Somebody need your help, again [Elliot #2]

J’ai eu besoin d’aller boire un verre avec Loan ce soir. Enfin plutôt dans son établissement. Je suis allée au cours d’italien, et Eliot n’y était pas. J’ai dû raconter à Loan en détail notre soirée, le fait de me mêler à des jeunes de la moitié de mon âge, et encore, je suis gentille, et de ce pseudo flirt qui a duré toute la soirée. Elle est enchantée, ravie, et me demande encore plus de détails. Comment ma meilleure amie peut-elle à ce point être pour le fait que je me pervertisse ? Ce n’est pourtant pas son rôle, si ? Je ne devrais même pas regarder les filles de son âge, les filles tout court en fait, étant donné que je me pensais plus attirée par les hommes. J’étais même sûre de moi. Mais elle me fait douter. Eliot me plaît, je ne peux pas dire le contraire, mais sans doute qu’après une bonne nuit de sommeil je me serais rendue compte m’être montée la tête toute seule, la nuit aidant. Et sans doute aussi les trois mojitos bien tassés qu’elle m’a fait servir la garce !

Il est plus d’une heure du matin quand je gare ma voiture dans l’allée. Je n’aurais d’ailleurs pas dû prendre le volant. Je cherche péniblement mes clés, et quand je mets la main dessus, tout mon sac et son contenu se renversent sur le sol. Bien joué. Ellen gaffe N°1. Je claque la portière et y coince mon haut, que je fini par déchirer en tirant dessus. « Mais c’est pas vrai ! » Gaffe N°2. Mes clés en main, je me dis que mon lit n’est plus très loin et introduit ce qu’il faut dans la serrure. Laquelle bloque étrangement. « Ouvre-toi… s’il te plaît… » Je force un peu, un peu trop et crac, la clé me reste en main. Enfin… une partie de la clé. « Bordel ! » Ellen gaffe N°3. Je commence à me dire que le Dieu m’ayant fait venir sur Terre avait des comptes à régler avec un de mes ancêtres ou que je paye un karma qui n’est pas le mien. Il me faut rentrer, je ne peux pas dormir sur la terrasse. Je pars dans le garage chercher un outil, un tournevis fera l’affaire, non ? Je ne suis pas serrurier ceci-dit. A l’aide d’une masse et d’un tournevis, je tente pourtant de forcer la serrure pour rentrer chez moi. Et paf ! Le tournevis ripe sur mes doigts, et je me retrouve la main en sang. Ellen gaffe N°4. Il faut que j’arrête le massacre. Mais je ne sais pas qui contacter. Il faut vraiment que je rentre à présent. Au moins pour désinfecter tout ça. La seule personne qui ne travaille pas et ne dort pas encore à cette heure-ci est Eliot. J’hésite quelques minutes et fini par appuyer sur l’écran pour la joindre. « Eliot ?... C’est Ellen. Je… j’aurais besoin d’un coup de main, si tu acceptes les horaires de nuit ? » Tenant mon téléphone à bout de doigts pour ne pas le tâcher de tout le sang que je suis en train d’étaler partout. Je suis vraiment bonne à faire étudier.

Willie est de garde cette nuit, je suis tranquille, jusqu’à ce qu’elle rentre. J’ai fini le boulot assez tôt exceptionnellement, et j’ai même pu faire une petite sieste cet après midi. Pourtant, j’ignore pourquoi, je n’ai pas envie de bouger mon cul du canapé. Alors entre deux parties de jeux vidéos, je continue d’envoyer des messages à Sofia via The Chart, avec mon compte ‘caché’. C’est con, je sais que je ne devrais pas faire un truc pareil, parce que le jour où ça va se savoir, ça va me retomber sur la gueule. Je suis conne quand même quand on y pense, mais j’espère toujours qu’elle ne le saura jamais, ça me suffit. En attendant, j’ai un peu l’impression de la retrouver, d’une manière un peu bizarre mais c’est mieux que rien. Notre dérapage de l’autre jour chez elle n’est visiblement pas prêt de se reproduire, elle me l’a assez bien fait comprendre. Pourtant, il reste quand même une petite espérance au fond de mon coeur, c’est plus fort que moi.

Lorsque mon téléphone se met à sonner je sursaute et mets la partie en pause très rapidement, pour bondir sur mon téléphone. Ah. Non. C’est pas Sofia. Qu’est-ce que j’espérais au juste ? C’est Ellen. Fronçant les sourcils, étonnée qu’elle m’appelle, surtout à une heure pareille, je décroche, au cas où. « Oui ? » « Eliot ?... C’est Ellen. Je… j’aurais besoin d’un coup de main, si tu acceptes les horaires de nuit ? » Je ne comprends pas bien ce qu’elle me veut, mais je sens la détresse dans sa voix. « Euh ouais, j’arrive, mais ça va ? » Non, visiblement ça ne va pas. Elle me demande de me dépêcher, et c’est ce que je fais. Je raccroche et enfile mon casque à la hâte, enfourchant mon scooter pour rejoindre le quartier huppé de Los Angeles, et je ne mets pas bien longtemps à retrouver la maison d’Ellen. Je me gare devant le portail, elle m’ouvre et je remarque directement sa main pleine de sang. « Bordel mais comment tu t’es débrouillée ? » Je retire la chemise que j’avais enfilée par dessus mon débardeur, et fais un point de pression sur sa main, pour au moins retirer le sang et voir ce que ça donne. « Putain tu t’es pas loupée… » Je me demande même si faudrait pas aller à l’hôpital d’ailleurs, on va attendre un peu. « Appuie bien pour arrêter le sang de trop couler, je vais m’occuper de la porte. » J’essuie mes mains sur mon jean et récupère le peu d’outils qu’elle a ramené, qui ne vont pas me servir à grand chose. Je bidouille un peu, et finis par capituler. « Bon c’est impossible il me faudrait une radio ou un truc du genre. Y’a une alarme j’imagine ? » Je m’éloigne un peu pour regarder tout autour. « J’ai plus qu’à péter une vitre. T’as une bonne assurance ? »

