolée si je suis comme ça avec toi... mais tu m'as vraiment blessée. Tu ne peux pas imaginer à quel point me suis sentie trahie quand j'ai compris pour Rayan et toi. Enfin je... je m'étais confiée à toi, merde. » Je parle que de cette épisode pour le moment, mais ses nombreuses absences du passé y sont pour beaucoup aussi. « Il y a des millions de filles qui auraient pu rentrer dans ta vie, et il a fallu que ça soit elle... » Je connais son arrangement avec Cora, et ça ne me dérange pas. C'est leur vie, elles font bien ce qu'elles veulent. Mais là, c'est de moi qu'il s'agit. « Je pensais que les choses pouvaient s'améliorer entre nous, qu'on pourrait enfin avoir une vraie relation mère/fille. Mais je suis toujours passée en second plan dans ta vie, et j'ai été débile d'espérer que les choses puissent changer... » C'est sans doute ça qui est le plus blessant finalement.

Je n’ai pas utilisé mes cinq minutes, j’ai été plutôt efficace sur le coup, réussissant à dire tout ce que j’avais à dire dans un laps de temps plus réduit. A la fin de ma tirade, je vois bien que je l’ai touchée, et ça me fait plaisir de voir qu’elle ne reste pas totalement fermée et insensible. « Tu veux que je te dise tout ce que je te reproche ? » Je hoche la tête et elle s’empresse de regarder le chrono sur son portable. 2 minutes trente, ça ne sera pas assez selon elle. Et bien, ce seront les 2 minutes trente les pires de ma vie. Qu’on y aille. Je la regarde grimacer, alors que mon coeur tambourine toujours rapidement dans ma poitrine. La voilà qui se lance, après s’être relâchée dans l’assise du canapé. « Bon, ok. Je suis désolée si je suis comme ça avec toi... mais tu m'as vraiment blessée. Tu ne peux pas imaginer à quel point me suis sentie trahie quand j'ai compris pour Rayan et toi. Enfin je... je m'étais confiée à toi, merde. » Je serre les dents, je ne sais pas si je peux l’interrompre ou pas, mais dans le doute, je préfère ne rien dire. Elle enfonce le clou en me disant que beaucoup d’autres femmes auraient pu entrer dans ma vie, mais il a fallu que ce soit elle. Et je le déplore. Mais ce qui me liait à sa prof était là bien avant que Maé m’avoue ses sentiments pour elle. Je n’aurai pas pu l’imaginer, et si j’avais su avant, bien sûr qu’il ne se serait rien passé entre la brune et moi. « Je pensais que les choses pouvaient s'améliorer entre nous, qu'on pourrait enfin avoir une vraie relation mère/fille. Mais je suis toujours passée en second plan dans ta vie, et j'ai été débile d'espérer que les choses puissent changer... » Aïe. Elle met le doigt exactement là où ça fait mal. Et les larmes me montent directement aux yeux, ce qui n’est pas du tout habituel pour moi. « Je suis désolée mon coeur, ça n’a rien à voir avec toi tout ça, ça vient de bien avant toi. Tu sais quand mon père a trompé ma mère, que j’ai dû m’occuper de tous mes frères et soeur parce qu’il n’était plus là, j’ai eu beaucoup de responsabilités, très tôt, trop tôt. Alors quand je suis partie, que j’ai rencontré ton père, que je suis tombée enceinte de toi.. j’ai juste eu affreusement peur. Peur de pas être à la hauteur, de pas réussir à t’élever, à être une mère parfaite… » Je dois retenir mes larmes au maximum, mais ma voix trahit mon émotion. « J’ai jamais voulu te faire de mal mon ange, et j’ai jamais aimé personne comme je t’aime toi. Je sais juste pas comment m’y prendre. T’es jamais passée en second plan, au contraire, j’ai préféré que tu restes avec ton père parce que lui savait y faire avec toi, et moi non. » J’ai tellement envie de la prendre dans mes bras, qu’elle comprenne que mes choix n’étaient pas seulement centrés sur moi, mes décisions ont aussi été prises dans son intérêt. « Je sais que c’est difficile et je… » Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que son chronomètre sonne. Je ne sais pas si je peux terminer ou non, alors dans le doute, je conclus quand même. « Je t’aime chérie. Et je suis désolée pour tout ça. » Sincèrement désolée.

