guiltless (ft. Kate)

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Tu as ôté les scrubs lilas du service de natalité sans trop y réfléchir. Sans pester comme d’habitude – influence incontestable de Lexa – contre le stereotype que la couleur renforce comme si on ne pouvait pas accoucher entourée de blouses blanches. Non, cette fois-ci ta tenue était bien trop maculée de sang pour que tu t’en soucies, pour que tu aies une quelconque pensée pour une chose aussi futile, finalement. Parce que c’est ce que tu te dis maintenant, que dans le grand ordre de l’univers, de la vie et de la mort, la teinte d’un vêtement informe en coton est bien insignifiante.

Tu es perdue dans ta propre tête, dans tes propres pensées, quelque peu démunie. Tu ne veux pas penser. Pas y penser. Pas te laisser l’opportunité de réaliser pleinement que c’était la première depuis… Mais tu sais pourtant que si tu joues à ce jeu-là, si tu rejettes tout en bloc et fais barrière, alors tu seras sur le fil. Et le fil est dangereux. Tes doigts se resserrent autour du quartz qui pend à ton cou, griffant distraitement la peau fine de ta poitrine au passage. Tu ne peux pas te permettre de t’écrouler, là, au milieu de l’hôpital, en pleine garde. Tu n’as pas le temps, pas le luxe d’accueillir les émotions à bras ouvert. Et très franchement, pas l’énergie non plus. Comme un réflexe nouvellement acquis, quelque chose en toi décide que le mieux est de raisonner comme le médecin que tu deviens, que tu es – enfin cette partie-là est encore floue. Et tes pas te mènent tout droit vers la morgue.

Une autopsie, dans l’imaginaire collectif, c’est quelque chose d’impressionnant, d’exceptionnel qui n’a lieu que dans des cas très précis. Toujours en lien avec la police. Des meurtres, des morts suspectes, des affaires criminelles. Mais à l’hôpital, la réalité est souvent un peu différente. Comme aujourd’hui. Le corps qui repose sobrement sur la table métallique n’est pas plus grand ni plus lourd qu’une pastèque. On ne peut même pas lui donner d’âge, véritablement, il n’a même pas eu le temps de respirer une seule fois. Et tout l’enjeu est de comprendre pourquoi. Partiellement pour vous dédouaner. Certainement un peu pour offrir un peu de paix à la famille. Mais surtout, probablement, pour faire avancer la science. Là, pour toi, dans un élan peut être vain d’apaiser la culpabilité poisseuse qui te colle à la peau depuis dix-huit ans. Si vieille qu’elle peut conduire, s’engager dans l’armée, et bientôt se bourrer la gueule pour oublier.

Les bruits de pas qui approchent te font sursauter, et tu ne peux t’empêcher de t’excuser aussitôt. « I’m sorry ! » Tu as un peu l’impression d’être une ado prise la main dans le sac, ne sachant pas vraiment si elle est en train de faire une bêtise ou non. « I don’t think I should be here… » Tu n’es jamais venue dans ce coin de l’hôpital, au sous-sol. Évidemment, tu as déjà mis les pieds dans une morgue, tu as même déjà disséqué des cadavres, lors de tes études. Mais pas là, pas à GS. Et tu ne sais pas si ça te fait froid dans le dos, d’être là, ou si tu trouves une forme de réconfort glauque à pouvoir boucler la boucle.

Le petit corps sur ta table d’examen n’en parait que plus minuscule encore. La violence de ton métier n’en est à son apogée que lorsque la peau rosée d’un enfant ou d’un nourrisson entre en contact avec le lourd métal. Bien que le détachement fasse partie de ton être depuis aussi longtemps que tu ne t’en souviennes, en ces conditions, tu as toujours cette boule au ventre qui te serre un peu plus les entrailles. Comme un rappel que tu es bel et bien humaine. Un rappel que - idéalement - ce genre de scénario n’est pas “normal”. L’imaginaire collectif ne conçoit pas ces images. Pour toi, c’est un quotidien. Ou presque. C’est une habitude trop fluide, des gestes presque mécaniques. Tu as préparé l’enfant avec délicatesse et bien plus de calme et d’aise que tu ne l’aurais jamais eu avec un bambin bien vivant. C’est peut-être là que se cachait toute la magie du grand respect que tu insufflais à ton métier et à chacun de tes patients spéciaux.

