Ta fille, nos emmerdes [Jaden #2]

Il est presque 22h et je suis encore au bureau. Enfin, mon bureau se situe pour ainsi dire chez moi, dans mon immense baraque, beaucoup trop vide depuis que Maé est en stage à Paris. Elle grandit, c’était aussi mon idée que de vouloir lui offrir ce stage de théâtre dans la capitale Française. Elle a besoin de voyager, elle a besoin de rencontrer du monde, et des gens qui auront sans doute une influence future sur sa carrière, si tant est qu’elle la fasse dans ce domaine. Mais le moment c’est son souhait.
Je suis un papa très à l’écoute, très proche de sa fille. Il n’y a encore pas si longtemps, elle me racontait absolument tout et son premier téléphone portable visait à ce qu’elle m’envoie des textos même depuis la cour d’école quand elle avait quelque-chose à me dire. Mais elle avait 8 ans à l’époque… aujourd’hui, à 16, ça n’est pas tout à fait la même mélodie.
Je peux me vanter d’être le père qu’elle aurait voulu avoir, et d’avoir une relation plus proche que celle qu’elle a avec sa mère. Mais je ne suis pas dupe, rien n’est jamais acquis.
Finalisant un dossier et le refermant pour le ranger, j’attrape mon téléphone, pas de message de ma fille mais comme on dit, pas de nouvelles, bonne nouvelle. J’en profite pour checker ses réseaux sociaux, sans doute trouverais-je de quoi rassasier ma curiosité ? Et je ne suis pas déçu… Son instragram regorge de story où non seulement elle boit de l’alcool mais se trouve en plus dans une soirée tout ce qui a l’air d’être sélect. J’en ai fait quelques-unes de ces soirées du temps où Eden et moi étions mariés et je vous garanti qu’il n’y circule pas de que de l’eau minérale.
Je tente de joindre ma fille, messagerie. Ben tient, prends-moi pour un con aussi. Je tente de joindre sa mère, sans doute la plus à même de savoir ce que notre rejeton peut bien foutre là-bas ? Aucune réponse. Elles se sont vraiment donné le mot ? Je ne vais pas attendre que ces dames ne daignent me rappeler. J’attrape ma veste que je jette sur mes épaules, mes clés et pars en trombe jusque chez mon ex.
Je sonne, une fois, deux fois, insiste lourdement, elle finira par m’ouvrir, je l’aurais à l’usure. J’use juste de méthodes qu’elle connaît très bien… Rien de plus. Elle fini par m’ouvrir et j’entre, sans même attendre son invitation, c’est bon, on a des choses à se dire et on ne va pas le faire sur le palier. « Tu as vu la story insta de ta fille ou pas encore ?! » Mon téléphone à la main, je fais les cents pas dans son salon.

Je suis rentrée du Canada il y a quelques jours, et la reprise du boulot a été intense. Le boulot est toujours intense, c’est aussi pour ça que j’aime autant ce que je fais, je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Mais il faut que je jongle entre tous les pans de ma vie, pro, perso, familial, et le reste. Je suis un peu stressée depuis mon retour à L.A. parce que je sais que je vais devoir parler avec Cora et mettre à plat les choses et la situation concernant ma relation avec Rayan. Cora est encore en voyage d’affaire, elle ne devrait plus tarder à rentrer, et j’appréhende.
Une fois rentrée à la maison ce soir, je me glisse dans une douche brûlante, profitant de cet instant de détente, seule. Mais comme si le mauvais karma s’abattait sur moi, la sonnerie de la maison se met à me fracasser le crâne. Une fois, deux fois. Ce n’est pas la sonnerie de l’extérieur, j’en déduis donc qu’il s’agit de quelqu’un qui a le code, mais pas la clé de la maison. Je grogne et quitte la chaleur de la douche, m’enroule dans un peignoir et quitte la salle de bain pour rejoindre le salon. J’allume la tablette pour voir de qui il s’agit, Jamie. Qu’est-ce qu’il vient me faire chier à cette heure-ci ? Ça sonne encore et je commence à m’énerver. Il va me pousser à bout ce con. Je parcours les derniers mètres qui me séparent de la porte et lui ouvre. « Tu as vu la story insta de ta fille ou pas encore ?! » demande-t-il visiblement excédé, en entrant chez moi comme dans un moulin. « Mais je t’en prie, entre, fais comme chez toi… » lui dis-je, lasse, avant de refermer la porte derrière lui.
Je serre un peu mieux le noeud de mon peignoir et me dirige vers la cuisine pour me servir un verre de vin blanc. J’hésite à lui en servir un, ça voudrait dire que j’accepte qu’il reste un peu. Après tout, je suis toute seule ce soir, ça me fera un peu d’animation. « Non, je n’ai pas pour habitude de regarder les réseaux sociaux de Maé. » Ce n’est pas tout à fait vrai, ça m’arrive quand je suis inquiète. Mais je l’ai eue au téléphone la nuit dernière - ce qui correspondait à un milieu d’après-midi pour elle - et tout allait pour le mieux.
Je rejoins Jamie dans le salon et pose les deux ballons de vin blanc sur la table basse. « Arrête de t’agiter, tu me donnes le tournis. Qu’est-ce qui se passe ? » Il me fatigue… Je le soupçonne d’user de produits illicites parfois.