Ça me fait mal de reparler de ça. Parce que je me suis confiée à elle, sur mes potentiels sentiments pour ma prof. Sur les questions que je suis en train de me poser sur moi-même. Sur mes goûts et mes préférences. Sur ce point-là, elle est mieux placée que mon père. Enfin c'était normal pour moi de me tourner vers elle pour ce sujet en particulier. Malgré tout, malgré notre passé tumultueux, ses absences, elle reste ma mère. Et j'ai besoin d'elle. Dans ma vie de petite fille comme dans ma vie d'adolescente actuelle. Sauf qu'elle n'a jamais réellement rempli ce rôle à 100%. C'est peut-être ça que je lui reproche concrètement. D'avoir l'impression d'être toujours passée en second plan dans sa vie, après elle et son petit confort personnel. C'est en tout cas comme ça que je vois les choses. Et même si ça me fait du mal d'en parler, ça me fait en quelques sortes du bien aussi de tout lâcher. C'est la première fois que je peux me permettre d'être aussi franche avec elle. Sur ce que je ressens, ce que j'ai sur le cœur. Sur ce chagrin dont elle est en grande partie responsable. Ce manque que j'ai toujours pu ressentir. Et je vois que mes mots ont un réel impact sur elle. Je la connais un minimum, et c'est rare de la voir dans cet état. Elle parle de son passé, de son père, et des responsabilités qu'elle a eu avec ses frères et sœurs dans son jeune âge. « Alors quand je suis partie, que j’ai rencontré ton père, que je suis tombée enceinte de toi.. j’ai juste eu affreusement peur. Peur de pas être à la hauteur, de pas réussir à t’élever, à être une mère parfaite… » Je ne lui ai jamais demandé d'être une mère parfaite. Mais juste une mère tout court en fait. Je peux comprendre que ça ne soit pas facile pour elle, mais je ne devrais pas devoir en subir les conséquences. « J’ai jamais voulu te faire de mal mon ange, et j’ai jamais aimé personne comme je t’aime toi. Je sais juste pas comment m’y prendre. T’es jamais passée en second plan, au contraire, j’ai préféré que tu restes avec ton père parce que lui savait y faire avec toi, et moi non. » Ses yeux sont humides, et sa voix beaucoup plus tremblante que d'ordinaire. Je crois que c'est la première fois que je la vois comme ça. Sans cette foutue carapace qu'elle s'efforce de préserver pour sauver les apparences. Mais avec moi, elle n'a pas besoin de ça. Je n'aime pas cette femme-là. Moi, tout ce que je veux, c'est de la voir comme elle est vraiment. « Je sais que c’est difficile et je… » La sonnerie de mon chronomètre se fait entendre, et d'un geste de la main je la désactive rapidement. « Je t’aime chérie. Et je suis désolée pour tout ça. » A mon tour d'être gagnée par l'émotion, et de sentir les larmes me monter aux yeux. « Je n'ai jamais voulu d'une mère parfaite tu sais. » Ma gorge se noue légèrement, alors que je plante mon regard dans le sien. « Tout ce que je voulais, c'était toi. Simplement toi. Que tu sois là pour moi et, enfin... » Que je puisse grandir avec l'amour d'une mère. C'était ça le plus important pour moi. Je ne lui demandais pas la lune, juste un peu de sa présence. « J'avais besoin de toi, c'est tout. » Mais elle n'était pas là. « Je t'aime aussi maman, c'est juste que... je n'ai plus envie de souffrir, et je me protège comme je peux. » Peut-être en créant une espèce de carapace pour moi-même aussi. Comme elle. En étant froide et distante. A croire qu'on se ressemble peut-être plus qu'on ne pourrait l'imaginer sur ce point-là... Les chiens ne font pas des chats.

