I didn't expect to see you again one day (ft. Thiago)

L’art du tatouage est complexe et nécessite une aisance particulière à créer des œuvres uniques en fonction de la demande de sa clientèle. Thiago a toujours été particulièrement fasciné par ses artistes qui utilise la chair humaine comme une toile. Les tatouages racontent une histoire, celle que l’initiateur désire et qui vient orner son épiderme pour toute son existence. Parfois, le corps devient un livre ouvert sur l’existence de son propriétaire où il devient possible de lire les évènements majeurs qui ont échelonnés son existence. C’est ce qui l’a toujours profondément intrigué à ce sujet même s’il n’a pas encore encré son épiderme. Pourtant, depuis de nombreuses semaines, il arpente les différents studios de tatouage à la recherche d’une sensibilité, d’un artiste qui pourra produire ce motif qu’il désire marquer sur son épiderme. Un artiste qui saura user de son talent pour narrer son histoire sans la rendre trop flagrante. Il n’est pas pressé, ce qui explique qu’il arpente les salons de tatouages de Los Angeles. Il n’a pas encore trouvé dans les books des salons, la pièce qui lui fera comprendre qu’il trouvé l’artiste à qui il veut confier son histoire. Il ne perd ni patience ou confiance, profite de ses visites pour se faire connaitre, car il a un projet en tête : celle de photographier les tatouages de personnes volontaires pour les mettre en évidence lors d’une exposition. Il sait comment il faudrait organiser cette exposition, mais il va lui falloir du temps et de l’énergie pour ce documentaire photographique qu’il compte bien mener à bien. En conséquence, il ne rechigne pas sur les efforts pour se rendre dans ses salons, découvrir et échanger les différents artistes présents. Ce soir est similaire à ceux déjà passés à rejoindre les boutiques. Il se rend naturellement à celle qu’il a identifié quelques jours auparavant et pénètre dans la boutique. Il se présente naturellement à l’hôtesse d’accueil avec ce sourire chaleureux qui lui colle à la peau. Il est moins prononcé qu’il a pu l’être durant ses jeunes années, mais il a repris vie au fil des années qui se sont écoulées depuis le décès d’Ethan. Ethan, qui est le sujet de son projet personnel. Ethan, dont il veut clôturer le deuil par la symbolique d’un tatouage comme pour se prouver à lui-même qu’il ne pourra jamais totalement l’oublier, mais qu’il pourra, lui, Thiago, avancer. Il demande naturellement le book du studio pour pouvoir regarder ce qu’ils font. Comme à ses habitudes, il se montre curieux, questionne avec cette bienveillance naturelle pour en savoir plus sur les habitudes du studio. La jeune femme répond obligeamment à ses questions. Elle n’est pas avare dans ses explications tandis que Thiago feuillette les différentes pièces qui ont été produite par les artistes du studio. Thiago écoute, mais se plonge naturellement dans la contemplation des œuvres jusqu’à trouver celle dont la touche artistique fait écho à sa recherche. Thiago observe la pièce, les suivantes du même artiste d’après son avis. « Est-ce qu’elles sont du même artiste tatoueur ? » Il questionne naturellement en lui montrant les diverses pièces du doigt. « Oui, Monsieur. Elles sont du propriétaire de la boutique, mais il n’est plus "artiste" du salon, car il est pris sur d’autres projets. » Elle lui indique dans un ton navré. Il semble comprendre qu’il ne fera pas une impasse pour lui, mais il compte tout de même tentée sa chance. « Est-ce qu’il me serait possible de le rencontrer ? Je voudrais pouvoir le convaincre de produire ma pièce. » Il la questionne de nouveau, le regard franc et déterminé. « Je vais voir ce que je peux faire. Je pense que ça devrait pouvoir se faire. » Lui indique la dénommée Ann, qui se fait par la même occasion interpellée par une voix virile dont le timbre ne lui est pas étranger. Son visage se tourne naturellement vers cet homme qu’il reconnait immédiatement. Des traits à la fois similaires et si différents de ceux qu’avait Ethan. Son cœur rate un battement alors que son esprit prend conscience qu’il fait face à Zaïn, le frère ainé d’Ethan. Cet homme qui a voulu lui tendre la main à l’époque où il n’a pas eu la force de la pendre, trop dévasté par cette mort violente. Il est tellement pris de court par cette découverte qu’il en perd ses mots et demeure muet face à son appellation. Il lui faut une petite minute pour sortir de sa torpeur. « Salut… » Il lâche faiblement alors que le maître des lieux semble prendre l’échange en main. Il le suit obligeamment dans son bureau, encore hagard par cette découverte alors qu’il s’efforce de reprendre un peu contenance. Il déglutit, ses doigts autour de sa besace qu’il porte autour de son cou. Simplement vêtu d’un pull et d’un jean légèrement déchiré, style à la mode et affublé d’un bonnet sur son épaisse chevelure, il vient se défaire de son bonnet alors qu’ils se retrouvent dans l’intimité du bureau. Il sent que Zaïn est tendu. Cela s’entend dans le timbre de sa voix. Sous le regard de Zaïn, il a la sensation de redevenir ce jeune garçon, tout fraichement sorti de l’adolescence et qui faisait face à la dure réalité et les conséquences de la perte d’un être cher. « Effectivement… » Il lâche dans une voix encore faible alors qu’il s’intime à inspirer profondément avant d’ajouter. « Désolé. Je ne m’attendais pas à te voir ici. Je suis quelque peu perturbé par cette découverte. Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vu… » Il lui indique dans un ton qu’il s’efforce de rendre plus naturel, moins tendu. Il évite de préciser que la dernière fois que leur route se sont croisés, c’était lors des funérailles précaires d’Ethan, payés majoritairement par cet homme et le père de Thiago, qui avait été sensible au destin de son petit-ami. « Cela fait des années maintenant. Comment vas-tu ? » Il le questionne alors dans un sourire amical alors qu’il vient s’asseoir sur la chaise située face à son bureau. « Tu sembles aller bien et si je comprends bien, cet endroit t’appartient ? » Il questionne dans une voix légèrement tremblante. C’est perturbant de faire un bond en arrière alors qu’on veut avancer, de redevenir cet adolescent alors qu’il est désormais un jeune homme. Pourtant, cela ne le surprend guère de découvrir qu’il est celui dont l’art a fait écho au sien. Il est assurément la personne la mieux placé pour créer sa pièce… en hommage à Ethan.

