do you believe in fate ? (violiza #1)

Une robe noire simple mais élégante. Voilà ce que je décide finalement de choisir dans mon dressing après avoir essayé plusieurs tenues différentes. Combinaison, pantalon habillé et chemise, tous les styles y spnt passés. Juan a plus ou moins donné son avis, de loin, en me disant que n'importe quelle tenue fera bien l'affaire. C'était pas vraiment ce que j'attendais de lui mais je vais devoir m'en contenter. Je reste sobre, classique, en rajoutant juste une touche un peu plus originale en enfilant des escarpins argentés. Les cheveux lâchés naturellement bouclés, et le tour est joué. « Il y aura qui à ce dîner ? » Lui demandais-je alors que je suis en train de me maquiller devant le miroir de la salle de bains. « Je sais pas, Sara a été plutôt vague au téléphone. » J'aime bien savoir à l'avance dans quoi je m'embarque. Surtout quand il s'agit des amis de Juan - enfin certains sont devenus les miens depuis le temps et surtout par la force des choses aussi, mais je reste tout de même un peu méfiante. Certaines de ses fréquentations restent à revoir. « On s'en fout non ? » Je hoche un peu la tête pour acquiescer. Il a raison, ça n'a pas vraiment d'importance. « Ouais on verra bien. »  Et puis, s'il y a des personnes que je ne porte pas forcément dans mon coeur, on fera avec. J'ai toujours tendance à ignorer les gens que je ne juge pas intéressant, donc qu'ils soient là ou pas, ça ne change pas grand chose. Juan finit par me presser un peu, vu l'heure, je crois que nous sommes déjà en retard. Mais ma garde s'est terminée plus tard que prévu, et ça, je ne l'avais pas vraiment calculé. Tant pis. Il faut bien savoir se faire désirer dans la vie non ? C'est une soirée, rien d'exceptionnel en soit, Sara nous acceptera même avec une petite demi-heure de retard ou plus. C'est d'ailleurs elle qui vient nous accueillir à la porte, un large sourire aux lèvres. « On s'excuse pour le retard, Eliza a traîné pour se préparer. » Il lui tend notre bouteille de vin pour compenser, alors que je lève inconsciemment les yeux au ciel. « Ne crois pas un seul mot de ce qu'il raconte. » Répliquais-je en rigolant. Elle le connait et sait très bien qu'il dit ça pour me taquiner. Je viens la saluer à mon tour, avant de me délester de ma veste et de mon sac. Juan est déjà avec les autres convives, et je ne perds pas de temps pour le rejoindre balayant du regard les quelques visages. Mais... mon coeur rate un battement lorsque je croise un regard en particulier. Son regard. Est-ce que je suis en train de rêver ? Je ferme les yeux une infime seconde, juste au cas-où, mais non. Elle est bien là, à quelques mètres seulement de moi. Sara s'approche pour faire les présentations, et mon corps se fige brusquement. Je sens mes mains devenir étrangement moites alors que je ne sais pas exactement comment je dois réagir.

« Pour ce soir… » Tu es allongée sur ton lit, le téléphone sur haut-parleur posé sur ta poitrine qui se soulève doucement au rythme de tes respirations. A l’autre bout du fil, la voix de ton amie Sara t’interrompt avant même que tu n’aies pu te confondre en excuses. « Ah non, Vi, s’il te plait, tu n’annules pas, j’ai envie de te voir ! » Tu soupires. Tu n’es vraiment pas d’humeur à être sociable aujourd’hui, un événement d’une extrême rareté, encore moins avec des gens que tu ne connais pas. Et tu sais très bien que la petite fête à laquelle tu es conviée n’est pas si petite que ça. « Mais on passe la journée ensemble jeudi ! » Tu tentes de la convaincre sans trop d’entrain, sachant pertinamment que c’est peine perdue. « Allez… C’est important. » Sans rien dire, tu fermes les yeux, puisant au fond de toi la force nécessaire. « … » Tu aimerais pouvoir – savoir, plutôt – dire non, de temps à autres, mais il tu en es tout bonnement incapable, une fois de plus. « Ok, mais juste une petite heure alors. » Elle éclate, au loin, d’un enthousiasme qui est d’ordinaire le tien et te fait promettre d’arriver bientôt, entre autres phrases que tu ne saisis pas tout à fait.