Je crois que c’est la première fois que nous parlons toutes les deux à bâtons rompus, sans un mot plus haut que l’autre, sans chercher à savoir qui a raison ou qui a tort, qui a fait le plus de mal à l’autre. Je sais très bien que par son comportement elle me fait subir mon absence, et aujourd’hui je choisis de laisser tomber le masque. Me montrer à elle comme très peu de personnes ont pu me voir. J’ai un peu appris, avec Rayan, à me montrer plus vraie, plus authentique, même si c’est extrêmement difficile pour moi. Je clôture mon monologue en lui disant que je l’aime, je n’ai pas eu besoin de réfléchir ou de peser mes mots. « Je n'ai jamais voulu d'une mère parfaite tu sais. » J’imagine, oui. Mais malheureusement, ça c’est une chose qui revient de loin, l’envie d’être parfaite, ou presque. « Tout ce que je voulais, c'était toi. Simplement toi. Que tu sois là pour moi et, enfin... » Je me pince les lèvres pour ne pas me mettre à pleurer. Toujours cette foutue retenue qui m’empêche de vivre pleinement mes émotions, mes sentiments. Maé est émue, au moins autant que moi. Je ne pensais pas réussir à lui dire toutes ces choses ce soir, mais d’un côté, je me sens soulagée. « J'avais besoin de toi, c'est tout. Je t'aime aussi maman, c'est juste que... je n'ai plus envie de souffrir, et je me protège comme je peux. » Je hoche un peu la tête, je comprends tellement ce qu’elle peut ressentir, l’abandon d’un parent est un traumatisme qui ne s’efface jamais vraiment. Mais à la différence de moi qui n’ai jamais revu mon père, elle, elle a retrouvé sa mère. Même si j’ai bien conscience qu’il aurait été mieux qu’elle ne la perde jamais. « Je suis là maintenant. » Mais pas là comme il le faudrait de toute évidence, puisque même là, j’ai réussi à lui briser le coeur. « Je t’en prie chérie, ne prend pas le même chemin que j’ai pris, à taire tes émotions comme je l’ai fait. Regarde où j’en suis maintenant… » Je peux pas dire que j’ai foiré ma vie, mais tous ces faux-semblants, cette grande maison, tout ça n’est que le reflet d’un miroir. A l’intérieur, je ne me sens pas heureuse et épanouie. Et ça me fait mal d’en prendre conscience, alors que je fais tout pour paraître épanouie. Tu parles. Et je ne voudrais surtout pas que ma fille prenne le même chemin que moi. J’aimerai la savoir heureuse…

J'ai beau essayé de garder la face, de jouer l'ado tête de mule que personne ne peut atteindre... en réalité il n'en est rien. Et l'émotion est bien là. Je ne peux pas le nier, encore moins faire semblant. Je n'ai pas souvent entendu ma mère employer les trois mots magiques. Elle, qui a  toujours l'habitude de porter un masque, de se cacher derrière des apparences ou des faux-semblants. Sauver son image de reine des glaces. Là, pourtant, c'est ma mère que je vois. La vraie. La mère imparfaite mais étonnamment sincère. Celle que j'ai toujours voulu avoir. Ça me fait du bien de l'entendre, même si le mal n'est pas si loin. Je m'ouvre aussi à elle, un peu, m'engouffrant dans la brèche qu'elle est en train de m'offrir. Je me doute que ça ne durera pas, mais profite de ces infimes secondes comme d'un trésor si précieux. C'est un moment à marquer dans les annales. Comme quoi tout peut arriver. « Je suis là maintenant. » C'est vrai. Mais il a fallu qu'elle me brise le cœur quand même. « Mouais. » J'ai l'air si peu