Je m’estime déjà chanceuse qu’Eliot ait répondu au téléphone, parce que généralement, les emmerdes me suivent en pack. Jamais seules, toujours en groupe. Mon karma vous pensez ? Je n’ai pourtant jamais été une mauvaise personne, même ado. Un peu turbulente mais jamais méchante. Ou alors j’ai été tueur en série, dans une autre vie. On a le temps de penser à toutes ces conneries quand on attend, et attendre, c’est précisément la seule chose qu’il me reste à faire. Je sais Eliot en scooter, ce qui devrait lui prendre un peu plus de temps que prévu pour venir, mais je vais tenir le coup, en attendant je pense à des trucs improbables et je me jure de m’acheter des mains le prochain coup. Il va arriver un moment où ça va mal tourner, paf, accident domestique, le truc con et mes proches ne sauront même pas quoi marquer dans ma nécro. Le destin, que voulez-vous.
Eliot arrive cependant plutôt rapidement et évalue les dégâts. « Bordel mais comment tu t’es débrouillée ? » « J’ai voulu casser la serrure, j’ai perdu mes clés… » Et elle se fait une histoire du reste mais elle doit se douter, étant donné la tête de ma blessure. « Putain tu t’es pas loupée… » Je sais, je l’ai remarquée, je ne dis rien et souffre en silence, j’ai dû apprendre à être dure au mal, sinon j’aurais passé les ¾ de ma vie à souffrir. Loan sait pertinemment que partir en camping avec moi c’est risquer ma vie, d’une façon ou d’une autre, mon destin est lié avec Destination Finale. Mais visiblement habituée aux gestes de premiers secours, Eliot se défait de sa chemise pour me faire un point de compression. « Appuie bien pour arrêter le sang de trop couler, je vais m’occuper de la porte. » « J’ai tout un tas de trucs là, si ça peut t’aider… » Mon bordel près de la porte, je ne sais pas ce qu’elle peut en faire mais de toute évidence, elle est bien plus douée que moi. « Bon c’est impossible il me faudrait une radio ou un truc du genre. Y’a une alarme j’imagine ? » « Oui, 3445 le code. » Elle finira par avoir besoin de la désactiver et avant que les flics ne se ramènent et ne croient à une agression, qu’on y mêle les armes à feu que je déteste, autant arrêter l’hémorragie tout de suite. Enfin si je puis dire… « J’ai plus qu’à péter une vitre. T’as une bonne assurance ? » « Oui oui, vas-y, fait ce que tu as à faire. » Tenant ma main en lui assurant qu’elle n’a plus qu’à briller comme elle l’entend. De toute façon au point où j’en suis vous savez… Elle parvient à casser un carreau, entrer à l’intérieur et désactiver l’alarme de l’intérieur, avant de m’ouvrir. Je me précipite dans la cuisine pour mettre ma main sous l’eau. Ce n’est pas beau, vraiment pas beau. « J’ai tout un tas de pansements et autre trucs qui pourraient servir dans la salle de bain, tu pourrais aller me les chercher s’il-te-plaît ? » Je ne panique pas, j’ai beaucoup de sang froid, il en faut. De toute façon je crois que depuis la disparition de Thomas et Tiago, rien ne peut me tétaniser. J’ai perdu une partie de ma conscience, en même temps qu’eux. Elle finit par revenir avec le tout, alors que l’eau coule sur ma blessure, mais rien à faire, le sang coule toujours autant. « Je ne crois pas qu’il soit utile d’aller aux urgences… » En fait je lui demande plutôt son avis. Je ne peux pas appeler Loan, elle bosse, et je ne peux pas conduire non plus, et le scooter n’est même pas envisageable là tout de suite…

Oulà, c’est vraiment pas beau à voir. J’essaie de limiter les dégâts en faisant un point de compression sur ma blessure, et file rapidement pour aller voir si je peux ouvrir la porte en question. Une clé pétée dans une serrure, c’est une affaire de serrurier. Moi je suis maçon, j’vais pas aller bien loin. Je finis par abandonner l’idée et demande à Ellen si il y a une alarme, et une bonne assurance, parce que je compte bien péter la fenêtre pour réussir à entrer. Elle me donne le code et me laisse me débrouiller pour le reste. Je récupère une grosse pierre et frappe quelques fois pour réussir à casser le double vitrage. je me débarrasse des gros morceaux de verres pointus sur les côtés, juste de quoi passer sans finir en lambeaux, et j’entre, déverrouillant rapidement l’alarme grâce au code que m’a donné Ellen. Une fois fait, je vais lui ouvrir la porte d’entrée et la laisse se précipiter vers la cuisine pour mettre sa main sous l’eau. « J’ai tout un tas de pansements et autre trucs qui pourraient servir dans la salle de bain, tu pourrais aller me les chercher s’il-te-plaît ? » « Ouais, je vais te chercher ça. » Je monte les escaliers trois par trois et me souviens rapidement de la chambre d’Ellen, et du coup de la salle de bain. Je trouve l’armoire à pharmacie et récupère tout ce qui peut être utile pour désinfecter sa plaie. Je retourne alors dans la cuisine les bras pleins, et dépose tout sur la table derrière elle, avant de m’approcher. « Je ne crois pas qu’il soit utile d’aller aux urgences… » déclare-t-elle, pas vraiment sûre d’elle. « Fais voir. » Je prends sa main en la sortant de l’eau, mais effectivement le sang coule encore pas mal. Je la remets sous l’eau et me tourne pour récupérer une gaze stérile, et refais le chemin arrière, tirant sa main de sous l’eau pour apposer la gaze et absorber le sang quelques secondes, le temps d’y voir clair. Lorsque je la retire, la plaie est à vif et j’ai le temps de voir à peu près la profondeur. Heureusement, elle s’est planté l’outil dans le muscle, et ce n’est pas si profond que ça, même si vu l’endroit, ça risque de mettre un moment à cicatriser. « Tes étudiants vont être déçus, pas sûr que tu puisses faire cours avec ça, tu pourras pas écrire pendant un moment, ni taper à l’ordi non plus. » Je grimace un peu et garde sa main dans la mienne pour apposer du désinfectant sur la plaie, et reposer une gaze neuve et propre par dessus, le temps de cautériser un peu la blessure. Et je me mets à sourire. « T’es toujours aussi maladroite ? » A vrai dire, je trouve ça plutôt charmant…