Plantée devant le miroir, tu as bien conscience de ne pas pouvoir sortir de chez toi en leggings et sweat emprunté à Hugo, même si ce n’est pas l’envie qui t’en manque. Tu soupçonnes Sara d’avoir quelque chose à annoncer – ce qui expliquerait son insistance pour que tu viennes – et ne veux pas faire tâche au milieu de convives bien apprêtés. Tu enfiles alors une robe fluide, bleu barbeau, très confortable mais tout de même élégante et peins tes lèvres d’un rouge vif. Ca fera illusion. Pour les femmes de ton âge, avoir ses règles fait partie de la routine. Ce n’est ni inhabituel, ni surprenant. Mais pour certaines, dont tu fais partie, c’est aussi le douloureux rappel d’un nouvel échec, d’une nouvelle grossesse qui ne débutera pas ce mois-ci. Tu avais pourtant un bon feeling, Hugo était certain que les planètes étaient bien alignées. Mais il faut croire que les boomers ont raison, l’astrologie, c’est de la merde.  

Tu réussis à te faire oublier, à te mettre dans un coin à siroter un coca. Tout le monde est déjà au champagne, et tu dois avouer qu’une part de toi est tentée de céder, mais tu restes sage. Tu as du mal à comprendre comment tu peux te sentir aussi peu à ta place dans un environnement qui t’est si familier. Tu as un peu l’impression de retrouver les soirées mondaines qu’organisaient tes parents et auxquelles tu étais forcée de faire bonne figure pendant tant d’années. Tu sais faire, tu en as l’habitude, et pourtant… La porte qui s’ouvre laisse entrevoir un couple. Tu t’apprêtes à tourner le regard en ne reconnaissant pas l’homme qui pénètre dans la maison, mais tes yeux croisent les siens, à elle, et tu fais un bond de plus de vingt-cinq ans en arrière. Le vent dans des cheveux en bataille. Le soleil sur ta peau. Le goût de la citronnade que vous buviez au centre équestre. Un sourire se dessine sur tes lèvres mais meurt aussitôt, alors que le flashback change de couleur. Il s’assombrit des couleurs tumultueuses de la nuit. De la sueur dans ton dos. Du cliquetis d’une alliance sur la table de chevet. Du coin de l’œil, tu devines Sara qui approche, probablement pour te présenter à celle que tu ne connais que trop bien, mais tu fais mine de ne rien voir et t’enfuis lâchement vers la cuisine. C’était ça ou les bulles.

