love is a battlefield • Neela

Lorsque tu quittes enfin le bureau, il n’y a presque plus personne. Comme souvent. Ces derniers temps, c’était même un peu trop souvent. Tu regardes ton téléphone portable et constates avec malaise que tu as oublié de répondre au dernier message de Neela, il y a de cela un peu moins de deux heures. Merde ! Tu l’avais lu, tu avais ouvert l’application, débuté quelques mots, mais ceux-ci n’avaient pas été terminés ni même envoyés puisque tu t’étais très rapidement laissée distraire par un collègue et une demande bien spécifique. Tu effaces ton début de phrase pour le remplacer par une excuse et signaler au passage que tu rentrais enfin. Cette vaine tentative de sauvetage de meubles ne suffirait peut-être pas à apaiser l’énervement de ta femme mais tu serais très vite fixée.

Moteur éteint, voiture garée dans l’allée de gravillon, tu tournes avec douceur la clé dans la serrure. Tu ouvres délicatement la porte, te faufiles à l’intérieur et refermes tout aussi silencieusement. A peine deux pas dans l’entrée et l’applique du hall s’allume. Tu redresses le visage et sursautes à la vision de Neela qui venait d’allumer. Elle est appuyée, bras croisés dans l’encadrement de la porte menant au salon. “Bon sang tu m’as fait peur !” Son regard est sombre. Tu l’as parfaitement remarqué mais tu n’as pas envie de rentrer dans le jeu. Pas ce soir. Peut-être réussirais-tu à l’apaiser un peu … Tu t’approches, fin sourire aux coins des lèvres et viens simplement déposer un doux baiser sur sa joue. “Je pensais que tu dormirais déjà”. Tu enlèves ta paire de talons et grimaces lorsque tes pieds nus reprennent enfin leur position à plat sur le sol. Mélange de douleur et de soulagement que tu ne connaissais que trop bien. Tu te diriges avec automatisme vers la cuisine où tu n’allumes que la petite lampe d’appoint au dessus des plaques de cuissons. Tu ouvres le frigo, fouilles quelques secondes avant d’en ressortir un plat de restes ainsi qu’une bouteille de blanc entamée. “Je te sers un verre ?” Tentative comme une autre. Tu ne réfléchis même plus trop. La fatigue se fait sentir et tu ne tarderais pas à t’effondrer dans le lit conjugal. 


Les yeux dans le vague, je n’entends plus Caleen qui me raconte un épisode de sa journée d’école. Je crois qu’elle en est à la troisième explication. Je hoche la tête, lui adresse parfois quelques sourires, mais je suis dans la lune. Je ne devrais pas, je sais qu’il faudrait que je sois attentive à ma fille, mais je fatigue. Je fatigue parce que la deuxième maman de la petite fille est aux abonnés absents depuis si longtemps que je ne suis même plus capable de compter les jours, les semaines, les mois. Cette simple pensée me fait serrer les mâchoires. « Tout va bien maman ? » Je reconnecte avec la réalité et offre un doux sourire à ma princesse. « Oui mon amour, je suis juste un peu fatiguée. » Fatiguée de devoir me battre pour mon couple, quand je vois que la femme que j’aime - ou que je pensais aimer - ne daigne pas nous faire gré de sa présence. Les heures passent et le message envoyé à Zahara est toujours sans réponse. Je perds patience. Caleen endormie, je file droit dans le salon pour ranger un peu. Je n’ai même pas faim.

Assoupie dans le canapé, je sursaute en entendant mon téléphone qui me fait par d’un sms. Ma femme qui s’excuse de sa non réponse - une habitude - et m’assure qu’elle est sur le chemin du retour. Il est tard. Très tard. Trop tard. Lorsque j’entends la voiture dans l’allée, je me lève et allume le couloir à l’instant où elle passe la porte de la maison. « Bon sang tu m’as fait peur ! » lâche-t-elle, faisant face à mon visage renfrogné. Elle s’approche, je la laisse faire. Le baiser qu’elle dépose sur ma joue me fait plus de mal que de bien. Pense-t-elle qu’elle s’en sortira comme si de rien n’était ? « Je pensais que tu dormirais déjà » Qu’est-ce que ça aurait changé de toute façon ? « Tu aurais préféré… » que je gromèle entre mes dents serrées. La voilà qui s’éloigne en direction de la cuisine. Mon coeur serré, je sens mon sang pulser dans mes veines. Je suis remontée, et je suis sûre qu’elle le sait. Est-ce que j’ai seulement l’énergie pour une énième dispute ? Je l’entends me proposer un verre et je me décide alors à la suivre dans la cuisine. « Non merci. » Je me sens bouillir, je déteste quand elle fait comme si de rien n’était, ça me met hors de moi. Je ne suis pas une ville colérique ou violente, mais j’estime un peu plus de respect. « Ça va durer encore longtemps ? » Je vois bien qu’elle n’a pas envie de discuter, qu’elle est fatiguée. Mais moi aussi je suis fatiguée. « Caleen m’a demandé si tu serais là pour son anniversaire. Est-ce que tu te rends compte de la violence de la question ? » Il faut que je la secoue si je veux être sûre de ce qui se trame exactement.

