foreshadowing // broken hearted K's

Tu ne sais pas quoi faire de toi, de ton corps, et comme souvent dans ces cas-là, tes pas te conduisent tout droit vers Kate. Dans un élan de lucidité, tu as été méthodique. Un pyjama jeté dans un sac de sport, une bouteille de vodka pleine aux ¾ qui roule sur le siège passager de ta voiture. Tu as choisi ton poison, le seul qui trônait dans le placard de ta cuisine, mais tu as quand même eu la présence d’esprit d’orchestrer savamment ta descente aux enfers. Tu as l’habitude des ruptures en grande pompe. Des engueulades passionnelles, des crises de colère et des coups de chaud. Mais un sms, juste un sms… Même ton deuil t’est refusé. Le silence de ton loft t’es insupportable, et chacun de ses petits recoins te font immanquablement penser à elle. Alors tu pars en claquant la porte, sans savoir quand tu reviendras.

Ton index appuies frénétiquement sur la sonnette de l’entrée, faisant résonner un son de cloche dans le hall de l’immeuble. Tu balances lentement ton poids d’un pied à l’autre, cherchant au plus profond de toi une once de patience. Heureusement, ton amie ne te fait pas attendre bien longtemps. Tu fais un pas en avant, juste assez pour pénétrer dans sa demeure, et laisses tomber le baluchon dans l’entrée, dans un bruit sourd. Immédiatement, tu t’expliques : « I need to drink tonight. » Tu soupires alors que tes yeux se brouillent d’un voile de larmes. Tu avais réussi à les retenir jusqu’à présent, mais elle se font de plus en plus menaçantes. « Which means… I’m going to be really sick tomorrow. » Pour la plupart des gens, l’ivresse est synonyme de gueule de bois. C’est une réalité que chacun apprend à accepter. Pour toi, en revanche, c’est une autre histoire. Tu t’arrêtes toujours au bout d’un ou deux verres pour ne pas avoir à faire face aux lourdes conséquences de l’alcool dans ton sang. Tes migraines y sont très sensibles, et, plus jeune, tu as fait de nombreuses fois les frais d’une soirée trop arrosée. Mais aujourd’hui, tu t’en fiches. Tu passeras la journée dans le noir, le cœur et l’estomac au bord des lèvres et des douleurs lancinantes qui te lacèrent le cerveau jusqu’aux sanglots, s’il le faut. « Please ? »

Tout est la fois trop calme et trop bruyant. Tu te sens trop seule et pourtant bien trop à l’étroit dans ton esprit. Ton corps est affamé, tant de nourriture que de vie, alors que l’idée même de sortir de chez toi ou d’engloutir quoi que ce soit te donne la nausée. Ce soir, plus que jamais, plus rien n’a de sens. Tu ne comprends pas. Rien. Et tu deviens folle de ne trouver aucune solution, aucune échappatoire. Apres avoir enchainé quelques nuits à l’hôpital, il avait bien fallu que tu rentres à un moment donné. Dans l’intimité de ta propre tête, tu espérais malgré tout un appel. Un décès. Une scène de crime. N’importe quoi. Mais ton téléphone reste inlassablement silencieux.

Assise par terre, sur le parquet de ta salle de bain, tu as monté le chauffage au maximum et tu griffonnes. Tu as négligemment attaché ta tignasse en un chignon brouillon et tu portes tes lunettes, signe de fatigue intense. Tu tentes de te perdre dans tes histoires farfelues, tes contes fantastiques. Tu te rappelles de l’un ou l’autre conseils de Meylin et t’essayes à quelques croquis supplémentaires. Agenouillée et penchée sur le papier, tu es entourée de feuilles volantes noircies. Sur le bord de la baignoire, quelques mouchoirs en papiers usagés ayant récolté des pleurs soudain que tu tentais au mieux de canaliser. Tu n’avais pas l’habitude de te sentir submergée par quelconque émotion. Tu n’aimais pas ça. Du tout. C’était bien trop effrayant.