C'était censé être une soirée comme une autre, rien d'exceptionnel en soit. Et pourtant... en une fraction de seconde, j'ai l'impression que mon existence toute entière vient d'être remise en question. Elle. Il me faut quelques instants pour comprendre que ce n'est pas le fruit de mon imagination. J'avale difficilement ma salive, fuyant inconsciemment son regard lorsque Sara commence à s'occuper des présentations. Dans ma tête, c'est le bordel intersidéral. Je ne sais pas du tout comment aborder la situation. Est-ce qu'on doit faire comme si on ne se connaissait pas ? De toute évidence le contraire amènerait son lot d'interrogations de la part des autres convives. Et ça, ce n'est même pas envisageable. Non merci. Je décide donc avec moi-même d'opter pour la facilité. Faire comme si la brune était une invitée comme les autres. Voilà, c'est simple comme ça. Enfin c'est plus facile à dire qu'à faire. La théorie est toujours plus abordable que la pratique n'est-ce-pas ? Mais finalement, je n'aurais même pas à faire semblant puisque Violet en profite pour s'éclipser dans la cuisine. Bon ok, c'est pas plus mal. Pour le moment. Je profite de ce moment de répit pour tenter de me remettre tant bien que mal de mes émotions. Le choc est violent. Comme un coup de poignard reçu en plein coeur. Et les quelques sourires que j'arrive à adresser aux autres invités sonnent faux. Je crois même que Sara a remarqué un truc. Mais heureusement, elle est trop occupée pour s'attarder sur moi. Si je peux me fondre dans la masse et me faire oublier, ça serait bien. Et pourtant, une force extérieure que je suis incapable de contrôler me pousse à la rejoindre dans la cuisine. Je suis attirée à elle comme un aimant, et je crois que ça a toujours été le cas. « Vi... » Ma voix s'enraille légèrement alors que je prononce son surnom du bout des lèvres. A l'intérieur de moi, c'est un ouragan d'émotions impossibles à expliquer. « Je ne m'attendais pas à te voir ici. » A la revoir tout court d'ailleurs. C'est juste... je n'ai même pas les mots en fait. Violet a toujours été particulière à mes yeux, et dans mon coeur aussi surtout. Mais c'est compliqué. Ça a toujours été compliqué. « Comment tu vas ? » Une question de politesse sans doute maladroite étant donné les circonstances. Mais en même temps, que pourrais-je bien dire d'autre ? Je ne suis pas forcément à l'aise. Parce qu'elle est là, juste devant moi, et que je ne peux m'empêcher de repenser à... notre dernière rencontre. Le hasard qui nous avait réuni dans ce bar. Ou le destin peut-être ? Cette nuit que nous avons partagé dans ces draps. J'essaye de garder contenance, comme si de rien n'était, alors qu'une boule vient se loger au creux de mon ventre. Il ne faut surtout pas que la soirée dérape. Juan n'a jamais été mis au courant de mon écart, et il ne doit surtout pas l'être. Mais il y a des risques. Je connais Violet, et j'ai bien peur que la tornade ne soit pas si loin. C'est pour ça que je suis venue tâter le terrain. Essayer de lui parler en catimini pour garder le contrôle de la situation. Toujours garder la face et sauver les apparences. « Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? » Elle n'a pas l'air de faire grand chose, mais ça serait peut-être moins gênant si je pouvais faire quelque chose de mes dix doigts. Préparer des toasts ou quelque chose du genre. Me rendre utile pour ne surtout pas avoir à affronter son regard. Même si l'idée de prendre mes jambes à mon cou est plus que tentante.

« Vi... » Tu ne sais pas ce que tu cherchais en venant te planquer dans la cuisine. Espérais-tu qu’elle ignore ta présence jusqu’à ce que tu puisses t’en aller en secret ? Ou plutôt était-ce cette issue, un tête à tête dans une pièce calme, que tu attendais ? « Salut. » Tu avales ton soda d’une traite, laissant le gaz te monter au nez et te vivifier l’esprit. Tu n’auras guère mieux sans briser ta sobriété. « Je ne m'attendais pas à te voir ici. » Toi non plus, c’est bien l’euphémisme du jour. Tu étais à des années lumières de t’imaginer que cet événement prendrait cette tournure précise, et si tu l’avais su… Qu’aurais-tu fait ? Serais-tu venue quand même ? Aurais-tu montré un peu plus d’enthousiasme ? Fait davantage d’efforts sur ta tenue ? Ou aurais-tu planté Sara pour rester sous la couette ? Impossible à déterminer.

« Comment tu vas ? » Pour toute réponse, tu hausses les épaules en mordant ta lèvre inférieure. Tu n’as rien de bien intéressant à dire. Oui ? Non ? Qu’importe. Quand un fantôme de votre vie passée fait irruption dans une soirée mondaine, sans avoir été annoncé au préalable, le reste semble vaporeux. Ton regard tombe, et suit tes mains qui courent sur l’îlot central en marbre. « Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? » Furtivement, tes yeux croisent les tiens, et tu plonges dans un désarroi sans nom. « D’accord. » Ta réponse n’a aucun sens, évidemment. Tu ne fais rien, tu n’as absolument pas besoin d’aide. Tu ne saurais même pas quoi lui demander. Mais quelle est l’alternative ? Dire non ? Et ensuite ? Autour de vous, des plateaux de petits fours, des caisses de vin, de la glace pour les cocktails, des bols à n’en plus finir. Tout est prêt, votre intervention serait totalement inutile. Alors tu ne bouges toujours pas.