« Tu aurais préféré… » Elle râle entre ses dents. Tu as entendu mais tu ne relèves pas, préférant lever les yeux au ciel une fraction de seconde. C’est faux. Tu aimais la retrouver, passer du temps avec elle. Tu regrettais juste l’époque où vous pouviez le faire sans vous prendre le bec pour chaque détail du quotidien.
En cuisine, elle refuse ton verre. Prévisible. Bien que tu aurais aimé qu’elle accepte pour se détendre un peu. Tu te serres un demi verre. Pas de trop. Juste de quoi faire redescendre la pression du jour et accompagner les quelques bouchées que tu t’apprêtais à avaler. Disposant une assiette peu garnie dans le micro-onde, dans ton dos, la voix de Neela reprend : « Ça va durer encore longtemps ? » Tu soupires silencieusement avant de te retourner pour lui faire face à nouveau. Son regard ne pourrait pas être plus ancré en toi. Comme vissé à ton âme. Non, ce soir, tu n’y échapperais pas. “Quoi exactement, Neela ?” Le ton est plus calme que tu ne l’aurais cru. Mais peut-être un peu plus las également. Tu te passes une main sur le visage en venant t’adosser au comptoir du plan de travail. « Caleen m’a demandé si tu serais là pour son anniversaire. Est-ce que tu te rends compte de la violence de la question ? » Cette fois tu te raidis et retrouves le contact visuel avec ta femme. L’air de rien, ton visage semble accuser le coup. Pourtant, tu ne voudrais pas lui donner à ce point raison. C’était ridicule, pas vrai ? Quelle question ?! Tes sourcils se froncent alors que déjà tu te redresses dans un soudain besoin de ne pas rester immobile. Tu ôtes ta vestes de tailleur que tu jettes sur le dossier d’une chaise. “Bien sûr que je serais là !!” Aussitôt ton esprit calcule en silence les jours et les dates, priant pour que tu ne fasses pas là une terrible erreur en mentant. “C’est une enfant, elle sait que je suis un peu occupée et sa question était surement très innocente !” Tu attrapes à la hâte ta chevelure que tu coinces en un chignon brouillon. “Tes sous-entendus le sont beaucoup moins !” Cette fois, le ton monte d’un cran. C’est automatique. Lorsque Caleen est en cause, ou que Neela ose jouer la carte de la maman, tu te sens prise au piège. Probablement car tu es toi-même emprisonnée dans ta propre culpabilité. “Je fais de mon mieux, je te l’ai déjà dit ! J’ai énormément de travail en ce moment, tu le sais très bien. Je n’ai aucune raison de vouloir manquer l’anniversaire de ma propre fille ou même de souhaiter que ma femme soit déjà au lit lorsque je rentre.” Le timeur du micro-onde t’interrompt un instant. “C’est ridicule Neela !” Ce n’était probablement pas la phrase appropriée. Le fond de ta pensée n’était nullement de renier la peine de ta femme mais la fatigue et l’épuisement (tant physique qu’émotionnelle), t’empêchait de communiquer de manière ouverte et compréhensive. D’ailleurs, c’était probablement pareil pour elle. Vous aviez perdu les codes et les manières, noyées dans un océan de non-dits et de frustrations.

Je sais que la fin de cette soirée ne va pas se passer comme elle l’aurait voulu. Mais j’en ai marre de passer toujours au second plan, et que notre fille en subisse les conséquences. Ma femme aime son travail et il est aussi prenant que chronophage. Pourtant j’aimerai qu’elle fasse des efforts, qu’elle arrive à se dégager un peu de temps pour sa famille, mais ça a l’air d’être trop demander. Je sens l’agacement dans chacun de ses gestes, je viens de l’irriter. C’était l’idée. S’il faut qu’on s’engueule alors soit. Mais au moins j’aurai l’impression d’exister un peu à ses yeux, plutôt que de jouer le rôle d’une pauvre potiche. « Bien sûr que je serais là !! » Cette année, son anniversaire tombe un dimanche. Mais même ce jour qui devrait être passé en famille, Zahara arrive encore à travailler, à avoir des déplacements ou que sais-je. Alors comment être sûre qu’elle sera vraiment là pour l’anniversaire de notre fille ? « C’est une enfant, elle sait que je suis un peu occupée et sa question était surement très innocente ! Tes sous-entendus le sont beaucoup moins ! » Nous y sommes. Il fallait bien que ça me retombe dessus. Je lâche un rire acerbe. « Il n’y avait aucun sous-entendu. Elle se demande si tu seras là pour un jour important dans sa vie. Elle ne devrait même pas avoir à se poser la question. » Je suis acerbe, et j’ai toutes les raisons de l’être. Je sens l’énervement monter dans les gestes de ma femme, j’attends qu’elle explose. « Je fais de mon mieux, je te l’ai déjà dit ! J’ai énormément de travail en ce moment, tu le sais très bien. Je n’ai aucune raison de vouloir manquer l’anniversaire de ma propre fille ou même de souhaiter que ma femme soit déjà au lit lorsque je rentre. C’est ridicule Neela ! » Cette fois elle dépasse les limites de ma propre tolérance. « Ridicule ? Ce qui est ridicule c’est que tu tentes de te rassurer toi-même, sans ouvrir les yeux sur la situation. Je sais très bien que tu as beaucoup de travail. Mais rends toi un peu à l’évidence au lieu de nier. Tu n’es jamais là ! » Ma voix commence à se serrer, parce que c’est dur à vivre. « Encore heureux que tu n’aies pas envie de rater l’anniversaire de notre fille ! » Je soupire et passe mes mains sur mon visage, mon coeur battant la chamade. « Je te demande pas de te plier en quatre pour être là pour elle autant que je le suis , on a pas le même métier, mais putain fais un effort. Trouve du temps pour elle… » Moi, c’est une autre histoire. Bien sûr que je le vis mal, bien sûr que ça me dépasse, mais ça me fait d’autant plus mal pour Caleen, parce que c’est une enfant, et qu’elle ne peut pas tout comprendre. « Mets-toi à notre place juste deux minutes. Imagine à quel point ça fait mal de voir qu’on passe toujours au second plan… » Je joue sur le corde sensible, et j’en ai conscience. Mais s’il n’y a que ça pour lui faire voir qu’il y a quelque chose qui cloche, alors j’irai droit au but.