Lorsque la sonnette de ton appartement retentit, tu sursautes au point de venir appliquer une main sur ta poitrine. Tu te redresses aussitôt. Tu hésites une seconde ou deux avant de rejoindre le parlophone dont la caméra te signale la présence de Klara. Sans un mot et sans même penser à l’inverse, ton doigts appuie sur le bouton de l’ouverture automatique des portes. Le temps de grimper au dernier étage et la voilà. Ton amie rentre, laissant tomber un sac à vos pieds dans l’entrée. « I need to drink tonight. » Tu la connais toujours très assurée mais quelque chose de plus fort encore semble l’animer ce soir. Ton regard croise le sien. Humide. Tu hausses un sourcil, observes le reste. Ça ne va pas. Tu refermes la porte dans son dos et, d’un geste du pied discret, repousses le sac le long de la plainte afin qu’il s’aligne au petit meuble du hall. Tu sentais qu’il valait mieux le faire en silence pour cette fois. « Which means… I’m going to be really sick tomorrow. » Tu acquiesces simplement, mine compréhensive. Pour le coup, tu savais bien de quoi parlait Klara. Tu connaissais son état tout autant que ses fragilités médicales et, il était un fait avéré que si cette dernière s’adonnait à la boisson, son corps lui ferait payer le lendemain. Ainsi, tu entrouvres les lèvres, prête à tenter de l’en dissuader, (apres tout, tu faisais un plutôt bon café et il devait te rester du thé glacé maison de la dernière visite de la rousse) mais tu te ravises aussitôt à sa supplication. « Please ? » Tu te mordilles la lèvre inférieure et finis par attraper la bouteille de sa main. “We’ll need ice for that”. Et oui … toi, Kate Anderson, Sainte de toute vertu, venais de prononcer le “nous” perturbateur et indicateur que ton propre état n'était peut-être pas au beau fixe non plus. Ne priais-tu pas pour une réponse depuis des heures ? Klara ne pouvait pas mieux tomber. “You know you can always stay here. And I’m clearly a better doctor than your general practitioner" En cuisine, tu sors deux verres et ouvres le congélateur presque vide. Récoltant de quoi refroidir l’alcool, tu questionnes. “So, tell me. What is going on with you, for you to agree to the kind of suffering you’re leading yourself to ?” Klara savait que "deviner" ne faisait pas vraiment partie de ton vocabulaire.

Un soupir de soulagement quitte tes lèvres quand Kate te prend la bouteille des mains. Tu es une grande fille, tu n’as pas vraiment besoin de son approbation pour céder à l’ivresse, mais tu n’avais pas envie de lutter des heures durant. “We’ll need ice for that”. Elle se dirige vers ce que tu sais être la cuisine, et tu t’apprêtes à la suivre mais décides de te déchausser avant toute chose. Tu fais quelques pas en avant, avant de rebrousser chemin pour mieux ranger tes chaussures que tu colles contre le placard de l’entrée. Tu commences à connaître l’animal. Tu la rattrapes ensuite rapidement en maugréant : « I hope you have some more stashed away somewhere. » Si vous devez boire à deux sur ta seule contribution, tu n’arriveras pas à l’état de déchéance humaine que tu avais prévu pour ce soir.

“You know you can always stay here. And I’m clearly a better doctor than your general practitioner" Tu lui souris, reconnaissante, même si elle ne tarde pas à te donner le dos pour fouiller dans ses placards. Les bras croisés sur ta poitrine, tu essayes de ne pas céder à l’impatience. “So, tell me. What is going on with you, for you to agree to the kind of suffering you’re leading yourself to ?” Tu te hisses sur le comptoir, t’asseyant les jambes ballantes dans le vide. « She left me. Lucy. » Rassemblant ce qui te reste de dignité, tu parles d’une voix ferme, presque froide. Ca, ce sont les explications factuelles. « And then she left the country. » C’est probablement le pire pour toi. Tu ne peux pas la poursuivre, trouver l’endroit où elle habite et lui demander des explications en face. Tu ne peux pas savamment orchestrer une engueulade où tu pourrais exprimer tout ce qui te pèse sur le cœur.

