Don't miss little things [Elliot 5]

Eliot a beau me dire que rien ne change, que la nouvelle n’est en aucun cas prêt à porter quelconque incidence sur notre vie relativement paisible et sans encombre, je n’en crois rien.
Elle vient tout juste d’apprendre – et moi avec – qu’elle était la fille abandonnée de ma meilleure amie. Comme situation, il y a mieux, si l’on considère que nous faisons régulièrement de petits apartés. Coucher avec une femme, c’était déjà au-dessus de ce que je m’imaginais, mais le faire avec une de la moitié de mon âge, qui pourrait non seulement être ma fille, mais qui n’est même pas ma petite amie, ça dépasse l’entendement, et ce que je me serais autorisée, moralement parlant. Pourtant, j’y trouve mon compte. La tendresse dont j’aurais besoin, le plaisir de la retrouver le soir, pour un plateau télé ou même une pizza froide, on se contente de peu. Je ne dis pas que nous vivons une love story mémorable ou même encore quelque-chose de sérieux, Eliot n’a aucune attache et n’en veut pas. J’ai dû me faire à ce côté bancal et incertain.
Pour autant, cette nouvelle ne cesse de tourner en boucle dans ma tête, hantant mon sommeil et le peu d’attention dont je dispose la journée. Ma maladresse est une marque de fabrique, mais ça devient même une maladie, profondément ancrée, quand on voit les dégâts que je peux faire à moi toute seule en un temps relativement restreint. Un don, comme dirait Eliot. Ça la fait rire, beaucoup.
Impossible de trouver le sommeil, des heures durant, et quand celui-ci vient, c’est pour me hanter de cauchemars. Je jette un regard sur l’heure, 4 h du matin, il est encore temps de finir ma nuit… mais pas toute seule. Comme un réflexe relativement immature, je me lève, descends boire un verre d’eau, quelque-chose pour calmer ce cœur qui s’emballe et cette anxiété qui me tord le ventre. Non sans renverser au passage une spatule ou deux, qui tombent sur le sol dans un vacarme tonitruant. Je remonte ensuite le plus discrètement possible, et au lieu de retrouver mes draps, c’est dans la chambre d’Eliot que je bifurque, et me glisse entre les siens, discrètement, passant un bras autour d’elle, en cuillère, juste pour le plaisir d’embrasser sa nuque, et de me lover contre elle… Rassurée ? Je ne sais pas, en tout cas, j’y suis mieux que dans mon lit.

Avec Ellen, c’est juste super naturel. Je me pose pas de questions, je me prends pas la tête. Elle suit mon mood, elle me demande pas de comptes quand je dors pas ici la nuit, et je me sens pas fliquée. C’est ce que j’aime le plus à vivre ici, c’est ce qui me fait sentir de plus en plus chez moi. J’ai tout ce que j’ai toujours voulu, que les bons côtés d’une ‘relation’ sans avoir ceux que j’ai toujours détesté. Enfin, j’ai été en couple véritablement qu’une seule fois, et on voit comment ça s’est terminé. Au moins, je sais qu’Ellen ne me demande rien, elle comprend mon besoin de liberté, et même si elle a sûrement des attente me concernant, elle n’en dit rien. Parfois je me dis que j’ai rien à foutre chez elle, qu’elle ferait mieux de refaire sa vie, sans doute avec un homme, un homme qui pourrait la rendre heureuse. Et à la place, c’est moi qui suis là, qui partage avec elle les repas, qui la soigne quand elle se blesse, et qui passe quelques nuits dans ses draps, quand l’envie me prend. Elle a l’air de dire qu’elle se sent épanouie de cette manière, ça me fait plaisir mais j’ai toujours un peu de mal à comprendre comment une femme comme elle peut se suffire d’une nana comme moi. Je préfère autant ne pas me poser trop de questions. Je suis sortie ce soir, pas trop tard, mais assez pour qu’Ellen dorme quand je rentre. La maison est silencieuse, il manque un animal quand même. Ça fait un moment que j’y pense, mais je ne vais certainement pas imposer ce genre de chose alors que je ne suis pas chez moi. Je grimpe à l’étage prendre une douche, et me faufile sous mes draps en soupirant. C’est quand même plus agréable d’avoir sa propre chambre plutôt que de dormir dans le canapé de Willie.
Je me réveille en sursaut en entendant un vacarme en bas. Le coeur battant, je reste attentive pour essayer de savoir si c’est Ellen qui fait des siennes ou si quelqu’un s’est introduit dans la maison. Et puis la porte de ma chambre s’ouvre, Ellen entre et referme la porte derrière elle. Avec ma voix endormie, je grogne un peu. « Hmmm j’ai cru que y’avait un cambrioleur. T’es vraiment pas discrète. Quelle idée de vouloir cambrioler ta propre maison… » Je l’entends rire un peu et elle se glisse sous mes draps, derrière moi pour se lover contre mon corps. Elle sait que je dors juste en culotte, elle ne peut pas être surprise. J’attends quelques secondes, analyse ses gestes, juste pour savoir si c’est une envie nocturne, un rêve érotique qui l’a réveillée, ou si juste elle avait besoin d’une présence. « Ça va ? » Je frissonne en sentant ses lèvres se poser dans ma nuque. Je me saisis de sa main que j’enroule autour de mon ventre. « T’as fait un cauchemar ? » Y’a rien à faire, j’aime vraiment sa présence…