« Il n’y avait aucun sous-entendu. Elle se demande si tu seras là pour un jour important dans sa vie. Elle ne devrait même pas avoir à se poser la question. » Tu lèves les yeux au ciel. Neela reste d’apparence plus calme que toi. Tu as presque l’impression qu’elle te nargue. Qu’elle le fait exprès. Qu’elle cherche à te piquer. Et là où ça fait mal de préférence. Pour ce soir, c’est elle qui gagne. Tu n’as ni la force, ni la patience de ne pas craquer. Non, pas aujourd’hui. Le ton monte aussitôt alors que tu fais les 100 pas dans la cuisine. Tu as besoin d’extérioriser et tu sais déjà que cela ne mènera à rien de bon. La fatigue brouille ton discours et si tu passes tes journées entières à lisser la communication des instances politiques de ton pays, tu es tout bonnement incapable de faire preuve de tact ou de communication non violente à ton retour au foyer. Le comble.
D’ailleurs, ce manque de délicatesse fini d’achever la fausse sérénité de ta femme. Elle explose à son tour. Ton visage se chiffonne sous le mal de tête qui fait son entrée. « Ridicule ? Ce qui est ridicule c’est que tu tentes de te rassurer toi-même, sans ouvrir les yeux sur la situation. Je sais très bien que tu as beaucoup de travail. Mais rends toi un peu à l’évidence au lieu de nier. Tu n’es jamais là ! » La voix de Neela se serre. Tu peux l’entendre. Contrairement à ce que ta femme pouvait croire, tu la regardais toujours. Tu la connaissais toujours par coeur. Il y avait de ces détails qui ne trompaient pas. Tu devinais ces humeurs, ses ressentis. Du moins pour la plupart. Pour ce qu’elle ne te cachait pas. L’entendre ainsi fébrile et sur le fil t’envahi d’un double sentiment parfaitement contradictoire. D’un côté, tu avais juste envie de t’énerver davantage. De crier. De lui expliquer à quel point elles comptaient toutes les deux mais que tu te sentais perdue. Que toi aussi tu avais envie de pleurer et que - d’ailleurs - il t’arrivait de le faire seule en voiture. D’un autre, tu avais juste envie de te rapprocher et de la prendre dans tes bras. Simplement. Vous faire taire l’une et l’autre. Mais tu ne bouge pas. Immobile contre le plan de travail et mains coincées à l’arrière de ta nuque qui se raidit de minutes en minutes. « Encore heureux que tu n’aies pas envie de rater l’anniversaire de notre fille ! » Elle ne relève pas le fait que tu viennes également de parler d’elle. De vos soirées qui vous échappent. Ça te fait mal. Peut-être était-ce elle qui n’en avait plus envie …

Comme épuisée et à bout de souffle, elle continue, cette fois, en baissant le volume de sa voix « Je te demande pas de te plier en quatre pour être là pour elle autant que je le suis , on a pas le même métier, mais putain fais un effort. Trouve du temps pour elle… » Moins fort mais plus sec et tranchant. Tu finis par tourner le dos à ta femme et enfin délivrer ton assiette du micro-onde. Infime répit. Elle a surement déjà refroidi. Tu attrapes une fourchette, touilles sans attention le contenu, avant de laisser le tout de côté. Plus faim. « Mets-toi à notre place juste deux minutes. Imagine à quel point ça fait mal de voir qu’on passe toujours au second plan… » Elle veut te toucher, te faire prendre conscience de ce que tu sais déjà. Et c’est là le plus douloureux. Qu’elle ne sache pas, qu’elle ne comprenne pas. Ton soupire en dit long alors que tu refais face à Neela comme un réflexe. “Au sec… Au second plan ?!!” L’énormité est telle que tu as du mal à articuler tes mots. “Mais tout ce que je fais c’est pour nous Neela ! Pour vous ! Pour assurer nos arrières. Pour qu’on puisse continuer de payer cette maison sans se serrer la ceinture. Pour que Caleen ne manque de rien. Pour qu’on puisse profiter. Pour que ….” Tu t’agites, tu t’énerves mais tu perds le fil, tu perds ton énergie. Tu te sens vidée. Tu te laisses tombée sur une chaise de la cuisine, tête entre les mains. Tu aurais presque envie de pleurer mais lorsque l’émotion est au plus haut, étranglée par la tension, rien ne sort.
Le silence vous accable un court instant. Tu redresses le visage, venant planter tes yeux dans ceux - tout aussi dépités - de Neela. Tu sais qu’elle possède une part de vérité dans ses accusations. Tu veux apporter le meilleur à ta famille mais tu aimes aussi ton job. C’est une adrénaline qui t’emporte. Sans compter qu’avec les difficultés actuelles de ton couple, tu sais parfaitement trouver de quoi respirer à l’extérieur. Tu n’avais jamais réellement été dans l’évitement mais depuis peu, tu devais bien avouer que la bouffée d’oxygène que t’apportait la vie hors de la maison, te tentait de plus en plus. Des fois, de manière dangereuse. Tu te faisais peur. Te te laissais ‘distraire’, charmer par d’autres voies … Et tu t’en voulais terriblement. Tu te détestais de pouvoir ressentir tout ça, d’arriver à en trouver d’autres terriblement attirantes alors que ta femme n’avait jamais cesser de briller. Elle était et restait magnifique.