Tu ne restes pas bien longtemps sur ton perchoir. Gagnée par la colère, tu sautes à pieds joints par terre avant de t’emporter. « She broke up with me over text message. Who the fuck does that ? » Tes mains font de grands gestes, se révoltant elles aussi avec tes mots. Tu avais pourtant été d’une tolérance qui te ressemblait peu, tu avais accepté mille compromis, vécu cachée pendant des mois. Tu aurais au moins pensé que ça t’aurait garanti un meilleur traitement. Tu finis par prendre le verre, plein, qui t’est destiné et avales une généreuse gorgée de vodka. Ton regard se pose ensuite sur celui de ton amie, et tu finis – enfin – par percuter. « Wait. Why are you drinking? » Elle ne consommé que très rarement plus qu’un demi-verre de vin. D’ordinaire elle est la première à commander un mocktail quand vous êtes déjà toutes passées à plus fort. Alors ce n’est pas bon signe, et vous risquez d’avoir vraiment besoin d’une deuxième bouteille.

Klara se hisse du côté du comptoir où vous aviez préalablement (il y a des années de cela) convenu qu’il s’agissait là d’une espèce de zone grise. Là où tu t’étais faites à l’idée de pouvoir retrouver des dossiers ne t’appartenant pas; l’ordinateur de Klara, un peu de son bordel, voir - en l’occurence comme à ce jour - son fessier. Vous aviez posé vos règles et vos besoins en une communication des fois chaotique mais qui faisait de votre lien le plus fort que tu te connaisses aujourd’hui. Ainsi, il y a longtemps que tu ne te formalisais plus pour certaines choses et tu ne bronchas pas d’un poil lorsque ses pieds ballant vinrent battre la mesure d’un tempo imaginaire.

Tu laisses tomber les glaçons un à un dans vos verres lorsque les mots de ton amie vinrent fendre l’air comme une agression : « She left me. Lucy. » Ton regard attrapes aussitôt le sien, bloquant par là même le geste dans lequel tu étais investie une seconde plus tôt. « And then she left the country. » Tu es bouche bée. Tu ne t’étais, certes, pas attendue à telle révélation, mais le ton sévère de la voix de Klara est tout aussi perturbant. Il te semble bien plus clair et aisé à comprendre mais cet indice même te prouve que ce n’est pas normal. Pas le temps de rebondir que Klara s’en charge pour toi. De retour au sol, c’est la colère qui s’empare de son être. There you go. Voilà qui semble plus approprié et aussi bientôt plus intense à suivre pour toi. Mais qu’importe. Pour Klara, tu étais prête à tout supporter. « She broke up with me over text message. Who the fuck does that ? » Alors que la gestuelle de la rousse est particulièrement développée, la tienne semble paralysée. A tel point que le dernier glaçon toujours entre tes doigts, se met à fondre et goutter. La voix hésitante comme s’il s’agissait là d’une question d’examen, tu réponds malgré tout presque du tac au tac : “I don’t know … Kids ?” Du moins, c’est ce qui te semblait avoir entendu.

La main presque entièrement mouillée, tu te secoues légèrement le membre autant que l’esprit, lâches le glaçon dans l’évier et t’essuies à l’aide d’un torchon. Prenant tout le poids de la révélation venant de t’être faite, tu remplis les deux verres comme il se doit, glisses le sien vers ton amie et inspires avant de t’exprimer plus clairement. “I was not ‘feeling’ her anyway … Whatever that means.” Tu attrapes ton verre, trempes tes lèvres et grimaces légèrement. Trop fort. Tu y ajouterais bientôt un jus quelconque. “I also know that this is exactly the kind of words I should have kept to myself. I’m sorry. But I really do believe you deserve so much more. Really …” Tu sais ton discours probablement bancal. Ainsi, tu insistes sur la sincérité de ta bienveillance intérieure. “I’d also be curious to know why.” Certes, Klara avait son caractère et ses défauts, mais ta soeur de coeur était aussi une âme en or. Tu n’en avais jamais douté et sa présence dans ta vie à l’heure actuelle, après autant d’épreuves et malgré la complexité de ta personne, le prouvait largement. Comment diable pouvait-on passer à côté d’un tel écrin ? Comment pouvait-on vouloir mieux, vouloir ailleurs, vouloir autre chose ? Et surtout, comment pouvais-tu seulement espérer un jour partager une intimité quelconque avec qui que ce soit, si quelqu’un comme Klara ne trouvait pas chaussure à son pied ?