J’évite de me poser trop de questions avec Eliot, tout du moins je ne le lui montre pas. Je sais pertinemment que ce serait le genre de choses qui la ferait fuir. En même temps je me demande si j’ai vraiment envie qu’on change quelque-chose. Cette « distance » me va plutôt bien. Je ne sais pas si je suis en train de me guérir du manque de Thomas, encore que non, ça serait impossible, mais au moins, il n’y a rien de concret, pas d’engagement et encore moins de score à tenir. Ça me va, dans un sens. Bien sûr, je me demande où elle va quand elle dort ailleurs que dans son lit, qui devient un peu le mien quand je le veux et que le mien devient le sien quand elle en a envie. Mais je n’ai pas le droit de lui poser ces questions en face, à haute voix, ce serait mal venu.
Dans un premier temps parce qu’il faut bien admettre qu’elle n’a l’air heureuse que libre, et que de toute façon, la seule à avoir réussi l’exploit de lui imposer la chanson du couple, est une certaine Sofia, une italienne, sans doute incandescente et qui a eu le mérite de la pousser à prendre des cours d’italien, je n’en suis pas là.
Après avoir foutu mon propre bordel dans ma cuisine pourtant parfaitement rangée, je remonte imposer ma présence à Eliot, qui saura me dire si elle n’est pas d’humeur à partager son lit. Je ne suis pas pudique et Eliot non plus, un point sur lequel on s’accorde. Son humour aussi, le trouve aussi foireux que le mien. « Hmmm j’ai cru que y’avait un cambrioleur. T’es vraiment pas discrète. Quelle idée de vouloir cambrioler ta propre maison… » « Tout ce qu’il y a à voler dans ma cuisine, je l’ai déjà. » Quand je vous parlais d’humour foireux !
« Ça va ? » « Mm. Ça va. » D’une voix à peine chuchotée, et un baiser sur sa nuque quand elle prend ma main pour la serrer contre son ventre. « T’as fait un cauchemar ? » Je hausse les épaules dans son dos, des cauchemars, j’en fais chaque nuit, ça n’a rien de nouveau, même sous cachets pour dormir et tenter d’apaiser un peu tout ça. « Rendors-toi, tu bosses demain ma puce. » Je me serre à nouveau contre elle en caressant ses doigts des miens. Je suis particulièrement désinhibée le soir, la nuit, en tout cas moins étouffée par la morale qu’en plein jour. Et je pense sincèrement que c’est le lot de tout le monde. Encore que pour encombrer Eliot, il en faut. « Excuse-moi de t’avoir réveillée. »

« Tout ce qu’il y a à voler dans ma cuisine, je l’ai déjà. » Je ricane un peu, un rire déjà un peu rendormi. On a un humour aussi pourri l’une que l’autre. Je lui demande si ça va et sa réponse ne me satisfait pas tout à fait. En même temps, venir comme ça et se glisser dans mon lit, ya forcément quelque chose qui va pas. C’est pas le genre à avoir une envie soudaine en plein milieu de la nuit. Enfin en tout cas, j’y ai jamais eu droit. Je lui demande quand même si elle a fait un cauchemar. Pas de réponse. « Rendors-toi, tu bosses demain ma puce. » Ce genre de petite marque d’affection, je les ai jamais trop tolérées avant elle. Même Sofia ne me donnait pas trop de petits surnoms, j’ai jamais été fan, mais je sais pas pourquoi, dans la bouche d’Ellen c’est autre chose. « Excuse-moi de t’avoir réveillée. » Je grogne un peu et malgré ma gueule enfarinée, je me retourne pour lui faire face, un oeil entre ouvert, l’autre encore bien fermé. « Qu’est-ce qui se passe ? » Je lève difficilement ma main qui semble peser trois tonnes et décale une mèche de ses cheveux pour dégager son visage. « J’aime bien quand tu viens comme ça à l’improviste mais c’est pas juste parce que ça t’as pris comme une envie de pisser. Pourquoi tu dormais pas ? » Visiblement, elle a toujours eu le sommeil perturbé, j’imagine depuis que la vie lui a enlevé les deux hommes de sa vie. « Allez viens là. » Je glisse une main sous son cou pour y faire passer mon bras et me positionne sur le dos, l’incitant à venir dans mes bras. Elle a beau avoir quelques années de plus que moi, les centimètres, c’est moi qui en ait le plus. Elle est tout petit et toute frêle, et j’adore la prendre dans mes bras, me dire que d’un côté, je peux la protéger. Mes doigts glissent dans son dos, mon autre main caresse son bras qu’elle a à nouveau entouré autour de mon corps nu. « Et je bosse pas demain. » Je sais pas pourquoi je lui dis ça, c’est pas elle la plus adepte des grasses matinées, mais avec un peu de chance, elle aura envie de finir sa nuit jusqu’à midi ?