Comme un soldat semble rendre les armes, tu annonces “Je serai là dimanche.” Fatiguée de te battre. Tu te relèves, passes devant ton assiette que tu continues d’ignorer mais attrapes ton verre que tu termines d’une traite. “Je suis épuisée de ce cirque Neela …” Cette fois plus calmement, tu prononces une vérité qui blesse et dont tu ne sais même plus quoi faire : “J’ai l’impression de te perdre … Que peu importe ce que je puisse faire ou pas, tu me glisses entre les doigts. Je ne sais plus Neela … Je suis fatiguée de tout ça.”

Je sors de mes gonds. Je ne voulais pas en arriver là, mais force est de constater que je suis sur la corde raide, et que ma femme ne m’aide pas à rester calme. Malgré la colère, je me sens aussi à fleur de peau, perdue, blessée, et ma voix en est le témoin. J’essaie de lui faire comprendre mon point de vue. Le mien, et celui de notre fille. Je l’accable peut-être de tous les torts, mais j’ai dépassé mes propres limites en terme de patience la concernant. « Au sec… Au second plan ?!! » Je crois que les chiens sont lâchés. La bête se réveille. « Mais tout ce que je fais c’est pour nous Neela ! Pour vous ! Pour assurer nos arrières. Pour qu’on puisse continuer de payer cette maison sans se serrer la ceinture. Pour que Caleen ne manque de rien. Pour qu’on puisse profiter. Pour que …. » Elle fait les cent pas, ne peut rester en place. Je la regarde s’agiter sans rien dire. Parce que le discours qu’elle m’offre n’est qu’une façade, je le sais très bien. Mon activité n’est pas en berne et je gagne pas trop mal ma vie. Certes son salaire nous permet de vivre très bien, mais si elle ne se tuait pas à la tâche, on pourrait vivre très convenablement, sans avoir à nous priver d’elle. Mais ça, elle n’a pas l’air de le comprendre, ni même de s’en rendre compte.
« Je serai là dimanche. » finit-elle par abdiquer, comme si c’était la décision la plus difficile qu’elle ait eu à prendre. Ma gorge se serre. « Je suis épuisée de ce cirque Neela … » Ce cirque ? Mes mâchoires se serrent au même titre que ma gorge un peu plus tôt. Mon coeur ne tarde pas à suivre le mouvement. Je n’ai même pas le temps de protester qu’elle poursuit. « J’ai l’impression de te perdre … Que peu importe ce que je puisse faire ou pas, tu me glisses entre les doigts. Je ne sais plus Neela … Je suis fatiguée de tout ça. ». Après ça, je n’ai plus envie de protester concernant le terme employé quelques secondes plus tôt. J’ai mal. J’ai mal de voir là où nous en sommes, et je me sens comme dans une impasse. Depuis quelques semaines, j’ai perdu l’éclat que je ressentais en moi. J’étais la plus solaire de la bande, et pourtant, c’est comme si quelque chose ou quelqu’un faisait éclipse. Comment passer au dessus de tout ça. Comment retrouver notre complicité d’antan ? « Moi aussi je suis fatiguée. Mais j’ai pas envie de te laisser fuir dans ton boulot, mettre la tête dans le sable et faire comme si de rien n’était. Si j’en avais rien à foutre je ne t’attendrai pas à des heures pareilles pour t’engueuler quand tu rentres ! » Je serai probablement déjà partie, si j’en avais rien à foutre. Mais je suis là, à me battre pour elle, pour nous, pour notre famille. Peut-être que si ça ne tenait qu’à moi les choses auraient été différentes. Mais il y a notre fille. « Tu dis que tu as l’impression de me perdre mais moi j’ai pas l’impression que tu essaies de me retenir. Au contraire. » Je suis peut-être dure, mais c’est ce que je ressens. « Je ne t’ai pas choisie pour que tu ramènes du fric à la maison, Zee. Je suis tombée amoureuse de toi, de la personne que tu es, de ce bien être que je ressentais quand j’étais avec toi. Mais tu n’es plus là. » Et comment je peux continuer d’aimer quelqu’un qui n’existe plus, ou presque plus ?