convaincue ? Sur ce point-là, elle doit encore faire ses preuves. Je ne veux pas lui accorder ma confiance trop vite. Ça ne sera pas aussi facile qu'elle le pense. Il faudra qu'elle rame avec moi, un peu, beaucoup même. Mais ça serait mentir de dire que cette discussion à cœur ouvert ne me fait pas plaisir. C'est peut-être tout ce dont j'avais besoin finalement. Là encore, je ne demande pas la lune. Juste qu'on puisse laisser parler nos cœurs, librement. « Je t’en prie chérie, ne prend pas le même chemin que j’ai pris, à taire tes émotions comme je l’ai fait. Regarde où j’en suis maintenant… » Je hausse les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance. « Ça va maman, c'est pas parce que tu fais des erreurs que je vais faire les mêmes que toi. Je vaux mieux que ça quand même. » Je ris un peu, jouant les filles modèles la bouche en cœur. Mon art de la taquinerie comme marque de fabrique. Parce que c'est de bonne guerre non ? En tout cas je n'ai plus du tout la même attitude que tout à l'heure. La différence est flagrante, et prouve bien que cette discussion ne m'a pas vraiment laissé indifférente. « Bon on mange à un moment donné ou on continue de se regarder dans le blanc des yeux ? » Je ne perds pas le nord, et mon ventre qui gronde non plus. Un vrai petit estomac sur pattes. « Je veux bien partager, mais à une condition. » Bah oui, encore heureux. « Tu me laisses le choix du programme. » Je subtilise la télécommande pour allumer Netflix. Quoi d'autre ? Si elle veut passer du temps avec moi, il va falloir qu'elle s'adapte aux choix d'une adolescente de quinze ans.

Son ‘mouais’ quand je lui dis que je suis là maintenant, ne me dit rien qui vaille. Mais elle essaie de garder les apparences, je sais très bien ce que c’est. Sauf que je n’ai pas commencé si tôt qu’elle. Il faut dire que je ne lui ai jamais montré le bon exemple à ce propos. Mais j’espère qu’elle aura plus de chance que moi, ou qu’elle fera de meilleurs choix, ou les deux. « Ça va maman, c'est pas parce que tu fais des erreurs que je vais faire les mêmes que toi. Je vaux mieux que ça quand même. » J’arque un sourcil, et finis par joindre mon rire au sien. C’est de bonne guerre. Et je n’ai plus qu’à espérer qu’elle vaille mieux que moi, après tout. Je n’ai pas un ego surdimentionné au point de ne pas vouloir que ma fille réussisse mieux que moi. En attendant, je sens bien que mes aveux ont détendu Maé. La preuve, elle parle à nouveau de manger. « Je veux bien partager, mais à une condition. Tu me laisses le choix du programme. » Je lève les mains en l’air en guise de rédemption. « Ok. Choisis le programme. J’imagine que c’est pas ce soir qu’on va parler de ton bulletin… » Elle a des facilités, tout comme j’en avais à son âge, et pareil pour son père. Mais elle ne les utilise pas toujours à bon escient, et j’ai remarqué que depuis que Rayan n’était plus sa prof, ses notes et appréciations ont tendance à dégringoler un peu. Mais je ne vais pas m’aventurer dans cette discussion pour le moment, je pense qu’on a déjà pas mal essuyé les plâtres ce soir, autant étaler un peu les discussions importantes. Là, je veux juste passer un bon moment avec ma fille, maintenant qu’on a à peu près mis les choses à plat. « Au fait rappelle-moi, tu as pas une correspondante italienne qui vient bientôt ? J’ai pas pensé à le noter sur le calendrier du frigo. » J’ai mon propre agenda, et celui sur le frigo, ça la concerne plus elle, ce qu’elle prévoit de faire, quand elle est là etc… Et si elle vient ici avec sa correspondante, que je sache quand, c’est mieux quand même. « D’ailleurs tu m’en avais que vaguement parlé, ça se passe bien avec elle ? » Non parce que moi à l’époque du lycée quand j’avais fait un échange avec ma correspondante allemande, ça ne s’était pas très bien passé…