Le trouble est conséquent et naturel. Il a la sensation que cela fait une éternité qu’ils ne sont pas vus et en même temps que c’était hier. Les six années écoulées lui semblent avoir été à la fois longues et courtes. Ce paradoxe est toujours aussi déstabilisant, quand bien-même il l’a expérimenté à de nombreuses reprises. Ils demeurent égaux à eux-mêmes, maladroits et mal à l’aise l’un avec l’autre. Le fantôme d’Ethan plane entre eux comme un voile qui les empêche réellement de le dissocier de cette âme perdue. Le détachement de Zaïn lui rappelle celui qu’avait Ethan lorsque jeune adolescent, il croquait la vie à pleine dents, malgré un quotidien compliqué avec son géniteur. Similaires et si différents à la fois. C’est un constat qu’il se fait alors que le frère ainé de son défunt ex-petit ami s’installe à son bureau, en véritable maître des lieux. Son ton demeure égal à celui qu’il lui connait. Il l’écoute attentivement, prend en notes ces éléments qu’il lui dévoile au fil de ses paroles. Il a tiré son épingle du jeu sans se perdre en cours de route et c’est une très bonne chose. Thiago en est ravi et songe qu’Ethan aurait pu l’être également s’il avait pu être parmi eux. Cette pensée lui arrache un sourire mélancolique sans qu’il s’en rende réellement compte. L’annonce de la paternité de Zaïn l’arrache de sa réflexion. Il est surpris par cette découverte sans qu’il n’y ait réellement de raisons. Six ans ce sont écoulées et Zaïn fait partie de cette tranche d’âge où l’arrivée d’un enfant est une bénédiction et une formalité dans le rythme de son existence. Sa manière de l’aborder lui arrache un rire sincère. « Elle te va bien la rubrique "stabilité". » Il lui indique dans un sourire plus détendu. « Félicitation pour cette naissance ! Est-ce un garçon ou une fille ? Cela veut dire que tu es en couple ? » Il le questionne sans prendre conscience que sa curiosité est piquée à vif. Il se pince la lèvre et glisse sa menotte dans sa nuque. « En tout cas, c’est vraiment bien que tu puisses continuer à vivre de tes passions. C’est essentiel. En plus, tu as du talent. Enfin, pour les tatouages, c’est sûr et pour la musique, j’ai le souvenir que tu étais un dieu sur scène avec ta guitare. » Il lâche dans un petit sourire amusé alors qu’il se redresse sur son siège. « D’ailleurs, j’étais à la recherche d’un tatoueur qui aurait une sensibilité qui me conviendrait dans son style pour une œuvre personnelle. Et je suis tombé sur une de tes œuvres… » Il lui indique pour aborder le sujet. Il ne rebondit pas sur sa situation, car son introversion rend l’exercice compliqué. Il s’efforce juste de lui montrer qu’il a avancé de son côté, qu’il n’est plus le jeune garçon sortit de l’adolescence qui a perdu son amour d’enfance et homme de sa vie. Les derniers mois n’étaient pas rose entre eux, mais l’affection qu’il avait pour Ethan était sincère et profonde. Bien assez profonde pour l’empêcher d’aller de l’avant au cours des six années passées avant cet été où il avait rencontré Basilio, qui lui a insufflé un nouveau souffle emplit de liberté. Aujourd’hui, il recherche de nouveau ce sentiment de liberté et pour cela, il doit tirer un trait sur cet amour perdu. Pour cela, rien de mieux qu’une œuvre à même sa peau pour le garder éternellement en lui, mais sans vivre avec son ombre pour embraser l’instant présent, la vie. Et pour cela, il a besoin du talent de cet homme, qui est ironiquement le frère ainé de cet homme. Mais qui mieux que lui pourrait le comprendre, mettre en image, ce qu’il veut garder de cet homme qui a partagé une grande majorité de sa vie ? Personne. Indirectement, en laissant sa phrase en suspens, il lui laisse la possibilité de comprendre où il veut en venir, de poser des questions ou de simplement évincer sa demande. Quelle voie prendra-t-il ?