Des fois je me demande si je ne suis pas seul à veiller sur elle. Alors oui, elle a 16 ans, et alors ? Ça n’en fait pas une adulte pour autant, et encore moins responsable. Elle est peut-être plus futée que la moyenne, mais ça reste une ado. Avec ce que ça peut comporter d’hormones, de choix débiles et d’envies inconcevables. Seulement Maé est une ado dans un milieu doré, pour qui toutes les portes ou presque sont ouvertes, et cette absence de limites est pour moi dangereuse. Je fais ce que je peux pour être un bon père mais ça ne suffit pas toujours.
J’insiste sur la sonnette, elle ne répond pas, je sais pourtant qu’elle est là et sa villa est bourrée de technologies dernier cri, un peu comme la mienne. Sur ce point-là au moins, on se rejoignait, en plus de ce qui se passait au lit, mais bref.
Elle m’ouvre et je rentre comme si j’étais chez moi, ça va, on a partagé une intimité durant des années et on a une ado ensemble. Ça nous laisse des droits. « Mais je t’en prie, entre, fais comme chez toi… » « Je t’ai posé une question, Eden. » Je l’enverrais se faire foutre plus tard. « Non, je n’ai pas pour habitude de regarder les réseaux sociaux de Maé. » « Et ben tu devrais, c’est instructif et en plus de ça, ça pourrait lui éviter quelques conneries. » Et elle, de signer avec n’importe qui. Il ne faut pas oublier que Maé fréquente le beau monde, le monde que tout le monde rêve de connaître. Le milieu du cinéma est gangréné par les pervers, qu’on se le dise. Et ça n’est pas une surprise. J’ai toujours craint ce milieu, même si je dois reconnaître que le talent d’Eden dans ce domaine est hors limites, c’est pour ça qu’elle y est si réputée. Mais elle sait aussi ce qu’une jeune fille un peu crédule avec des étoiles dans les yeux peut craindre.
Elle part dans la cuisine, pour nous ramener deux verres de vin blanc. Je carbure plutôt au scotch, mais je prends quand même. J’en bois une gorgée. Je suis toujours speed. « Arrête de t’agiter, tu me donnes le tournis. Qu’est-ce qui se passe ? » Agité, tu parles. Hyperactif et insomniaque, elle le sait. Et sans doute que ça l’a épuisé à un moment donné, elle aussi. « Tient, regarde ça. » Je lui tends mon portable, sur la story de notre fille. « Qu’est-ce que Maé peut bien foutre dans une soirée comme ça ? Aussi privée ? » Visiblement, elle n’a pas la réponse non plus, et j’enchaine. « Le type qui la regarde bizarrement là, derrière, il a quoi, 50 ans et un procès au cul non ? » Ma fille, ma bataille, elle est l’être au monde pour qui je serais prêt à brader tout ce que j’ai.

Je ne flique pas notre fille, si c’est la question qu’il me pose. Quand je n’ai pas de nouvelles d’elle depuis trop longtemps, je lui envoie un message ou je l’appelle pour savoir si tout va bien, ça me suffit. Mais le papa poule qu’il est ne s’arrête pas là, de toute évidence. « Et ben tu devrais, c’est instructif et en plus de ça, ça pourrait lui éviter quelques conneries. » Je sais que Jamie en rajoute souvent beaucoup, je connais le personnage. Je sais aussi très bien faire quand je m’y mets. Mais je suis sûre qu’il exagère vraiment, et je ne m’inquiète pas pour autant. Je prends le temps de nous servir deux verres de vin blanc, et m’installe dans le canapé, alors qu’il me tend avec précipitation son téléphone pour que je regarde l’écran. « Qu’est-ce que Maé peut bien foutre dans une soirée comme ça ? Aussi privée ? » Je fronce un peu les sourcils, et repasse la vidéo pour tenter de comprendre, ou au moins de regarder ce qu’il se passe vraiment. « Le type qui la regarde bizarrement là, derrière, il a quoi, 50 ans et un procès au cul non ? » Je fais claquer ma langue contre mon palet, d’agacement, et lui récupère véritablement le téléphone des mains pour regarder avec davantage d’attention. Le type dont il parle c’est un agent qui effectivement n’a pas très bonne réputation, même si jusque là, les seules personnes qui ont osé craché sur lui n’ont parlé que de ‘drague lourde’, sans attouchement. Encore heureux qu’il n’en soit pas arrivé là. Je serre un peu les mâchoires, énervée aussi qu’elle puisse se retrouver dans ce genre de soirée privée, et qu’elle s’en vante, en plus.
Un long soupir s’extirpe d’entre mes lèvres, et je rends à Jamie son téléphone avant de boire une grosse gorgée de mon verre de vin. « Je sais pas ce qu’elle fout là bas, et ne me regarde pas comme ça, j’y suis pour rien. » Ça, c’est un premier point, mais il n’empêche que maintenant je suis aussi inquiète que lui. « Pourquoi tu crois que j’ai repoussé au maximum son entrée dans ce milieu pourri ? Mais notre fille a le même caractère que nous, on en a pas fait une petite mollassonne qui subit la vie, qu’est-ce que tu veux que je te dise ! » Maintenant, il va falloir trouver une solution pour la protéger mieux que ça…