Pour la première fois, je crois que nous avons toutes les deux réussi à se dire concrètement les choses. A dévoiler ce que nous avions sur le coeur depuis longtemps déjà. Ce n'est jamais facile pour moi que de me confier, je ne le fais que très rarement mais je suppose que pour le coup c'était nécessaire. Je me focalise à nouveau sur le plateau qui se trouve juste sous mes yeux depuis tout à l'heure. Enfin c'est plutôt mon ventre qui crie famine qui me supplie de le faire mais ça revient au même. « Ok. Choisis le programme. J’imagine que c’est pas ce soir qu’on va parler de ton bulletin… » Ah non pas ce soir. Enfin à moins qu'elle veuille tout gâcher de nouveau. Ça, c'est une autre histoire. Qu'on me laisse tranquille avec cette histoire de bulletin, c'est bon, y'a pire dans la vie. J'ai eu la flemme de bosser ce trimestre. En réalité c'était même peut-être un brin volontaire. Je secoue vivement la tête avant de sélectionner ma série Netflix préférée du moment. Je l'ai commencé y'a à peine quelques jours, mais j'ai déjà dévoré la moitié des épisodes. Non, non, je ne suis pas du tout addict. Je suis juste une ado comme les autres. « Au fait rappelle-moi, tu as pas une correspondante italienne qui vient bientôt ? J’ai pas pensé à le noter sur le calendrier du frigo. » Gioia débarque dans deux semaines seulement, et clairement je suis surexcitée. Je suis tellement impatiente de la rencontrer. J'espère que le feeling sera toujours là en face à face mais y'a pas de raison. « Oui, c'est dans deux semaines. Après je sais pas ce que papa a prévu pour l'organisation. » Il n'y a pas vraiment de planning défini entre eux. C'est un peu quand je veux, où je veux. Et selon leur emploi du temps respectifs aussi. « Mais ouais on viendra sans doute quelques jours ici, tu me diras quand c'est possible pour toi. » J'ai deux maisons, faut bien que je lui montre tous les aspects de ma vie. « D’ailleurs tu m’en avais que vaguement parlé, ça se passe bien avec elle ? » Je hoche vivement la tête, un large sourire se dessinant sur mon visage. « Ouiiii trop bien ! » Je crois que j'ai même un peu les yeux qui pétillent rien que d'en parler. « Elle est géniale, on s'entend vraiment super bien. » Le feeling a été immédiat entre nous, comme si c'était naturel. Comme si on se connaissait depuis toujours. Mais y'a quand même un peu d'appréhension.« J'ai juste un peu peur que ça soit bizarre de se voir en vrai... j'sais pas, c'est pas pareil que de se parler par messages quand même. » Elle m'intimide aussi un peu, sans que je puisse réellement savoir pourquoi. Je sais pas trop comment l'expliquer. « Tu as déjà rencontré quelqu'un comme ça toi ? » Passer d'une relation virtuelle à une rencontre réelle, que ce soit pour un échange scolaire ou pour une toute autre raison. Je pense aussi à une application de rencontres, ou quelque chose du genre. Qui sait, ça peut être le cas.