Tu inspires et expires profondément une nouvelle fois. Alors que ton pas te mène déjà dans le coin salon, tu entends la voix de Klara qui te suis et questionnes à son tour : « Wait. Why are you drinking? » Blanc. Bonne question. Quels étaient réellement ces sentiments mêlés et bien trop lourds en toi ? Concentrée avant tout sur l’envie de faire disparaitre leur désagréables symptômes, tu n’avais pas pris le temps de décortiquer. De traduire. L’idée même te donne froid dans le dos. En serais-tu seulement capable ? “I …” “I guess people decided that leaving was a new trend” Un fait, une pointe amère dans la voix, que tu détestes aussitôt avoir osé lâcher. Tu n’en avais pas le droit. Lila n’avait rien à voir avec Lucy et ses raisons de partir étaient des plus valides. Mais bien que tu entraines au mieux ton esprit et désires ne t’en tenir qu’aux faits, seul le manque et son absence semblaient résonner. Tu voulais qu'elle reste. Tu te serais chargée de ses soins. Tu aurais tout fait pour. Tu te serais débrouillée. Mais au fond, qui étais-tu réellement pour prendre cette place et la séparer de sa famille ? Personne. Non, réellement, tu n’étais personne pour elle ….

“I don’t know … Kids ?” La réponse aurait pu te faire rire si tu n’avais pas été aussi en colère, et si les mots de Kate n’avaient pas résonné aussi juste. Sans le savoir, la blonde a tapé en plein dans le mille. Il faut dire qu’elle a très rarement tort, et ce soir n’est pas une exception. Tu es interrompue dans tes cent pas frénétiques par le verre qui t’est tendu. “I was not ‘feeling’ her anyway … Whatever that means.” Contrairement à ton amie qui se contente de tremper les lèvres dans l’alcool, tu ne fais qu’une lampée de ta vodka, les glaçons sonnant un glas de jugement dans leur contenant désormais vide. Déjà. Bad decisions. Tes mains se cramponnent à la bouteille et tu dévisses le bouchon d’un geste tremblant de rage et de la chaleur que tu sens monter dans ta gorge. Le glouglou du liquide qui se déverse n’est pas assez fort pour rivaliser avec les paroles de la doc. “I also know that this is exactly the kind of words I should have kept to myself. I’m sorry. But I really do believe you deserve so much more. Really …” Tu lèves la tête pour attraper son regard et réponds aussitôt, un sourire dans la voix malgré un ton décidé : « Never keep things to yourself. » D’abord parce que tu détestes la voir s’excuser d’être qui elle est. Parfois un peu en marge certes, mais tu penses résolument que ce n’est pas à elle d’effacer sa spontanéité pour le compte de ceux qui ne pourraient pas la supporter. Et puis parce que tu en as besoin, un peu, aussi. De te prendre une bourrasque de rationalité froide mais tendre dans la tête.

“I’d also be curious to know why.” Le soupir d’échappe de tes lèvres avant que tu n’aies pu réaliser qu’il se formait. La réponse est beaucoup plus rapide et naturelle qu’on aurait pu le croire. « ‘Cause she’s a coward, that’s why… » La situation est claire comme de l’eau de roche, et c’est peut-être ça qui te frustre le plus. Pas de dispute. Pas de sentiments qui s’étiolent. Pas l’ombre d’un nuage au tableau. Juste cette peur panique d’être elle-même. L’ultime sacrifice qui t’embarque au passage. Tu t’étais promis de ne jamais sortir avec des filles ‘hétéro’, et tu avais raison.