Bien sûr que je débarque en trombe chez mon ex-femme pour lui demande ce que c’est que ce bordel. Il s’agit de ma fille, je pourrais me rendre directement à Paris, là, maintenant, s’il le fallait, et par le premier vol. Autant dire mon propre avion privé. Qu’on soit clairs, je ne cautionnerais pas la jeunesse dorée de ma fille si celle-ci doit la mettre en danger. Elle veut faire partie de ce milieu, très bien, qu’elle se contente des paillettes et non pas des choses sordides qui peuvent s’y passer. Je pourrais tuer de mes propres mains le premier qui lui fait du mal et personne n’a le moindre doute là-dessus.
Je m’emporte tout seul en lui montrant la story de Maé. Elle s’agace, peut-être, je m’en fous, tout ce que je veux moi, c’est comprendre comment elle a pu se trouver une place sur ce genre de soirées. Eden sait mieux que moi à quel point il est dur de s’y faire une place, et pourtant, les jeunes filles qui en rêvent sont nombreuses. Apparemment ma propre fille en fait partie. Elle n’aurait pas préféré faire des études de médecine ou de droit ? Qui m’auraient certes coûté une blinde, mais je l’aurais su un minimum à l’abri ?
« Je sais pas ce qu’elle fout là-bas, et ne me regarde pas comme ça, j’y suis pour rien. » « Oh fait pas l’innocente, c’est tous à peu près tes potes là-bas, non ? » Je lui lance un regard accusateur. Elle connait tout le monde dans le milieu, c’est une pointure dans son domaine, et c’est d’ailleurs pour ça qu’elle m’a tant plu. C’est une femme pleine de talent, brillante et qui présente toujours deux ou trois coups d’avance. Ça ne m’a pas toujours arrangé, mais au moins je l’admirais. « Jamais ça ne t’es venu à l’esprit de les mettre en garde ? Un genre de véto sur elle ? » Pour protéger Maé. Je sais que ça doit se faire. C’est un peu comme une mafia, il y a des gens auxquels on ne touche pas. S’ils ont besoin de savoir qui je suis pour lever leurs pattes, je peux le faire.
« Pourquoi tu crois que j’ai repoussé au maximum son entrée dans ce milieu pourri ? Mais notre fille a le même caractère que nous, on en a pas fait une petite mollassonne qui subit la vie, qu’est-ce que tu veux que je te dise ! » « Tu vas rien me dire à moi, tu vas appeler tes petits copains là-bas, et leur dire de la sortir de la soirée. Ensuite on prend un avion et on va lui dire ce qu’on pense. Si on voit qu’elle compte nous la faire à l’envers, on rentre avec elle. On est ses parents, non ?! » Je ne fais jamais dans la demi-mesure la concernant, je ne peux pas. Et si je suis un peu excessif, ça n’est jamais que pour le bien de ma fille.

Je me dédouane, je n’y suis pour rien dans cette fête privée où se trouve notre fille. Premièrement parce qu’elle n’est pas majeure et que je ne lui aurai jamais autorisé une chose pareille. Je ne suis pas inconsciente ! « Oh fait pas l’innocente, c’est tous à peu près tes potes là-bas, non ? » Je suis outré de sa bassesse et ses insinuations. Enfin, ça lui ressemble après tout, il faut bien trouver un coupable et ça ne sera jamais lui. « Je n’ai pas de ‘potes’ dans le métier. » tempérais-je tout en mimant les guillemets. Je sais bien qu’il m’accuse, mais même si je suis inquiète, je sais que je n’ai rien à me reprocher. On en a longuement parlé tous les deux pour prendre la décision ensemble de laisser notre fille entrer dans ce milieu. Elle en rêvait depuis longtemps et j’ai pu lui donner cette opportunité. Mais je ne l’aurai jamais fait sans l’autorisation et l’accord de Jamie. C’est notre fille à tous les deux. Je sais que j’ai fait des erreurs sur son éducation, mais celle-ci, on l’a faite à deux. « Jamais ça ne t’es venu à l’esprit de les mettre en garde ? Un genre de véto sur elle ? » Il commence à m’énerver sérieusement. « Mais qu’est-ce que tu crois ? Je ne fais que ça à chaque fois que je la vois. Avant de la laisser partir je lui ai tenu la jambe pendant une heure pour lui expliquer qu’il fallait qu’elle fasse attention parce que c’est un milieux de faux-semblants. Elle le sait, Jamie. Notre fille n’est pas idiote. » Mais elle a aussi envie de réussir, et j’espère seulement qu’elle ne fera pas comme d’autre avant elle. Je serai capable de retourner ciel et terre pour que les gens qui lui auraient fait du mal payent pour leurs actes. Jamie lui, pourrait tuer si un homme mal intentionné touchait sa princesse. Et je ne lui en voudrai pas d’en arriver là. « Tu vas rien me dire à moi, tu vas appeler tes petits copains là-bas, et leur dire de la sortir de la soirée. Ensuite on prend un avion et on va lui dire ce qu’on pense. Si on voit qu’elle compte nous la faire à l’envers, on rentre avec elle. On est ses parents, non ?! » Toujours plus. Je soupire et réfléchis quelques secondes à une manière de faire. Je sais qu’Aria, l’agent de Rayan est à Paris en ce moment. J’y vais au culot. Décrochant mon téléphone, j’appelle la concernée et lui demande un service duquel je lui serai redevable à vie. Lorsque je raccroche, je suis en partie rassurée. « C’est bon. Elle va aller récupérer Maé, et elle m’appelle quand elle sera avec elle. » Je ne compte pas aller à Paris, mais je songe sérieusement à ordonner la présence d’un chaperon près de ma fille désormais, chaque fois qu’elle sera en déplacement à l’étranger…