Evidemment, on ne va pas parler de son bulletin. J’ai déjà réussi un peu à faire fondre le petit glaçon qu’elle était en arrivant - elle a de qui tenir - ce n’est pas pour tout défaire en parlant de choses qui fâchent. Ça attendra. Je la laisse lancer sa série, mais ne la laisse pas pour autant se concentrer à 100% dessus puisque je lui pose déjà une question, concernant sa correspondante italienne. D’après la jeune fille, je vais devoir gérer ça avec son père pour l’organisation. En même temps, je ne sais pas pourquoi j’imaginais les choses autrement. « Mais ouais on viendra sans doute quelques jours ici, tu me diras quand c'est possible pour toi. » Je hoche un peu la tête en souriant. « Quand vous voulez, j’ai pas de déplacement prévu avant le mois prochain. » Au pire j’aurai peut-être une soirée de boulot, mais rien qui ne m’empêche de rentrer ici, au contraire elles seront tranquilles, elles ne vont pas se plaindre de ça, c’est de leur âge. La discussion se poursuit et je lui demande si elle s’entend bien avec la jeune fille avec qui elle va bientôt faire l’échange. Visiblement, Maé est enthousiaste. « Elle est géniale, on s'entend vraiment super bien. » Je souris de plus belle. Je sais que ma fille a un fort caractère, avec elle c’est un peu tout ou rien. Soit elle aime soit elle déteste, pas de demi-mesure. J’ai envie de dire, elle a de qui tenir. « J'ai juste un peu peur que ça soit bizarre de se voir en vrai... j'sais pas, c'est pas pareil que de se parler par messages quand même. » Je hausse un peu les épaules. « Tu as déjà rencontré quelqu'un comme ça toi ? » me demande-t-elle, ce qui me fais esquisse un sourire en coin. Voilà un échange qui me ravit le coeur. Une discussion qui n’est en rien sur la défensive ou l’attaque. « J’ai eu une correspondante aussi quand j’avais ton âge, elle était allemande. Mais on s’écrivait que par lettres, évidemment, donc je pense que c’est différent d’aujourd’hui, vous pouvez vous appeler, vous voir par visio etc… moi ça a été la grande découverte quand elle est arrivée… » Je sens que j’ai totalement son attention, et sa série qui défile en fond n’a plus vraiment d’importance. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu veux savoir s’il s’est passé quelque chose ? » Je ris un peu et secoue la tête. « Non. C’était pas loin, mais il s’est jamais rien passé. Ça a été une grosse frustration pour moi, et d’ailleurs l’échange retour n’a pas eu lieu finalement, j’étais déçue » Je hausse un peu les épaules et pique quelques m&m’s dans le bol devant moi. « Si vous vous entendez-bien, y’a pas de raison que ça se passe mal. ».

La discussion dérive à présent sur ma correspondante. Je lui en avais vaguement parlé il y a de ça quelques mois mais je n'étais pas vraiment rentrée dans les détails. Ça me fait plaisir qu'elle s'en souvienne, et surtout qu'elle me propose de venir quelques jours à la maison avec elle. Comme quoi il lui arrive parfois de faire attention à ce que je lui dis. C'est cool en tout cas, je vais pouvoir montrer à Gioia ma deuxième chambre. « J’ai eu une correspondante aussi quand j’avais ton âge, elle était allemande. Mais on s’écrivait que par lettres, évidemment, donc je pense que c’est différent d’aujourd’hui, vous pouvez vous appeler, vous voir par visio etc… moi ça a été la grande découverte quand elle est arrivée… » Je suis pendue à ses lèvres, comme si elle me racontait un truc super important. Je suis curieuse, c'est plus fort que moi. Et parce que ça m'intéresse de savoir si la grande découverte était finalement à la hauteur de ses espérances. Ça doit être bizarre quand même, de s'écrire que par lettres sans jamais savoir à qui physiquement on a affaire. Notre cerveau peut inconsciemment imaginer des choses, essayer de se faire sa propre idée, mais la vision qu'on se fait de la personne peut s'avérer complètement fausse. De mon côté, je ne sais même pas comment j'aurais pu imaginer Gioia. Sans doute pas aussi belle qu'elle ne l'est réellement, parce que c'est difficilement possible. Bah quoi ? C'est vrai, elle est magnifique. « Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu veux savoir s’il s’est passé quelque chose ? » Je veux tout savoir, quelle question. « Évidemment. » C'est plus fort que moi, je suis trop curieuse. « Non. C’était pas loin, mais il s’est jamais rien passé. Ça a été une grosse frustration pour moi, et d’ailleurs l’échange retour n’a pas eu lieu finalement, j’étais déçue. » Je fais une petite moue déçue avant d'ajouter. « Rhoo c'est nul, je m'attendais à plus de croustillant. » Je ris légèrement. « Elle te plaisait mais c'était pas réciproque ? » Peut-être que l'allemande n'était pas de ce bord-là, ou alors elle ne l'assumait pas. Et moi alors, est-ce que je pourrais plaire à ma correspondante ? Je sais pas pourquoi je pense à ça, c'est débile. « Si vous vous entendez-bien, y’a pas de raison que ça se passe mal. » Je sais qu'il n'y a pas de raison, mais sait-on jamais. « Ouais on verra bien ! » Je sors mon téléphone portable pour lui montrer une photo d'elle. « Tiens regarde c'est elle, Gioia. » Ma mère regarde la photo en question avant de m'adresser un petit sourire en coin. Je sais plus où me mettre. « Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? » Elle me connait, et je crois que les étoiles que j'ai dans les yeux quand je parle d'elle me trahit peut-être un peu... mais pourtant y'a rien, je suis juste excitée à l'idée de pouvoir officiellement la rencontrer. Oui voilà, c'est tout.

« Rhoo c'est nul, je m'attendais à plus de croustillant. Elle te plaisait mais c'était pas réciproque ? » Sa curiosité, je crois qu’elle la tient principalement de moi. Alors ça me fait sourire qu’elle soit pendue à mes lèvres en attendant la fin de l’histoire, et qu’elle soit même déçue de la manière dont ça s’est terminé. « Je crois surtout qu’on était jeunes et qu’à l’époque c’était moins facile qu’aujourd’hui d’assumer qu’on puisse être attirée par quelqu’un du même sexe. Vous en pleine adolescence vous vous cherchez, vous faites davantage d’expériences, vous essayez pour voir si ça vous plait. Nous on avait plutôt peur des représailles. Donc y’avait quelque chose, sans qu’il n’y ait vraiment quelque chose. » A part de l’ambiguité, je n’ai pas grand chose à lui raconter pour se mettre sous la dent, malheureusement pour elle. Ma fille m’explique qu’elle a un peu peur de rencontrer sa correspondante en vrai, et ça peut se comprendre. Mais je crois qu’il n’y a aucune raison pour que ça se passe mal. On verra bien. C’est ce qu’elle dit, et elle a raison. Je pensais a discussion close mais ma fille me montre son portable, avec une photo d’une jeune fille. « Tiens regarde c'est elle, Gioia. » Je regarde la photo en question, puis mes yeux dévient sur ma fille et les étoiles qu’elle a dans les yeux. Je ne peux m’empêcher de sourire. D’un côté, je suis contente pour elle, même si j’espère que s’il y a quelque chose entre elles quand elles se verront, ça ne la brisera pas. Et d’un autre, je suis rassurée de voir qu’elle passe à autre chose concernant Rayan. Surtout vu la tournure de ma relation avec cette dernière. « Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? » Je ris un peu et secoue légèrement la tête. « Rien. Elle est très jolie. Elle a l’air adorable. » Maé récupère son téléphone, s’attarde un peu sur la photo avant d’éteindre l’écran du smartphone. « Tu sais si elle a un petit ami ? Ou.. une petite amie ? » Quoi ? Je me renseigne. Je suis sûre qu’elle sait. Et vu son regard, il y a un peu plus que de l’amitié entre ces deux là. Et qu’on se le dise, je préfère qu’elle jette son dévolu sur des filles plutôt que sur des garçons. Rien qu’imaginer ma fille dans les bras d’un garçon, même de son âge, ça me retourne l’estomac. Les filles sont beaucoup plus tendres…