« Ouais, je vais te chercher ça. » Eliot connait le chemin, je ne me fais pas de souci pour ça. Par contre, je viens de recréer une scène de crime devant chez moi, j’espère simplement que les voisins n’auront pas l’idée d’appeler les flics. Je ne suis pas adroite, et c’est le moins qu’on puisse dire mais après tout, je fais ce que je peux. Je suis née comme ça, Loan peut en témoigner, elle ne relève même plus, elle fait attention par habitude. Comme si le fait de me protéger de moi-même était une mission qui lui incombait.
Quand Eliot revient, j’évalue les dégâts, je ne sais pas trop si une nouvelle visite à l’hôpital est utile. Je vais finir par soumettre l’idée d’une carte de fidélité, ou d’un forfait à l’année, pour moi, il serait rentable, mais pour eux, pas sûr... « Fais voir. » « Aïe… » Je suis plutôt dure au mal, mais je dois avouer que je crains l’idée de devoir recevoir des points de suture. Pas que je sois sensible à la vue du sang, et il ne faut pas quand on vit dans mon corps, mais je voulais juste rentrer chez moi après un verre dans un bar branché. Trop demandé ? Pour mon karma, sans aucun doute !

Eliot s’occupe de moi comme une vraie pro. Sans paniquer, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Au final, je la verrais bien mettre sa vie au service des autres. Urgentiste, pompier, aide-médicale, pourquoi pas ? Elle a ce truc assez humain, quand on y prête attention. « Tes étudiants vont être déçus, pas sûr que tu puisses faire cours avec ça, tu pourras pas écrire pendant un moment, ni taper à l’ordi non plus. » « Et Dieu merci, ils ont sorti le dictaphone. » Et je ne vous raconte pas le nombre de services que ça a déjà pu me rendre.
Je laisse ma blessure entre les mains habiles d’Eliot, plus douce que je ne l’aurais cru au premier abord, avec ses airs vroum vroum et renfrognée. « T’es toujours aussi maladroite ? » « Oh non, là je m’échauffe. » J’esquisse un sourire, la regarde s’occuper de ma main et fini par la récupérer une fois bandée. « Bon, et maintenant. Urgences ou pas ? Ca a l’air d’être toi l’experte. » Et je ne peux certainement pas lui demander de me conduire là-bas, alors je suis prête à appeler un taxi.
Finalement ce sera urgence et je fais appel à un chauffeur. Elle propose de m’accompagner et je ne peux lui dire non, sans doute qu’elle a peur que je me casse une cheville sur le chemin ? Je remercie le conducteur et le règle quand il nous dépose sur le parvis de l’hôpital, où je manque la première marche et manque surtout de m’étaler de tout mon long. « Mais c’est pas vrai ! » Je commence à m’énerver contre moi-même. « Tu devrais peut-être rentrer, tu dois avoir autre chose à faire. Je te remercie pour tout. Tiens, prends ça. » Lui tendant un billet de 50$. Toujours utile quand on vit sous les ponts. Je sais qu’elle bosse mais la vie est chère à Los Angeles.

C’est quand même assez profond, j’aimerai lui dire que c’est pas grand chose, mais je suis pas médecin. Je lui fais les premiers soins, comme je peux, avec les moyens du bord, et tente d’alléger l’atmosphère en lui parlant de ses élèves. « Et Dieu merci, ils ont sorti le dictaphone. » Ça me fait rire un peu, alors que je reste concentrée pour finir les soins nécessaires pour que ça ne s’aggrave pas. C’est alors que je lui demande si elle est toujours aussi maladroite. « Oh non, là je m’échauffe. » Je ris à nouveau, ça doit pas être triste de vivre avec elle. « Bon, et maintenant. Urgences ou pas ? Ca a l’air d’être toi l’experte. » Je grimace un peu en regardant mieux avant de faire un pansement du mieux que je peux. « C’est mieux, ça saigne pas mal quand même, regarde le bandage est déjà rouge… » Ouais, faudrait pas qu’elle se vide de son sang non plus…