S’il y a une chose que je savais en souhaitant un enfant d’Eden, c’est qu’on risquait fortement de vivre une adolescence mouvementée. Et pourquoi ? Parce qu’elle est pire qu’Eden et moi ne l’étions, parfois. Quoi que… Je mens, elle a encore un peu de marge. Mais si on prend mon adolescence, loin d’être un modèle, et celle de sa mère, franchement pas bien plus glorieuse, forcément, on se retrouve à flipper quand notre fille de 16 ans fait un pas dans le grand milieu. Je ne souhaitais pas cette vie pour elle. Je me suis toujours fortement senti impressionné par la façon dont Eden était capable de gérer tout ça. Ses relations, parfois toxiques, mais dues au boulot, et les agressions parfois simplement verbales de certaines figures du milieu. Les hommes puissants se pensent intouchables, et même si ça n’étaient que des regards ou des allusions, Eden a eu à y faire face, et je me suis toujours dis, au fond, qu’il n’y avait qu’elle pour le vivre avec autant de force. Je ne dis pas que ça ne l’a jamais atteint, mais elle a su trouver la bonne formule pour laisser cette négativité loin d’elle.
Mais Maé n’a que 16 ans et c’est un âge où tout prend d’immenses proportions. J’ai toujours eu peur de la moquerie, du fait que sa mère additionne les aventures homosexuelles, le harcèlement scolaire, les mauvaises rencontres… en somme, j’ai toujours eu peur de tout, concernant ma fille. Je suis un papa poule, je le reconnais aisément, j’ai peur en permanence. Moi qui me foutait de tous les risques, qui fonçait tête baissée dès que j’en avais la moindre occasion. Mais avec une enfant, les choses ont changé.
« Mais qu’est-ce que tu crois ? Je ne fais que ça à chaque fois que je la vois. Avant de la laisser partir je lui ai tenu la jambe pendant une heure pour lui expliquer qu’il fallait qu’elle fasse attention parce que c’est un milieux de faux-semblants. Elle le sait, Jamie. Notre fille n’est pas idiote. » « Non, pas assez, et elle est en train de nous prendre pour des cons. » Je tourne en rond, je suis nerveux. Bien sûr qu’elle nous prend pour des cons, parce que c’est une ado et que c’est comme ça que ça fonctionne. Elle nous teste, et je pense que c’est même plutôt sain. Sauf que sa crise, j’aurais préféré qu’elle nous la fasse ici plutôt qu’à Paris.
J’invective Eden sans vergognes, elle en fait autant à mon compte quand il s’agit d’une erreur que moi je commets – sauf que j’en fais tout de même beaucoup moins – tout à fait entre nous. Pour autant, elle se charge de contacter une personne présente sur Paris, et je ne sais pas de qui il s’agit. Qu’importe, du moment qu’elle a un quelconque pouvoir de persuasion sur Maé. « C’est bon. Elle va aller récupérer Maé, et elle m’appelle quand elle sera avec elle. » Je soupire de soulagement, finissant mon verre d’une traite, avant de me resservir. « On devrait quand même se pointer à Paris. Juste histoire de lui mettre un coup de pression. Et on va la faire suivre ta fille. Je vais lui coller une nounou, jour et nuit. On sait même pas ce qu’elle fait de ses nuits. » Face à la fenêtre, je divague, un verre à la main. « Ne me dis pas que j’en fais trop. Je suis inquiet, c’est tout. C’est vite arrivé. » Un homme qui fout en l’air la vie d’une jeune femme, ça arrive tous les jours, et je ne veux simplement pas que ça puisse arriver à la mienne, il y a quelque-chose de mal à ça ?

Je m’énerve, non seulement parce que Jamie a le chic pour me faire sortir de mes gonds, mais aussi parce que j’ai peur pour notre fille. Malheureusement, même si nous décidons de prendre un avion immédiatement pour Paris, nous arriverons déjà trop tard. Je dois faire quelque chose, maintenant. Alors sans attendre les jérémiades de mon ex-mari, je décroche mon téléphone et tente de joindre quelqu’un sur place. Par chance, j’y parviens, et ma fille, notre fille sera très bientôt tirée de cette soirée. « On devrait quand même se pointer à Paris. Juste histoire de lui mettre un coup de pression. Et on va la faire suivre ta fille. Je vais lui coller une nounou, jour et nuit. On sait même pas ce qu’elle fait de ses nuits. Ne me dis pas que j’en fais trop. Je suis inquiet, c’est tout. C’est vite arrivé. » Je soupire en l’entendant parler du pire. « Ça ne sert à rien qu’on aille à Paris maintenant. Elle doit rentrer après demain. Mais crois-moi qu’elle va se prendre le savon du siècle. Et si on doit trouver quelqu’un pour la chaperonner jusqu’à sa majorité, je n’hésiterai pas. » Je fais juste attention avec les idées de Jamie, il serait capable de payer quelqu’un en plus, ou avec des intentions borderline. Pas envers notre fille, parce que le premier qui la toucherait finirait probablement avec une balle dans la tête, mais on ne sait jamais. Je sais qu’il serait capable de n’importe quoi pour la sécurité de notre progéniture. Je soupire un peu et continue de scruter mon téléphone. Aria a promis de m’envoyer un message quand elle aurait récupéré Maé. Enfin mon téléphone sonne et je m’empresse de décrocher. C’est Maé qui me demande pourquoi je l’empêche de vivre. Elle a bu, je l’entends dans sa voix. Je lance un regard à Jamie, il ne faut pas qu’il sache. « On en parlera quand tu rentreras. Passe moi Aria. » L’agent me certifie qu’elle ramène Maé et son amie chez les parents de cette dernière, où Maé devait rester ces quelques jours à Paris. Je vais devoir m’entretenir avec la mère de cette gamine, pour savoir ce qui lui passe par la tête de laisser deux adolescentes sortir dans ce genre de soirée. Sortir tout court d’ailleurs. Je raccroche et m’adresse à mon ex-mari. « C’est bon, elle est en sécurité. Maintenant il faut qu’on s’accorde sur le discours qu’on lui tiendra quand elle va rentrer. » Et croyez-moi, ce n’est pas le plus évident.