J’ai toujours été plutôt à l’aise avec les mots, les dire, les entendre, je n’ai jamais été vraiment pudique sur ce point-là. Pour autant, je sais qu’Eliot l’est, alors je ne veux pas la mettre mal à l’aise. Pour ça, je prends sur moi et tente de détourner mes paroles par des gestes, qu’elle est souvent plus à même d’accepter.
« Qu’est-ce qui se passe ? » J’ai bien conscience de la réveiller en pleine nuit et de lui demander un effort surhumain pour rester éveillée une fois réveillée. Eliot a le sommeil plutôt lourd et ses journées sont longues. L’inquiétude ne l’empêche pas de dormir, en tout cas je ne l’ai jamais entendue tourner en rond pour cause d’insomnie. « J’aime bien quand tu viens comme ça à l’improviste mais c’est pas juste parce que ça t’as pris comme une envie de pisser. Pourquoi tu dormais pas ? » « Je me suis réveillée comme à peu près 80% des américains, en plein milieu de la nuit Eliot. C’est rien. » Mes statistiques, mes trucs renseignés, elle se demande parfois si je ne mange pas un ou deux bouquins au petit dej. Non, j’aime juste m’abrutir parfois sur des reportages ou sur un bouquin sur lequel je tombe par le plus grand des hasards. « Allez viens là. » Je me blotti contre elle sans demander mon reste. J’adore faire ça. Elle est pourtant bien plus jeune que moi, mais quelque part, je me sens attirée par son insouciance, et la laisse me guider, en espérant inconsciemment sans doute en tirer une petite part, moi aussi. Je ne rêve que de ça. Je l’étais pleinement, avant l’accident des garçons… Quitte à frôler l’irresponsabilité, mais qu’est-ce-que c’était bon !
Mon bras vient naturellement prendre place autour de son cou, et mes doigts glissent dans sa nuque, dans un mouvement régulier, qui vise à l’aider à se rendormir. « Et je bosse pas demain. » Je ne peux donc plus me servir de cette excuse pour éviter une discussion ou encore une question à laquelle je ne voudrais répondre. Mais plus elle parle, plus je sens ses propos s’éclaircir et son esprit avec. Je ne peux risquer une nouvelle salve de questions auxquelles je serais incapable de répondre sans fondre en larmes, et c’est bien une chose que je me refuse à faire devant elle. « Tu ne bosses pas demain… » Cette fois-ci je me redresse un peu plus et vient quérir ses lèvres, d’une infinie douceur, juste pour la câbler sur le bon branchement. (Elle a des tas de métaphores de chantiers, dont j’use parfois maintenant aussi.) « Ça veut dire que tu n’es pas pressée de te rendormir… » Je m’installe à califourchon sur elle et une fois le dos bien droit, attrape le bas de mon t-shirt pour le faire passer par-dessus ma tête et fondre à nouveau sur elle pour l’embrasser, avec un peu plus d’envie. Tout est prétexte à lui changer les idées. Pas que je n’en n’ai pas envie, bien au contraire, mais je dois honteusement avouer que je me sers de son désir facile à déclencher pour me sortir d’une situation périlleuse.

Je m’inquiète pour elle. Ce n’est pas habituel qu’elle vienne se glisser dans mon lit au milieu de la nuit. En général d’ailleurs c’est plutôt l’inverse, pour un peu que j’ai légèrement bu, ou que j’ai fait un rêve un peu érotique. Je sais qu’elle sait dire non, j’ai jamais l’impression de profiter d’elle. Si j’ai envie et que ce n’est pas son cas, je ne me vexe pas. Notre relation est particulière, singulière même, mais elle est basée sur le respect profond de l’autre. Et c’est en ça que j’aime tant vivre ici avec elle. Les bons côtés d’une relation, sans les mauvais côtés. C’est quand même vachement agréable. Mais on ne s’arrête pas à partager la même maison, les mêmes assiettes, et parfois le même lit. Ça va quand même plus loin que ça. Je l’aide, je la soigne, elle m’apprend des choses et je lui en apprends aussi. C’est donnant-donnant. Mais si je ne suis pas quelqu’un de très loquace, que je n’aime pas parler de moi et de mes sentiments, j’aime pourquoi être au courant de ce qui peut bien tracasser Ellen. Parce que c’est important pour moi. Si elle n’arrive pas à dormir, il doit forcément y avoir une raison. « Je me suis réveillée comme à peu près 80% des américains, en plein milieu de la nuit Eliot. C’est rien. » C’est vrai que quand elle dit ça, c’est plutôt moi qui me sens comme un ovni, à dormir comme un loir des heures d’affilée sans jamais me réveiller. Je suis pas sûre que sa réponse me suffise, mais de ce que je comprends, elle n’a pas envie de s’étaler, alors je ne pousse pas. Je la prends contre moi, peut-être dans l’idée de la rassurer, qu’elle se rendorme, j’en sais rien… Mais ça me démange de creuser quand même. Elle ne veut pas me déranger, soit disant parce que je bosse demain, mais je la rassure en lui disant que non, je suis de repos, espérant sans doute qu’elle lâche un peu prise et qu’elle me dise ce qui cloche. Mais au lieu de ça, elle répète ma phrase et s’approche pour venir m’embrasser. « Ça veut dire que tu n’es pas pressée de te rendormir… » Généralement, ce genre de comportement, c’est plutôt moi qui en suis à l’initiative. Elle se place au dessus de moi et retire son t-shirt. Qu’est-ce que vous voulez que je dise ou que je fasse. Je vais pas la renvoyer dans son lit quand même ! Mes mains sur ses cuisses, je la regarde dans la demi-clarté de cette chambre baignée seulement par la lumière de la lune. Et accueille le nouveau baiser qu’elle m’offre. Mes mains remontent dans son dos, redescendent jusqu’à ses fesses. Si elle croit m’avoir comme ça, c’est… réussi. Enfin elle ne perd rien pour attendre. Mais je me dis que si elle est en demande d’un moment câlin, c’est qu’elle en a besoin, et je ne suis pas du genre à lui refuser ce genre de chose. Toujours dans la délicatesse, je crois que je n’ai jamais été aussi tendre qu’avec elle. Elle est si petite, si fine, j’ai peut-être un peu peur de la casser aussi. Mais ça laisse place à des sensations différentes, sans compter les sentiments, qui sont là mais que je garde en moi.