Elle appelle un chauffeur et je la suis jusqu’à l’hôpital, je vais pas la laisser toute seule, manque plus qu’elle fasse un malaise vagal dans la voiture ou n’importe quoi, non non non. Je suis un minimum prévenante quand même. Une fois arrivées à bon port, nous nous dirigeons vers l’accueil et Ellen manque de se vautrer en beauté. Ah ouais elle déconne pas. « Tu devrais peut-être rentrer, tu dois avoir autre chose à faire. Je te remercie pour tout. Tiens, prends ça. » Je baisse les yeux sur le billet et relève mon regard pour le plonger dans le sien. « Tu déconnes ? » J’arque un sourcil. « Mes services sont ni à vendre ni à louer. Si j’suis là c’est parce que j’le veux bien. Maintenant on rentre. » Dans le hall des urgences, j’entends. Je lui fais signe de me suivre et lui tiens le bras le temps de finir de monter les dernières marches, un regard complice à l’appui, pas qu’elle croit que c’est parce qu’elle est vieille, juste empotée. Je la laisse prendre le formulaire à l’accueil, elle va attendre trois plombes vu le degré de la blessure. Tant pis, au moins elle sera pas seule. On s’assied sur des chaises un peu plus loin et je la laisse remplir sa feuille. « C’est la cour des miracles ici quand même… » On voit de tout. J’aimerai pas bosser ici, clairement. « En tant que maladroite en chef, t’es une habituée des lieux ? Ou tu te fais juste beaucoup de bleus etc…? »

« C’est mieux, ça saigne pas mal quand même, regarde le bandage est déjà rouge… » Effectivement je le remarque, et suis son conseil. L’hôpital ne me fait pas peur, enfin… Il me rappelle tout de même d’étranges souvenirs. Bien trop frais, trop vifs. Mais je n’ai visiblement pas le choix. J’ai pour moi ma peur largement gérée du sang, après tout, s’il en était autrement, je passerais ma vie à me sentir mal. Combien de boites de pansements je stock dans les placards en attendant qu’ils servent ? Des dizaines…

Une fois aux urgences, je lui propos de me laisser continuer ma route seule. Elle n’avait même pas besoin de faire tout ça pour moi. Et je pensais qu’un billet pourrait l’aider. « Tu déconnes ? » Je lève mon regard vers elle, en quoi j’ai l’air de déconner ? « Mes services sont ni à vendre ni à louer. Si j’suis là c’est parce que j’le veux bien. Maintenant on rentre. » « Je sais tout ça Eliot mais prend-le quand même. » Elle me bouscule en plus ! J’aime bien sa façon de prendre les choses en main. Je me sens presque comme une jeune femme de son âge quand je suis avec elle, toujours une bonne idée pour faire la fête ou quelque-chose d’un peu fou que je pourrais regretter plus tard. Mais vivre, ça se résume à prendre des risques, non ?
Une fois en haut, je récupère un formulaire d’admission que je tente de remplir de la main gauche. Une chance pour moi de parvenir à écrire de façon à peu près lisible… Tu parles. Je laisse Eliot observer tout ce qui se trouve autour. Je pense que j’ai compris sa tendance à observer et prendre part une fois qu’elle se sent en sécurité. Mais elle préfère prendre du recul sur le monde qui l’entoure. « C’est la cour des miracles ici quand même… » Je lâche un rictus, si elle savait !
Le formulaire sur mes genoux, je suis toujours en galère quand Eliot engage la conversation. « En tant que maladroite en chef, t’es une habituée des lieux ? Ou tu te fais juste beaucoup de bleus etc…? » « J’ai carrément une carte de fidélité. Mais j’ai pris l’habitude de me débrouiller par moi-même la plupart du temps. J’ai sans doute une équivalence en médecine ou un truc qui s’en rapproche. » Lui avouais-je avec un trait d’humour.

Une personne rattachée au personnel médical vient me chercher pour me faire attendre dans une salle de soin. Ça ne prend sans doute pas plus d’une demie heure, mais je dois avouer que j’aurais préféré avoir à faire à un vrai médecin plutôt qu’à un interne, mais que voulez-vous, le karma, c’est jusqu’au bout ! Je retrouve ensuite le couloir faisant office de salle d’attente et montre ma main bandée à Eliot. « 6 points de suture, qui dit mieux ? » Il faut que je le prenne avec humour, je n’ai de toute façon pas le choix. « Merci d’être venue. Je te ramène chez toi ? » Enfin le taxi que je vais rappeler surtout. Elle me regarde d’un air de me faire comprendre qu’elle peut se débrouiller. « Il est hors de question que tu ne passes la nuit dehors, alors soit je te dépose, soit tu dors à la maison. Je te laisse le choix. » Il commence à faire frais et elle m’a filé un sacré coup de main, je ne peux pas passer là-dessus.

Elle me force à prendre le billet, je crois que je n’ai pas le choix mais j’aime pas trop ça. Soupirant, j’enfouis le billet dans ma poche et aide Ellen à monter les dernières marches pour atteindre l’accueil de l’hôpital. Je me dis qu’on aurait peut-être dû prendre la rampe pour les handicapés. Mon dieu rien qu’en y pensant, je souris pour moi-même, et nous prenons finalement place pour qu’elle puisse remplir son formulaire. Après avoir observé les environs et m’être retenue de lui apporter de l’aide pour remplir les papiers, je lui pose quand même une question qui me trotte dans la tête. A quelle fréquence une femme aussi maladroite qu’elle peut bien venir aux urgences ? « J’ai carrément une carte de fidélité. Mais j’ai pris l’habitude de me débrouiller par moi-même la plupart du temps. J’ai sans doute une équivalence en médecine ou un truc qui s’en rapproche. » Je ris parce qu’elle est drôle, elle m’amuse, malgré elle je me doute bien. Enfin là quand elle m’a appelée elle faisait pas la maligne, alors l’équivalence en médecine, j’en suis pas trop sûre.