« Mon père est mort. » Tu ne sais pas d’où ça sort. Il faut croire que tu es sacrément perturbée par la présence d’Eliza. Ton père est décédé il y a des années, et tu n’avais pas l’impression d’avoir été beaucoup plus affectée que ça. Mais visiblement, il y a des choses que tu n’as pas digérées. Les gens autour de toi ne l’ont pas connu, mais elle était là quand tu étais enfant, elle a vu le désastre qu’était ta famille, le patriarche à sa tête. Tu n’es pas particulièrement triste d’énoncer ça, mais tu as l’impression, bizarrement, qu’elle doit le savoir. Et tu finis par poser tes prunelles sur elle, penchant légèrement la tête vers la droite.

La situation est inattendue. Comme cette tornade d'émotions qui se déferle en moi à cet instant. Des émotions toutes aussi contradictoires les unes que les autres. Je ne sais pas quoi penser, je ne sais pas quoi ressentir, et pourtant, je suis là avec elle dans la cuisine. J'ai besoin de la voir, de lui parler, comme si ma vie en dépendait. Parce que c'est elle, la seule personne capable de me faire perdre pied. Elle a toujours été mon point faible, la tentation à laquelle je ne devais surtout pas succomber. On sait comment l'histoire s'est terminée... Je lui propose mon aide, un peu pour faire joli et surtout pour tenter un semblant de conversation. Alors on en est là maintenant ? S'échanger des banalités comme si nous étions de vulgaires étrangères. Mais en même temps, que pourrais-je bien lui dire d'autre ? A quel point elle a pu me manquer pendant toutes ces années ? Même si c'est la vérité, l'avouer serait totalement déplacé. A croire que c'est mieux de se contenter de ce silence un peu gênant. C'est compliqué. C'est toujours compliqué. Et la situation actuelle n'arrange rien. Je me rends vite compte que ma proposition de l'aider est ridicule. Sara a fait les choses en grand, et tout semble déjà prêt. Il va falloir trouver une autre excuse pour rester là avec elle, sans que Juan ou les autres convives se posent des questions. « Mon père est mort. » Surprise, une légère grimace vient déformer mon visage. Je ne m'attendais pas à cette révélation, balancée comme ça, de but en blanc. J'ai connu sa famille, son père en tête, et je sais ce que Violet a pu vivre. De ce côté-là, nous avons plus ou moins eu les mêmes mésaventures. Mais les seuls mots qui arrivent à s'échapper d'entre mes lèvres sonnent comme de nouvelles banalités. « Je suis désolée. » Mais l'émotion qui passe dans nos regards à cet instant est bien plus profond que n'importe quels mots. Je me rapproche inconsciemment d'elle, venant frôler sa main de la mienne. C'est un geste incontrôlé auquel je ne réfléchis pas vraiment. Parce que malgré tout ce qui a pu se passer entre nous, j'ai envie d'être là pour elle. Maladroitement peut-être mais quand même. « Ça fait longtemps ? » Je ne fais plus partie de sa vie depuis longtemps maintenant, bien que nous ayons passé une nuit hors du temps ensemble il y a quelques années. « Et toi, est-ce que ça va ? » En réalité, ce n'est pas son père ou sa famille qui m'intéressent. C'est elle, uniquement elle. Mais est-ce que j'ai encore le droit de me soucier d'elle après tout ? Ça, c'est une autre histoire. Il y a tellement de choses que j'aimerais pouvoir lui dire... mais j'en suis lâchement incapable. On en revient toujours au même point. Retour à la case départ. Comme si ma vie était un éternel recommencement. Si seulement j'avais eu suffisamment de cran à l'époque pour choisir cette autre vie qui me tendait les bras.

Pourquoi t’es-tu mise à parler de ton père ? Tu ne parles jamais de lui. Tu ne parlais déjà jamais de lui quand il était en vie, rien n’a changé depuis sa mort. Tu as cessé d’être sa princesse à quatorze ans, quinze à tout casser, et ne t’es plus jamais sentie à ta place dans cette famille depuis. « Je suis désolée. » Tes lèvres s’étirent en une moue qui se veut reconnaissante. « Ça fait longtemps ? » Une fois de plus, tes épaules se soulèvent. « Ouais... Quelques années. Ca n’a pas d’importance. » Tu le penses vraiment, tu croyais profondément être passée à autre chose, mais visiblement la présence de la brune a réveillé en toi quelque chose d’endormi qu’il faudra que tu explores. Plus tard.