Tes mains agrippées au plan de travail dans ton dos, tu sens ton regard fatigué. Ton corps aussi. Et ton esprit encore plus. Tu te demandes ce qu’il en serait de ta soirée si tu avais accepté d’aller boire un verre ce soir. De terminer au petit bar du coin. Comme souvent en fin de semaine. C’était à la fois une idée alléchante et la pire qui soit. L’idée même que tu te poses la question n’était pas bon signe. Tu t’en veux. Tu baisses le visage en secouant légèrement la tête de gauche à droite. « Moi aussi je suis fatiguée. Mais j’ai pas envie de te laisser fuir dans ton boulot, mettre la tête dans le sable et faire comme si de rien n’était. Si j’en avais rien à foutre je ne t’attendrai pas à des heures pareilles pour t’engueuler quand tu rentres ! » La culpabilité gonfle en toi. Neela a raison. La colère est un bien meilleur signe que l’indifférence. Elle t’avoue ce que tu avais peut-être besoin d’entendre pour essayer de changer : elle était toujours là. Prête à se battre. Ne tenait-il donc qu’à toi de retrouver la hargne qui t’avait pourtant toujours habitée ? « Tu dis que tu as l’impression de me perdre mais moi j’ai pas l’impression que tu essaies de me retenir. Au contraire. » Tu te mordilles la lèvres de plus en plus fort. Quelques secondes encore et tu pourrais te blesser à sang. Le nervosité est à son comble. Dans ce tourbillon d’émotions bien que Neela touchent de justes points et particulièrement sensibles, tu ne te laisses pas mettre à terre pour autant. Toi aussi tu as des choses à dire. “J’ai pas vraiment non plus l’impression que les efforts soient aussi réciproques. Je n’ai droit qu’à des reproches, des regards noirs, de l’agacement.” Tu refuses de porter l’entière responsabilité de votre relation et de votre couple à la dérive. « Je ne t’ai pas choisie pour que tu ramènes du fric à la maison, Zee. Je suis tombée amoureuse de toi, de la personne que tu es, de ce bien être que je ressentais quand j’étais avec toi. Mais tu n’es plus là. » A nouveau, elle te bouscule dans ton émotion. Tu te tais. Tu n’as pas franchement fière allure mais tu n’as pas pour autant complètement perdu ce feu ardent qui t’avait toujours animé. Ainsi tu te redresses. Tu lâches à nouveau tes cheveux et te rapproches franchement de Neela. Tu colles ton corps au sien, glisses tes mains dans son dos et rapproches tes lèvres des siennes. “Là, je suis là !” Ton regard assuré cherche et fini par attraper celui tout à fait surpris de Neela, non sans difficulté “Tu vois … même comme ça, c’est toi qui me fuis.” Tu la lâches et t’éloignes le pas las. “Je te regarde encore Neela. Je te l’ai dis. Je pensais te le montrer mais tu n’es plus … réceptive.” Tu tournes en rond, incapable de te stabiliser plus de 5 ou 10 minutes. Il te faudrait peut-être un xanax ou un somnifère ce soir. Tu aurais tout aussi bien pu imaginer te retrouver dans les bras et les draps de ta femme mais … valait mieux ne pas trop compter dessus. “Tu as besoin de moi mais j’ai tout autant besoin de ma femme. J’ai besoin de me sentir aimée, désirée, …”

Je tente le tout pour le tout, je sais que je ne devrais pas utiliser le chantage, ou la faire culpabiliser. Mais j’ai tout essayé avant aujourd’hui, et c’est ma dernière carte à abattre, j’en ai bien peur. Je la sens nerveuse, elle a envie d’exploseur, peut-être de hurler, de pleurer, je n’en sais rien. Je préfèrerai qu’elle le fasse, plutôt qu’elle garde tout pour elle, encore et toujours. J’ai la sensation de ne plus rien savoir de sa vie, de ses journée, de ce qu’elle ressent. Je me sens étrangère à elle, et ça me détruit. « J’ai pas vraiment non plus l’impression que les efforts soient aussi réciproques. Je n’ai droit qu’à des reproches, des regards noirs, de l’agacement. » Je rêve ! J’ai tout essayé pour ne pas qu’elle s’éloigne, qu’on s’éloigne. Et elle me le reproche aujourd’hui ? C’est l’hôpital qui e fout de la charité. Je bouillonne. Je dois rétablir la vérité. Je ne l’ai pas épousée pour son argent, mais parce que j’aimais sa compagnie. Compagnie dont je suis aujourd’hui privée, parce qu’elle a choisi de donner presque tout son temps à son boulot. Et j’en ai par dessus la tête. Ma patience a trouvé ses limites, je le crains.
Mais je ne m’attendais pas à un tel retournement de situation. Ma femme s’approche, trop rapidement pour que j’ai le temps de réagir d’une quelconque manière. Elle m’attrape, me colle contre elle, et d’un seul coup une vague d’émotions contradictoires me traverse. Je suis tiraillée entre le désir qu’elle vient de faire naître, l’incompréhension, et la colère qu’elle s’y prenne de cette manière. Peut-être les trois à la fois. En même temps. « Là, je suis là ! » assène-t-elle alors que je n’ai pas eu le temps de réagir. Et puis sans attendre, elle me lâche et s’éloigne, me laissant seule avec mon désarroi. « Tu vois … même comme ça, c’est toi qui me fuis. » Qu… quoi ? Je vais exploser, je sens que je vais exploser… « Je te regarde encore Neela. Je te l’ai dis. Je pensais te le montrer mais tu n’es plus … réceptive. » Je sens la colère et l’amertume me serrer la gorge. Est-ce qu’elle a raison ? Est-ce que je ne suis plus réceptive à ses - maigres - sollicitations au point de ne même plus m’en apercevoir ? Je n’ai pas cette sensation, mais elle fait naître le doute en moi, et je déteste ça. « Tu as besoin de moi mais j’ai tout autant besoin de ma femme. J’ai besoin de me sentir aimée, désirée … » « Mais je..! » Les mots se retrouvent coincés dans ma gorge serrée. Je suis obligée de déglutir avec force pour tenter d’amenuiser cette boule dans ma trachée. « J’ai l’impression que tu me fuis. Que tu nous fuis. Que ta vie est bien mieux ailleurs, à ton boulot, avec tes collègues.. » Entre autre. « Tu ne rentres plus que pour dormir, j’en viens à me demander si tu ne préfèrerais pas dormir au boulot pour t’économiser l’énergie du trajet. » Une larme roule sur ma joue et je m’empresse de l’essuyer d’un revers de main. « Je ne sais plus quoi faire. Est-ce que ça sert à quelque chose que je me batte ou pas… » Elle me manque. Elle me manque tellement. « J’ai peur, Zee… » quelques mots, prononcés à demi-mots. Je m’approche d’elle, sans arriver à la regarder. Je tends la main vers elle pour attraper sa main, tendrement, mais avec la peur au ventre qu’elle me repousse.