L’avantage de notre relation avec Eliot, est de ne pas avoir à mettre de mots dessus, de ne même pas avoir besoin ou le devoir d’en parler. Tout simplement parce que si elle affiche cet apparent besoin de liberté, je le ressens aussi. Ou alors c’est une façon qui me permet de me protéger, de ne pas avoir à m’engager, et ainsi de ne pas faillir à l’engagement que j’ai fais à Thomas devant l’autel, qui sait ? Il n’est certes plus de ce monde, et Loan me dirait que je dois recommencer à vivre, mais pour moi, ça sonne encore à ce jour comme une trahison d’aller voir ailleurs. Il n’a pas décidé de son sors, pas plus que je n’ai décidé du mien pendant l’accident mais une chose me paraît évidente : moi, je peux encore en faire, des choix.
Et j’ai fais celui de me voiler la face. De profiter de ce qui vient, sans prendre de foutu engagement. Que ce soit avec mes étudiants de temps à autres, parce que ça fait du bien au moral et à l’égo, ou bien avec Eliot, tout simplement parce que ça fait du bien dans tous les sens du terme. Elle a quelque-chose de rassurant que je ne saurais définir, et que je ne veux de toute façon pas définir. Les choses me vont comme elles sont. Que ce soit bien ou pas.
Et je me doutais bien qu’elle ne mettrait pas cent ans à répondre à mes avances, elle y répond même avec ferveur. En tout cas un empressement que je lui connais, mêlé de douceur et d’une tendresse que je n’aurais pas soupçonnée au début. Chez moi elle est naturelle, mais Eliot ne m’avait pas caché son goût pour les rapports musclés, et passionnés. Ils le sont parfois, mais la plupart du temps, nous sommes tendres l’une avec l’autre.
Mes lèvres fondent sur les siennes, mes bras se tendent de chaque côté de sa tête pour prendre appui et approfondir mon baiser. Tout comme je remonte d’une main la couette sur nous pour ne pas trembler de froid et retrouver la chaleur de son corps.
C’est moi qui lance les hostilités, en glissant une main mutine entre ses seins, puis le long de son ventre, pour enfin flirter avec sa féminité, et la zone la plus sensible de son anatomie. Juste pour le plaisir de la sentir soupirer avec d’avantage de ferveur, d’avantage d’envie. Et peut-être même de sentir ses caresses se faire plus pressantes, dans l’idée de me faire passer un message, quel qu’il soit.

Il y a quelques mois quand j’ai rencontré Ellen, je n’aurai jamais pu imaginer qu’elle soit du genre à se mettre à califourchon sur moi, son corps presque totalement nu, glissant sa main entre nous pour nous faire chavirer. Je suis la première fille à qui elle a laissé le droit d’apprivoiser son corps, et je n’en suis pas peu fière. Je ne me pose pas de questions avec elle, c’est en fonction de nos envies du moment, y’a pas de prise de tête, pas de jalousie, seulement du respect, et une envie de partager quelques moments, quand les planètes sont alignées. Je ne vais pas la repousser, avoir une femme qui vous réveille en plein milieu de la nuit avec des envies pareilles, croyez-moi ça ne se refuse pas. Mon souffle se fait déjà plus court, je sais qu’elle aime sentir qu’elle me fait de l’effet, je n’ai jamais eu à simuler quoi que ce soit avec elle, je crois que je lui ai bien enseigné l’art de faire l’amour à une femme. Et j’ai su la guider les première fois sur ce qui me faisait plaisir à moi, et y’a rien à faire, c’est encore le meilleur moyen de prendre son pied. Je glisse une main dans sa nuque pour chercher le contact de ses lèvres contre les miennes, soupirant en sentant ses doigts flirter avec ma féminité. Ma main libre devient plus aventureuse, caressant ses cuisses, son dos, ses fesses. La température grimpe en flèche sous cette couette et comme à chaque fois, c’est un florilège de plaisirs qui nous assaillent. Je suis attentive à chacun de ses souffles, de ses soupirs, et je sais m’arrêter quand je sens qu’elle est fatiguée. Après tout, on a pas le même âge ni la même énergie. Je sais qu’elle pourrait continuer, me donner le reste de la nuit si je lui demandais, mais je préfère une bonne heure intense que prolonger cet instant décrescendo. « Tu es pleine de surprises… » que je lui dis en souriant, embrassant son cou tout en reprenant mon souffle. « J’espère qu’avec ça tu vas réussir à dormir… » Je la taquine, c’est de bonne guerre. Mais demain, je n’y couperai pas, je vais forcément lui demander ce qui la tracasse autant au point qu’elle ne dorme pas la nuit, ou mal en tout cas…