Il est l’heure qu’elle soit soignée - enfin - et je la laisse partir accompagnée d’une infirmière, pour se faire soigner. Seule dans la salle d’attente, je vais me faire couler un café, ça ne pourra pas me faire de mal. Je récupère tous les petites pièces dans le fond de toutes mes poches et arrive à faire couler ce foutu café. Je ne tiens pas en place, me lève, marche un peu, regarde l’heure, attends qu’elle sorte mais le temps me paraît long, je déteste attendre. La patience n’est pas ma qualité première, c’est certain. La voilà enfin et elle brandit sa main, presque toute fière. « 6 points de suture, qui dit mieux ? » Je ris un peu en hochant la tête. « C’est du joli ! »[/color] Elle s’approche davantage et je reste souriante, malgré l’heure, malgré les circonstances. « Merci d’être venue. Je te ramène chez toi ? » Chez moi ? J’ai pas de chez moi alors… « T’inquiètes je vais me débrouiller. » J’ai l’habitude après tout. « Il est hors de question que tu ne passes la nuit dehors, alors soit je te dépose, soit tu dors à la maison. Je te laisse le choix. » « Ellen c’est bon je… » Je crois que ça ne sert à rien de poursuivre, vu son regard réprobateur. Je soupire, hoche la tête. « J’veux bien squatter chez toi alors, si entre temps personne n’a déjà squatté. » Je ris pour détendre l’atmosphère mais c’est vrai que dit comme ça, ça le fait un peu moins. « Si tu veux demain je t’aiderai pour commander la nouvelle baie vitrée, et je l’installerai. » En guise de remerciement de m’accueillir chez elle, même pour une nuit.

Je me doute que le numéro d’empotée doit la faire marrer, comme beaucoup d’autre. Quand on pense que mon mari a dit oui rien que pour voir jusqu’où ma maladresse pouvait me mener, et que j’ai bien failli me casser les dents sur le parvis de l’église en montant les marches… et je me souviens très précisément de ses mots : « Ma chérie, rien que pour ça, je dirais oui tous les jours. Tu es la maladresse que j’aime. » Et puis il est reparti dans un fou rire tellement énorme que toute l’église s’est mise à se marrer. Résultat, on a tous pleuré à mon mariage, non pas d’émotion, mais de rire. Voilà voilà. Loan peut le raconter encore et encore en se marrant toujours autant. J’aime à croire que je suis au moins la source de rire plutôt que de larmes.

6 points, on s’en sort bien. C’est toujours ça à rajouter à ma collection, non ? Je ne sais pas comment je me débrouille mais ça part toujours de rien. Et je sais pourtant que je suis en train de m’enfoncer, je la vois venir la galère à cent à l’heure et je la prends de plein fouet, sans même calculer. Quelle idiote. Toujours est-il qu’il est tard et qu’Eliot n’a pas bougé, elle est encore là, à m’attendre, je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça. « T’inquiètes je vais me débrouiller. » Elle va se débrouiller, oui, si elle le fait aussi bien que moi je serais responsable d’une catastrophe alors on va tous se calmer et rentrer gentiment, et elle dormira au chaud ce soir, ou au frais, ce qui serait plutôt de circonstances. « Ellen c’est bon je… » « Tu rien du tout, tu viens avec moi. » Je ne lui laisse pas le choix. Encore une fois, elle se retrouve à chercher un endroit pour la nuit. Elle a pourtant un emploi, je ne comprends pas. La vie est dure pour la génération qui vient et je reste persuadée que sans parents derrière, ça devient vite une galère ingérable. « J’veux bien squatter chez toi alors, si entre temps personne n’a déjà squatté. » « Hein ? Oh merde la maison ! » Je l’entraine d’un pas rapide vers la sortie, tout est signé et je n’ai plus qu’à m’en aller. Je hèle un taxi mais ils ont décidé de m’ignorer cordialement. « Il faut que je montre mes seins pour qu’il y en ait un qui s’arrête ou on va finir par tomber sur un gentleman ?! » Ne rigolez pas, j’aurais pu le faire, il y a 20 ans, sur un pari débile avec Loan. Si si, promis, j’aurais pu. Il fut un temps pas si lointain où je n’avais peur de rien. Mais rien du tout !
Une fois trouvé notre carrosse, Eliot y va de sa contribution. « Si tu veux demain je t’aiderai pour commander la nouvelle baie vitrée, et je l’installerai. » « Tu sais poser les baies vitrées toi ? » Elle est la réincarnation d’un super héros que j’ai loupé ou bien ? « Je ne te demande rien Eliot, c’est toi qui m’a rendu un service, pas l’inverse, n’oublie pas. » Elle est tout de même venue me dépatouiller de ma serrure récalcitrante et de ma main amochée.

Une fois à bon port, je m’approche prudemment. La brise fait aller et venir la porte, dans un grincement presque angoissant. De ma main valide j’attrape une batte de baseball planquée sous le porche. C’est malin, elle m’a foutu la trouille avec ses conneries. « Je vais lancer un truc dans la maison, si ça s’agite, ça veut dire qu’il y a quelqu’un dans la maison. T’appelle les flics si je te le dis, d’accord ? » Levant ma batte au-dessus de ma tête en grimpant les marches, dont une que je manque de louper mais retrouve mon équilibre presque dans la foulée. Vous la sentez venir la connerie vous aussi ?