« Et toi, est-ce que ça va ? » La réponse t’échappe aussitôt. « Non. » A cet instant précis, rien ne va. Tu n’étais déjà pas d’humeur à être là ce soir, mais la voir parader au bras de celui que tu présumes être son mari n’aide en rien. Malgré tout, tu te sens obligée de corriger : « Si... » Parce qu’au final, si tu prends un peu de hauteur sur les choses, tu vas plutôt bien. Tu vas surtout beaucoup mieux qu’à certains moments de ta vie. Une voix dans ta tête te crie que cette conversation n’a pas de sens, que tu ferais mieux de t’enfuir en courant, ou de te lancer dans cette confrontation que tu as tant imaginé. Mais au lieu de ça, tu es comme clouée au sol, paralysée par le magnétisme qu’elle a toujours exercé sur toi.

« Je... » Tu ne sais même pas ce que tu t’apprêtais à dire. Comment quiconque a pu croire que tu ferais un jour une avocate éloquente ? Ton frère se moquerait allègrement de toi. Tu n’as pas l’habitude de perdre tes moyens, pas autant du moins. Ca ne te ressemble pas de calculer le moindre de tes gestes, de pondérer au moindre de tes mots. C’est peut-être une Violet qu’on aurait aimé que tu sois, mais qui n’existe que dans un vague fantasme de ta mère qui a disparu quelque part entre deux cures de désintox. Alors tu ouvres les vannes et décides d’arrêter d’être raisonnable. Ou réfléchie. Tu leur préfères de loin la spontanéité qui t’est si familière. « J’ai vraiment très envie d’être en colère contre toi. » Ce serait logique, et c’est ce que tu as ressenti pendant quelques temps. Pourtant, si tu es réellement honnête avec toi-même – et avec Eliza par la même occasion – tu es bien loin de ça aujourd’hui. « Mais tu m’as trop manqué pour ça. » Tu baisses la tête, sans réaliser que tes doigts se sont machinalement enroulés autour d’une bouteille de vin qui était posée sur le comptoir, l’ongle de ton index en titillant l’étiquette.

Je ne me sens pas forcément légitime à ses côtés, et pourtant, je ne peux m'empêcher de rester auprès d'elle. Maintenant qu'elle m'a annoncé la mort de son père, c'est encore plus fort que moi. J'ai envie d'être là pour elle. Comme je n'ai malheureusement pas pu l'être pendant toutes ces années... mais je repense à notre dernière soirée, notre nuit ensemble, et mon coeur se serre violemment dans ma poitrine. Je ne sais pas vraiment si j'ai encore le droit de m'inquiéter pour elle. C'est plus fort que moi, comme une force intérieure impossible à contrôler. La même force qui me pousse à me rapprocher pour nouer ne serait-ce qu'un infime contact avec elle. « Ouais... Quelques années. Ça n’a pas d’importance. » Pour moi, si. Tout ce qui la concerne a de l'importance à mes yeux. Bien plus qu'elle ne pourrait l'imaginer. Mais ce qui m'intéresse le plus à cet instant, c'est de savoir comment elle se sent. Ce n'est pas une réponse banale qu'elle pourrait balancer à n'importe qui que j'aimerais entendre. Je veux qu'elle soit véritablement sincère avec moi. « Non. » Sa réponse est immédiate. Mais une autre arrive rapidement à sa suite. « Si... » Ok, c'est un peu confus. Mais je comprends qu'elle puisse l'être. Pour son père, et tout le mal qu'il a pu lui faire. Et pour la situation actuelle aussi : ma présence. Parce que de mon côté, je suis toute aussi bouleversée qu'elle par ces retrouvailles. Je ne m'attendais plus à la revoir. Et pourtant, c'est une scène à laquelle j'ai rêvé de nombreuses fois. De l'avoir à nouveau face à moi pour réparer les erreurs du passé. Mais... c'est toujours plus facile dans notre imagination. Maintenant que c'est bel et bien réel, je n'en mène pas large. Et la connaissant, je sens aussi dans son regard que c'est la même chose pour elle. Un nouveau silence un peu étrange s'installe entre nous, alors que je ne bouge pas pour autant. Comme si mon corps était paralysé face à elle. « Je... » Mon regard croise de nouveau le sien, et je reste pendue à ses lèvres. « J’ai vraiment très envie d’être en colère contre toi. » Ah. En même temps, à sa place, je crois que la situation serait la même. Je n'ai pas été honnête avec elle lorsque nous avons couché ensemble. Le souvenir de mon alliance que Violet avait soigneusement ramassé, ce simple mot "menteuse" écrit sur ce bout de papier. Je n'ai jamais été aussi lâche de toute ma vie, et en même temps aussi vivante aussi. Parce qu'avec elle, je n'ai jamais pu faire semblant. « Mais tu m’as trop manqué pour ça. » A ses mots, je sens une boule venir se loger au creux de mon ventre. « Je suis tellement désolée... » Je n'ai jamais eu l'occasion de lui dire. Et pour ce que ça vaut, ça reste quand même important pour moi. Je me rapproche encore un peu d'elle, mourant d'envie de la prendre dans mes bras. Je la sonde du regard, comme pour savoir si elle m'en donne l'autorisation. Mais je n'attends pas son accord pour le faire... l'envie étant bien trop forte pour y résister. « Tu m'as manqué aussi. » Que je murmure dans le creux de son oreille, profitant de cette étreinte ô combien salvatrice. Il ne faudrait pas que quelqu'un rentre dans la cuisine... la situation pourrait avoir l'air bizarre.