Je savais pertinemment qu’elle ne chercherait pas à obtenir une conversation au détriment d’une partie de jambes en l’air. Faire l’amour est simplement une activité intense pour elle. Eliot ne se refuse aucun plaisir, elle est la femme libre par excellence, et dans sa liberté, je préfère ne pas tout savoir. Parce que si nous ne nous sommes rien promis, je n’accueille pas avec un grand sourire l’idée qu’elle puisse s’abandonner dans les bras d’une autre. Parce que ce sera forcément une, et pas un. Elle n’a jamais caché son homosexualité, et je dirais même qu’elle pourrait endosser le fait d’être un genre de symboles pour les femmes de son âge. Savoir s’amuser et profiter, sans concessions.
Le plaisir, elle me l’a enseigné, et toute bonne élève que je suis, j’ai retenu certains trucs, mais j’ai surtout appris à l’écouter, elle, ma partenaire. Bien que ma partenaire ne soit qu’Eliot et il est pour l’instant inconcevable qu’il en soit une autre un jour. Non seulement parce que je n’y ai jamais pensé, mais aussi parce qu’Eliot a cette petite chose particulière, ou ces, finalement. Tous ces petits détails qui font qu’elle est elle-même. Et pour tout avouer, j’aime particulièrement me rappeler que ces soupirs, c’est moi qui les lui procure.
Ce que j’aime aussi beaucoup dans nos échanges, c’est la tendresse dont elle fait preuve après l’amour. Une tendresse dont je manque, sans aucun doute. Mon front contre le sien, juste avant qu’elle ne glisse un baiser dans mon cou. Le souffle court, je remets une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Tu es pleine de surprises… » Je me surprends moi-même, oui, mais si le plaisir était réel, mon intention et ma démarche n’étaient pas si désintéressée. Je m’en veux un peu, mais il est connu que dans l’urgence, on gère à l’instinct. Et faire appels à ceux d’Eliot est particulièrement efficace.
« J’espère qu’avec ça tu vas réussir à dormir… » « C’est toi qui devrais te rendormir. » Je caresse son visage, tout en douceur, du dos de mes doigts repliés. Je la sens sur le point de rendre les armes et je l’attire à moi. C’est ainsi que nous nous endormons, même si ça m’eut pris plus de temps qu’à elle.

C’est à l’aube que je me réveille. Le réveil d’Eliot indique 6h30. Je n’ai jamais compris comment la lumière ne parvenait pas à la réveiller de bon matin. Mais étant donné mon tout petit besoin de sommeil, je me lève, et descends faire du café, et chercher quelques viennoiseries à la boulangerie. Les viennoiseries françaises, elle adore ça. Je dispose tout sur la table et attend qu’elle ne se réveille, prenant le temps de bouquiner quelques heures…

Il est clair que je ne m’attendais pas à ça en m’endormant hier soir. Qu’Ellen vienne me rejoindre en pleine nuit à cause d’une insomnie, et que ça se termine comme ça, c’est pour le moins étonnant, mais loin d’être désagréable il faut bien l’avouer. Je ne suis pas du genre à repousser une femme qui viendrait chercher un moment charnel, encore moins quand elle me plait. Parce que oui, malgré notre différence d’âge, Ellen me plait. J’espère qu’avec ça elle pourra dormir correctement le reste de la nuit, et je la prends tout contre moi pour l’y aider. Je suis sure à cent pour cent que je me suis endormie avant elle, je n’ai pas de problèmes avec mon sommeil moi.

Lorsque je me réveille, je suis seule dans mon lit, pas étonnant vu l’heure tardive, il est onze heures passé, et même si j’aimerai traîner encore un peu dans mon lit, j’entends qu’Ellen est là, je pensais qu’elle bossait, mais non. Alors je me lève, enfile mon débardeur à l’effigie des Lakers qui est trois fois trop grand et qui m’arrive en dessous des fesses, un boxer et me voilà descendue, les cheveux en bataille et les yeux encore un peu endormis. Ça sent les viennoiseries, mon nez frétille et mon ventre commence à grogner. Je passe près du canapé et dépose un baiser sur le haut de la tête d’Ellen, récupère l’assiette de viennoiseries et rejoins la rouquine sur le canapé. « Tu me gâtes trop, je vais prendre des kilos à cause de toi. » Je ris un peu et croque généreusement dans un croissant tout frais, soupirant de bonheur. « T’as réussi à te rendormir un peu ? » Si elle croit qu’elle va réussir à m’avoir deux fois, c’est râpé. Je veux savoir ce qui l’a tracassée au point de me rejoindre dans mon lit en pleine nuit. C’est pas comme si c’était quelque chose de vraiment habituel… Je la regarde sortir de sa lecture et je lui adresse un petit sourire mignon, non, je ne vais pas lâcher l’affaire. Je suis bornée et elle le sait.