Je suis hors de moi. Comment Maé peut nous la faire à l’envers comme ça ? Ah oui, elle a 16 ans. Alors je n’ai jamais été le dernier à franchir les limites, à outrepasser les règles, c’est même le plus clair de mon temps que j’emploie à ça. Contourner les législations, faire les meilleurs placements en restant dans les clous, tout en explorant les failles du système. Il faut un peu de flair, un peu de logique et surtout une bonne dose de patience. Encore que la patience ne soit pas ma première qualité, surtout concernant ma fille. La sécurité de ma fille plutôt. Je ne supporte pas le fait qu’elle se mette en danger alors que j’ai passé l’essentiel de sa vie à la protéger, de tout et de rien. Mais si c’est d’elle-même que je dois à présent la protéger, j’ai bien peur de me frotter à un mur… et je n’aime pas ça.
Je n’aime pas perdre le contrôle, et Eden le sait parfaitement. C’était une bataille de pouvoir quand nous étions ensemble, c’était surtout à celui qui parviendrait à obtenir le plus facilement raison. Quitte à passer des jours sur tout ça, sur le même détail. Nous étions prêts à laisser jouer nos égos l’un contre l’autre, sans répit, pour au final ne ramasser que des nuits sans sommeil, des disputes, mais une nuit d’amour pour se réconcilier.
« Ça ne sert à rien qu’on aille à Paris maintenant. Elle doit rentrer après demain. Mais crois-moi qu’elle va se prendre le savon du siècle. Et si on doit trouver quelqu’un pour la chaperonner jusqu’à sa majorité, je n’hésiterai pas. » « Pour nous faire chier elle arriverait à lui faire à l’envers à ce quelqu’un. » Je passe ma main sur mon front, faisant les cents pas dans la cuisine. Je serais dans cet état tant que personne ne l’aura récupérée à cette soirée. Pour nous faire chier, c’est à peu près la seule explication que j’ai à tout ça… Elle ne me fera pas croire qu’elle est naïve au point de penser que se rendre seule à ce genre de soirées est sans danger. Elle les connaît pourtant les pervers qui tournent autour des jeunes recrues, non ? Ce n’est plus tabou à présent, et Dieu Merci.
Le téléphone d’Eden se met à sonner, et je suis pendu à ses lèvres, rendu à l’observation de son comportement, qu’elle tente de minimiser, je le sens à sa façon nerveuse de marcher, de bouger, elle me cache quelque-chose. Sans doute pense-t-elle que je peux exploser, et elle a entièrement raison. Elle et moi le savons mieux que personne. « On en parlera quand tu rentreras. Passe moi Aria. » C’est donc Maé au bout du fil, il vaut mieux qu’elle gère les choses parce que si je dois avoir ma fille au téléphone, on va avoir un problème de communication non négligeable. Il faut que j’apprenne à calmer mes angoisses, mes peurs, elle a 16 ans… Justement bordel, elle n’a que 16 ans !
« C’est bon, elle est en sécurité. Maintenant il faut qu’on s’accorde sur le discours qu’on lui tiendra quand elle va rentrer. » Je vide mon verre de scotch d’un trait, et la regarde, entre le soulagement et l’affrontement. « Qu’elle n’est pas prête de voir la lumière du jour ? » Ca me paraît bien… bien qu’un peu radical mais après tout on a tenté la méthode douce… ça n’a pas marché des masses, de toute évidence. « Ecoute, je sais ce que tu penses, qu’elle est grande et au courant du danger. Pour autant, ce n’est pas d’elle dont je me méfie, mais de tout ces putains de tarés qui tournent autour des gamines, qui leur font de grands sourires et leur promettent monts et merveilles dans l’espoir de pouvoir les sauter. Et si je dois passer pour le dernier des connards pour en protéger ma fille, OK, je signe. » M’allumant une clope dans la cuisine. « Tu y vois une objection ? » Je prends tout sur moi, je m’en fous. Elle me fera la gueule un moment et ça lui passera… Je suis objectivement sans solutions et ça n’est pas mon habitude… J’ai toujours un ou deux coups d’avance, voir trois. Sauf en ce qui concerne ma fille…

Je suis prête à trouver des solutions pour nous rassurer quand il s’agit de notre fille. « Pour nous faire chier elle arriverait à lui faire à l’envers à ce quelqu’un. » Je sais que Maé trouverait toujours des solutions, à tout. Mais nous ne pouvons pas la mettre en cage non plus. Elle a seize ans, il faut qu’elle puisse vivre tout de même. Jamie est en train de devenir fou, je le connais. Il tourne en rond comme un lion en cage, et il va commencer à partir dans ses délires. Il est déjà parti se servir un verre de scotch, ça s’annonce mal. Rapidement, j’arrive à avoir ma fille au téléphone, et l’agent que je viens de missionner me file un sacré coup de pouce. Je vais pouvoir dormir cette nuit.
Maintenant, il va falloir que je discute avec mon ex-mari pour savoir comment gérer cette situation, sans partir dans tous les sens. Parce que je le connais, quand il s’agit de Maé, il n’a plus aucune conscience des choses. « Qu’elle n’est pas prête de voir la lumière du jour ? » Qu’est-ce que je disais ? Je lève les yeux au ciel d’un air dépité. On est mal barrés. Il me sort son laïus de ‘ce n’est pas en elle que je n’ai pas confiance mais aux autres’. Oui, merci. « Et si je dois passer pour le dernier des connards pour en protéger ma fille, OK, je signe. Tu y vois une objection ? » Il est dingue, je ne vois que ça de plausible. « Oui j’y vois une objection oui ! On n’enferme pas un être humain pour le protéger, même quand c’est notre enfant, Jamie ! » J’ai un problème avec la liberté, ça ne date pas d’hier. « Je sais bien que tu es inquiet, je le suis aussi, mais tu ne peux pas tout résoudre en mettant les gens dans des cages. » C’est comme ça que je me suis sentie sur la fin de notre relation, et c’est pour ça que je suis partie. Malheureusement, Maé en a payé les frais, et même si ça me fait mal pour elle, je ne regrette rien.
Je vois bien qu’il est sur le point d’exploser réellement. Je soupire et me plante face à lui, mes deux mains sur ses bras pour le faire arrêter de tourner en boucle. Je plante mon regard dans le sien et le soutiens. « Jamie, calme-toi. Elle est en sécurité. On va discuter calmement et trouver une solution pour qu’elle puisse être entourée, encadrée, mais il n’est pas question qu’on l’empêche de vivre. Je n’ai pas fait un enfant pour le garder dans une boîte. » Et si c’est son cas, alors on va avoir un gros problème.