On t’a souvent reproché de pardonner trop facilement, de te laisser embobiner, voire même marcher dessus et de ne jamais faire payer de conséquences à tes bourreaux. C’est probablement vrai, mais toi tu vois les choses autrement. Tu crois profondément que chacun mérite une seconde chance, parfois même plus. Tu y as bien eu droit, que serait-il advenu de toi si on avait décidé que tu ne valais pas mieux que cette junkie de caniveau qui ne savait pas choisir ses fréquentations ? Non, toi tu préfères décider de voir le meilleur chez les gens, estimant que tu te remettrais toujours d’une éventuelle déception, mais qu’ils pourraient réellement avoir besoin de ta main tendue. Et puis, c’est différent avec Eliza. Il n’y a pas grand-chose que tu n’oublierais pas pour elle.

« Je suis tellement désolée... » Ses mots te font du bien. Quelque part, tu as l’impression qu’ils remontent même plus loin que votre précédente rencontre. Désolée d’avoir laissé son père se mettre entre vous. De t’avoir quittée – d’être partie plutôt, mais tu ne vois pas la subtilité. D’avoir été absente si longtemps. De s’être mariée. De t’avoir menti. De ne pas t’avoir cherchée. Tu sais que c’est déraisonnable d’en attendre autant, que ce n’est pas très juste non plus, mais tu ne dis rien, te satisfaisant de ce texte entre les lignes, juste pour toi. « Tu m'as manqué aussi. » Cette fois-ci, c’est un sourire qui étire tes lèvres et illumine ton visage, et tu lui rends son étreinte avec ferveur.

Ca dure une seconde, peut être trois ou même vingt minutes. Impossible à dire. C’est toi qui finis par vous séparer, trop consciente que vous êtes dans une cuisine qui ne se prête que peu à des retrouvailles de la sorte. « Je crois vraiment qu’il faut qu’on prenne un café un jour. » Tu regardes un instant tes chaussures plutôt que la brune avant d’ajouter : « Et qu’on parle... » Vous ne pouvez pas continuer à vous croiser par hasard et répondre à des pulsions dangereuses. « Pas ce soir. » Vous avez trop de choses à vous dire, trop d’années à éclaircir. De pourquoi, de comment, de qui et de quoi. Vous êtes restées, l’une pour l’autre, les figures adolescentes figées dans un espace-temps plus joyeux. Mais celui-ci a été balayé il y a bien longtemps et les femmes que vous êtes aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec les petites filles du centre équestre.