Je sais que chez elle, avant qu’elle ne prenne ses quartiers chez moi, ce n’était pas viennoiseries tous les matins. Quoi que, même ici, mais j’essaye de lui préparer quelque-chose pour qu’elle ne parte pas le ventre vide. Affronter sa journée sur un chantier sans avaler même un café ne lui fait pas peur, mais je n’aime pas ça. Je ne suis pour autant pas sa mère – même si j’ai son âge – mais au fond, je sais que si elle râle, elle apprécie ces petites attentions. Il me suffit de lui déposer sur le comptoir, avec un petit mot, ou même sans, elle passera forcément devant. J’ai tendance à partir avant qu’elle ne se lève. Je suis à la fac pour 7 h, le temps d’organiser mes cours, ma journée, prendre un moment pour moi. Je suis une lève tôt.
J’entends Eliot se lever, je ne sais même pas quelle heure il est. Il suffit que je m’éloigne dans un bouquin pour perdre toute notion du temps, c’est même aberrant. Je sens simplement son baiser sur ma tête, et le son de ses talons sur le carrelage. « Tu me gâtes trop, je vais prendre des kilos à cause de toi. » Elle dit n’importe quoi, si elle se voyait un peu plus comme moi je la voyais ! Pourquoi pensez vous qu’une nana sur un chantier ça perturbe ? Ils sont tous là à la mater, je le sais, elle me le raconte assez. Pas que je sois jalouse mais… Si, je suis jalouse au fond. « T’as réussi à te rendormir un peu ? » Je savais qu’elle ne lâcherais rien, je la connais assez. Je referme mon bouquin, avec un marque page, une photo de Loan et moi à l’époque de la fac, c’est vieux comme le monde, mais je la traine partout avec moi. Une photo de Thomas et de notre fils aurait été trop difficile à regarder chaque jour que Dieu fait. Je soupire, même si ça ne va en aucun cas suffire à l’éloigner du sujet. « Oui, arrête de t’inquiéter. » Je glisse une main sur sa joue et sens son regard insistant. « Il n’y a rien de plus à en dire que pour n’importe qui Eliot. Les insomnies, tu les connais toi aussi. » Tu parles Charles. Si ça va lui suffire. « J’ai fais un cauchemar qui m’a un peu retourné. » Me levant pour servir une grande tasse de café, m’occuper les mains, faire quelque-chose qui me permette d’être dos à elle.

Je ne vais pas mentir. J’aime ma solitude, ma liberté, mais me réveiller le matin - ou pas le matin d’ailleurs - et pouvoir manger une viennoiserie fraîche, c’est quand même franchement le pied. Je reviens vers elle en la remerciant avec une pointe d’humour, c’est vrai qu’elle me gâte trop. Si un jour je dois partir d’ici, me trouver un appartement ou que sais-je, je ne sais pas comment je vais me débrouiller. Oh je ne doute pas que je m’en sortirai, je suis une débrouillarde, mais malgré tout la présence d’Ellen m’est bénéfique, je le ressens, même si je n’en dis rien. Ne voulant pas lâcher le morceau, je lui demande quand même si elle a bien dormi. « Oui, arrête de t’inquiéter. » lâche-t-elle dans un soupir. Oh ça va ! Je m’inquiète c’est tout ! Elle vient glisser une main tendrement sur ma joue, alors que je ne la lâche pas des yeux, mâchant mon croissant avec ferveur. « Il n’y a rien de plus à en dire que pour n’importe qui Eliot. Les insomnies, tu les connais toi aussi. » Je secoue légèrement la tête. Moi je dors comme une enclume, même quand j’ai des contrariétés. C’est pour dire à quel point les choses ont tendance à me passer relativement au dessus. « J’ai fais un cauchemar qui m’a un peu retourné. » Ah ! Nous y voilà ! Je la suis du regard quand elle part se chercher une tasse de café brûlant et la voilà de retour. « Tu veux en parler ? » Je suis pas du genre insistante, pas pour ce genre de situation en tout cas. Chacun est différent, et si elle ne veut pas en parler, elle n’en parlera pas, je ne lui en voudrai pas pour autant. Elle a droit à son jardin secret, et après tout, qui suis-je pour exiger qu’elle se confie à moi ? Personne. Je termine mon premier croissant en foutant des miettes partout, et commence sans tarder le second. J’ai faim. « Hmm. En tout cas, moi ça me pose pas de problème que tu fasses des cauchemars si c’est pour finir la nuit comme celle là. » Un rictus malicieux étire le coin de mes lèvres, le sous-entendu est là. J’ignore si les choses seront toujours pareilles quand j’aurai été voir Ella pour lui poser toutes les questions qui me sont venues depuis qu’elle a prétexté être ma mère…

Je sais que les intentions d’Eliot ne sont pas intrusives, en aucun cas. Elle est pour la liberté, et la sienne en premier lieu. Je n’ai jamais eu l’intention de lui demander quoi que ce soit. Je ne sais pas ce que nous sommes. Mais elle peut rester autant qu’elle le veut et partir quand bon lui semble. Elle ne me doit rien, c’est la seule chose que je veux qu’elle retienne. Et puis pour le reste… je crois que je commence à y prendre goût. Moi qui me l’interdisais. Loan ne comprend pas pourquoi je m’interdis de vivre, surtout maintenant, rien de ce que je ferais ne ramènera Télio ou même Thomas. Pourtant je donnerais tout pour qu’ils reviennent, pour faire les choses autrement, changer le passé. Je suis en constante négociation, mais rien n’y fait et rien n’y fera jamais. C’est pourtant une douleur que je ne partage pas, si ce n’est avec Loan quand elle souhaite en parler, enfin plutôt quand elle me force à en parler. Mais de moi-même… jamais.
Je parle d’insomnie, mais non, elle ne sait pas ce que c’est. Eliot dort comme un homme, c’est assez impressionnant. Je la savais pourtant contrariée quelques soirs, mais tu parles, rien n’y fait. J’ai souvent peur de la réveiller en renversant mon thé dans ma chambre, mon bouquin, la télécommande qui fait un vol plané tandis que je secoue ma couette. Mais du moment qu’elle dort, elle dort. Dans un sens, ça m’arrange. Je sais comment la réveiller, maintenant…
« Tu veux en parler ? » « Non, c’est régulier chez moi. Rien de nouveau sous le soleil… » Je me passe la main dans ma nuque et attrape un bout de croissant, sans manquer de faire tomber la télécommande en voulant la rattraper de mes deux mains jointes tenant les miettes. Tu parles. C’est sans espoir. La même télécommande qui tombe, dont le capot des piles s’éclate par terre et bon courage pour rattraper les piles sous le canapé. Je secoue ma main d’un air de dire que je m’en occuperais tout à l’heure.
Je la sens légèrement soucieuse, nerveuse, en tout cas, sa jambe qui n’arrête pas de trembler est bel et bien un signe. Je pourrais sentir son anxiété de ma chambre. Eliot est généralement plutôt tranquille, mais là… « Hmm. En tout cas, moi ça me pose pas de problème que tu fasses des cauchemars si c’est pour finir la nuit comme celle là. » Je lui rend son rictus, complice. Haussant les sourcils, je feins l’innocence. « Il s’est passé quelque-chose de particulier cette nuit ? Mon double maléfique, sans doute. » Haussant les épaules. « Je suis désolée de t’avoir réveillée. » Cherchant à m’occuper les mains en remuant mon café. Ça m’évite d’avoir à croiser pleinement son regard. Cette seconde de blanc qui ferait qu’on ne saurait pas quoi se dire, alors qu’une nuit de sexe nous met encore moins mal à l’aise. « Tu ne dois pas voir Ella toi, aujourd’hui ? » Portant mon café à mes lèvres. « Merde, c’est brûlant ! » Ben oui, ça m’apprendra aussi.

« Non, c’est régulier chez moi. Rien de nouveau sous le soleil… » D’accord. Ça sert à rien d’insister, j’ai saisi le message. Quand ça fait plusieurs fois que je pose la question et que la réponse n’arrive pas, c’est que la réponse ne soit pas être ni donnée ni reçue. Compris. Je tente un trait d’humour, mais j’ai une petite part d’inquiétude quand même. Parce que même si j’ai bien aimé le fait qu’elle me rejoigne dans mon lit pour finir la nuit de cette manière, j’ai bien conscience que c’était pas vraiment son envie de base. Elle avait besoin de s’échapper, de ne pas parler, et ça s’est fait comme ça naturellement. Mais bon, je vois bien qu’elle n’a pas envie de parler, alors soit. « Il s’est passé quelque-chose de particulier cette nuit ? Mon double maléfique, sans doute. » Je ris un peu, j’aime bien son double maléfique alors. « Je suis désolée de t’avoir réveillée. » Je hausse les épaules. « Arrête de t’excuser, regarde, tout va bien, j’ai dormi 10h, j’ai pas à me plaindre ! » je continue de manger mes croissants, amuse de voir quelle fout encore tout en l’air, c’est une habitude, bientôt je n’y ferai même plus attention. « Tu ne dois pas voir Ella toi, aujourd’hui ? » Mon pied posé sur la table basse qui bougeait pas mal depuis tout à l’heure, s’arrête d’un seul coup. Je ressens une pression dans ma cage thoracique, je déteste ça. Ellen se brûle avec son café, et moi je soupire un peu. « Si. Mais j’ai pas envie. » Parce que même si d’un côté j’ai envie de savoir vraiment si elle est ma mère ou pas, de l’autre, j’ai quand même beaucoup trop peur que ça change ce qu’on a construit Ellen et moi. Je tiens à elle, malgré tout, malgré mon air détaché et mon besoin de liberté. Je ne l’explique pas, c’est comme ça. « Je t’ai jamais demandé, t’aimes les chiens ? » Je change volontairement de sujet, j’ai pas envie de parler de ma supposée mère, pas maintenant, pas après la nuit que j’ai passée avec Ellen. « Y’a un salon en ville, pour adopter des animaux, chiens ou chats. J’me suis dit qu’un animal ici, ça pourrait rajouter un peu de vie… t’en penses quoi ? » Je hausse un peu les épaules et ajoute. « Je m’en occuperai bien sûr, enfin j’veux surtout pas te forcer la main, c’était juste une idée comme ça. » Et puis aussi parce que j’en ai toujours rêvé, mais ça, je ne le dis pas. Ça se voit sans doute dans mes yeux par contre…