J’avoue volontiers être hors limites, complètement parano quand il s’agit de ma fille. Devenir parent, c’est accepter de perdre une partie de soi-même, pour la donner à une tierce personne, génétiquement compatible avec vous, et qui risque de piétiner cette partie-là de vous-même, sans même s’en rendre compte. Alors je vous avouerais volontiers que je ne m’attendais pas à ce que ce soit si difficile à gérer. Déjà toute petite, ça me rongeait le ventre de l’entendre pleurer, je n’ai jamais su le faire. Je cédais, très facilement, beaucoup trop facilement. Moi qui suis d’un ordinaire rigide, suivant mon propre règlement à la lettre, rigoureusement. Il n’y avait alors plus aucune règle d’éducation, ma fille devenait une princesse, et elle l’est restée. Tout lui était dû et pourtant je n’aurais pas dû céder à tout comme ça. Mais ça me faisait sans doute plus plaisir à moi qu’à elle au final. Et j’accédais à la moindre de ses demandes, sans délais. C’était la pourrir, Eden avait raison. Mais qu’y pouvais-je concrètement ? J’étais tombé sous le charme de ma fille dès sa venue au monde. Prêt à me faire bouffer par le premier sourire.
« Je sais bien que tu es inquiet, je le suis aussi, mais tu ne peux pas tout résoudre en mettant les gens dans des cages. » C’est justement ce qui me rassurerait, qu’elle soit en cage. Mais ça, je ne pourrais de toute façon pas l’appliquer. Maé est un électron libre, exactement comme sa mère, mais le paradoxe c’est que je suis tombé amoureux d’Eden exactement pour cette raison. Parce qu’elle était libre, et belle dans sa liberté.
« Jamie, calme-toi. Elle est en sécurité. On va discuter calmement et trouver une solution pour qu’elle puisse être entourée, encadrée, mais il n’est pas question qu’on l’empêche de vivre. Je n’ai pas fait un enfant pour le garder dans une boîte. » « Alors on fait quoi si elle décide de se barrer à l’autre bout du monde avec un sac à dos ou de nous dire d’aller nous faire foutre parce que de toute façon elle fera ce qu’elle veut ? » Oui, concrètement, je suis d’accord, j’ai totalement encouragé son côté capricieux, sauf que maintenant elle a 16 ans et je m’en mords les doigts. « Ce n’est pas comme si elle était armée pour prendre les bonnes décisions Eden. Je veux bien qu’elle se plante, qu’elle se trompe de voie, qu’elle affronte un chagrin d’amour. Mais pas un monde plein de requins, une agression sexuelle ou un dealer de drogue, tu comprends la nuance ? » Je ne veux pas qu’elle se mette en danger, sciemment. Parce qu’elle sait que c’est risqué tout ça, sinon elle ne nous l’aurait pas caché. Je veux bien qu’elle prenne des risques, pas trop gros, parce que je ne serais pas au courant du moment où elle aura besoin d’être sauvée, et ça, ça me fait peur. Je suis totalement hors contrôle et surtout paralysé par la peur. « Ne me dis pas que ta vie à toi était facile Eden, quand t’as mis un pied dans le milieu. » Je sais qu’elle en a vu, et qu’elle a tout affronté, mais je sais aussi que ça n’a pas toujours été une partie de plaisir et qu’elle a eu à affronter des choses qui l’ont changée, qui ont fini de bouffer le peu d’innocence qui lui restait. Nos regards s’affrontent, mais au fond, nous voulons la même chose…

Je vois bien que mon ex-mari est inquiet, et dans ces moments là, il part dans tous les sens, et dit des choses qu’il pourrait regretter demain. Il est impulsif et ne fait rien dans la demi-mesure. C’était ce qui m’avait plu chez lui, à l’époque. Mais aujourd’hui, avec les années et l’expérience, ça a tendance à m’exaspérer. Pourtant, je sens son inquiétude profonde. Quand il s’agit de notre fille, il pourrait tuer, je le sais. Je tente de le rassurer tout en restant ferme, je n’ai sûrement pas envie qu’il prenne des décisions qui pourraient avoir de lourdes conséquences sur la vie de notre fille. Il faut que nous prenions des décisions ensemble, et c’est encore le plus difficile. « Alors on fait quoi si elle décide de se barrer à l’autre bout du monde avec un sac à dos ou de nous dire d’aller nous faire foutre parce que de toute façon elle fera ce qu’elle veut ? » Et bien, si elle décide ça après sa majorité, on ne pourra rien faire. Aujourd’hui, nous avons encore les moyens de la retenir un peu, et de créer avec elle une relation de confiance qui lui évitera les plus grosses conneries. « Ce n’est pas comme si elle était armée pour prendre les bonnes décisions Eden. Je veux bien qu’elle se plante, qu’elle se trompe de voie, qu’elle affronte un chagrin d’amour. Mais pas un monde plein de requins, une agression sexuelle ou un dealer de drogue, tu comprends la nuance ? » Je soupire en levant les yeux au ciel. Toujours plus. Et après, c’est moi qui suis dans l’exagération. « Arrête un peu. Elle était sur un yacht avec le gratin des acteurs parisiens, pas dans un ghetto à se piquer… » Je sais, je dédramatise peut-être un peu trop, tout peut arriver, mais elle n’est pas idiote, notre fille. « Ne me dis pas que ta vie à toi était facile Eden, quand t’as mis un pied dans le milieu. » ajoute-t-il, presque résigné. Je soupire un peu avant de répondre. « Je suis arrivée tard dans ce milieu, j’avais déjà les épaules pour affronter beaucoup de choses. Maé est encore jeune, mais j’ai plusieurs personnes qui veillent sur elle, je ne suis pas si inquiète. » Pas autant qu’il l’est lui, de toute évidence.
« Jamie, je sais que tu es inquiet, je le suis aussi. Mais je pense qu’une discussion suffira. Il faut qu’elle comprenne qu’on n’agit pas contre son intérêt, simplement pour la protéger. Elle est intelligente, elle comprendra. » Du moins, je l’espère, malgré la frustration. « Et si on doit l’accompagner à chaque fois qu’elle doit quitter le pays, jusqu’à sa majorité, on le fera. » En tout cas moi je le ferai, même si ce ne sera facile ni pour moi ni pour elle. Je n’ose même pas imaginer en compagnie de son père…

Je suis d’une nature un peu trop confiante d’habitude. Pour autant, aujourd’hui, face à ma fille, je me sens complètement désœuvré. Je n’ai plus de prise sur ses décisions, elle grandit, et personne n’y peut rien. Elle s’affirme aussi, et encore une fois c’est sain, mais ça se retourne contre moi… Je n’aime pas ça du tout. Je fais partie de ces gens qui pensent que leurs enfants ne grandiront jamais, qu’on sera pour toujours leur référence, leur papa, et leur repère dans ce monde de brutes. Tu parles, elle s’envole sans même demander la permission et y parviens même plutôt bien. Je ne vais pas dire que je ne suis pas fier de voir qu’elle a du cran et qu’elle prend les choses avec ferveur et convictions. Mais… encore une fois, c’est un bébé, et c’est le mien.
« Arrête un peu. Elle était sur un yacht avec le gratin des acteurs parisiens, pas dans un ghetto à se piquer… » « Non, c’est connu, la drogue, très peu pour ce milieu à la con. » Ca va, ils tournent tous plus à la coke qu’au café, et elle le sait très bien. Maé a un âge où on fait des expériences, où on tente le tout pour le tout pour s’intégrer, pour vivre pleinement et surtout pour se donner une raison d’exister. Elle est mature et a la tête sur les épaules, mais elle n’a toujours que 16 ans et la pression sociale de ces soirées est sans limites. Elle est au courant des dangers, pour autant, elle a soif de percer, et de devenir quelqu’un, ça vaut bien quelques sacrifices… Et c’est une logique qui pourrait très bien devenir la sienne…
« Je suis arrivée tard dans ce milieu, j’avais déjà les épaules pour affronter beaucoup de choses. Maé est encore jeune, mais j’ai plusieurs personnes qui veillent sur elle, je ne suis pas si inquiète. » « T’es jamais inquiète Eden, c’est bien ça le problème. » Je tourne en rond, je commence à outrepasser les limites que je me suis fixé, je ne suis plus du tout rationnel. Et j’en deviens méchant, après tout, Eden n’y est pas pour grand-chose non plus, elle lui a fait confiance, tout comme moi. Seulement elle a l’air de savoir la laisser grandir, ELLE.
Je tente de me calmer, une fois de plus, et prend place sur le canapé du salon, mon verre entre les mains. Je suis en train de passer par tout un tas de scénarios possibles. Heureusement qu’Eden maîtrise ses nerfs et une partie de la situation, si nous étions deux dans mon état, ce serait sans doute un véritable carnage. Concernant Maé, elle a toujours été l’élément le plus objectif. « Jamie, je sais que tu es inquiet, je le suis aussi. Mais je pense qu’une discussion suffira. Il faut qu’elle comprenne qu’on n’agit pas contre son intérêt, simplement pour la protéger. Elle est intelligente, elle comprendra. » « Elle a 16 ans, bien sûr qu’on va passer pour des connards. Mais ça, à la limite, je m’y étais préparé. » A devenir le parent chiant, celui à qui on en veut parce qu’il met des limites. Je ne tiens pas à avoir absolument le beau rôle, je préfère le rôle de celui qui la protège. Déplaire aux gens est une grande partie de ma carrière professionnelle. Ça ne m’effleure même plus.
« Et si on doit l’accompagner à chaque fois qu’elle doit quitter le pays, jusqu’à sa majorité, on le fera. » « Si tant est qu’elle se laisse faire… » Je ne suis plus objectif et je suis surtout épuisé par toutes ces émotions. Je soupire un grand coup et m’allume une énième clope à la fenêtre. « Je vais m’organiser, déléguer certaines choses dans le boulot. Et m’en occuper un peu plus. C’est peut-être ça qui lui manque, elle nous met peut être à l’épreuve ? » Je cherche une raison acceptable à tout ça. Et je suis clairement en train de virer, qu’on soit clairs. Je ne suis pas prêt pour ses conneries, et encore moins pour sa crise d’ado, son indépendance, à la voir devenir femme, tout ça…

« Non, c’est connu, la drogue, très peu pour ce milieu à la con. » Jamie est amer. Il est remonté, et surtout inquiet. Je le connais assez bien pour savoir que ça lui passera. Il peut s’énerver pour pas grand chose. Je ne dis pas que cette histoire ne soit ‘pas grand chose’, simplement, il finira par se calmer. Je dois juste prendre mon mal en patience. « T’es jamais inquiète Eden, c’est bien ça le problème. » Je le fusille du regard, mais il n’en a rien à foutre. Je sais de source sûre que si je réponds à sa provocation, ça ne fera qu’envenimer les choses. Non seulement je n’ai pas l’énergie pour lui gueuler dessus, mais surtout je sais que ça ne sera constructif pour aucun de nous. Et surtout, ça ne changera strictement rien à la situation. Maé est en sécurité, maintenant, il faut penser à la suite, et comment lui éviter les problèmes. « Elle a 16 ans, bien sûr qu’on va passer pour des connards. Mais ça, à la limite, je m’y étais préparé. » De mon côté, je sais que passer pour le méchant parent, le parent indigne, ce n’est pas agréable. « Si c’est dans son intérêt, il y aura bien un jour où elle finira par le comprendre. » A la différence du choix que j’ai fait de quitter Los Angeles pour New York, en laissant ma fille de côté. C’était égoïste je le reconnais, je sais aussi que Maé m’en voudra probablement toujours, et à juste titre. De son côté lui, Jamie a et fera toujours des choix pour le bonheur et la sécurité de notre fille. « Si tant est qu’elle se laisse faire… » « Elle est mineure. On a encore 5 ans devant nous pour faire en sorte qu’elle fasse le moins de conneries possible. Mais tu sais bien que plus on serre la vis, et plus elle risque de chercher à nous faire chier. » On est passés par là bien avant elle, on sait comment ça fonctionne. Tout est une question d’équilibre. Et si j’écoute Jamie, l’équilibre n’existe pas dans sa tête.
« Je vais m’organiser, déléguer certaines choses dans le boulot. Et m’en occuper un peu plus. C’est peut-être ça qui lui manque, elle nous met peut être à l’épreuve ? » Je soupire et secoue un peu la tête, les yeux rivés vers un point invisible. « Non, Jamie. Elle ne nous fait rien payer, c’est juste une adolescente qui a envie de vivre, de profiter de la vie. » Si elle avait dû faire les choses pour nous faire payer nos comportement, je sais qu’elle l’aurait fait autrement. Là, elle ne nous parle pas de ces soirées parce qu’elle sait qu’on ne serait pas d’accord. Mais quel parent le serait ? C’est juste une ado…
Je me lève pour rejoindre Jamie à la porte fenêtre, et récupère la cigarette qu’il tenait au bout de ses longs doigts, avant de tirer dessus lentement. « Arrête de chercher des raisons à son comportement. C’est une ado comme les autres, et tu n’y changeras rien. Et plus tu vas lui interdire les choses, plus elle fera pire pour cette fois te faire payer de l’avoir bridée. » Il va falloir qu’on la joue fine. Je lui rends sa cigarette et m’appuie sur la baie vitrée, croisant mes bras sur ma poitrine. « Faut que tu te détendes un peu. Depuis combien de temps tu t’es pas lâché ? » Il est temps de détendre un peu l’atmosphère parce qu’il me fatigue là…

Bien sûr que je suis amer. Je me rends compte que je perds totalement le fil avec ma fille, et ça me fait mal. Parce que j’ai cru, jusqu’à présent, que je serais le parents préféré, même si c’est salaud pour Eden. Maé et moi avons construit une relation unique, depuis le début, depuis qu’elle est venue au monde. De toute façon, je la voulais plus qu’Eden, mais là n’est pas le débat, je suis son père. Je suis son père au plus profond de moi-même, et les seules personnes à pouvoir réduire à néant toute confiance et toute certitude, ce sont ces saletés de mômes.
Eden tente de me calmer, et elle a de la patience, parce que ce n’est pas un exercice qu’elle est tenue de faire, en tout cas plus maintenant. Pourtant, elle l’a fait une paire de fois avant de me quitter. J’ai toujours été le mec nerveux qui pouvait exploser d’un instant à l’autre, dès lors que j’étais atteint. Même si avec le temps, j’ai appris à repousser mes limites et à en supporter plus que je ne le devrais. Garder la tête froide est primordial dans les affaires. Sauf que ma fille n’est pas une affaire, pas un business, et il m’est beaucoup plus difficile de rester rationnel.
« Si c’est dans son intérêt, il y aura bien un jour où elle finira par le comprendre. » « Oui quand elle sera adulte, ou qu’elle aura elle-même un môme. Mais tout à fait entre nous, j’aimerais que ce soit le plus tard possible. » Déjà je ne tiens pas à ce qu’elle grandisse, mais encore moins qu’elle connaisse cette angoisse sourde et impossible à faire taire, reliée au fait d’être parent. D’autant plus que je ne souhaite pas spécialement qu’elle gâche trop tôt sa jeunesse. Elle a le temps de fonder une famille, elle doit s’accomplir avant tout, mais en sécurité…
« Elle est mineure. On a encore 5 ans devant nous pour faire en sorte qu’elle fasse le moins de conneries possible. Mais tu sais bien que plus on serre la vis, et plus elle risque de chercher à nous faire chier. » « Je sais Eden, on était pires… » Je tire sur ma clope, pensif, et me rends compte avec un certain pincement au cœur, qu’Eden n’est sans doute pas la garce sans cœur que j’ai pu croire lorsqu’elle m’a quittée et qu’il m’eut fallu élever ma fille seul. Elle a fait un choix, sans doute pas le bon de mon point de vue, mais elle n'avait certainement pas tous les tords.
« Non, Jamie. Elle ne nous fait rien payer, c’est juste une adolescente qui a envie de vivre, de profiter de la vie. » « Alors ça a déjà commencé. Putain. » Sa crise d’ado. Je ne pensais pas qu’elle en ferait une un jour pour être honnête. J’ai naïvement pensé que ça se ferait tout seul. Une petite crise pour un nouveau téléphone, pour une heure de sortie dépassée, mais pas un test en bonne et due forme ! Elle nous nargue depuis Paris. Elle est même meilleure que nous à ce jeu-là. Peut-être aussi que ma réputation adolescente de petit con en chef en prend un coup, qui sait.
Eden vient piquer ma clope, et tire dessus à ma place. Elle est une des rares personnes que j’autorise à faire ça, ce geste si intime, et si personnel. Et elle sait le privilège dont elle jouit actuellement, elle en a toujours beaucoup joué, de ce pouvoir. « Arrête de chercher des raisons à son comportement. C’est une ado comme les autres, et tu n’y changeras rien. Et plus tu vas lui interdire les choses, plus elle fera pire pour cette fois te faire payer de l’avoir bridée. » « Tu m’excuseras, mais c’est un peu nouveau pour moi de t’imaginer en voix de la sagesse. » Petit con que je suis, je lui offre un sourire en coin, amusé, en tirant à nouveau sur ma clope pour la terminer, et en allumer une autre avec le mégot de l’ancienne.
« Faut que tu te détendes un peu. Depuis combien de temps tu t’es pas lâché ? » « En tant que père ou en tant qu’homme ? » Levant un sourcil en lui tendant la nouvelle clope. Je suis à peu près calmé, en tout cas elle m’a remis un peu en face de mes propres responsabilités, et surtout de la limite de mes pouvoirs.