Tu t’éloignes le temps de préparer ton plateau de travail. Lorsque tu retrouves la pièce d’examen principale, une silhouette (bien vivante, cette fois) fait face au petit être. Aussitôt surprise ou dérangée par ton retour, la voix résonne et la corps s’agite nerveusement. « I’m sorry ! » Stoppée dans ton élan, tu inclines légèrement la tête du côté droit, sans un mot. Ton regard analyse et ton cerveau tente de traduire. « I don’t think I should be here… » Tu t’accroches à l’image de la tenue caractéristique de l’intruse. Rassurée dans ce qui pourtant vient chambouler tes habitudes, tu te remets en mouvement et viens déposer le plateau sur son portant, juste entre la blonde et ta personne. “Only you know that …” Réponds-tu comme une évidence aux allures pourtant terriblement énigmatique. Stranger, meet Kate !

Ta réponse, ne semble pas vraiment guider ton invitée surprise. Au contraire. Tu laisses ta lèvres inférieure rouler sous tes dents, signe d’hésitation. Le silence s’installe. Il ne te dérange pas. Il semble bien plus la mettre mal à l’aise que toi. Mais ça, tu en as l’habitude également. “Are you new here ?” Tu précises : “Do you need indications ?” Cet endroit pouvait vite se transformer en parfait labyrinthe, tant pour les patients que les étudiants. Il était statistiquement rare que quiconque ne se perde du côté de tes quartiers, mais le risque zéro n’existait pas. Observant de côté la blonde te faisant face, un nouveau silence s’installe avant que tu ne lâches ces quelques mots : “You can stay if you want.” Tu hausses les épaules alors que ton esprit s’enclenche automatiquement en mode alerte. Tu n’as aucune idée de la raison pour laquelle tu venais de lui accorder ce droit. Ce n’était pas ton style, pas tes habitudes, pas comme ça que tu faisais, pas comme ça que tu travaillais. Tu n’appréciais ni les surprises, ni les imprévus. Tout devait être posé à l’agenda préalablement. Et clairement, là, ça ne l’était pas. Alors pourquoi ?! Ton regard fuyant vient cette fois croiser celui de l’interne. Etait-ce cette aura rassurante qui t’avait poussé à ne pas la mettre dehors ? Ou était-ce l’étrange mélancolie s’échappant de sa présence, que tu venais - très étrangement pour toi - de parfaitement reconnaitre ?

“Only you know that …” Tu t’attendais à te faire jeter de la morgue comme une malpropre, que quelqu’un te dise sur un ton sec et désagréable que tu n’avais rien à faire ici, mais c’est une petite blonde qui te fait face et ne semble pas plus perturbée que ça par ta présence. “Are you new here ? Do you need indications ?” Oui… et non à la fois ? Pour l’aspect pratique des choses, tu réponds simplement : « No, thanks. » Pourtant, tout autour de toi t’est étranger, inconnu. La première étape pour y remédier est sans doute de te présenter. « I’m Meg. Dr. Barnes… Meg. » Comme toujours, tu jongles avec vingt ans d’habitudes pendant lesquelles tu étais juste Meg, ton récent changement de statut au sein de Good Sam, mais aussi cette impossible danse à laquelle tu dois te plier avec tes collègues, entre first et last name basis, surnoms et titres honorifiques.

Tu es un peu mal à l’aise, ne sachant pas trop quoi faire de ton corps et de ta personne. Logiquement, tu devrais faire demi-tour et retourner aux urgences, mais quelque chose te retient dans la pièce froide. “You can stay if you want.” Un fin sourire se dessine sur tes lèvres. Hésitant encore un instant, tu jettes un coup d’œil à ton bipeur et constates avec soulagement que personne n’a tenté de te joindre. Considérant trouver là un signe de l’univers t’autorisant à l’attarder dans les sous-sols de l’hôpital, tu fais un pas en avant et t’approches de la légiste et de sa table. « Do you know what happened to him ? » Tu ne sais pas vraiment à quelle étape de son examen elle en est, incapable même d’avoir la moindre idée du temps que le bébé a pu passer auprès d’elle. Tu as totalement perdu la notion du temps dans le feu de l’action. Malgré tout, tu te sens obligée de te justifier, alors même que la jeune femme ne t’a rien demandé. « I was the intern on the case. I guess I just wanted answers… » Beaucoup plus bas, tu ajoutes : « … and closure. » Le mensonge n’est que partiel, et encore, uniquement par omission. Ce sont effectivement des réponses et une sorte de paix cosmique que tu recherches. Simplement, cela va bien au-delà de ce cas précis.