Eliot a la délicatesse de ne pas insister, en tout cas pas trop et sait toujours quand s’arrêter. J’admire assez sa perspicacité, mais je ne peux pas m’en venter, parce que ça serait mal venu. Je ne veux pas revenir sur le sujet de mes cauchemars et le fait que je revois Thomas et Télio à chaque fois qu’une petite contrariété pointe le bout de son nez. Rares sont les nuits où je ne les vois pas dans mes rêves. Je ne pourrais jamais oublier leur visage, ni même l’odeur de leur peau, le son de leur voix, et pourtant, il faut que j’avance, il faut que je commence à reprendre le dessus, Loan n’arrête pas de me le dire. Je sais qu’elle sait ce que je vis, elle le vit elle aussi. Elle n’a pas perdu un enfant, mais elle a perdu sa femme. Avec qui ça allait mal, et alors ? Ça ne change rien à l’amour qu’on peut porter au parent de ses enfants. Elle le sait aussi bien que moi à présent et nous n’avons même pas besoin d’en parler pour le rendre concret, pour le savoir. « Arrête de t’excuser, regarde, tout va bien, j’ai dormi 10h, j’ai pas à me plaindre ! » « Et tu dormais plutôt bien. Je ne sais pas ce que je donnerais pour dormir comme toi. » Un plomb. Un sommeil d’homme, et pour être honnête, je suis totalement jalouse. Elle a l’air apaisée quand elle dort. Ça la rend d’autant plus séduisante. Mais je n’en dirais rien. Je flirte encore un peu avec les limites de ce que nous nous accordons elle et moi. Elle est trop jeune pour que je ne me comporte comme je le ferais avec une personne lambda. Je ne veux pas la faire fuir ou l’effrayer. Elle en a bien assez à penser en ce moment.
« Si. Mais j’ai pas envie. » Je prends une inspiration, comment gérer ça ? Pour elle ça doit simplement être l’enfer, et pour moi, c’est délicat, extrêmement délicat. « Tu dois le faire, pour toi, en premier lieu. » Passant une main dans ses cheveux, délicatement. Elle a simplement besoin d’entendre que c’est nécessaire, elle cherche encore à se laisser le choix mais si elle renonce maintenant, elle va le regretter et avoir le sentiment d’avoir laissé passer une chance.
« Je t’ai jamais demandé, t’aimes les chiens ? » Changement brutal de conversation, merde, j’en fais tomber le sucre à côté. Il va vraiment falloir que je pense à m’acheter des mains. « Heu, oui, pourquoi ? » La question est inattendue mais pourquoi pas. De toute façon avec Eliot, il ne faut pas trop chercher à comprendre. « Y’a un salon en ville, pour adopter des animaux, chiens ou chats. J’me suis dit qu’un animal ici, ça pourrait rajouter un peu de vie… t’en penses quoi ? » La question mérite réflexion, mais je trouve ça étrange qu’elle y pense comme ça. Prendre la décision d’adopter un animal, alors qu’elle ne cesse de dire qu’elle n’est pas vraiment chez elle, c’est s’installer un peu quand même, et même si ça ne me dérange pas le moins du monde, au contraire, je trouverais ça presque touchant. « Je m’en occuperai bien sûr, enfin j’veux surtout pas te forcer la main, c’était juste une idée comme ça. » Elle a l’air d’y tenir beaucoup pour une idée comme ça. Je l’ai rarement vue argumenter avec ferveur, ni même quitter son habit de nonchalance, alors pour qu’elle en prenne le risque, c’est que ça doit compter pour elle. « C’est une bonne idée. J’adore les animaux. » Je me lève, fait un aller/retour à la cuisine et bronche dans un des meubles. J’y fais à peine attention. Je glisse mes mains sur ses épaules, et les descends le long de son buste, pour l’entourer de mes bras, par derrière. « Ecoute, tu vas à ce rendez-vous avec Ella, et ensuite on ira au salon, comme ça tu me raconteras, d’accord ? Et puis si ça se passe mal, tu auras toujours le choix d’aller casser un truc ou deux, et ensuite on ira y faire un tour, histoire de te calmer. T’en penses quoi ? » Je suis plutôt douce avec elle, maladroite avec moi-même mais douce avec les gens que j’apprécie, que j’aime même…