Vos visages sont crispés, vos corps tendus. La douceur semble avoir définitivement quitté les lieux pour ce soir. Ton mal de tête devient de plus en plus insupportable. Tu as l’impression qu’un nerf est compressé du milieu de ton dos jusqu’au sommet de ton crâne. Tu plisses le regard. Tu te doutes que Neela ne va pas franchement mieux. Mais pour l’instant, tu te sens incapable de porter sa douleur en plus de la tienne. Sa peine. La vôtre. « Mais je..! » Ton court rapprochement ainsi que tes derniers mot semblent lui couper les siens. Tu imagines sa gorge serrée. D’autant plus lorsque tu l’observes déglutir avec difficulté. Ce silence te paralyse de peur. Ton besoin d’être aimée et désirée venait-il de t’être dérobé ? Neela se rendait-elle compte qu’elle ne pouvait plus t’apporter ce que tu réclamais ? Sur le coup, tu te sentirais presque pâlir. Peut-être même que ta femme le sent elle aussi, le comprend. Car soudainement, sa langue se délie et elle explique : « J’ai l’impression que tu me fuis. Que tu nous fuis. Que ta vie est bien mieux ailleurs, à ton boulot, avec tes collègues. » C’est à ton tour de rester muette. Une part de vérité se cache dans ce qu’énonce Neela. Et c’est terrible. Tu le sais. Tu avais déjà eu envie de passer la nuit dehors. D’oublier tout pour un instant. Que rien n’existe, que tu sois libre entièrement. Mais une fois que l’euphorie de l’imagination venait heurter ton cerveau, les images de ta femme, de ton mariage et de ta fille se mettaient à danser sous tes yeux. La culpabilité t’envahissait et tu te sentais à nouveau perdue et coincée « Tu ne rentres plus que pour dormir, j’en viens à me demander si tu ne préfèrerais pas dormir au boulot pour t’économiser l’énergie du trajet. » La fébrilité de ton épouse te fend le coeur alors que ses mots, remuant des sentiments contradictoires et désagréables, t’énervent un peu également. Bien que rapide pour l’effacer de sa joue, Neela laisse échapper une larme. Tu as toujours détesté la voir pleurer. Tu ne le supportes pas. C’est comme être témoin d’un abandon de chiot. Ton ventre se tord. D’autant plus de savoir que tu n’y es pas pour rien. Bien au contraire. Apres une courte hésitation tu as finalement un mouvement vers l’avant, prête à venir enlacer la brune. Mouvement coupé court en plein élan. « Je ne sais plus quoi faire. Est-ce que ça sert à quelque chose que je me batte ou pas… » L’onde de choc doit se lire sur tes traits tant tu ne t’attendais pas à ces mots. C'était peut-être encore innocent et présomptueux de ta part de ne pas avoir imaginé le pire … Il fallait croire que tu maitrisais la technique de l’autruche mieux qu’imaginé. La conscience encore troublée par l’aveu de ta femme, tu arrives malgré tout à articuler : “Ça veut dire quoi ça ?! Que tu serais prête à tout abandonner ?” Le son de ta voix remonte à nouveau. Une colère qui masque l’angoisse. Mais avant que tu ne puisses continuer sur ta lancée, Neela ajoute ces simples mots : « J’ai peur, Zee… » Sa voix à elle ne porte pas. Son regard rase le sol et elle s’approche. Doucement. Sa main se tend vers toi … Tu aurais pu l’attraper. La serrer. D’ailleurs, toute une moitié de toi en meurt d’envie. L’autre par contre, bouillonne. Tes sourcils se chiffonnent. “Tu as peur ?! Et moi alors ?! Tu penses que je n’ai pas peur quand je comprends que tu ne me racontes plus tes journées, que tu m’expliques à peine être tombée en panne au milieu de nul part, que lorsque je tente un geste tendre, je n’ai pas de réponse .. ?” Ta voix n’a de cesse de monter de volume. Tu n’arrives plus à te contenir. Tout se mélange. La peine et la colère. L’un et l’autre ne semblent plus faire qu’un. “Tu crois que je ne le sens pas, que je ne vois rien .. ?? Je te connais Neela. Par coeur ! Tu ne me dis pas tout. Et oui, moi aussi ça me pétrifie ! Alors peut-être que je préfère fuir mais je ne veux pas te perdre !!” Et voilà. L’explosion avait bel et bien eu lieu. Tu l’avais contenue, évitée, contournée, … mais elle avait fini par prendre le dessus. Tu as l’impression de trembler de l’intérieur. Tu as envie d’éclater en sanglots mais ton corps, trop raide et comme bloqué, ne semble pas vouloir lâcher les vannes. Tu fais les cents pas. Dans la cuisine. Cette cuisine qui te semble soudainement terriblement petite étroite. Tu étouffes. Tu descelles à nouveau les lèvres, Neela fait pareil, prête à riposter, mais une petite tête brune apparait dans l’encadrement de la porte désormais entrouverte. Le craquement du parquet t’indique sa présence. Tu te retournes et tombe nez à nez avec son petit minois effrayé. “Mama … ? Maman … ? Vous vous disputez ? S’il vous plait ne vous disputez pas …” Ton coeur explose en un million de morceaux. En cette seconde précise, tu sais que tu t’en voudrais à jamais d’avoir imprimé tel image sur la rétine de ta fille. Etant la plus proche de l’enfant, tu te précipites vers elle, t’abaissant à sa hauteur pour venir la prendre dans tes bras et la serrer contre ton corps. “Ce n’est rien mon coeur. Maman et Mama ont parlé un peu trop fort. Je suis désolée.” Tu embrasses ta fille, caressant ses bouclettes alors que ton regard vient croiser celui de Neela. Cette fois, vous aviez bien merdé toutes les deux …

