tu m'as offert c'que le chagrin fait de mieux. (maitilde)

Ça fait déjà dix bonnes minutes qu’il fait les cents pas dans le hall de l’immeuble de Maitilde. Il a un service à lui demander ; en cinq mois de divorce, ce n’est pas la première fois qu’il fait recours à elle quand il ne peut pas assurer la garde de James lors d’un soir de sa semaine. Il a souvent des rendez-vous tardifs qui l’empêchent de rentrer à la maison pour s’occuper correctement de leur enfant, et plutôt que de le confier à une baby-sitter, il préfère le savoir en sécurité – avec sa mère. Cette fois-ci, c’est différent. S’il a besoin d’elle, ce n’est pas parce que son planning professionnel est trop chargé. Non, c’est parce qu’il a prévu de sortir avec quelqu’un ; de manière on ne peut plus personnelle, pour la soirée de la saint-valentin. C’est bien pour ça qu’il est anxieux et qu’il se mord l’intérieur des joues, tandis qu’il commence à grimper les marches qui le séparent encore de la porte d’entrée de son ex-femme. Il a honte. Son cœur bat vite, fort. Il s’en veut de se dérober ainsi face à ses responsabilités, s’il a la garde alternée de son fils, c’est parce qu’il est supposé être capable s’occuper de lui, parce qu’il est supposé être capable de l’assumer coûte que coûte. Et s’il se sent coupable, ce n’est pas seulement vis-à-vis de James. Au fond de lui-même, il sait qu’elle n’est pas prête à le voir avec une autre ; parce que lui, ça le tuerait de la voir aux bras d’un autre. Il l’aime encore, et peut-être que finalement, il l’aimera toujours. Mais s’il a bien compris une chose au cours de cette dernière année, c’est que l’amour n’est parfois pas suffisant. Quelque chose dans leur couple s’est brisé et, piètre bricoleur, il n’a  jamais été capable de le réparer. S’il fait mine de passer à autre chose, peut-être qu’elle finira par se sentir capable de faire un pas en avant. Et peut-être qu’un jour, ils arrêteront de se mentir à eux-mêmes et peut-être qu’un jour, ils finiront par s’oublier et par aimer quelqu’un d’autre. À l’heure actuelle, face à la porte derrière laquelle vivent paisiblement les deux amours de sa vie, il s’en veut également d’avoir invité cette jeune femme. C’est sa secrétaire, un putain de cliché vivant. Elle travaille pour lui que depuis peu de temps, elle ne l’a jamais vu appeler sa femme à chaque fin de séance, elle ne l’a jamais vu sourire bêtement face à leur photo de mariage – posée sur son bureau autrefois, aujourd’hui soigneusement rangée dans l’un des tiroirs. Elle ne l’a jamais vu amoureux et ignore tout de son passé, tout ce qu’elle a vu en lui, c’est son charme et sa disponibilité. Il est libre, oui. Mais son cœur est pris, son cœur bat fort, son cœur souffre. Il toque quelques coups à la porte de Mai et attend en se pinçant les lèvres. Il se revoit dans les premières années de sa vie, quand il était timide et qu’il avait horreur de passer au tableau, devant ses camarades. Il se sent comme la veille de ces oraux-là, quand il avait la boule au ventre, le trac, l’envie de partir en courant. Mon dieu, mais qu’est-ce qu’il fait ? Il a envie de fuir et de tout annuler, de ne plus aller à ce rendez-vous et d’épouser une seconde fois la femme qui vient de lui ouvrir la porte. Sauf qu’il n’en a pas le droit, il a suffisamment été égoïste par le passé : quand il voyait qu’elle changeait, qu’elle souffrait, mais qu’il fermait les yeux sur tout ça pour ne pas la perdre. Il l’a quand même perdue, au final, et il l’a laissé dans ses malheurs sans chercher à les comprendre. Il regarde Mai quelques instants, bouche bée, avant de se reprendre et de sourire comme il le fait toujours quand il reçoit l’un de ses patients. Hey ! Je.. je passais pas dans le coin, j’avoue. Elle sait très bien où il vit actuellement – où ils vivaient à l’époque – et il faut faire un sacré détour pour arriver jusqu’ici. Je peux entrer ? Le ton est un peu plus grave, les sourcils sont froncés. Il ne sait pas comment il doit présenter la chose, s’il doit être sérieux ou joyeux, s’il doit être compatissant ou froid face aux émotions qu’elle va vivre à son tour. James est déjà couché ? Parce que oui, il est tard. Trop tard pour une visite comme celle-ci.