Tu la suis au pas vers le salon, contemplant un instant la possibilité d’emporter avec toi ta réserve de poison, décidant finalement qu’il est préférable de ralentir physiquement le débit de boisson en dressant le couloir en obstacle entre l’ivresse et toi. “I… I guess people decided that leaving was a new trend” Tes sourcils se froncent aussitôt. « What do you mean ? » La confusion te fait oublier pendant quelques secondes ta rupture. « Who left ? » Au-delà de ta préoccupation face au ton de Kate, la question est un peu égoïste. Si quelqu’un l’a quittée elle, ça veut dire qu’on t’a quittée toi aussi. Vos cercles d’amis sont quasiment identiques, il n’y a pas grand monde qui fasse partie de sa vie que tu ne connaisses pas également. Quelques collègues, tout au plus.

La voix tranche avec sécheresse et assurance : « ‘Cause she’s a coward, that’s why… » Pas de doute. Ton visage ne trahi aucun non-dit, aucune envie de pondérer ou de reprendre pour la brune. Tu faisais tout autant confiance aux dires de Klara qu’aux premières impressions que cette Lucy t’avait laissé. Rien d’éclatant. Alors, oui, tu pouvais bien entendre et accepter que la lâcheté ait joué un grand rôle dans ce départ.

Ton regard ne quitte pas ton amie alors que tu t’installes sur le tapis du salon, fesses posées sur un coussin, au plus près de la table basse. Your spot. Dans le coin, près de la plus grande plante de l’appartement. A parfaite distance de la fenêtre et t’offrant un angle de vue plutôt global sur le reste de ton appartement. Bref ! Tu déposes ta liqueur sur un sous-verre et inspires. L’expiration semble ne jamais venir. Comme bloquée. Elle s’échappe furtivement lorsque tu réponds. Evasive. Le visage de Klara se chiffonne, « What do you mean ? » « Who left ? » Elle semble sérieusement inquiète. Curieuse ? Peut-être les deux. Ou un mélange. Soudain tu te demandes si tu n’aurais pas du garder cette information pour toi. Ne pas en rajouter une couche. Epargner ton amie. Mais une minute auparavant, Klara te sommait pourtant : « Never keep things to yourself. » En soi, tu avais du mal à faire l’inverse. Les mots sortaient souvent tous seuls.

Tu réfléchis un instant et considères après pondération que le départ de Lila ne devait pas être une nouvelle chamboulante pour l’architecte. Et c’était tant mieux. Car il est vrai que mis à part cette exception, le reste de vos connaissances ne faisait qu’un seul et même bloc. “Lila”. Tu reprends ton verre ainsi qu’une nouvelle gorgée. Un peu trop grosse. Tu sens le liquide te bruler l’oesophage. “She’s sick. I didn’t know. She went back to England” Ton discours est détaché. Presque robotique. Pas de mot superflus. Comme une opération en plusieurs étapes. Un process qui t’aide à gérer la nouvelle. Le flux d’émotions dont tu n’as pas l’habitude du tout. Ce ventre qui se tord, cette gorge qui se serre. Tu te la racles deux trois fois, comme si le problème venait d’un vilain courant d’air. Hélas. Il n’y avait que ton coeur qui prenait de plus en plus froid.

Tu ôtes tes lunettes, les déposes et te passes une main sur le visage. “What can I do to ease your pain ? Your anger. Anything. Tell me and I’ll try.” Tu vides soudainement ton verre d’un trait et serres les points en secouant la tête. “A few more of these and I’ll maybe be able to do things I usually can’t ! Who knows ?!”. Pour ton amie ! Et cela bien que le simple fait de prononcer ces mots t’angoisse déjà.