Il est né, il y a six ans, après que… Il ne l’invite pas à préciser sa pensée, car il a pleinement conscience de ce qui est sous-entendu. Cette disparition commune demeure un sujet qu’ils doivent peu aborder, car cela les renvois à un passé difficile à accepter et à surmonter. En tout cas pour Thiago la traversée du désert a été difficile. Il commence à voir le bout du tunnel, mais ce n’est pas encore toujours le cas. Même s’il ne se ferme pas à de nouvelles relations avec les hommes, il demeure particulièrement réticent à s’engager affectueusement. Basilio avait réussi cet exploit, car il était cette lumière qui lui avait permis d’avancer. Désormais, il pense pouvoir avancer seul pour trouver son propre bonheur, mais pour cela il se doit de tirer réellement un trait sur son passé et quoi de mieux qu’un tatouage à même sa peau pour l’ancrer à son existence sans lui donner la possibilité de contrôler son existence. C’est en tout cas, le pari que le jeune photographe souhaite prendre. D’où sa présence dans le bureau de Zain, qui se trouve être ironiquement le grand frère de cet homme disparu… Un père célibataire contrairement à ce qu’il envisageait d’un petit Finn, qui s’applique à lui offrir une existence la plus équilibrée, ce qui est tout à son honneur. L’échange se poursuit sur la vie professionnelle de Zain. Il est totalement en accord avec ce qu’il dit. Thiago ne pourrait résolument pas s’enfermer dans un métier qui ne l’inspire pas. Il aime les deux composantes de son existence : les enfants handicapés et la photographie. Il est certain qu’il abandonnerait son statut d’éducateur si sa carrière en tant qu’artiste photographe décollait, mais il est pleinement heureux dans l’état actuel des choses. Il profite de cet instant pour lui soumettre sa demande. Il ne va pas droit au but, car il ne sait pas comment aborder la chose, mais il semblerait que Zain ne lui en laisse pas vraiment le choix. Il lui demande d’aller droit au but, qu’il n’a pas besoin de prendre des gants avec lui. Il semble à mil lieux de croire que sa demande puisse le troubler ou lui paraitre saugrenue. Peut-être a-t-il plus facilement fait son deuil ? A moins que ce soit une façade qu’il s’intime à avoir ? Quoi qu’il en soit, le voici au pied du mur à devoir verbaliser une demande dont il n’a pas encore tous les aboutissants. On peut lire dans son regard que le trouble l’assaille. Une nervosité s’embarre de ses membres alors qu’il s’efforce de trouver une position plus confortable, en vain. Un soupir finit par s’extirper de ses lèvres alors que ses prunelles retrouvent celle du tatoueur. « Désolé, ma demande est encore confuse. » Il admet dans une voix un peu moins posée qu’auparavant. « Je cherchais désespérément un artiste dont la touche pourrait convenir à ce que je recherche. » Il lui indique alors qu’il vient glisser une main dans ses cheveux. « C’est délicat à aborder, surtout avec toi. » Il admet dans un ton humble alors qu’il est certain qu’il aurait émis moins de réserve à l’exprimer devant quelqu’un d’autre. Le silence accueille la fin de ses propos. Il se masse la nuque pour tenter de trouver ses mots. Peut-être qu’il devrait être franc lui aussi, mais il est vrai que ce n’est pas toujours simple pour une personne aussi introvertie dans ses émotions que lui. « Je n’ai toujours pas réellement tourné la page par rapport à ce qu’il s’est passé… au décès d’Ethan… ça a été difficile pour moi ces dernières années. J’ai manqué de me laisser mourir. C’est ma passion pour la photographie qui m’a sauvé de ma léthargie. Même si j’ai la sensation que je reprends gout à la vie, il y a toujours cette part d’ombre dans mon existence, cette culpabilité d’aller de l’avant. J’ai besoin de m’en défaire, de porter sur moi une marque qui pourrait lui faire comprendre qu’il fait toujours partie de moi, mais que je dois avancer sans lui. Quelque chose de discret, rien d’exubérant, mais qui lui correspondrait, nous correspondrait. Et ce projet, j’aimerai le travailler avec toi, si tu es d’accord, car c’est ton style qui m’a interpellé… » Il lui indique humblement en plongeant son regard dans le sien. Celui-ci est plein d’espoir, mais fébrile, car un refus de sa part le contraindrait à chercher quelqu’un d’autre après avoir trouvé l’artiste qu’il veut. Il ne le souhaite pas, car il ressentirait toujours une frustration, mais il a conscience qu’il ne peut rien lui imposer. Encore plus dans la conjoncture actuelle où il risque de le renvoyer envers son propre deuil.  