J’ai l’impression qu’Ellen ne vit pas sur la même planète que moi parfois. Je viens de lui rappeler que la vitre de chez elle est cassée et que donc, il faudrait rentrer au plus vite si elle ne veut pas retrouver sa villa en bordel avec des choses de valeur en moins. « Il faut que je montre mes seins pour qu’il y en ait un qui s’arrête ou on va finir par tomber sur un gentleman ?! » demande-t-elle alors qu’elle attend un taxi, ce qui me fait rire malgré moi, même si ça devrait pas être drôle, je trouve que ça l’est. Nous trouvons une voiture et à l’intérieur de cette dernière, je lui propose de l’aider avec cette baie vitrée que j’ai été obligée de casser. « Tu sais poser les baies vitrées toi ? » Je hausse les épaules en souriant. Oui, je sais. Comme je sais monter une maison, poser du carrelage, daller une allée, je tâte aussi un peu en plomberie et en électricité, touche à tout quoi. « Je ne te demande rien Eliot, c’est toi qui m’a rendu un service, pas l’inverse, n’oublie pas. » Je hausse les épaules à nouveau et tente un petit sourire. « Je sais bien que tu me dois rien, mais ça me fait plaisir, et ça te coûtera toujours moins cher que de faire venir un pro pour ça, alors que je peux le faire moi. » Elle a déjà payé la main d’oeuvre avec le billet qu’elle m’a foutu entre les doigts un peu plus tôt.

En arrivant chez elle, je sens qu’elle est pas tranquille. J’ai l’impression de me voir dans un mauvais film d’auteur, et je me retiens de rire. Je pense pas qu’il y ait quelqu’un dans la maison, mais je dois laisser Ellen faire, non seulement parce que c’est drôle, mais parce qu’elle a l’air d’y tenir. Elle aurait pu m’envoyer en éclaireur, mais non, elle prend les choses en mains, alors je la laisse faire. Batte de base ball en main, je dois me mordre la lèvre inférieure pour ne pas rire. C’est pas bien de se moquer Eliot. « Je vais lancer un truc dans la maison, si ça s’agite, ça veut dire qu’il y a quelqu’un dans la maison. T’appelle les flics si je te le dis, d’accord ? » « Ok. » Je parle le moins possible pour ne pas la déconcentrer, déjà qu’elle loupe une marche, on est mal barrées. Elle lance une pierre dans la maison, mais aucun bruit. « Ellen… » Je murmure pour ne pas la faire sursauter. « Je crois qu’il y a personne… » Je ricane un peu, parce que quand même, la scène est trop drôle. « Allez donne-moi ça, tu vas te faire mal. » Je m’approche, me glisse dans son dos, faufile une main sur son ventre et tends le bras pour atteindre la batte que je récupère doucement. Je plaque un baiser furtif sur sa joue et dépose la batte par terre près de la porte d’entrée avant de refermer cette dernière. « T’as une bâche quelque part ? Et du scotch épais ? Histoire que je colmate un peu, pas que la poussière rentre. » Je lui montre la vitre cassée pour appuyer mes paroles.

« Je sais bien que tu me dois rien, mais ça me fait plaisir, et ça te coûtera toujours moins cher que de faire venir un pro pour ça, alors que je peux le faire moi. » Elle n’a pas tords et me surprend un peu plus à chaque fois qu’elle me dit être capable d’une chose supplémentaire, elle sait donc tout faire ? Si j’avais la moitié de son talent pour toucher à tout… Je suis bonne dans ce que je fais, mais pas manuelle pour deux sous. Pas que je ne veuille pas, je crois que c’est plutôt le côté manuel qui ne veut pas de moi ! On l’a vu et revu que je sache non ? Et bien ça se vérifie une fois de plus, je ne suis pas faite pour ça. Je ne suis pas bricoleuse et franchement tant mieux pour les urgences, moi-même et le reste. Que Dieu m’en garde !

Nous rentrons enfin à la maison, plus en urgence qu’autre chose, je pense qu’il est important de m’assurer que je ne risque rien. Que personne n’est entré chez moi. Encore que je ne saurais pas comment faire disparaître l’intrus. Je suis prof de fac moi, pas James Bond Girl ! Le pauvre, ça lui ferait au moins une galère de plus. Je suis pourtant prête à me battre. Et je demande à Eliot de se tenir prête à appeler les flics en cas d’intrus identifié. Elle me répond un OK laconique et me suis.
Je balance le premier truc que j’ai sous la main dans la maison. Pas de réaction… Bon signe ou le voleur se cache ? « Ellen… Je crois qu’il y a personne… » Je ne réagis pas, je reste sur mes gardes, prête à bondir, enfin je le crois. « Allez donne-moi ça, tu vas te faire mal. » « Attend, il pourrait se cacher ! » Et être plus malin que nous. Je ne dis pas que j’ai réponse à tout mais ça pourrait en être une. Je me fais de la peine, si si, croyez-le bien.
Sans que je n’ai le temps de m’y attendre, Eliot glisse une main tout autour de moi pour me ceinturer et récupérer mon arme de fortune sans heurts. « Mais… ! » Je crois que le jeu est fini, et que le danger est écarté, en tout cas elle ne semble pas se méfier. Je ferais quoi de toute façon du haut de mon mètre soixante, hein ? A qui je ferais peur ? Sans doute pas grand monde. « T’as une bâche quelque part ? Et du scotch épais ? Histoire que je colmate un peu, pas que la poussière rentre. » « Oh heu… Oui, dans le garage. Je vais te chercher tout ça. » De ma main blessée et bandée, voilà le tableau !