“Lila” Les traits de ton visage se détendent légèrement en entendant le nom. « Oh. » Décevant, c’est certain. Tu aimais bien l’anglaise et surtout tu aimais le confort de son café-boutique qu’elle vous prêtait bien souvent. “She’s sick. I didn’t know. She went back to England.” Plus que les mots, c’est l’expression de la blonde qui lâche une pierre au fond de ton estomac. « Oh. » L’onomatopée, cette fois, est empreinte de tristesse. Tes yeux scannent ton amie qui boit beaucoup plus qu’à l’accoutumée et tu comprends qu’il y a des choses que tu ignorais. « I’m sorry Kate. » Ta tête penche légèrement sur le côté gauche et ta voix est un peu plus grave que d’habitude. Tu connais suffisamment la légiste pour ne pas la pousser plus loin dans ses retranchements, pour ne pas poser de question. Finalement, peut-être as-tu doublement bien fait d’élire domicile chez elle pour ta soirée de débauche.

“What can I do to ease your pain ? Your anger. Anything. Tell me and I’ll try.” A peine as-tu le temps de sourire que tu la vois déjà finir son verre cul sec. Tu te retrouves alors partagée entre l’amusement et l’inquiétude. “A few more of these and I’ll maybe be able to do things I usually can’t ! Who knows ?!” Tu éclates franchement de rire en l’entendant, persuadée qu’elle n’a aucune conscience de la portée de ses mots et de l’interprétation qu’on peut en avoir. « Is this a proposition ? » Sachant pertinemment qu’elle n’est évidemment pas en train de te faire des avances sexuelles, tu ponctues tout de même : « I’m joking. »

Tu regardes vos verres, trônant côte à côte sur la table, l’un vide, l’autre plein aux ¾. Te mordant la lèvre, tu les inverses, pour lui tendre ta boisson restante, jugeant qu’à cet instant elle en a plus besoin que toi. Vous irez chercher le reste de la bouteille plus tard. « Maybe… You can forgive me. » Le ton est plus léger que les mots qui rompent le silence. « I’ve been lying to you. » Tu fais tout à l’envers, tu annonces des mauvaises nouvelles avant d’avoir le temps de rectifier le tir et de t’expliquer. « Kind of. » Pour illustrer ton propos, tu te lèves du sofa et attrapes son ordinateur portable du bout des doigts. En te laissant tomber sur le tapis, plutôt que sur le canapé, tu ouvres netflix dans le navigateur et lances une simple recherche au nom de celle qui est désormais ton ex. « Yeah… » Devant vous, sur l’écran de la machine, au moins une dizaine de propositions de films et séries apparaissent, laissant tous une place de choix à l’australienne sur l’affiche. Techniquement tu n’as pas menti. Mais tu ne l’as jamais corrigée lorsqu’elle pensait faire face à une actrice de second rang, et au final, c’est presque pareil.

Tu ne t’étends pas. Tu as toujours eu du mal à t’exprimer. Les sentiments, ce qu’on ressent au fond de soi, ce qui tourbillonne dans les entrailles. C’est là, tout simplement. Ça stagne. Et lorsque respirer devient plus douloureux qu’à l’accoutumée, tu as tes propres manières de t’apaiser. Plus ou moins. Tu maitrises - entre autres - l’art de la diversion. Tu te plonges dans tes lectures compulsives, tes écrits, tu te laisses disparaitre derrière les mots et les vies des autres, qu’ils soient réels ou imaginés de toute pièce.
Mais pour aujourd’hui, et bien que le programme ait débuté dans un déni complet de la réalité, la seule présence de Klara te fait du bien. Tu n’as pas besoin de plus. Pas besoin de grands discours et ton amie le sait. Elle n’insiste pas. Son regard est toute l’étreinte dont tu as besoin. « I’m sorry Kate. » Tu l’étais tout autant. Désolée. Désolée de perdre une amie chère. Désolée de te sentir abandonnée. Désolée de ne pas avoir été assez pour aider. Et désolée d’être définitivement vouée à mourir seule. