Acting natural (Rayden#4)

L’année scolaire est terminée depuis quelques semaines, j’ai profité de mes premiers jours de congés pour aller voir mes parents à Boston durant une dizaine de jours. J’ai également rendu visite à des amis qui vivent sur la côte Est, cette petite virée m’a fait du bien. Mais je n’ai pas pu prolonger d’avantage mon séjour, j’ai des obligations durant l’été… ou plutôt j’ai accepté d’en avoir, rendant service à cette amie que je remplace comme professeur de théâtre, qui elle a décidé de poursuivre un peu plus son voyage à l’autre bout du monde. Comment lutter contre ça, hein ? Je n’allais pas lui demander de rentrer et je ne vais pas non plus abandonner les élèves en les privant des stages estivaux. C’est loin d’être une corvée pour moi, à vrai dire ça m’amuse tout autant qu’eux et je crois que j’ai vraiment pris goût à l’enseignement du théâtre durant cette période de remplacement. Partager mon savoir, le transmettre et surtout voir évoluer les élèves, j’ai toujours adoré ça d’où mon choix de devenir prof. En revanche, je suis surprise de voir que cela m’a également permis de progresser quant à mon jeu sur scène. Je suis plus précise, soucieuse de leur donner le bon exemple, ça me pousse à me dépasser. Ça et peut-être un peu ce tout petit espoir naissant de me frayer un chemin vers le cinéma. Je ne rêve pas, il n’y a rien de concret car la visite des studios qui m’a été faite n’a pas vocation d’être une promesse. D’ailleurs je ne sais pas bien si c’est une bonne idée d’espérer, ou même de me lancer là dedans. N’est-ce pas prendre le risque de me disperser ? Je suis partagée. Autant professionnellement que personnellement… mais ça c’est une autre affaire. Bien que ça ne soit pas vraiment mon genre j’ai choisi, pour cette fois, de faire un peu l’autruche en laissant les problèmes de côté tout en sachant pertinemment qu’à un moment il me faudra me confronter à certaines réalités, aussi perturbantes soient elles. Je ne désespère pas que les choses se tassent, repartent comme elles sont venues.
J’ai passé l’après-midi à préparer la réunion qui se tiendra en début de soirée au théâtre, laquelle concerne le stage d’été qui aura lieu la semaine prochaine. Les parents des inscrits y ont été convié afin d’en connaître les détails, c’est normal de savoir ce pourquoi on fait un chèque. Si je suis impatiente de passer cette semaine avec le groupe d’élèves, par contre j’appréhende un peu cette réunion. C’est idiot, je suis habituée à communiquer avec les parents en tant que professeur de sport, mais dès qu’il s’agit du théâtre je me sens un peu moins légitime… et puis je me demande si elle va venir. Elle c’est Eden Lewis, productrice charismatique, celle-ci même qui m’a fait visiter les studios et vaguement parlé d’une éventuelle opportunité pour moi d’entamer un semblant de carrière d’actrice. Beaucoup de choses sont aux conditionnelles, je n’en connais même pas tous les tenants et aboutissants. De quoi me stresser un peu, surtout quand on y ajoute le charme magnétique de la blonde, cette espèce d’aura qui l’entoure et notre complicité dont je ne sais quoi penser. Je finis de disposer les chaises, dans quelques minutes ce sera l’heure de la réunion. J’accueille les parents, ils s’installent et durant toute la durée de la réunion je tiens mon rôle de professeur avec application. Pas de contact visuel plus prolongé avec quiconque, c’est à dire surtout pas Eden, je réponds à chaque question le plus clairement possible le tout avec naturel et décontraction. Toutes les informations sont données, la réunion touche à sa fin, certains parents quittent le théâtre alors que je réponds à d’autres qui ont encore quelques interrogations.

J’ai besoin d’une pause, mes yeux vont exploser à force de passer mon temps sur cet ordinateur. Je retire mes lunettes que je n’utilise que pour travailler sur l’ordi, et me frotte l’arrête du nez en soupirant légèrement. Détour par la cuisine pour me servir une limonade fraîche, avant de rejoindre Maé qui doit sans doute être en train de profiter de la piscine. Elle est au téléphone, sûrement avec une de ses copines qu’elle a l’habitude d’appeler pour tout et n’importe quoi. « … y’a la réunion pour le stage de théâtre ce soir … bien sûr que non j’vais pas rater ça ! … » Je reste à l’écart, prenant place sur un transat non loin de Maé, et elle finit par raccrocher. « Tu as un stage de théâtre cet été ? » « Oui, c’est Melle McHalway qui le donne, c’est la semaine prochaine, papa va à la réunion d’information ce soir. » Vous m’en direz tant. Ça fait un moment que je n’ai pas de nouvelles de Rayan, je ne l’ai pas rappelée, elle non plus, faut dire que la fin de notre dernière entrevue a été un peu bizarre. Mais je ne compte pas m’arrêter là. Cette fille me plait, et je ne suis pas du genre à abandonner mes proies. Je décide alors d’envoyer un sms à Luke pour lui dire de ne pas s’embêter, j’ai un rdv près du théâtre juste avant, je vais aller à la réunion, et je l’appellerai pour lui donner les détails. Il semble ravi, tout le monde est content. Maé me demande si elle peut inviter sa copine à dormir ici cette nuit, je dis oui et préviens Cora, de toute manière elle risque de rentrer tard, et Maé est assez grande pour ne pas faire de conneries, du moins je l’espère, et au pire des cas, je reste joignable.

Je me prépare, choisissant un style un peu moins BCBG ce soir, un slim blanc et une chemise simple dans les tons bleus clairs pour rappeler mes yeux. Une paire d’escarpins nude - parce que peu importe le rendez-vous je ne sors pas sans talons - et le tour est joué. Une touche de maquillage, mes doigts dans mes boucles blondes, et je grimpe dans ma voiture de luxe pour rejoindre le quartier où se trouve le théâtre, pile à l’heure du rendez-vous. Rayan évite mon regard, je ne suis pas dupe. Et moi au contraire, je le cherche, posant même une question l’air de rien pour avoir le droit à son attention. Une fois la réunion terminée, certains parents s’éclipsent, et moi j’attends patiemment qu’elle ait terminé son entretien plus personnel avec les parents d’un ou d’une élève, pour qu’il ne reste finalement plus que nous deux. « Tu m’évites ? » Elle ne peut pas se défiler. Mon regard plongé dans le sien, je lui offre un sourire sincère. « J’ai peut-être un casting pour toi la semaine prochaine, si ça t’intéresse toujours …? » Je pose une fesse sur une table derrière moi, gardant toujours mon regard hypnotique ancré à celui de la brune. Je t’aurai à l’usure ma chérie…

Je réponds aux parents d’un de mes élèves, ils sont du genre à couver leur gamin qui à leurs yeux est une future révélation du cinéma, Oscar à la clé. C’est comme dans le sport, des futurs champions il y en a à la pelle dès que les gens parlent de leur progéniture. Ils manquent d’objectivité, c’est humain et tant que ça ne fait de mal à personne ce n’est pas un problème. Malheureusement parfois ça ouvre sur des dérives, des mauvais comportements et là c’est une autre affaire. Je prends le temps de bien leur expliquer les choses, mettre l’accent sur l’aspect ludique de l’apprentissage. Ils sont pointilleux, du coin de l’œil je vois qu’Eden est encore là attendant que la conversation se termine. Je ne sais pas si j’espère qu’elle se décourage et parte ou la voir rester. Encore une fois je suis partagée, c’est mon humeur du moment faut croire. La discussion prend fin, la productrice est encore là et cette fois je n’ai d’autre choix que de la regarder, happée par son regard puissant. Elle me demande si je l’évite, ça m’arrache un sourire et je secoue la tête « Non. » dis-je simplement. La productrice ne perd pas de temps, enchainant sur une information qui me touche directement, sans doute le pourquoi de sa volonté à rester, quoiqu’elle aurait pu m’appeler pour me parler de ce casting ou m’y convier. Quiconque s’est déjà retrouver face à Eden Lewis lorsqu’elle a ce regard là sait combien il est difficile de ne pas se sentir troublé. A moins que ce soit juste moi ? Non… impossible, ses iris de glace transpercent n’importe qui, j’ai besoin de m’en convaincre. « Bien sûr que ça m’intéresse toujours. » je hausse les épaules « Ok j’admets je suis restée silencieuse  depuis la visite des studios. Mais tu m’as dit de ne pas me faire de films. » je souris et enchaine « En plus j’étais partie à Boston voir ma famille. ».
Impossible de rester là, lui faire face et soutenir son regard plus longtemps. Je me détourne, profitant d’avoir le prétexte de ranger les chaises que j’avais sortie pour la réunion « C’est quoi ce casting ? » je ris « Enfin si ce n’est pas une information top secrète dont tu n’as pas le droit de parler… mais comme c’est toi la patronne… » je lui adresse un regard malicieux. Elle a piqué ma curiosité, et puis c’est vrai dans le fond je me sens un peu comme une gamine, encore une fois, parce que malgré tout c’est d’un de mes rêves dont il s’agit. C’est peut-être pour ça que Eden me perturbe autant, parce qu’elle a ce pouvoir de me faire toucher du doigt un rêve, une chose à laquelle je n’osais même pas songer il y a quelques semaines en arrière et qui malgré tout trotte dans ma tête depuis le soir de la représentation. « Est-ce que c’est un truc avec de l’action ? Des combats ? » je ne peux pas m’empêcher de la questionner, c’est plus fort que moi « Un film à suspens ? C’est pour ça que tu prends soin de l’entretenir… » elle ne peut pas me donner cette info et me laisser dans le flou ensuite. En fait si elle peut, mais ça serait vache.

Non elle ne m’évite pas. Ah bon, je l’aurai pourtant cru. Je fais alors le choix de ne pas tourner autour du pot, après tout, la seule chose qui nous rapproche - mis à part ma fille qui est aussi son élève, entre autre - c’est le cinéma. J’ai le pouvoir de faire quelque chose pour elle, alors autant essayer. Elle a du potentiel, et ce n’est pas simplement parce que je la trouve attirante, il y a autre chose. Ça l’intéresse toujours. Tant mieux. « Ok j’admets je suis restée silencieuse depuis la visite des studios. Mais tu m’as dit de ne pas me faire de films. En plus j’étais partie à Boston voir ma famille. » Je hoche légèrement la tête sans la quitter des yeux alors qu’elle virevolte comme pour ne pas se retrouver trop statique près de moi. « Tu n’es pas obligée de te justifier… » Elle semble nerveuse, j’ignore encore trop pourquoi, je laisse alors s’écouler quelques secondes, toujours en la regardant s’activer, ranger les chaises, tout ça pour ne pas me regarder j’en suis certaine. « C’est quoi ce casting ? Enfin si ce n’est pas une information top secrète dont tu n’as pas le droit de parler… mais comme c’est toi la patronne… » Je souris, me ravit d’entendre son rire même si je le sens un peu nerveux. Le regard malicieux qu’elle m’offre pourrait bien me faire chavirer. J’aime à croire que je suis une araignée en train de tisser sa toile autour d’elle, j’ai bien peur qu’elle ait réussi malgré elle a en tisser une elle aussi. Comment ? Je l’ignore.  « Je sais pas si j’ai envie de t’en dire plus… » Je reste volontairement mystérieuse, comme à mon habitude.  « Est-ce que c’est un truc avec de l’action ? Des combats ? Un film à suspens ? C’est pour ça que tu prends soin de l’entretenir… » Je ris en l’entendant me poser toutes ces questions, on dirait une enfant qui essaie de deviner ce qui se trouve dans la boîte enrubannée que je viens de lui mettre entre les mains. « Si tu acceptes de venir boire un verre avec moi, peut-être que je pourrai te parler du projet… » Je penche la tête sur le côté, souriante, mutine, attendant qu’elle donne une réponse à ma proposition. J’ai envie de passer à la vitesse supérieure, quitte à me prendre les pieds dans le tapis, au moins j’aurai essayé. Ce n’est pas pour autant que je cesserai de croire en son potentiel et que je lui fermerai les portes, je ne suis pas - toujours - de ce genre. Mais j’estime qu’elle le mérite, et je serai ravie de l’accompagner dans cette ascension, même si elle n’est pas passée sous mes draps entre temps. Je ferai en sorte de tenir parole.

Ce n’est pas tout à fait vrai, peut-être que j’évite un peu Eden. Au moins son regard, jusqu’ici parce qu’une fois seule à seule je n’ai plus vraiment d’autre option que de le soutenir. D’ailleurs j’ignore si elle a posé la question en faisant référence à la réunion ou à ce silence de ma part depuis la visite des studios. Elle n’est pas dupe, les choses se sont terminées sur une drôle de note, laissant un parfum étrange dans l’air et beaucoup trop de questions dans ma tête. Mais j’ai pris du recul, en tout cas je crois être parvenue à le faire et cette entrevue est sans doute un bon test. Ou pas. Je m’explique sur mon attitude et la productrice m’offre sans doute une des réponses que je déteste le plus “ Tu n’es pas obligée de te justifier. “. J’ai toujours abhorré cette phrase, je la trouve sournoise, laissant penser à une accusation silencieuse, un truc pas franc et je n’aime pas ça. Je passe outre, c’est sans doute juste une – mauvaise – façon de parler de la part de la blonde. Pas vraiment encline à supporter plus longtemps l’intensité de ses iris glaciales, je m’affaire à ranger les chaises, faut que ce soit fait de toute manière. J’interroge alors la productrice au sujet de ce casting qu’elle vient d’évoquer. Je ponctue ma question d’un regard plein de malice, ça ne suffit pas à la convaincre de lâcher la moindre petite information, pas pour l’instant. Je ne m’avoue pas vaincue, je ne vais pas renoncer si vite. J’enchaine les questions, utilisant cette méthode infantile qui vise à faire plier les adultes. La tranquillité à un prix après tout… Ça la fait rien, c’est déjà un bon point, mais ce n’est pas suffisant. Il faut plus à la jolie blonde et elle ne tarde pas à me donner son prix. Un verre. Et encore elle met un bémol, ne promet rien ce que j’accueille avec une petite moue hésitante « Tu négocies toujours tout ? » demandé-je, plus amusée qu’autre chose. « Ok. A la condition que ce soit moi qui t’offre ce verre. » elle m’a déjà invité plusieurs fois, il est temps que je lui rende la pareille même si elle est celle ayant lancé l’invitation.
J’ai terminé de ranger, nous quittons la salle et lorsque nous passons dans le hall d’entrée du théâtre je m’arrête au niveau du distributeur d’eau. « Ça t’ira comme verre ? » demandé-je avec le sourire, mais néanmoins sérieusement, en m’apprêtant à prendre un gobelet en plastique. Je lâche un rire franc devant la mine qu’affiche Eden « Je plaisante. » nous sortons à l’extérieur et je m’engage dans une rue adjacente à celle du théâtre « Il y a un bar sympa un peu plus loin. » avec une sacrée réserve de rhum arrangés. « On vient souvent avec le groupe. » me rendant compte du double sens je précise sur le ton de la plaisanterie « Les gens avec qui je joue, pas les élèves, évidemment. » ils auront tôt fait de découvrir l’alcool et ses effets dans quelques années sans que personne ne les accompagne dans cette démarche. J’entre, salue l’homme derrière le bar d’un petit geste de la main et d’un sourire puis me dirige vers une table m’y installant en compagnie de la productrice. « Est-ce que je dois te faire boire pour que tu daignes me donner des informations ? Que je sache quoi te conseiller de commander… ». Ne dit-on pas que la meilleure défense c’est l’attaque ? C’est bien pour ça que j’ai décidé de ne pas me focaliser sur tout ce qui peut me perturber et être simplement moi-même.

« Tu négocies toujours tout ? » demande-t-elle presque avec un soupçon d’innocence. « Déformation professionnelle. » Et je lui adresse un sourire entendu, elle sait exactement de quoi je parle. La négociation est le point principal de mon métier, et ça l’était déjà avant que je ne rachète cette boîte de production. J’attends pourtant sa réponse à mon ‘deal’. « Ok. A la condition que ce soit moi qui t’offre ce verre. » J’arque un sourcil, souriante, surprise mais dans le bon sens du terme. « Très bien. Je marche. » Je descends de mon perchoir et la suis jusqu’à l’extérieur, mais entre temps elle me fait un petit numéro qui a le mérite de me faire rire. « Tu es à ce point là sur la paille ? » J’entre dans son jeu avec beaucoup d’amusement, et nous quittons finalement cet endroit, suivant la jeune femme qui a l’air de connaître ce quartier comme sa poche. Elle me parle d’un bar qu’elle apprécie, dans lequel elle a l’habitude d’aller avec le groupe. Le groupe ? Je tique un peu et elle doit le sentir puisqu’elle me rassure immédiatement. « Oui, évidemment… » Ça portait quand même franchement à confusion. Elle salue le barman et nous prenons place à une table que je la laisse choisir, puisqu’elle est habituée des lieux. « Est-ce que je dois te faire boire pour que tu daignes me donner des informations ? Que je sache quoi te conseiller de commander… » Je ris à nouveau. « Fais gaffe, je tiens bien à l’alcool malgré ma corpulence. » Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment vrai, je n’ai pas bu autre chose que du vin depuis très longtemps. « Mais tu peux toujours essayer…. » Mon ton se fait plus sulfureux, mon attitude aussi, avant bras sur la table, mains jointes, épaules légèrement avancées dans sa direction. Oui, j’ai envie de jouer, de la déstabiliser, c’est plus fort que moi. J’ignore si elle a compris depuis le temps, qu’elle me plait, mais il faudra bien qu’elle s’en rende compte. Parce que le jour où je vais passer la vitesse supérieure, elle risquerait d’être surprise…
Le serveur vient prendre notre commande et je plonge mon regard dans celui de Rayan. « Alors ? Tu me conseilles quoi ? » Je lui adresse un sourire mutin, une petite moue de défi. Je n’ai pas besoin de rentrer tôt, personne ne m’attend, Cora a l’habitude de me voir rentrer à des heures pas possibles, voire de ne pas rentrer. C’est le deal entre nous, alors j’ai tout mon temps. « Attention, si je bois, tu bois aussi. Sinon le marché ne fonctionne pas ! »

Je ris, non je ne suis pas sur la paille même si la productrice et moi n’avons clairement pas le même train de vie. J’ai un salaire de prof, ça me permet de vivre normalement mais pas de faire des folies ça c’est sûr. Ma plaisanterie a le mérite de faire rire Eden, et j’aime assez quand son masque de reine des glaces fond au profit d’une attitude beaucoup plus ouverte et décontractée. Je m’estime chanceuse d’avoir la possibilité de la voir ainsi, j’ai conscience que ce n’est pas donné à tout le monde. Alors au lieu de me poser des questions inutiles, autant profiter de cette complicité, non ? C’est en tout cas ma nouvelle stratégie, jusqu’à ce que j’en change, probablement. J’ai l’avantage du terrain, j’ai choisi un bar que je connais bien où j’ai mes habitudes et je crois que ça m’aide à avoir d’avantage confiance. Il n’y a qu’avec la productrice que j’ai la sensation de perdre mes moyens, je n’ai pourtant jamais eu de problème à m’affirmer et je compte bien y remédier. Nous nous installons à la table que j’ai choisi et sans détour j’interroge Eden sur ce que je vais devoir faire pour enfin avoir quelques explications sur le casting qu’elle a évoqué plus tôt. Elle veut ma peau avec son teasing sans suite ? Ma solution, la faire boire, ce à quoi elle me met en garde contre sa résistance à l’alcool. J’arque un sourcil, évidemment rien ne peut ébranler Eden Lewis. J’ai comme l’impression que c’est un peu un coup de poker de sa part, en tout cas je mise là dessus. Et puis le rhum c’est tellement traitre « Je vois… » répondis-je dans un sourire.
La jolie blonde me pousse malgré tout à tenter ma chance. Son regard et son attitude changent. Elle avait peut-être raison dans le fond cette maquilleuse rancunière, je suis une proie, une cible. Depuis le début j’ai vu les signes sans y prêter réellement attention, je ne voulais pas les voir pour ne pas les laisser avoir un quelconque impact sur moi. Mais la quadra a déjà fait preuve d’une attitude séductrice à mon égard, ce n’était pas des idées que je me faisais. Voilà d’où venait mon trouble et si en prendre conscience ne rend pas les choses plus simples pour autant, au moins j’accepte désormais de le voir. Je suis à la fois flattée par son intérêt et perturbée par des pensées longtemps enfouies qui essaient de refaire surface. Le serveur vient prendre notre commande, la productrice me mets au défi et je ne masque pas mon amusement « Parce que tu pensais que j’allais te laisser boire seule ? » c’est mal me connaître, mais je ne peux pas lui en vouloir, elle ne le sait pas. Je m’adresse directement au serveur pour passer la commande, choisissant un cocktail servit uniquement dans ce bar. « Je sais que tu apprécies les jus de fruit frais, c’est la base de tout les cocktails ici. » dis-je à titre d’information « Nous sommes assises, bientôt nous aurons nos boissons… j’ai le droit à quelque chose ou toujours pas ? » je souris et avant même qu’elle ne réponde j’ajoute « Oui, je suis tenace. » pas têtue, mais parfois un peu obstinée. Comment ne pas l’être dans cette situation ?

« Parce que tu pensais que j’allais te laisser boire seule ? » Je n’en attendais pas moins d’elle, et je souris même en l’entendant me répondre ça. Je sens que la soirée risque de s’annoncer intéressante. J’ai hâte de savoir ce qu’il se passe ensuite, je me sens comme en train de lire un bouquin trépidant, à dévorer la page suivante à la recherche de nouveaux indices. Rayan passe commande auprès du serveur qui attendait nos réponses, et c’est quelque chose de visiblement inconnu, ou propre au bar, parce qu’elle ne commande pas quelque chose de typique comme un mojito ou un bloody mary ou que sais-je. Un sex on the beach tiens. On se demande pourquoi je pense à celui là d’un seul coup. Bref. « Je sais que tu apprécies les jus de fruit frais, c’est la base de tout les cocktails ici. » Je souris et hoche la tête, mutine. « Faut que je fasse attention, tu commences à savoir des choses personnelles sur moi. C’est dangereux… » Je laissé planer un léger rire alors qu’elle reprend sans plus tarder la parole. « Nous sommes assises, bientôt nous aurons nos boissons… j’ai le droit à quelque chose ou toujours pas ? » Je penche la tête sur le côté, mon regard toujours aussi taquin, séducteur qu’un peu plus tôt. « Oui, je suis tenace. » Je hoche la tête en souriant. « Je vois ça, et j’aime ça. » Je sors de mon sac le scenario du film, que j’avais pris soin d’emporter en prévision de ce moment. Je le pose sur la table, devant moi, et glisse ma main sur la première page avant de redresser les yeux vers elle. « Jusqu’où tu serais prête à aller ? » Je la sens dubitative quant à cette question, et à la réponse à donner. Parce que j’ai semé le trouble en elle, je le sais. « En terme de rôle, je parle. » Je ris un peu, parce que j’ai toujours adoré avoir ce pouvoir sur les gens, c’est plus fort que moi. « Après tout, une carrière, ça ne débute pas toujours sur un rôle qui te plait. » J’ouvre le scenario et fais glisser les pages sous mon pouce, jusqu’à m’arrêter au hasard quelque part et lire quelques lignes. « C’est pas un rôle facile. Tu as quelqu’un avec qui bosser éventuellement ? Un professeur ? » Je ne lui en dis toujours rien, ça m’amuse de la faire languir. Je lui souris encore, parce que je la sens trépigner, et ça m’amuse. Je tire les ficelles et j’adore ça.

Je suis plutôt confiante quant à ma capacité à tenir l’alcool. Ça passe inaperçu lorsque l’on me voit, mais j’ai du sang irlandais qui coule dans mes veines. Sans faire dans le cliché et les idées reçues, je ne peux nier que ça aide… pour la simple raison que j’ai de l’entrainement. Ma mère n’était pas fan de l’idée mais mon père m’a initié à la consommation de bière avant que je ne commence de moi-même. Encore une fois méfiant et prévoyant il a préféré me montrer mes limites plutôt que je les découvre dans un cadre beaucoup moins sûr. Je sais, il a parfois eu des principes d’éducation un peu atypique mais certains ont été bénéfiques. Quoi qu’il en soit je n’ai pas spécialement prévu de faire boire Eden plus que de raison pour obtenir des informations sur ce rôle pour lequel elle a pensé à moi. Mais si un peu d’alcool peut me faire voir une nouvelle facette de son intrigante personnalité je ne vais pas dire non. Je mets à profit mon sens de l’observation en commandant un cocktail maison à base de jus de fruit frais et de rhum. La productrice affirme qu’elle va devoir être plus méfiante sur les petites infos qu’elle distille malgré elle et que je pourrai glaner. Dangereux ? Je reste perplexe et préfère enchainer sur le sujet qui a pour le moment mon entière attention : le rôle. Plus qu’une envie d’en savoir plus, ça va devenir un besoin si la blonde s’évertue à jouer la carte du mystère. Elle joue avec mes nerfs, avec moi, en se montrant à la fois énigmatique et séductrice. Une attitude qui lui va comme un gant tant elle est naturelle pour elle. Au moins la quadra reconnaît ma ténacité et plus que cela, elle l’apprécie ce qui me fait sourire.
Enfin Eden sort ce que je devine être le scénario du film, le pose devant elle en continuant de faire monter la tension. Mon regard suit sa main qui glisse sur le papier puis je relève les yeux quand elle s’adresse à moi, intriguée par sa question. Jusqu’où je suis prête à aller ? La question est volontairement ambiguë. Ce jeu l’amuse réellement et je me demande à mon tour en mon for intérieur jusqu’où elle, est-elle prête à aller ? Mon regard traduit la réflexion qui s’opère dans mon esprit, la jolie blonde rit, confiante puisqu’elle est en position de force, me précisant qu’elle parle bien du rôle. J’ai beau avoir tenté de le masquer elle a comprit mon trouble et ça a tout l’air de lui plaire. « Je suis prête à jouer n’importe quoi tant que je n’y éprouve pas un dégoût de moi-même au point de ne pas pouvoir me regarder dans un miroir après ça. » j’arbore un sourire en coin « Mais n’oublie pas que tu parles à une compétitrice dans l’âme. Le challenge, le dépassement de soi j’en suis familière et j’aime ça. » elle entend mes arguments mais je sens qu’elle a en tête de faire perdurer encore un peu le suspens tant que c’est possible. Eden poursuit avec un avertissement puis des solutions pour éventuellement être à la hauteur de l’enjeu qui m’attend peut-être. L’impatience me gagne, le bout de mes doigts pianote sur la table d’un geste bref et j’échappe un léger rire, puis me mords la lèvre avant de secouer négativement la tête « C’est drôle parce qu’à premier abord il est difficile de croire que tu sois aussi joueuse. » fais-je remarquer avant de répondre à ses questions « Je pourrai bosser avec mon prof de théâtre actuel. A moins que tu veuilles me conseiller quelqu’un avec qui travailler ? » mon regard se plante dans le sien aussi difficile soit-il d’endurer la force magnétique de ses iris azurées « Ne t’attends pas à ce que je te supplie, ça n’arrivera pas. » je souris. Je suis tenace mais aussi fière. Nos boissons arrivent mettant en suspend notre discussion le temps de les accueillir et de trinquer puis de boire une gorgée « Alors ? » j’arque un sourcil et rentrant pleinement dans le jeu initié par la blonde j’ajoute « Ce cocktail, comment tu le trouve ? ».

Je m’amuse comme une petite folle à perturber la jolie brune, c’est plus fort que moi, j’en ai autant envie que besoin. Et j’adore sentir qu’elle réagit exactement comme je l’attends. L’alcool ne me sera pas favorable, je ne tiens pas si bien que ça, je vais devoir faire attention. Je remarque aussi qu’elle absorbe très vite les petites choses dont elle pourrait se resservir contre moi. Elle est une adversaire très intéressante, qui ne paye pas de mine, mais qui n’est pas trop facile de manipuler. Juste ce qu’il faut de défi pour me faire frissonner. « Je suis prête à jouer n’importe quoi tant que je n’y éprouve pas un dégoût de moi-même au point de ne pas pouvoir me regarder dans un miroir après ça. Mais n’oublie pas que tu parles à une compétitrice dans l’âme. Le challenge, le dépassement de soi j’en suis familière et j’aime ça. » Je hoche la tête tout en souriant. « J’avais compris, oui. » Et c’est une facette de sa personnalité que j’aime particulièrement, et qui me donne envie de jouer encore davantage avec elle. Jouer, pas dans le sens la manipuler et la dégager ensuite, non. Il s’agit là du plaisir de mener une danse dont j’ai seule le secret, et voir comment elle se débrouiller pour suivre mes pas.

Je continue de faire durer le suspense, je la vois trépigner, tous les indices sont là pour marquer son impatience, et c’est grisant d’avoir le pouvoir de dénouer tout ça. Je laisse durer le plaisir encore un peu. « C’est drôle parce qu’à premier abord il est difficile de croire que tu sois aussi joueuse. » Je ris un peu et lui parle plus bas, non sans avoir laissé traîné mon regard sur cette lèvre qu’elle a emprisonnée entre ses dents parfaitement alignées, l’espace d’une seconde. « Ce ne serait pas drôle de tout dévoiler dès le premier rendez-vous… » Un sourire en coin, mutine, je la laisse répondre à mes questions quant à un potentiel apprentissage plus poussé pour incarner au mieux le personnage du scenario que je tiens encore entre mes doigts. « Je pourrai bosser avec mon prof de théâtre actuel. A moins que tu veuilles me conseiller quelqu’un avec qui travailler ? » Je hausse les épaules avant de répondre. « Je peux te proposer quelques contacts oui, si tu arrives à avoir le rôle. Mais on y est pas. » Ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Je sens son regard devenir pus insistant, elle perd patience et moi je jubile. « Ne t’attends pas à ce que je te supplie, ça n’arrivera pas. » Je laisse échapper un rire, j’imagine qu’elle n’est pas de ce genre là. « C’est justement ce que j’adore chez toi. » Mon ton est encore un peu plus charmeur, sensuel aussi, ma voix va chercher des sonorités plus chaudes et rugueuses.

Nos boissons arrivent et nous coupent dans ce petit échange, dans ma phase d’approche et de séduction plus affirmée. Je pousse le scenario sur le côté et accueille bien volontiers le cocktail. Nous trinquons et je porte la paille à mes lèvres pour en boire une première gorgée, puis une seconde pour affiner les sensations sur mes papilles. « Alors ? Ce cocktail, comment tu le trouve ? » Traitre. Voilà comment je le trouve. Il est si sucré qu’il ne laisse pas vraiment entrevoir la dose d’alcool, et je crois que c’est tout à fait le genre à faire tourner les têtes plus rapidement qu’on ne le pense. « Très bon. Tu as du goût. » Nouveau petit sourire sans pour autant quitter ses yeux des miens. Mon attitude se veut toujours aussi charmeuse et je reprends notre discussion là où nous l’avions laissée. Je fais alors un pas vers elle, laissant glisser le scenario sur sa table dans sa direction. « Attention, ne prends pas ça pour acquis. Je peux te faire avoir une audition, mais je ne suis pas la seule décisionnaire quant à la décision finale. » C’est un second rôle, une sorte de James Bond girl moderne, un film d’action, une ambiguïté latente, pas avec le personnage principal mais avec un autre personnage secondaire, féminin. « J’espère que tu n’as rien contre les scènes sensuelles entre deux femmes…? » Petit sourire en coin, je récupère la paille entre mes lèvres pour boire une nouvelle gorgée de mon cocktail.

Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir le rythme de ce jeu dont Eden est pour le moment la maitresse. Les règles sont les siennes, elle a le pouvoir et si je ne manque pas de ressources elle reste un adversaire redoutable. Mais comme je me plais à le souligner je suis quelqu’un qui apprécie les défis et le dépassement de soi. Cependant dans le cas présent cette petite joute vient faire écho à des pensées, interrogations et sensations depuis longtemps enfouies au plus profond de moi. Toute la difficulté est là, comment vais-je gérer cela ? Jouer un rôle au cinéma c’est comme aller sur un terrain de sport lorsqu’il y a de l’enjeu, tout tourne autour de la performance. Mais ça, cet échange avec la jolie blonde, ça va au delà. Elle ne dissimule même plus son attitude séductrice, elle cherche à me faire flancher en jouant sur mon trouble, se servant sans vergogne à la fois de son charme et de sa position de force. C’est elle qui a les infos sur le rôle, je cours après celles-ci lui donnant ainsi un certain pouvoir sur moi. Ça l’amuse beaucoup, je peux le lire dans son regard et je m’étonne qu’elle soit si joueuse, presque espiègle. Une autre facette de sa personnalité habituellement dissimulée derrière sa façade de femme froide et inaccessible. Je sais qu’elle choisit chaque mot, chaque intonation, pas que ce soit calculé car j’ai l’impression que c’est devenu totalement naturel pour la quadra d’agir ainsi, en prédatrice. A la fois elle continue de me mettre en garde face aux idées que je pourrais me faire, je ne dois rien prendre pour acquis. « Je te l’ai dit, je suis du genre pragmatique. ». Loin d’être une proie qui détale, apeurée. Je fais face, je riposte attisant un peu plus son appétit joueur. J’aimerai qu’elle lâche le morceau, tout trahi mon impatience et pourtant je n’irais pas jusqu’à la supplier. Eden aime ça et elle l’avoue sans détour, le ton employé me fait un drôle d’effet mais je reste de marbre, en apparence.
L’arrivée de nos boissons est un léger répit, je profite de cette trêve pour tenter de reprendre l’échange à mon avantage, mais j’ai un sacré handicap puisque la jolie blonde détient toujours le sésame de mes interrogations. Je l’interroge sur le cocktail, changeant un peu de sujet, peut-être pour lui donner envie de céder enfin. Je souris à sa réponse « Tu vois, ce n’est pas forcément dangereux de laisser quelques détails sur tes goûts filtrer ça et là. » dis-je malicieusement en faisant référence à ses propos précédents. J’ignore si c’est la boisson qui fait déjà son effet ou le sentiment que j’ai mérité des réponses, mais Eden fait glisser le scénario dans ma direction. Mon regard s’illumine, à peine ma main se pose sur la première page, prête à découvrir enfin de quoi il s’agit qu’Eden me met une nouvelle fois en garde. Je relève le regard et penche légèrement la tête, intriguée « Pourquoi tu as si peur que je me fasse des illusions ? » je souris « J’ai l’air si naïve ? » pourtant je n’en ai pas l’impression. « Tu crains des reproches de ma part par la suite ? » je ne sais pas si elle se préserve elle ou si elle veut me protéger d’une déception. Peut-être un peu des deux « Je suis une grande fille Eden. Curieuse certes, mais tout à fait consciente du chemin qu’il reste à parcourir. ». Je bois une nouvelle gorgée et commence à feuilleter le document. Je lis les premières lignes et déjà la productrice fait une première remarque sur ce qui m’attend si je veux ce rôle. Je la regarde, intriguée, pile au moment où elle glisse sa paille entre ses lèvres, geste anodin en apparence qui ne l’est pas tant lorsque c’est elle dont il s’agit. Je secoue la tête « Non… » je hausse les épaules « J’ignore si je serai crédible mais je n’y vois pas de problème. ». Oh je ne suis pas stupide je sais que cette remarque n’a pas été faite par hasard, pas après tout ce petit numéro de séduction que la blonde m’a servit jusqu’ici mais même si mon cœur a eu un léger raté je ne compte pas lui donner satisfaction en affichant clairement mon trouble. Elle en a suffisamment perçu jusqu’ici. Je parcoure rapidement quelques pages, je ne vais pas tout lire en détail maintenant, je m’imprègne de l’idée globale du rôle. « Si tu proposes de m’avoir une audition c’est que je te semble capable de relever le défi. » je referme le scénario regardant à nouveau Eden, un sourire étirant mes lèvres « Un vrai film d’action. Pendant un instant j’ai cru que tu allais me proposer un film d’auteur un peu barbant. Juste pour me tester. » je ris « Tu joues au poker ? » si ce n’est pas le cas, elle devrait peut-être… juste pour le plaisir du jeu, l’argent elle n’en a pas besoin. Cette audition sera pour moi l’opportunité de me confronter à ce milieu, d’avoir un avis sur moi et mon jeu. Je ne serai peut-être pas ce qu’ils recherchent mais c’est une opportunité de prendre de l’expérience et d’apprendre. Une fois de plus je me laisse happer par le regard profond de la productrice « Il y a toujours un moment où il faut se jeter à l’eau et voir si l’on est prêt à aller dans le grand bain. ».

« Pourquoi tu as si peur que je me fasse des illusions ? J’ai l’air si naïve ? Tu crains des reproches de ma part par la suite ? » Je penche légèrement la tête sur le côté avant de répondre à ses questionnements. « Je n’ai pas pour habitude de vouloir aider quelqu’un comme je le fais avec toi, je préfère prendre les devants et ne pas avoir à encaisser les éventuels reproches effectivement. C’est une forme de protection, j’imagine. » Je lui offre un léger sourire qui se veut rassurant. « Je suis une grande fille Eden. Curieuse certes, mais tout à fait consciente du chemin qu’il reste à parcourir. » Un hochement de tête. J’entends ce qu’elle me dit, et d’un côté, ça me rassure un peu. J’ai eu quelques mauvaises expériences avec des personnes - dont une qu’elle a même croisée - qui pensaient que j’allais pouvoir faire décoller leur carrière juste parce que je suis la productrice. Malheureusement, ça ne marche pas comme ça. Je peux essayer de provoquer le destin, donner un coup de pouce, mais le talent est primordial, quoi qu’on en dise. Dans le cinéma, même un fils de ou une fille de, ne marchera pas sur la longueur s’il n’est pas apprécié du public de par sa gueule, son charisme ou son talent. Ou les trois, mieux encore. Alors je préfère prévenir Rayan que je ne suis pas magicienne, je peux juste essayer de l’aider, comme je peux, à mon niveau. Je m’amuse cependant à la tester en lui disant approximativement de quel rôle il s’agit. « J’ignore si je serai crédible mais je n’y vois pas de problème. » Je me retiens de lui proposer de s’exercer avec moi, même si j’en meurs d’envie. « J’en conclus que tu n’as jamais essayé… C’est marrant, je t’imagine pourtant très bien avec une autre femme. » J’en fais des caisses, mais toujours de manière subtile, c’est ce qui me caractérise.

« Si tu proposes de m’avoir une audition c’est que je te semble capable de relever le défi. » Je souris après une nouvelle gorgée de mon cocktail qui se vide à vue d’oeil sans que je ne sente réellement l’alcool chauffer ma peau. « C’est vrai. Je ne prendrai pas le risque si je ne te pensais pas capable. » J’aurai pu lui filer le scenario d’une daube. Quoi que, je ne produis pas de daubes. « Un vrai film d’action. Pendant un instant j’ai cru que tu allais me proposer un film d’auteur un peu barbant. Juste pour me tester. Tu joues au poker ? » Cette fois c’est un léger rire qui sort d’entre mes lèvres, je me sens étrangement beaucoup plus détendue. Le cocktail ? « Je n’aime pas les jeux d’argent, je préfère de loin mettre en jeu d’autres choses. Des vêtements, par exemple… » Mon regard glisse sensuellement sur ses lèvres, son cou, la naissance de son décolleté qui n’est pourtant pas si évident. « Mais les seuls qui ont joué avec moi au strip poker n’ont plus jamais voulu jouer. Je comprends pas pourquoi. » Mutine, je hausse les épaules et laisse mon dos trouver le dossier de la banquette sur laquelle je suis assise, sans pour autant lâcher des yeux la jolie brune face à moi. « Il y a toujours un moment où il faut se jeter à l’eau et voir si l’on est prêt à aller dans le grand bain. » Le sourire qui étire mes lèvres présentement est bourré de sous-entendus. « Je n’aurai pas dit mieux. » Et voilà que je termine mon verre, d’une traite. Ça s’annonce mal. « Mais t’inquiètes pas, je te laisserai pas te jeter seule dans la gueule du loup, je serai là pour t’accompagner. » Sauf si c’est moi, le loup…

Dois-je prendre les propos d’Eden comme l’aveu d’un traitement de faveur ? En tout cas ça y ressemble un peu. En me mettant en garde sur l’avenir incertain de ce coup de pouce qu’elle semble disposée à me donner, c’est aussi et surtout pour se préserver d’une éventuelle rancœur de ma part. Etant donné ce qu’elle m’a raconté au sujet de cette maquilleuse qui envisageait une promotion canapé, je peux comprendre que la productrice veuille se mettre à l’abri. Cependant me concernant je n’ai absolument pas l’intention de coucher avec qui que ce soit pour espérer obtenir un rôle ou quelque autre porte d’entrée dans ce milieu. Je sais combien il est précieux et valorisant d’obtenir quelque chose par la force de son travail et de sa persévérance, c’est un sentiment auquel je tiens. Je me veux rassurante à l’égard de la quadra, je ne lui reprocherai rien si les choses ne fonctionnent pas. Elle a créé une petite ouverture dans laquelle me faufiler, pour le reste c’est à moi de jouer correctement mes cartes et d’espérer que les circonstances soient en ma faveur. Mettant fin à ce suspens qu’elle s’est visiblement bien amusée à maintenir, Eden m’explique un peu le rôle en question mentionnant de l’attirance pour une autre femme. Je perçois bien qu’elle fait ça pour me tester, pas seulement professionnellement c’est désormais lipide dans mon esprit. Cependant je reste focaliser sur le sujet principal de notre discussion, faisant mine de ne pas percevoir de sous-entendus. La jolie blonde n’est pas dupe, elle a une certaine capacité à décrypter les attitudes, c’est ce un des atouts qui fait d’elle quelqu’un de brillant. Ma réponse l’amène à une conclusion que je suis novice en la matière, tout en notant que l’imagine ne lui paraît pas irréelle pour autant. Evidemment… elle n’allait pas dire le contraire et cette fois je ne peux retenir un léger rire « Ah oui ? ». Subtilité et ténacité sont des adjectifs qui lui correspondent très bien. Je ne laisse rien paraître, du moins je l’espère, mais elle vient une nouvelle fois d’ébranler un peu certaines choses en moi me ramenant une quinzaine d’année en arrière. La curiosité inassouvie d’une attirance inavouée, des doutes passés sous silence… je pensais cela derrière moi.
Je me raccroche à l’objet premier de notre discussion pour ne surtout pas montrer de failles. C’est difficile face à Eden, mais quelque chose me dit que je vais prendre petit à petit l’avantage à mesure que l’alcool va faire son effet. Je suis habituée de l’endroit, je sais qu’il vaut mieux éviter de se laisser prendre au piège du goût doux et sucré de ce cocktail au risque de se faire rattraper par la force du rhum plus vite que prévu. Le niveau de la boisson de la productrice diminue bien plus rapidement, et la conversation suivant son cours je constate qu’elle semble se détendre d’avantage. Je parle de poker, elle dérive sur une version détournée de ce jeu d’argent, je l’écoute me vanter ses qualités de joueuse avec un sourire amusé, bien que son regard soit on ne peut plus perturbant. « Des mauvais perdants, probablement. » dis-je « La défaite donne des envies de revanche à certains et d’abandon à d’autres. » et la concernant je pense qu’elle est comme moi, plutôt du genre à se relever et essayer de faire mieux… quand c’est possible évidemment. L’échec ne me fait pas peur, je l’ai vécu par le passé et le vivrais à l’avenir, il faut faire avec. Ainsi je ne vais pas reculer, et c’est déterminée que je vais passer ce casting, ne serait-ce que pour me tester, je suis prête à me jeter à l’eau et fait part de ma détermination à la productrice. Elle sourit, je ne sais trop comment interpréter sa réaction d’ailleurs mais j’écarquille les yeux en la voyant finir son verre d’une traite avant de me témoigner son soutien. Je souris et hoche la tête « Je n’en doutais pas. » elle l’a dit, elle n’aide pas spontanément quelqu’un comme elle le fait avec moi et je sens que je peux compter sur elle, sans trop savoir pourquoi. Je désigne son verre du regard « Tu as apprécié à ce que je vois. Tu en veux un autre ? » pas que j’ai pris au pied de la lettre son défi de la faire boire, mais je passe un bon moment et j’ai envie qu’il se prolonge. « Bien sûr je t’accompagne. Je ne vais pas te laisser te jeter dans la gueule du loup toute seule. » un clin d’œil malicieux plus tard et j’interpelle le serveur lui demandant de nous ramener la même chose ainsi que de quoi grignoter un peu, histoire d’éponger l’alcool. Le temps que notre commande arrive je bois progressivement la fin de mon premier verre, c’est comme au strip poker il faut savoir la jouer stratégique. « C’est quand ce casting ? » demandé-je finalement, je me raccroche à ce qu’il reste de question professionnelle pendant que je le peux.

Je ne peux me retenir de jouer, jouer sans manipuler, simplement pour le plaisir de se renvoyer la balle, de la voir parfois en port-à-faux quant à la réponse à donner, l’attitude à avoir. Je l’observe depuis longtemps déjà, et plus je continue, plus j’apprends à la connaître, à l’apprécier, à la désirer. Je n’ai jamais attendu aussi longtemps avant de faire un pas plus important vers une femme qui me plait. Je ne suis pas mère patience en ce qui concerne mes relations amoureuses, encore moins pour ce qui concerne les relations amoureuses sans amour. Enfin… on ne sait jamais de quoi l’avenir est fait. Toujours est-il que j’aime jouer avec elle, j’aime le répondant qu’elle peut avoir tout en retenue. Je plonge dans son regard chocolat et m’y noie complètement. Lorsqu’elle parle de poker je passe un nouveau palier de drague, parlant déjà de strip poker, jouant de mon regard sur la naissance de ses courbes qui me semblent être divines. J’en aurai presque l’eau à la bouche rien que de m’imaginer embrasser chaque parcelle de son corps. « Des mauvais perdants, probablement. La défaite donne des envies de revanche à certains et d’abandon à d’autres. » Je me contente de sourire, je crois que Rayan serait plutôt de la première catégorie, elle a l’air d’avoir la niaque, son côté compétiteur, j’imagine. Ça pourra lui servir si elle arrive à entrer dans le métier.

Je continue mon jeu de déduction, qui n’a pas l’air de la mettre mal à l’aise, la trouble tout au plus. Le cocktail me monte déjà à la tête, c’est mauvais signe pour la suite. « Tu as apprécié à ce que je vois. Tu en veux un autre ? » J’arque un sourcil, ajoutant à cela un sourire amusé. « Tu veux vraiment me voir saoule ? Va pour un nouveau. » Je me promets de m’arrêter au 2ème. Si j’y arrive. Si. J’y arriverai. « Bien sûr je t’accompagne. Je ne vais pas te laisser te jeter dans la gueule du loup toute seule. » Hochant la tête, je souris de nouveau. « J’espère bien oui ! » L’alcool fait sauter toutes mes barrières morales une à une, si je me retenais d’être trop charmeuse avec elle, je risque d’être plus entreprenante que je n’ai déjà été. « C’est quand ce casting ? » Je plisse un peu les yeux, réfléchissant, mais je n’ai pas la date en tête et je fouille dans mon téléphone pour trouver cette date en question. « Ça commence le 12 visiblement, je vais essayer de te faire passer plutôt vers le début, faudrait pas qu’ils aient un coup de coeur avant qu’ils te voient. » Même si j’en doute. Comment ça je ne suis pas objective ? Mais regardez-moi cette bombe ! Rien ne lui résiste, c’est tout bonnement impossible. « Je devrais avoir des réponses d’ici demain pour savoir quel passage du scenario ils font passer pour l’audition de ton personnage. Il se peut que ce soit un des dialogues de la fin. » Je récupère le scenario pour feuilleter les pages et je cherche la fameuse scène d’amour, et les adieux qui suivent sans tarder. L’émotion de cette scène est au rendez-vous, et bien jouée, je suis certaine qu’elle en fera pleurer plus d’une, voire même plus d’un. « Ce passage là, je pense. » Je lui tends à nouveau le bloc de papiers ouvert à la page dite pour qu’elle puisse lire. En attendant, je m’attarde sur chaque détail de son visage, ses expression. Je meurs d’envie de la grignoter de tous les côtés. J’ai faim je crois. Il fout quoi le serveur exactement ?

Ça devient de plus en plus difficile, pour ne pas dire impossible, de faire comme si je ne voyais rien au jeu de séduction d’Eden. La subtilité étant inversement proportionnelle au taux d’alcool, je crois que je dois me préparer à des remarques qui pourraient me mettre un peu mal à l’aise. Je ne peux être que flattée de lui plaire, ses propos me troublent, mais c’est justement un peu ça le problème… je ne sais pas vraiment quoi en faire. Je détourne le sujet, réplique subtilement, élude ses remarques qui ne sont même plus vraiment des sous-entendus. Mais s’il n’y avait que cela à gérer je m’en tirerais bien, sauf que je dois également faire avec ses sourires tantôt énigmatiques puis plus carnassiers, de même que son regard perturbant. Je sais que l’alcool n’y est que pour peu si j’ai parfois un peu plus chaud, mais la productrice elle en revanche pourrait être reconnue coupable. L’inviter à boire un second cocktail est un coup de poker, c’est quitte ou double. Reprendre ou perdre totalement le contrôle de la situation. Je me fais confiance, j’ai un bon sens de l’adaptation et puis j’arrive à gérer des classes entières d’adolescents aux profils totalement différents, alors je devrais pouvoir m’en sortir avec juste une quarantenaire aussi charismatique soit-elle, non ? « Tu es celle qui m’a mise au défi de te faire boire je te rappelle. » répliqué-je avec malice quand elle m’accuse de vouloir la voir saoule. En vérité il y a aussi une part de curiosité, je l’admets. J’ai envie de voir un peu plus loin derrière le masque, qui est cette Eden plus humaine, moins froide et inaccessible. Je joue moi-même le jeu, pas question qu’elle boive seule ça ne se fait pas.
Courageuse mais pas complètement téméraire, je poursuis sur le casting gardant la jolie blonde focalisée sur autre chose que moi et sa détermination à me perturber. Mais même quand ses propos sont anodins, son regard lui ne l’est pas. C’est un petit soulagement lorsque son attention s’oriente sur la date du casting puis sur le scénario dans lequel elle cherche le passage qui sera probablement le support de l’audition. Eden m’indique la partie en question et je commence à lire. C’est une scène forte, une conclusion poignante à ce qui a été construit tout au long du film, enfin je suppose. De quoi susciter des émotions chez le spectateur. Je me laisse embarquer par ce que je lis, sans même connaître les personnages ni le reste de leur histoire je perçois aisément ce qui est traduit par ces lignes. Ma vue se floute légèrement à mesure que je parviens à la fin de la scène, je crois que ça fait écho à quelque chose en moi. Je relève brièvement le regard vers Eden « C’est bien écrit. » puis reviens une page en arrière, pour lire plus de détails sur le contexte de la scène un bon prétexte pour faire trainer ma lecture le temps de reprendre un peu plus contenance « Je pense que c’est effectivement un bon test. Toute l’essence du personnage semble être représentée… » si le casting est le douze ça laisse peu de temps pour travailler mais je me sens capable de relever le défi, plus encore j’en ai vraiment envie. Le serveur revient avec notre seconde commande je referme le scénario et le remets sur le coin de la table. « Je vais avoir du boulot. » dis-je avec le sourire avant de lever mon verre « Je crois qu’après ce verre tu ne seras définitivement plus en état de conduire. » je ris « Enfin je pense que c’est déjà plus le cas... ». Je lui appellerai un taxi ou au pire j’ai un canapé libre et confortable. Mais ça c’est peut-être pas la meilleure des idées pour garder les choses au clair.