I believe it was the end of the story [Elliot]

Nous avions rendez-vous, Eliot et moi, juste après son rendez-vous avec Ella. Elle voulait lui parler, je le conçois, elle voulait mettre les choses au clair, je le conçois aussi, pour autant, est-ce que c’est une vraie bonne idée ? Eliot est sur les nerfs, malgré ce qu’elle peut dire, elle est tout sauf sereine, et moi aussi. Loan a compris tout de suite, que j’y tenais un peu plus que ce que je n’acceptais de le reconnaître. J’apprécie beaucoup Eliot, et peut-être même que je suis en train de tirer des plans sur la comète, et ça n’est bon pour personne. Pour autant, je ne suis pas certaine que ça soit une vraie bonne idée, de tout mélanger… Elle doit cependant faire cette démarche, celle d’écouter ce qu’Ella aurait à lui dire, faire un test s’il le faut, histoire de démêler le vrai du faux. Eliot est quelqu’un de rationnel, de terre à terre, qui ne crois pas nécessairement aux signes, elle a juste besoin de savoir où elle campe. Elle en donne l’illusion comme ça, mais au fond, je sais qu’elle est paumée.
Tout ça pour dire qu’il est déjà 20 h et que je n’ai aucune nouvelle. Je n’ai pas insisté jusqu’à présent, peut-être ont-elles été boire un verre, du temps à rattraper, je ne sais pas. J’ai de toute façon énormément de mal à croire à cette histoire mais je peux me tromper. Quoi qu’il en soit elle aurait pris la peine de m’envoyer un texto, pour ça, je dois lui reconnaître d’être prévenante, même si elle ne me doit rien. Mais elle est droite, si elle m’a promis une sortie, ou tout du moins demandé de prévoir ma fin de journée pour elle, elle me préviendra en cas de changement de plan. Le retard c’est son truc, mais les faux plans, non. Pas avec moi en tout cas.
Je tente de la joindre, à présent il est plus de 22 h et elle n’est toujours pas là, je commence à être inquiète, elle avait rendez-vous pour 14h, ça commence à faire non ? Je rationnalise tout quand je suis inquiète, je compte, je m’occupe… Comme je le peux. Ses affaires sont encore là, elle n’a rien emporté, elle ne possède déjà pas grand-chose, elle n’aurait pas tout laissé derrière elle si elle avait décidé de ne pas rentrer, si ? Je me refuse à fouiner dans ses affaires pour trouver quelconque indice. Elle a peut-être rencontré des potes ? Je ne sais pas, mais encore une fois ça n’est pas son genre de déserter sans prévenir. Déserter oui, ça peut arriver, qu’elle ne rentre pas, et auquel cas, je ne pose pas de questions. Mais elle envoi un texto du genre ne t’inquiète pas, tout va bien. Sans m’en dire plus et je ne le demande jamais, ça ne me regarde pas. Sauf que pas de son, pas d’image et ça commence à devenir franchement inquiétant.
J’ai les numéros de certains de ses amis, tout du moins, je saurais où les joindre. Parfois Eliot me parle d’eux, des bars dans lesquels ils servent, ce genre de choses…

Je n’ai dormi que d’un œil et me suis endormi sur le canapé. Personne, toujours personne. Le soleil est levé, et cette fois-ci, je consens d’arrêter d’ignorer la boule dans le ventre qui me taraude depuis hier. Elle est justifiée à présent. Je passe un coup de fil à Loan, pour savoir si à tout hasard, Eliot ne serait pas passée par le Planet hier soir, je sais qu’elle y traine relativement souvent avec des amies. Elle ne me raconte pas ce qu’elle y fait et je préfère ne rien savoir. Mais non, pas de trace d’Eliot. Cette fois-ci, je tente de joindre certains de ses amis, c’est mal, elle ne me doit rien et encore moins des explications mais je suis inquiète, c’est un peu plus que ce que c’était, je ne m’en sens pas responsable comme si j’étais un genre de mère de substitution, je me sens responsable parce que j’y tiens… Parce que je crois qu’elle me manque, d’ailleurs.
La nuit commence à tomber, j’ai plié chacune de ses affaires dont je viens de faire la lessive, comme si ça pouvait la faire revenir. C’est ridicule. Il faut que je sorte, que je vérifie par moi-même, que je me rassure. Je passe mon temps à checker les faits divers sur les réseaux sociaux, ridicule ça aussi… Il fait presque nuit noire quand je décide de me garer près du port. Elle aime la plage, elle adore l’eau, et le bruit des vagues l’apaise, je me souviens de ça. Je sais qu’elle aime cet endroit, et c’est déjà le quatrième endroit où je fais un tour pour tenter de la trouver ou d’y trouver un signe… Bingo. Elle est là, sur un banc. Je reconnais son blouson de baseball et le bout de sa clope incandescent. Je m’approche sans un mot, me contente de glisser une main dans sa nuque. « J’ai cru que tu étais partie. » Pas de reproche, encore moins de scène. « Tu m’as fait peur. » Je ne sais pas pourquoi je lui dis tout ça, sans doute un moment où je craque, où je ne peux plus retenir la mesure que je prends à chaque parole que je prononce en général pour ne pas l’effrayer, ou la faire fuir.

Une véritable épreuve que de me confronter à cette femme qui avait prétendu être ma mère biologique. J’ai pourtant pris mon courage à deux mains pour aller la voir, discuter avec elle. J’ai senti son malaise, le mien devait sans doute être palpable aussi, malgré mon envie de me protéger en gardant ce recul, cette nonchalance qui me sert de masque chaque jour nouveau. Ella m’a expliqué qu’elle avait demandé à suivre mon dossier, je ne savais même pas que c’était possible. Elle avait des contacts avec mes familles d’accueil, reçu des photos, jusqu’à très tard, ce qui fait qu’elle n’a pas vraiment hésité quand elle m’a vue la première fois. Elle me les a montrées, ces photos, parce que j’avais du mal à y croire. Et c’était bien moi, pas de toute. Mais comment être sûre que c’était pas juste une psychopathe ? Non quand même…. J’ai quand même voulu savoir pourquoi elle avait fait ça, pourquoi elle m’avais laissée. C’est plutôt confus, il y a une affaire de famille là dedans mais je crois que j’ai arrêté de chercher à écouter son argumentaire. Les faits sont là, elle m’a abandonnée, et je n’ai pas vraiment envie de lui pardonner. En tout cas, pour le moment je ne m’en sens pas capable, et je lui ai dit. J’ai même été jusqu’à lui demander un test adn pour être sûre qu’elle était bien ma mère. Elle l’a un peu mal pris je crois. Tant pis. Mais tout ça m’a beaucoup retournée, et je ne suis même pas rentrée chez Ellen ce soir là. Je l’ai totalement plantée alors qu’on devait aller au salon de l’adoption d’animaux. Je sais plus où j’en suis, j’ai l’impression que toute ma vie est remise en question.

Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin d’air, que personne n’attende quoi que ce soit de moi, juste quelques heures, quelques jours. La plupart de mes pensées vont vers Ellen, je m’en veux un peu de ne pas lui avoir donné de nouvelles, la connaissant, je suis sûre qu’elle s’inquiète. Une dernière clope et peut-être que je rentrerai. Ou alors j’irai voir Willie, elle a des trucs à me raconter avec sa flic là je crois. Comme ça on se racontera nos misères. Je sursaute en sentant une main dans ma nuque, me reconnectant avec la réalité, sentant le parfum d’Ellen qui me chatouille les narines. « J’ai cru que tu étais partie. » « Pour aller où ? » Mes affaires sont encore chez elle, que je sache. « Tu m’as fait peur. » Je soupire un peu et tourne la tête vers elle en laissant échapper la fumée de ma clope. « Je suis désolée. J’aurai dû t’écrire pour pas que tu t’inquiète, j’avais juste besoin d’un peu de temps. » Nouveau soupir, je termine ma clope, éteint le mégot sur la semelle de ma godasse et pose le mégot en question sur le banc, à côté des autres, que j’irai jeter plus tard. « Ça va toi ? » Bien sûr Eliot, vas-y, fais comme si ça allait suffire…

Au fond de moi, je savais que j’allais finir par la retrouver. Mais dans quel état, c’était une autre question… Je sais Eliot parfois immature sur certaines réactions. Pour autant, elle n’est pas autodestructrice. Je dois le lui reconnaître. Après une déception, aller prendre une bonne cuite pour se consoler serait dans ses cordes, mais pas se faire du mal. Elle est plutôt battante et surtout, elle aime la vie, malgré celle qu’elle a pu avoir.
J’admire souvent sa détermination. Son côté je m’en foutiste est là pour le folklore, pas nécessairement parce que c’est sa façon d’être. Ce qu’elle aime, c’est avoir le choix, avoir celui de s’en foutre et d’envoyer les choses balader. Elle ne baisse que rarement les bras, et je ne l’ai pas encore vue faire. Pourtant, je pense qu’avec cette histoire avec Ella, elle a morflé. L’idée de pouvoir retoucher à un passé qui ne lui avait pas été accordé jusque-là, a des chances de la remuer, et si elle le souhaite, je serais à ses côtés. Mais il faut que ça vienne d’elle, pas de moi.
Je la retrouve sur un banc, dans le froid, dans le vent, mais pour ce que ça a l’air de la perturber… Quand elle est dans ses pensées, plus rien ne l’atteint. Sa capacité de concentration est proche du génie. Quand elle se met à bricoler, on peut toujours lui parler…
« Pour aller où ? » « Ca, il n’y a que toi qui le sait ma puce… » Je ne connais pas tout d’elle, nous sommes encore en train de nous apprivoiser et ce que nous vivons, nous ne le nommons même pas, nous nous contentons de faire comme ça vient. D’un parce qu’elle n’est pas du genre à planifier, et de deux parce que ce serait un coup à la faire fuir. « Je suis désolée. J’aurai dû t’écrire pour pas que tu t’inquiètes, j’avais juste besoin d’un peu de temps. » « Ca va, je le comprends. » Je ne peux lui en vouloir de rien, je sais pertinemment que ses priorités ont changées ces deux derniers jours. Je ne suis ni rancunière, ni revancharde, je préfère comprendre ce qui se passe et accorder le bénéfice du doute. « Ça va toi ? » Je fais le tour du banc, et soupire, en m’y installant, assise de côté, accoudée au dossier, pour faire face à Eliot. « C’est plutôt à toi que je devrais le demander, tu ne crois pas ? » Je vois le nombre de cigarettes qu’elle a pu fumer sur ce banc, ce qui veut dire qu’elle est là depuis un bon moment. Je récupère sa main gelée dans la mienne. « Ça ne s’est pas passé exactement comme tu l’imaginais, je me trompe ? » Je ne pense pas non, en même temps, comment ça aurait pu si bien se passer ? L’idée même révoltait Eliot. La retrouver et se dire qu’elle avait mis tant de temps à la contacter, ou bien l’avoir tout simplement abandonné. Dans un cas comme dans l’autre, elle lui en voudrait. Et ça n’a visiblement pas loupé. « Tu es gelée, tu veux qu’on rentre ? » Ma voix se veut douce et rassurante. Je ne promets rien, mais si je peux lui apporter un tant soit peu de réconfort…

Je m’excuse, je sais que je l’ai inquiétée et ce n’était pas mon but. J’avais juste besoin d’être seule quelques jours pour me retrouver face à moi-même, me poser les bonnes questions. Je sais Ellen très bienveillante, mais quand je suis avec elle, je ne pense pas vraiment. Et j’avais besoin de penser. Elle est compréhensive aussi, elle aurait pu m’en vouloir que je lui fasse peur comme ça, mais même pas. Je sais pas ce que j’ai fait pour la mériter. Franchement. J’essaie de changer un peu la lumière, la diriger plutôt vers elle. Elle soupire. J’aime pas quand elle soupire. Faisant le tour du banc, elle s’installe finalement à côté de moi. « C’est plutôt à toi que je devrais le demander, tu ne crois pas ? » Je hausse les épaules. Peut-être bien oui, mais je sais pas vraiment si j’ai envie d’en parler. « Ça ne s’est pas passé exactement comme tu l’imaginais, je me trompe ? » Nouveau soupir. « Je sais pas si j’imaginais vraiment quelque chose… » Je laisse mon regard flirter avec l’horizon quelques secondes, hésitante. Je sais pas si je veux lui dire, peut-être pas maintenant en tout cas. « Tu es gelée, tu veux qu’on rentre ? » « C’est bien ma mère. » Je tourne la tête vers Ellen, je sais, j’ai pas répondu à sa question. Et puis j’ai pas froid, je suis pas frileuse. « Je lui ai demandé de faire un test adn. Elle m’a montré des photos que mes familles d’accueil lui ont envoyé. Je sais même pas comment c’est possible. » Je sais pas si je suis déçue, perturbée, ou si j’aurai préféré ne rien savoir. Peu importe, maintenant c’est ça. « Je lui ai dit que ça changerait rien de toute façon. J’ai vécu presque trente ans sans elle, elle va pas devenir ma mère comme par enchantement. Elle m’a donné la vie, on a le même sang. Ça s’arrête là. » C’est ce que je ressens en ce moment en tout cas. J’ignore si ça changera, mais pour le moment, je crois que je suis trop blessée pour accepter quoi que ce soit venant d’elle. « Et puis si t’as plus envie que je vive chez toi, je préfère que tu me le dises. Maintenant c’est confirmé, tout ça… » Je suis totalement dans le flou je dois dire…

J’ai peur de la perdre, je le savais déjà avant mais à présent c’est une évidence. Je ne suis pas prête à m’imaginer vivre sans elle. Pourtant, je ne lui demande rien, en tout cas pas grand-chose, même pas me rendre des comptes. Je ne suis pas sa mère, c’est une évidence, mais je ne suis pas non plus sa petite amie. Alors qu’est-ce que ça me permet d’exiger ? Pas grand-chose. Pourtant, ça ne me manque pas, je ne me retiens pas, je pense que je lui fais assez confiance pour éviter d’avoir à demander quoi que ce soit et surtout, pour me réjouir qu’elle ait une vie sociale. Des amis… Je ne les connais pas, mais elle est assez grande pour choisir de qui elle s’entoure, quoi qu’il en soit, encore une fois, je n’ai aucun droit ni pouvoir sur elle.
« Je sais pas si j’imaginais vraiment quelque chose… » « Non, mais de toute évidence ça n’était pas ça que tu pensais avoir à affronter. » Eliot est le genre insouciant, et ne tire pas de plans sur la comète, ne passe pas ses nuits à cogiter. Alors pour passer plusieurs jours à camper sur un banc à réfléchir au sens de la vie, c’est que ça a dû grandement la secouer. Je voudrais être là pour la soutenir, la faire parler, l’écouter, peut-être même passer ma nuit à la prendre contre moi pour l’écouter réfléchir. S’il le faut. Je me rends compte à quel point je suis dévouée à ce qu’elle soit heureuse, son bonheur est plus important que le mien à cet instant précis et je ne saurais dire à quel point je suis inquiète qu’elle soit si malheureuse. En tout cas elle en a l’air. Je lui propose de rentrer, il fait un froid de canard. « C’est bien ma mère. » Je me rassieds aussi vite que je me suis levée. Oh… Je crois qu’on a un problème. Moi j’ai un problème avec ma meilleure amie à présent. Je couche avec sa fille, la donne change forcément. Quand elle n’était que la petite jeune que j’ai recueilli, ça faisait rire tout le monde, mais maintenant qu’elle est la fille d’Ella… « Je lui ai demandé de faire un test adn. Elle m’a montré des photos que mes familles d’accueil lui ont envoyé. Je sais même pas comment c’est possible. » Moi non plus. D’avoir un karma si pourri. Quand enfin je commençais à ressentir quelque-chose pour quelqu’un… toute femme ou jeune qu’elle soit. Je recommençais à y croire à nouveau. C’est égoïste comme façon de penser, je le conçois mais à cet instant je ne parviens pas à réfléchir autrement.
« Je lui ai dit que ça changerait rien de toute façon. J’ai vécu presque trente ans sans elle, elle va pas devenir ma mère comme par enchantement. Elle m’a donné la vie, on a le même sang. Ça s’arrête là. » J’admire sa détermination, mais au fond de moi je ne suis pas sûre qu’elle y croit, elle veut se protéger, ce que je comprends… « Prends le temps de réfléchir Eliot. » Je ne veux pas qu’elle loupe quoi que ce soit, qu’elle soit pétrie de regrets dans 15 ans parce qu’elle aura préféré jouer l’indifférence. Par fierté, ou par peur. « Et puis si t’as plus envie que je vive chez toi, je préfère que tu me le dises. Maintenant c’est confirmé, tout ça… » « Eliot. » Je prends son menton entre mes mains pour la forcer à regarder dans ma direction. « Tu n’es pas ce que ton sang détermine. Tu es ce que tu fais, tu es la somme de tes actes, et de tes choix. Tu as toujours été de son sang, qu’est-ce-que le fait de le savoir devrait changer à qui tu es ? » Je ne suis pas sûre qu’elle intègre au premier degré ce que je lui dis. « Tu es chez toi, et je ne changerais pas d’avis. Je veux que tu t’y sentes à l’aise, et légitime. Quant au reste… c’est à toi de décider. » De nos relations intimes, de nos envies soudaines, de notre attirance bien réelle… Elle peut trouver ça glauque de se taper la meilleure amie de sa mère, tout comme je pourrais trouver ça glauque de me taper la fille de ma meilleure amie. Mais je refuse de la voir comme ça. Je veux la voir pour ce qu’elle est, et l’inconnue que j’ai rencontré au cours de soir d’italien m’allait très bien.

« Non, mais de toute évidence ça n’était pas ça que tu pensais avoir à affronter. » Si je peux éviter de trop réfléchir ou avoir de grandes pensées, dans ma vie, ça m’arrange. Ellen, c’est tout l’inverse. Parfois quand elle parle je décroche mais je continue de l’écouter, et même si je comprends que la moitié de ce qu’elle raconte, je trouve ça juste beau, les gens qui savent réfléchir. Moi je prends la vie comme elle vient, c’est tout. Je vis, voilà. Et là, j’avais juste pas envie de vivre un truc pareil. J’ai pensé à tout ça pendant trois jours, je suis épuisée d’avoir autant réfléchi, pesé les pour et les contre. Tout ça, ça me ressemble pas, c’est pas naturel et ça m’a pris une énergie folle. « Prends le temps de réfléchir Eliot. » Elle me dit ça a moi ? Je la regarde un instant, retiens une phrase qui aurait fusé trop rapidement, et lui réponds finalement en détournant le regard. « C’est tout réfléchi. » J’ajoute quand même que si elle ne veut plus de moi chez elle, elle n’a qu’a le dire. Même si ça me ferait chier, je suis prête à accepter, après tout vu où j’en suis.. Ellen vient chercher mon menton pour me pousser à la regarder. J’ai mal au coeur. Parce que j’aimais bien ce que j’avais avec elle, et que j’ai bien conscience que tout ça pourrait changer beaucoup de choses. Alors oui, j’en veux à Ella. « Tu n’es pas ce que ton sang détermine. Tu es ce que tu fais, tu es la somme de tes actes, et de tes choix. Tu as toujours été de son sang, qu’est-ce-que le fait de le savoir devrait changer à qui tu es ? » Elle m’a perdue. Tout ça c’est trop abstrait pour moi , trop philosophique. Je fronce un peu les sourcils et retourne la tête, m’échappant en même temps de l’emprise de ces doigts sur mon menton. J’ai mal au crâne et elle en rajoute. Je suis pas un prix nobel moi. « Tu es chez toi, et je ne changerais pas d’avis. Je veux que tu t’y sentes à l’aise, et légitime. Quant au reste… c’est à toi de décider. » Je soupire longuement en hochant la tête. Tout ça c’est trop flou encore, j’arrive pas à organiser mes pensées. Ça fait trois jours que j’ai pas dormi ou presque, je suis épuisée, je sais pas où je vais, même si je viens d’en apprendre un peu plus sur d’où je viens. Mais est-ce que c’est si important ? « Une dernière, et on rentre. » J’attrape mon paquet de clopes et en tire une que j’allume sans tarder, avant de tendre le paquet à Ellen, si elle en a envie.

« C’est tout réfléchi. » Du grand Eliot. Je commence à la connaître maintenant, pour noter ce qui est d’elle ou pas. Et disparaître comme ça sans nouvelle n’est pas son genre. En revanche, prendre une décision hâtive au risque de le regretter toute sa vie, si si, ça peut. Pour tout avouer, ça fait même partie de son charme, ça n’est pas évident à pister, mais c’est comme ça qu’elle fonctionne, et ça me plaît. Son côté à vif, son côté spontané, et je m’en foutiste. Au final, elle ne s’en fout pas, c’est juste une impression. Je sais juste la prendre à présent, lire dans son comportement sans lui en tenir rigueur. Ses choix ne sont pas toujours ceux d’une jeune femme de son âge, plutôt d’une ado, et alors ?
J’essaye de la rassurer, par des mots, des gestes, juste une petite attention gentille qui ne fera pas qu’elle se sentira obligée ou prise au piège. La rassurer sur ce qu’elle est, et ce qu’elle est encore. Sans que sa condition filiale n’interfère. Mais je la sens clairement disjoncter, ou lâcher prise. Je l’ai perdue. Elle a perdu le fil. Peu importe, elle ne m’écoute pas, elle a décroché. Comme souvent quand on commence à discuter de certaines choses, et je ne m’en formalise pas. De toute façon elle est bien trop crevée pour faire un effort. Je la sens épuisée, je la sens clairement sur le point de s’écrouler de fatigue et son visage marqué n’arrange rien.
Et elle est gelée, je lui propose de rentrer… « Une dernière, et on rentre. » « D’accord. » J’accepte sa cigarette et l’allume, tirant dessus une ou deux fois avant de m’installer plus confortablement sur le banc, les jambes ramenées à moi pour me réchauffer. Puis je glisse mes doigts dans sa nuque, jouant avec la naissance de ses cheveux, caressant doucement sa peau en espérant l’apaiser un peu. « Tout ce que je voulais dire, c’est que tu restes la même Eliot. T’es toi, juste toi. » J’espère que cette fois-ci, mes mots feront leur chemin. Aussi fatiguée soit-elle. On fini par rentrer et se mettre au chaud, et elle, profiter d’une bonne douche et de son lit, aussi longtemps qu’elle en aura besoin.

FIN