Je me sens perdue. Fébrile. Mes retrouvailles avec Sana ont peut-être achevé mon questionnement. Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que si mon couple avait été au beau fixe, jamais je n’aurai pris un quelconque risque, jamais je n’aurai laissé le passé ressurgir. Revoir Sana ne m’aurai fait ni chaud ni froid, ou en tout cas, je n’aurai pas réagi de cette manière à son contact. Les choses sont différentes. Je sens que ma femme s’éloigne, et j’ai l’impression d’avoir tout essayé pour la retenir, mais rien n’y fait. Je suis lasse, lasse de l’attendre indéfiniment, de rassurer notre fille sur les intentions de sa 2ème mère. Tout ça me prend une énergie folle, et je n’arrive plus à savoir ce que je dois faire. Je suis tout simplement perdue. « Ça veut dire quoi ça ?! Que tu serais prête à tout abandonner ? » Abandonner. Je ne sais pas qui de nous deux abandonne le plus à vrai dire. Mais je préfère pour cette fois ne pas verbaliser ma pensée. JE me contente simplement de lui faire part de mon sentiment. La peur. Je tente un pas vers elle, bien consciente qu’elle peut à tout moment me repousser, ou pire m’ignorer. « Tu as peur ?! Et moi alors ?! Tu penses que je n’ai pas peur quand je comprends que tu ne me racontes plus tes journées, que tu m’expliques à peine être tombée en panne au milieu de nul part, que lorsque je tente un geste tendre, je n’ai pas de réponse .. ? » Mon ventre se tord immédiatement lorsqu’elle parle de cette panne de voiture. Parce que cette dernière me rapproche immédiatement d’une pensée vers Sana. Grosse erreur. Je déglutis, serre les mâchoires et tente de garder le cap.
Zahara commence à s’énerver, le ton de sa voix est plus cassant, elle passe d’une émotion à une autre. Son caractère n’est pas des moins houleux, mais c’est aussi ce que j’ai toujours aimé chez elle. « Tu crois que je ne le sens pas, que je ne vois rien .. ?? Je te connais Neela. Par coeur ! Tu ne me dis pas tout. Et oui, moi aussi ça me pétrifie ! Alors peut-être que je préfère fuir mais je ne veux pas te perdre !! » Qu’est-ce qu’elle voit ? Qu’est-ce qu’elle sent ? Je commence à devenir parano maintenant ou j’attends encore un peu ? Mon coeur bat si fort que j’ai la sensation qu’il voudrait quitter ma poitrine pour ne plus avoir à ressentir cette peine immense. Cette fois les larmes roulent plus volontairement le long de mes joues. « Je… » Zahara se met à faire les cent pas, quant à moi, je fais le choix de m’appuyer contre l’ilot central pour éviter de flancher, puisque mes jambes semblent ne plus vouloir me soutenir correctement. J’aimerai lui dire que je ne veux pas la perdre non plus, mais je n’en ai pas le temps. Une petite voix derrière moi me fait me redresser. Caleen nous implore de ne pas nous disputer. D’un geste rapide j’essuie les larmes qui ont coulé sur mes joues, retenant les suivantes d’imprimer à nouveau un sillon sur ma peau encore humide. Zee s’empresse d’aller prendre notre fille dans ses bras. « Ce n’est rien mon coeur. Maman et Mama ont parlé un peu trop fort. Je suis désolée. » Elle est loin d’être idiote cette enfant, et comme la plupart des enfants, elle se trouve être une éponge à émotions. Elle ressent tout, elle n’a pas besoin qu’on lui dise les choses pour savoir. Et elle sait.
Le regard de ma femme me brise encore un peu plus le coeur. Je ne sais plus ce que je dois faire. J’ai le sentiment d’être encore plus perdue. J’approche à mon tour et m’agenouille près d’elles, glissant ma main dans le dos de la petite fille, puis viens caresser ses cheveux. « Ça arrive que les adultes ne soient pas d’accord tu sais. Comme toi avec tes copains. Et puis parfois on est fatigués, et c’est plus difficile pour parler calmement. Mais on aurait dû faire plus attention pour ne pas te réveiller mon ange. » Je viens embrasser sa petite joue, alors qu’elle entoure mon cou de ses bras, faisant la même chose avec Zahara. « J’aime pas quand vous vous disputez. Et je veux pas que vous divorciez. Les parents de Luc ont divorcé il a dit que c’est nul. En plus la nouvelle femme de son père elle est méchante. » Je ne peux réprimer un petit rire amusé. « Ne pense pas au pire mon amour. Ce n’est pas parce qu’on se dispute que tu vas avoir deux affreuses belles-mères pire que celle de Cendrillon… » Est-ce que notre fille restera le ciment de notre couple ou est-ce qu’elle ne suffira plus d’ici peu ?