Je me rends dans le garage où tout est plus ou moins bien rangé, à sa place en tout cas, après pour l’empilage, le roi du Tetris c’était plutôt mon mari. Je ne sais pas s’il ne me maudit pas de là-haut d’avoir foutu en l’air toute son organisation, qu’il pensait infaillible. Ben la preuve que non mon amour.
D’une main je tire la bâche encore emballée, tenant le reste de ce qui menace de me tomber dessus de mon coude, et trouve du scotch épais. Avec ça, elle pourrait sans doute faire disparaître un corps, mais je n’en dirais rien.
« Tu veux un coup de main ? » J’en ai encore une de valide, alors si elle veut… « Tu vas finir par devenir indispensable ici, et moi par y prendre goût. » Rajoutais-je sur le ton de la plaisanterie.

Ellen m’amuse beaucoup, malgré elle, et je crois que c’est ce que j’aime le plus chez elle. Son humour malgré elle. Quand elle me fait son numéro de ‘y’a quelqu’un dans la maison’, je m’en amuse, jusqu’à l’empêcher de se blesser, sait-on jamais, j’ai finalement compris à quel point elle était maladroite, et un peu malchanceuse aussi. Une fois rassurée, et calmée aussi, je lui demande du matériel pour pouvoir colmater la fenêtre que j’ai été obligée de péter un peu plus tôt dans la soirée. « Oh heu… Oui, dans le garage. Je vais te chercher tout ça. » JE la suis pour récupérer avec elle ce dont j’ai besoin et je pose tout près de la vitre. « Tu veux un coup de main ? » Je la regarde avec un sourire mutin. « Non, ça va aller, je voudrais pas que tu te blesses encore juste si je te demande de me passer le scotch, ou ce genre de connerie… » Je ris un peu pour la taquiner alors que je me mets au travail. « Tu vas finir par devenir indispensable ici, et moi par y prendre goût. » Je souris à nouveau et me tourne pour lui offrir un sourire. « Ecoute, si je peux payer mon hébergement avec des petits travaux, je peux devenir ton homme à tout faire ! » Je ris en m’imaginant bosser ici, réparer les meubles, graisser les portes qui grincent, changer les ampoules… et je crois qu’au final, ça me plairait pas si mal quand on y pense.

Je termine rapidement mon boulot, juste de quoi être tranquilles d’ici demain. « Bon, ça évitera pas les cambrioleurs de rentrer, mais au moins la poussière restera dehors. » Je me lève et me retourne vers elle et je vois son regard un peu apeuré, ce qui me fait rire. « T’inquiètes pas, je reste cette nuit, je te protègerai. » Nouveau petit sourire mutin, juste avant que mon ventre ne gargouille. Ah, ouais, je l’avais oublié lui, j’ai pas bouffé depuis ce matin en fait. « J’peux abuser et te demander un petit truc à grignoter ? Promis après je dors et je te demande plus rien. » Faut dire que je suis plutôt du genre à rendre service plutôt qu’à réclamer. Du genre à me faire oublier plutôt que me montrer…

Ma maladresse, je m’y fais, je suis née comme ça, tel un handicap auquel j’ai dû m’adapter et faire en fonction. J’ai réussi à mener une vie plus ou moins normale jusqu’ici. J’ai surtout la chance d’être entourée de personnes compréhensives. Qui font attention à ce que mon destin ne ressemble pas à une mauvaise scène de Destination Finale.
Je lui propose un coup de main pour trouver une solution provisoire à ma vitre cassée, par ses soins mais surtout par ma faute. « Non, ça va aller, je voudrais pas que tu te blesses encore juste si je te demande de me passer le scotch, ou ce genre de connerie… » « Le scotch, c’est sur le coin du nez que tu risques de le prendre. » La menaçais-je en balançant mon doigt. J’ai beaucoup d’autodérision et je sais pertinemment qu’elle dit vrai, en plus ! « Ecoute, si je peux payer mon hébergement avec des petits travaux, je peux devenir ton homme à tout faire ! » « C’est tentant, mais contente-toi de finir ça, et de rester mon invitée, pas mon employée. D’accord ? » Je veux qu’elle se sente à l’aise ici, pas redevable. J’ai beaucoup trop de place pour moi toute seule et j’ai cru comprendre, qu’elle, de la place, elle en manquait un peu.

« Bon, ça évitera pas les cambrioleurs de rentrer, mais au moins la poussière restera dehors. » Ca fait à peine un quart d’heure que je l’ai laissée seule et elle a déjà terminé. Au moins, les choses sont rapides. Je ne tiens même pas à vérifier pour contrôler, elle sait ce qu’elle fait. Je l’invite alors à prendre place sur un tabouret de bar. « T’inquiètes pas, je reste cette nuit, je te protègerai. » « Ah ah. N’empêche que sur un malentendu, même sans le vouloir, je peux en blesser un ou deux. » Oui, avec un coup mal placé que je n’aurais pas contrôlé. Quand ils vont voir le danger que je suis, ils partiront d’eux même, guidés par leur instinct de survie.
Mais le ventre d’Eliot commence à se manifester. « J’peux abuser et te demander un petit truc à grignoter ? Promis après je dors et je te demande plus rien. » Enfin elle ose ! Et ça me rassure. « Je peux te faire des croque-monsieur, et je crois qu’il me reste encore un peu de tiramisu dans le frigo. Ça te va ? Installe-toi. » Je n’ai pas grand-chose dans le frigo et j’ai un peu honte. En même temps, mes courses, ne se résument qu’au stricte minimum, je n’ai plus franchement le goût à cuisiner. Et quand Loan passe, elle ramène à emporter, comme ça, elle choisit le menu, ou c’est moi qui lui apporte le petit déj, à 16 h.
Je sors tout ce qu’il faut et de ma main valide prépare trois croque-monsieur, que je passe au four, quelques minutes. Une main me suffit, ce sont des gestes que je connais par cœur et qui ne me demandent pas de concentration particulière. Je lui sers le tout sur une assiette, même si je lui en pique un bout. Les émotions, ça creuse ! « Bière ? » Ou ce qu’elle voudra d’autre, que je lui sers sur le comptoir, tout près de son assiette. Je ne sais pas m’asseoir, pas dans une cuisine. « Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu cherches, tu finiras bien par tomber dessus, et dès demain, j’irais remplir cette parodie de frigo. » Il est souvent vide, juste mes yaourts, quelques fruits, un bout de viande et un peu de légumes, assez pour me nourrir seule. Soit pas grand-chose.
Je la vois engloutir ses sandwichs comme si elle n’avait pas mangé depuis des jours. « Il va te rester un peu de place pour le Tiramisu ? » Ironique. Je ne juge pas, bien au contraire, ça fait plaisir de voir quelqu’un manger avec tant d’appétit et surtout tant de plaisir.

 « C’est tentant, mais contente-toi de finir ça, et de rester mon invitée, pas mon employée. D’accord ? » Je me pince un peu les lèvres. J’ai compris la leçon. Mais je suis pas comme ça moi, à profiter de quelqu’un ou de quelque chose sans me sentir redevable. Enfin, pour le moment, ça va, faut juste pas qu’elle me donne trop sans que je n’ai l’occasion de lui donner aussi à mon tour. Mon ventre se met à gargouiller et j’ose lui demander si elle a quelque chose à me faire grignoter. « Je peux te faire des croque-monsieur, et je crois qu’il me reste encore un peu de tiramisu dans le frigo. Ça te va ? Installe-toi. » Je hoche vivement la tête. « Evidemment que ça me va, c’est un dîner de roi. » Je m’installe comme elle vient de me le proposer, sur le tabouret de bar, et ne la quitte pas des yeux. Elle fait tout avec une main et elle se débrouille très bien.

Il ne faut pas longtemps avant qu’elle ne dépose devant moi une assiette avec à manger pour trois, et elle me propose même une bière. « Oui je veux bien, merci. » Je commence à manger, avec les mains, ouais, c’est tout moi, très peu de classe. Pas besoin. Je suis comme je suis, pas besoin de paraître être quelqu’un d’autre pour plaire. « Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu cherches, tu finiras bien par tomber dessus, et dès demain, j’irais remplir cette parodie de frigo. » Je secoue la tête, finissant ma bouchée pour lui répondre. « J’ai besoin de rien de plus, c’est juste parfait, et c’est trop bon en plus. » J’ignore depuis combien de temps je n’ai pas mangé un repas aussi complet. Je dois passer pour une affamée, mais après tout, c’est ce que je suis. « Il va te rester un peu de place pour le Tiramisu ? » Je ris un peu et hoche vivement la tête. « J’avais fait de la place avant de venir. J’ai dû sentir que tu étais une bonne cuisinière. » Je lui adresse un sourire complice et termine mon assiette sans une miette. Elle me sort le dessert et je soupire d’envie et de bonheur. Il ne me faut pas longtemps pour finir mon repas et je lâche un nouveau soupir de bien être. « Merci pour le repas. Je pense que je vais bien dormir. » Je ris un peu et me lève pour aller mettre mon assiette et mes couverts dans l’évier comme une gamine bien élevée. « Tu dois être crevée, on va aller se coucher hein… »

Préparer un repas, c’est encore un truc que je maîtrise, même d’une main. C’est même mon domaine de prédilection, aussi maladroite que je sois. Mais j’adorais préparer à manger pour nous quatre à la fac, enfin Loan et sa copine du moment, Thomas et moi. Puis par la suite pour mon fils aussi, qui ne daignait manger autre chose que des pâtes et des sandwichs, parfois des frites quand on y mettait assez de sauce. Un gamin super intelligent et surtout assez rusé pour me faire fondre, et annihiler toute tentative de réprimande.
« Evidemment que ça me va, c’est un dîner de roi. » « T’es pas bien difficile, ça va m’arranger ça. » Pour qu’elle trouve trois croques monsieur dignes d’un repas de roi…

« Oui je veux bien, merci. » Je lui sors une bière et note qu’elle n’a absolument rien à foutre de la bienséance, et ça me plaît. Je préfère les gens à l’aise sous mon toit que ceux qui pensent que les bonnes manières sont un passeport pour une relation quelle qu’elle soit. Après tout, je ne suis pas mes parents…

« Merci pour le repas. Je pense que je vais bien dormir. » « Je te le répète, tu fais comme chez toi. » Je lui fais confiance pour se débrouiller, après tout, si elle avait voulu me faire les poches elle n’aurait pas pris le temps de m’accompagner aux urgences et d’y rester, il lui suffisait de rentrer et de piller la maison. « Tu dois être crevée, on va aller se coucher hein… » Je lui souris en étouffant un bâillement. « Tu as des couvertures dans le placard si tu as froid et pour les fringues de rechange tu te sers dans mon dressing. » Je crois qu’à présent elle connait le chemin.

Je range une grande partie de la cuisine et une fois satisfaite, je me contente de finir mon café servi juste un peu plus tôt. « Tu as une télé dans le bureau si tu veux, n’hésite pas ma belle OK ? » Je lui souhaite une bonne nuit en l’embrassant sur la joue puis disparaît à l’étage…

FIN