Thiago s’intime à exprimer sa demande tout en sachant qu’il va mettre l’artiste tatoueur en mauvaise posture. Leur histoire commune est reliée à un évènement qu’il n’est jamais aisé d’aborder. La perte d’un être cher condamne l’âme à vivre avec des remords. Est-ce qu’on a réellement pu vivre tout ce qu’on pouvait avec cette personne ? Et si on avait agi autrement, est-ce que cette perte serait moins douloureuse ? Pour Thiago, c’était dix ans de son existence qui avait été balayée comme un véritable ouragan. On lui avait arraché, son frère, son meilleur ami, l’homme de sa vie. À cette époque, Thiago était persuadé qu’il aurait fini sa vie avec lui-même si les derniers mois avaient été tellement compliqués. La dépendance d’Ethan aux substances illicites l’avait singulièrement changé. Il était devenu si sombre, si injuste dans ses propos à son égard et pourtant, il ne l’avait jamais lâché. Il avait fait de son mieux avec ses pauvres ressources pour l’aider à se sortir la tête hors de l’eau, sans y parvenir, jusqu’à qu’il soit trop tard et que la mort ne lui arrache cette âme qu’il avait chérie une majorité de son existence. Pas même l’océan n’avait pu sauver l’âme d’Ethan. Aborder cette période demeure pénible pour le brésilien. Il revoit défiler ces derniers mois où il était le seul à lutter contre la dépendance de son petit-ami, où il encaissait de plus en plus difficilement ses remarques acerbes tant elles lui remuaient les tripes, jusqu’au jour où le silence avait accueilli ses appels et qu’un seul appel ne bascule à tout jamais son existence. Ses souvenirs, il ne pourra jamais s’en dérober. Ils font partir de lui et ils ont forgé l’homme qu’il est devenu. Cela n’a pas été simple. Il a dû apprendre à vivre sans son acolyte, sans cet être qui avait toujours marché à ses côtés. Il avait manqué de se perdre, de laisser les abysses l’emporter avec Ethan. Son père s’était acharné pour l’extirper de ses ténèbres et avait fini par lui offrir une voie qu’il n’avait plus qu’à se saisir. Zaïn a dû également vivre avec des émotions troublantes qui ont dû le tourmenter. Ethan était son frère, son cadet, celui qu’il aurait voulu protéger contre le monde entier, sans y parvenir. Thiago a conscience que la blessure n’est pas totalement cicatrisée pour Zaïn également. Il le perçoit dans la lueur de son regard, reflet de son âme, tout comme dans la tension qui prend place dans ses muscles, lui confèrent une attitude bien plus bourrue qu’en accoutumée. Thiago laisse le silence accueillir la fin de ses propos alors que l’artiste tatoueur lui tourne le dos, fumant une cigarette. Il sent sa respiration plus lourde dans sa poitrine, parce que parler de cette période éveille naturellement sa fébrilité, ces remords qu’il ne peut s’empêcher de ressentir. Il se perd dans ses pensées, perdant la notion du temps et de l’espace. C’est la voix profonde bien qu’hésitante de Zaïn qui le ramène à l’instant présent. Il accepte de travailler sur ce projet si c’est ce qu’il veut. Thiago hoche la tête dans un signe de remerciement, car il ne trouve pas la force de l’exprimer à haute voix, sans que sa voix flanche. Cette réponse lui permet de retrouver son souffle, comme si durant cette pause dans leur échange, l’air s’était raréfié. Thiago l’observe reprendre place à son bureau pour s’emparer d’un papier et d’un stylo. Il le questionne s’il a déjà réfléchi à son tatouage. Thiago déglutit pour tenter d’amoindrir cette tension dans son épiderme. Sa menotte vient s’immiscer dans sa nuque alors qu’il se racle la gorge pour reprendre contenance. « Oui. C’est encore flou dans le rendu, mais j’ai une idée plutôt claire de ce que je voudrais… » Il lâche dans un ton qui se veut plus assurer alors qu’il avance son corps vers le bord de sa chaise pour pouvoir mieux voir le bout de papier. « J’avais envisagé une vague. En rappel au surf. Quelque chose de discret, ressemblant à un battement de cœur qui n’a ni début ni fin... » Il lui indique en inspirant profondément. « Peut-être sous un ciel étoilé, composé de seize étoiles. Pour chaque année où il a fait partie de ma vie dont une qui file vers l’infinie. Comme une fin à mon deuil pour un autre voyage. » Il murmure dans une voix légèrement blême, car il prend conscience qu’une fois que le dessin sera finalisé et concrétisé sur sa peau, il devra réellement tourner la page. C’est ce qu’il veut, mais alors qu’il voit des traits se dessiner sur le bout de papier, son premier réflexe et de fuir, tant il a la sensation qu’il le fera mourir une seconde fois. C’est sans doute idiot, mais à cet instant, cette pensée lui implose en plein visage. « Je peux te prendre une cigarette ? » Il le questionne alors qu’il accède à un bâtonnet de cigarette qu’il glisse entre ses lippes. À son tour, il se lève pour l’embrasser et rejoindre la fenêtre pour fuir le regard de Zaïn et ses propres émotions qui menacent de le submerger.

Thiago, tu peux compter sur moi, d’accord ? Il se rend compte qu’il n’en a jamais douté, mais quand on est adolescent, on a toujours tendance à se croire plus fort et qu’on est capable de se relever tout seul. Pour peu qu’on le veuille. On y arrivera toujours. Cela n’avait pas été le cas de Thiago. Il avait eu envie de mourir. Il n’avait juste pas le cran d’aller au bout de sa manœuvre. Il avait préféré mourir à petit feu puisque de toute manière son âme avait disparu à l’annonce du décès d’Ethan. La suite n’avait été qu’un profond brouillard duquel il avait eu du mal à s’en sortir. C’est son amour pour son père qui l’avait soutiré de sa léthargie, lorsque ses larmes de désespoir avaient effleuré une brindille de son âme, qui ne s’était pas totalement éteinte. Repenser à tout cela le rend fébrile. Sa gorge se fait sèche alors qu’une boule s’invite dans son ventre. Il laisse la nicotine envahir son organisme tel le doux poison auquel il était dépendant lors de son adolescence. Un poison qui avait conduit les adolescents à succomber à l’appel d’autres. Thiago était promis à un grand avenir. Il avait été entouré par son père qui l’avait détourné du mauvais chemin, mais Ethan était resté seul, embourbé dans son mal être au point de s’oublier, d’oublier la beauté de leur amour. Sa respiration se fait lourde. Il a du mal à trouver le bon rythme pour chasser ses émotions qui viennent prendre le contrôle de son épiderme. Il demeure silencieux, mais c’est un véritable ouragan qui s’opère en lui. Les vieux souvenirs l’assaillent, lui lacèrent les tripes. Le contact de la menotte de Zain contre ses cheveux est doux et douloureux à la fois. Il est le rappel d’une main qui se perdait naturellement dans ses cheveux. Ethan aurait ressemblé à Zain si la drogue ne lui avait pas arraché sa raison et sa jeunesse. « Il te ressemblait. » Il lâche dans un murmure. Juste une évidence à cet instant qui vient frapper son esprit. Ce n’est pas Zain qui ressemble à Ethan. Ethan ressemblait à son frère. Une histoire commune, mais avec des finalités différentes. Zain est l’image qu’aurait pu devenir Ethan. Un homme qui s’est battu contre ses démons, son passé pour construire sa propre histoire. Le silence s’installe naturellement et le temps défile sans crier garde. La nuit s’abat sur la ville et la pénombre semble débloquer des confidences qu’il n’a jamais réellement exprimer. Lorsque Zain retourne à son bureau et s’empare du crayon pour tracer les esquisses de son œuvre, la langue de Thiago se délit. « Mais lui n’a pas pu tourner la page. » Il avait beau grogner que ses parents pouvaient pourrir en enfer, il y avait cette cassure, ce sentiment d’abandon qui l’a entrainé plus bas que terre. Et pas même leur amour n’avait pas pu l’extirper de ce sentiment nocif. « Je n’ai pas pu le sauver. » Il lâche comme une évidence, dure à avaler. « Je n’étais pas suffisant pour lui. » Il ajoute comme s’il sème des cailloux pour tracer un chemin dans le champ de mine dans lequel son âme était plongée. « Je n’ai rien pu faire. » Il ajoute difficilement. « Jour après jour, je l’ai vu disparaitre, devenir un autre homme, ne plus être celui que j’aimais de toute mon âme. Il était l’homme de ma vie. Il le sera toujours. Il était mon frère, mon meilleur ami, mon amant. Il était ma vie. Il était tout ce dont j’avais vraiment besoin, mais je n’ai rien pu faire pour le sauver. Le sauver de lui-même, de sa folie, de sa violence destructive. » Il ajoute dans un murmure presque inaudible tant son ton est lointain. « J’avais juste la sensation qu’il revivait lorsqu’il montait sur sa planche de surf, affrontait ses vagues chéries. Il était tellement lui à ces instants, mais le spectre de l’addiction était là, sournois, suffisamment persuasif pour qu’il concède de vendre sa planche lorsque j’ai refusé de lui donner de l’argent, d’acheter sa came et de le soutenir dans sa folie. A partir de ce jour, il est devenu un autre. Un autre qui ressemblait à celui que j’avais connu, mais qui n’était plus qu’une pale copie. Une pale copie que je n’arrivais pas à abandonner, mais qui m’entrainait dans sa spirale infernale. Jusqu’à la dispute de trop, ce silence qui a duré que quelques jours, mais qui a sonné la fin de tout. De notre monde. Du mien. Une partie de moi est morte ce jour-là. Il avait peur que je l’abandonne, mais finalement, c’est lui qui m’a abandonné et encore aujourd’hui, je vis avec son fantôme. Il suffit que je baisse la garde quelques instants pour que tout revienne. Voyager avec mon appareil photo a été ma porte de sortie des ténèbres. Un moyen de voir le monde sous un autre jour, un autre regard. Petit à petit, j’ai recommencé à apprécier les petites choses de la vie, à me reconstruire. Aujourd’hui, je vais mieux. J’ai appris à avancer, à accepter le passé, mes frustrations et à trouver la force de ne pas y faire face de nouveau. Faire ce tatouage est une étape indispensable. L’ancrer à ma chair, qu’Ethan fasse partie de moi, mais pour pouvoir l’évoquer comme un souvenir. Un souvenir de ces belles années passées à ses côtés, pas les plus sombres pour pouvoir être heureux, parce que je sais qu’au fond c’est ce qu’il voudrait pour moi, comme pour toi. » Il conclut, le souffle court, comme s’il avait affronté un marathon. Il se rend compte qu’il a dit de nombreuses choses. Des éléments qu’il n’a dévoilé qu’à une seule personne à son jour avant Zain. Il finit par se retourner vers l’artiste, ce seul membre de sa famille qui a pleuré sa perte et qui lui tend une feuille, mettant en évidence ce qui était dans son esprit, y apportant sa touche. Ce regard constitué d’étoiles, telle une constellation, mais qui ne le trompe pas. C’est son regard, à lui et cette pensée fait exploser ses émotions. Ces prunelles se voilent d’une émotion profonde alors qu’il prend le dessin entre ses mains et le détail. Il est parfait. L’esquisse semble totalement refléter ce qu’il avait à son esprit. Il se contente de hocher la tête dans un signe d’assentiment, car il ne se sent pas capable de s’exprimer. Sa voix serait rauque tant l’émotion le prend aux tripes. Il s’intime à inspirer profondément pour amoindrir cette montée d’émotion. « Merci, il est parfait. » Il finit par murmurer dans une voix qui laisse transparaitre l’émotion bien ancrée au sein de sa poitrine. « Tu lui as apporté la note que je voulais sans même le savoir. » Il poursuit alors qu’il n’ose pas détacher son regard du dessin sous peine de laisser ses émotions prendre le dessus. « Sur mon torse, au niveau du pectoral gauche. » Il indique dans un ton absent, happé par ce dessin qui se concrétise vraiment. Il est quelque peu sonné, mais profondément reconnaissant et il vient naturellement lui presser le bras pour lui signifier ces émotions. Il concède même à le regarder droit dans les yeux, un sourire ourlant ses lèvres, tremblant, mais reflet des émotions vivaces qu’il ressent à cet instant précis à cette page qu’il est sur le point de tourner.

Les aveux s’expulsent de ses lèvres sans crier garde. Il n’en prend pas conscience. L’émotion qui l’étreint est si vive qu’il ne parvient pas à la contenir. Il ne cherche pas à comprendre ce qu’il vient de se produire, ce qui vient de l’amener à révéler tant d’éléments sur lui. Peut-être que c’était le bon jour pour le faire, lui qui a décidé de tourner la page, sans être totalement certain d’y parvenir. Ce sentiment de trahison, il ne peut pas totalement l’étouffer. Ethan était toute sa vie. Il l’a laissé avec un vide inconsidérable dans la poitrine où il lui a fallut plus de trois ans pour pouvoir commencer à cicatriser la plaie béante laissée par cette déchirure. Au moins, aujourd’hui, il lui révèle sa vérité, sa version des faits et de la chute aux enfers de l’homme qui a partagé une grande majorité de sa vie. Ethan, qui avait été son être céleste. Celui pour qui il était prêt à tout. Celui dont il retrouve le souvenir dans l’esquisse de ce dessin réalisé par son propre frère, celui qui a essayé de veiller sur lui autant qu’il a pu, en échouant tout comme lui. Personne ne peut sauver une âme qui ne souhaite pas être sauvée. Ils l’ont appris à leurs dépens. La perfection du dessin l’émeut. Elle remue ses tripes, car il a la sensation de retrouver un peu d’Ethan, de tout ce qu’il était pour lui, mais aussi le fait qu’il est prêt à tourner la page et à aller de l’avant, sans lui, dans son sillage. Du moins, moins que par le passé où son appareil photo était le prolongement de ses bras pour prouver la beauté que recèle le monde, même dans ses endroits les plus reculés ou abandonnés. Pour lui, par ces expéditions, il tentait de prouver à Ethan et à lui-même que la vie fallait d’être vécue, même si l’un des deux avait déjà quitté le monde des vivants. L’étreinte que lui offre Zaïn le prend de court. La pression de ces bras autour de son torse est fortement appréciable. C’est l’étreinte d’un homme, différente de celles qu’il a pu partager avec Ethan, mais elle se fait solide, tel un roc indestructible. Il sent l’émotion lui monter aux yeux. Il déglutit, cherchant à la contenir alors que son cœur bat promptement dans sa cage thoracique. Petit à petit, l’effet apaisant de ce câlin s’empare de ses sens. Sa respiration se fait plus lente, ses muscles se détendent, lui permettant de s’ancrer à l’instant présent. Il vient le remercier en pressant doucement sa main sur son épaule. Il répond naturellement au sourire bienveillant d’Ethan quand bien même l’émotion demeure perceptible dans la lueur de son regard. Zain lui propose de le faire immédiatement. Il semble avoir du temps à lui allouer pour le réaliser. Thiago ne sait quoi répondre sur l’instant. Zain lui rappelle sur certains points Ethan, avec son côté fonceur. C’est plutôt Ethan qui a arrêté de ce trait en réalité et il en a conscience. Sa question l’oblige à se demander s’il trouvera le courage de revenir pour se le faire tatouer. Il veut croire que oui, vu l’acharnement qu’il a mis à parcourir les différents salons de tatouage à la recherche de l’artiste. Finalement, il l’a trouvé, a une esquisse qui correspond totalement à ce qu’il avait en tête et un tatoueur prêt à lui donner de son temps. « Je n’ai rien de prévu ce soir. On peut le faire maintenant si tu as du temps pour moi. » Il décide dans une voix légèrement absente alors que ses prunelles retrouvent le dessin. C’est exactement lui qu’il désire alors il n’a aucun doute sur le fait qu’il ne le regrettera pas. Zain lui indique que le tatouage sera gratuit. Il ne cherche pas à polémiquer dessus, car il sait que c’est quelque chose qui lui tient à cœur. Il le perçoit dans le timbre de sa voix. « Bien sûr, avec plaisir. Si jamais tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit, je ferai de mon mieux pour t’aider. » Il lui indique avec sincérité, un sourire bienveillant sur les lèvres. Ses prunelles brillent encore de cette émotion qui ne tarit pas. « L.A. est mon port d’attache. Je travaille dans un centre et ne le quitte que pour aller explorer des endroits que j’ai identifiés pour des voyages durant mes vacances. Enfin, c’est ce que je faisais jusqu’à aujourd’hui, mais pour tout te dire, mes clichés semblent plaire et un ami, galeriste, arrivent à les vendre pour un très bon prix. C’est une bonne entrée d’argent pour financer mes voyages et je dois avouer que parfois j’hésite à tout quitter pour retourner à cette vie de bohême, mais… » Il lui indique dans un ton humble alors qu’il glisse sa menotte dans sa nuque. « La solitude commence à me peser. J’aimerai pouvoir reconstruire quelque chose avec quelqu’un et ce n’est pas en partant aux quatre coins du monde que je pourrai bâtir quelque chose de solide. Enfin pour ça, il faudrait que je trouve la bonne personne… » Il murmure dans un ton un peu badin dans l’espoir d’arracher un sourire, mais c’est quelque chose qui le travail. Il avait cru trouver cette bonne personne, mais celle-ci s’est toujours tenue à distance, même lorsqu’elle se trouvait à ses côtés. Il a finalement accepté que Basilio était sa météorite, celle qui percuter son âme détruite pour lui permettre de renaître de ces cendres. « Si tu m’offres le tatouage, je paie au moins les bières et les pizzas et ce n’est pas négociable. » Il lui indique dans un sourire plus badin alors qu’il sent se détendre. Aujourd’hui, une page risque de se tourner, mais il ose croire que ce sera pour aller de l’avant et enfin retrouver le bonheur quel qu’il soit. Sans doute que ce tatouage aura une importance majeure dans son avancée comme cette soirée qui sait.

La surprise se lit dans les traits du photographe lorsque Zain lui indique qu’il connait son ami galeriste. Lorsque le prénom de Wilfried s’épanche hors des lippes du tatoueur, il ne fait aucun doute que les deux hommes se connaissent. Le monde semble être petit. Cela lui arrache un petit sourire contrit alors qu’il découvre que le galeriste s’intéresse de près à Roman. Thiago se rappelle parfaitement les traits de cet homme qui a toujours fait partie intégrante de leur environnement lorsqu’ils étaient enfants ou adolescents. Dans ses souvenirs, Roman était marié à une femme et le père d’une petite fille, mais cela ne semble plus être le cas. Roman semble être célibataire désormais et intéresse le galeriste. Ce qui lui laisse entendre que Wilfried a quitté son petit ami. Il avait cru le percevoir, mais s’il tourne autour du meilleur ami de Zain, c’est que c’est résolument fini. Il espère qu’il trouvera son bonheur avec Roman. Il ne s’inquiète pas trop à ce sujet. Il se rappelle un jeune homme jovial et bienveillant, toujours un mot gentil, qui pousse ses proches à aller de l’avant et d’une patience à toute épreuve. Finalement, il prend conscience que Zaïn a déjà vu ses travaux et qu’il les apprécie. Il ne peut s’empêcher d’être troublé par ses propos. Sans doute parce qu’il y a une vraisemblance criante entre le tatoueur et son ex-petit-ami disparu. Un sourire tremblant ourle ses lippes alors qu’un rire s’épanche hors de ses lèvres pour chasser sa gêne qui doit résolument colorer ses pommettes. « Merci pour le compliment. Je suis heureux qu’ils t’aient plu. Je prends beaucoup de plaisir à jouer avec le jeu de lumière naturel des lieux pour le sublimer. Ces endroits dont on n’ignore résolument pas l’existence ou qu’on a oublié, que le temps a figé mais qui ont encore tant à offrir à un œil aguerri. J’aime sortir des sentiers battis pour chercher ces merveilles cachées aux yeux du monde. » Il lâche avec passion. Il aime résolument s’épancher sur son art même s’il a toujours cette attitude modeste ancrée à l’échine. « Je me souviens de Roman. C’est un homme bon et il le sera assurément pour Wilfried s’il ressent la même attirance pour lui. Il lui apportera assurément ce qui lui manquait jusqu’à aujourd’hui et je pense que Wilfried sera quelqu’un de bien. » Il lui indique avec chaleur avant que ce dernier ne s’éclipse vers la fenêtre pour passer un coup de fil en fumant sa cigarette. Thiago profite de cet instant pour commander une pizza et des boissons. Cet exercice lui évite de penser à ce qu’il s’apprête à faire, à cette page qui risque de tourner. Fort heureusement la voix de Zaïn l’ancre à l’instant présent. Il ne peut pas s’empêcher de le regarder de loin. Il semble échanger avec son fils et son attitude de père se révèle dans l’expression de son corps ou dans le timbre de sa voix. Il tient à son fils comme à la prunelle de ses yeux. Cela lui arrache un sourire, résolument ému, car il voit à travers lui son père, qui a toujours veillé sur lui et à cet instant, il prend conscience que le tatoueur est un bon père. Un père qui s’efforce d’être à la hauteur et qui n’a qu’un seul objectif : que son fils soit heureux. Ce que leur père à lui et à Ethan aurait du vouloir pour eux et dont il les a privés. Zaïn a su se détacher de l’image nocive de son père pour être celui qu’il aurait voulu avoir, laissant derrière lui sa rancueur et ses anciennes blessures. Zaïn finit par raccrocher et leurs prunelles se retrouvent rapidement. Un sourire amical ourle les lippes du photographe alors qu’il suit obligeamment le tatoueur dans son antre. Une légère tension vient envahir ses membres alors que ses pas le rapprochent d’une salle de tatouage. Zaïn, résolument dans son élément œuvre avec une aisance qu’il ne peut pas s’empêcher de détailler. Le regard du tatoueur finit par retrouver le sien, l’invitant à retirer son haut et à s’installer. Il se contente de hocher la tête en venant s’exécuter. Sa respiration se fait plus lourde alors que l’échéance approche, mais il ne fera pas machine arrière. C’était sans doute le destin que ce soit Zaïn qui ait été l’âme artistique qui pourrait le comprendre. Il ne devait pas laisser ses doutes atterré sa décision. En conséquence, il vient naturellement retirer son T-shirt, dévoilant ses traits cisaillés, car malgré sa carrière de tennisman avorté, Thiago demeure un sportif qui trouve dans l’exercice un exutoire pour évacuer la tension présente dans ses muscles. Pourtant malgré sa musculature dessinée, il est possible pour voir au travers de ces traits dénués de toute graisse que le spectre de l’anorexie a fait des dégâts et qu’il continue de roder, menaçant de le hanter à la moindre faiblesse. Il s’installa sur le siège, laissant la lumière allumée l’aveugler quelques instants avant qu’il ne s’adapte à sa luminosité. La voix rauque et profonde de Zaïn l’ancre à l’instant présent, à des pensées secondaires et c’est appréciable. La gêne du début de la rencontre s’est effritée. Ils agissent plus comme deux vieux amis qui reprennent contact et il trouve cela plaisant. « Je vis à Little Tokyo dans un appartement que je partage avec des colocataires. J’avais besoin de quitter la maison et que mon père rapprenne à vivre pour lui-même et cesse de me voir comme un gamin malade. » Il lui indique dans un sourire contrit en glissant sa main dans sa nuque pour la masser légèrement. « Et toi ? Tu habites où désormais ? » Il le questionne à son tour alors qu’il l’observe reproduire les traits de son esquisse sur un calque. Il le laisse agir sans l’interrompre même s’il ne peut pas s’empêcher d’observer le moindre de ces mouvements. Il finit par déposer ledit calque sur sa poitrine, sur son biceps comme il lui avait indiqué quelques minutes auparavant à quelques centimètres de son corps. Il peut sentir la texture du calque sur son épiderme, ainsi que le contact tiède de ses doigts qui maintiennent le calque alors qu’il admire ce que cela pourrait rendre. Il l’observe avec intensité et une pointe d’émotion. Il sent d’ailleurs celle-ci monter dans sa gorge alors qu’il s’intime à prendre une grande inspiration. La boutade de Zaïn lui arrache un rire, relâchant cette pression qui en un instant est venue obstruer sa respiration. « Je pense qu’on les voit mieux que par le passé. Je te rappelle que j’étais un tennisman, mais j’étais plus en chair. J’ai tout perdu et en regagne pas encore suffisamment. » Il lui avoue dans un sourire désabusé avant d’ajouter. « Mais je ne perds pas espoir de reprendre quelques kilos petit à petit. Cela voudra vraiment dire que je suis enfin sorti de cette spirale infernale. » Il s’efforce de lui offrir un sourire plus sincère alors qu’il vient retrouver les contours du dessin de son regard. « Pas de soucis pour le rasage. C’est toi le pro. Il sera parfait là où tu veux le mettre. Je suis tout à toi. » Il lui indique dans un sourire plus amical et complice alors qu’il peut sentir son cœur battre la chamade dans sa poitrine alors qu’il est prêt à se laisser manier sous les doigts de Zaïn qui va encrer sa chair de son œuvre. Un bout de son âme en hommage à cet homme qu’aucun d’eux ne saurait totalement oublier. Une âme disparue trop vite alors qu’elle aurait due prendre son envol.