L’interruption de Caleen force le silence de Neela et tu ignores si tu aurais préféré l’entendre te répondre ou pas. Tu venais de soulever quelques points précis qui te pesaient sur le coeur et sa réaction dictait en elle tout un univers dont elle ne parlait pas. Son corps pourtant, lui, semblait s’exprimer à sa manière. Essuyant, d'un geste expert, les larmes ayant finalement trouvé leur chemin le long de sa joue, ta femme inspire et gonfle tant ses poumons que sa force intérieure pour ne rien laisser paraitre face à Caleen.
Elle vous rejoint. A votre hauteur, elle passe une main dans le dos de l’enfant et glisse un regard désolé tant à l’une qu’à l’autre avant de se focaliser sur la prunelle de vos yeux. S’il y avait bien une chose pour laquelle il n’y avait pas de discussion possible, c’était l’amour que vous lui portiez toutes les deux. « Ça arrive que les adultes ne soient pas d’accord tu sais. Comme toi avec tes copains. Et puis parfois on est fatigués, et c’est plus difficile pour parler calmement. Mais on aurait dû faire plus attention pour ne pas te réveiller mon ange. » Neela a toujours les bons mots. Bien meilleurs que les tiens. Surtout lorsque l’émotionnel te fait flancher. Un comble pour toi dont le métier ne repose que sur le phrasé adéquat et l’utilisation d’une communication parfaitement lissée … Tu baisses le regard et ton coeur se brise d’autant plus lorsque la petite voix de ta fille ajoute : « J’aime pas quand vous vous disputez. Et je veux pas que vous divorciez. Les parents de Luc ont divorcé il a dit que c’est nul. En plus la nouvelle femme de son père elle est méchante. » Alors que Neela ne peut s’empêcher de lâcher un petit rire, surement nerveux, tes entrailles te font de plus en plus mal. « Ne pense pas au pire mon amour. Ce n’est pas parce qu’on se dispute que tu vas avoir deux affreuses belles-mères pire que celle de Cendrillon… » Ta femme chatouille votre enfant qui décroche enfin un vrai sourire. De ton côté, l’image du pire a bel et bien traversé ton esprit. Et cette image, elle te fait froid dans le dos ! Tu n’as pas envie de faire subir cette éventuelle épreuve à ta fille. Serais-tu seulement capable de briser ta famille ? Aurais-tu les tripes d’assumer un tel engagement ? Et pourquoi au final ? Pour qui ? Ton cerveau part en vrille, mille et un scénarios se bousculent et aucun ne semble avoir vraiment de sens. Les yeux de Neela viennent à nouveau s’accrocher aux tiens alors que tu te rassures en serrant l’enfant contre toi et la couvrant de baisers.
C’est assez pour ce soir. Tu n’as plus envie de parler, de crier. Tu n’as pas envie de pleurer, ni de te remettre à réfléchir. Neela semble sur la même longueur d’onde. Tu attrapes Caleen dans tes bras qui, elle-même, tient toujours la main de Neela. Ensemble, vous gravissez les escaliers de l’étage et comme d’un accord commun et silencieux, tu déposes la petite dans votre grand lit conjugal. Neela n’installe et borde l’enfant alors que tu t’éclipses un instant, juste le temps d’éteindre en bas et d’enfiler de quoi te mettre au lit également. Apres un peu d’eau passée sur le visage, tu te glisses à ton tour sous les draps. Tu déposes un doux baiser sur la joue de Caleen déjà à moitié endormie, et dans un réflexe prouvant surement que tout n’était pas encore perdu, ta main rejoint celle de femme. Pour ce soir, vous endormirez de comme ça, liées mais pleine de peine. Aimantes mais perdues …

sujet terminé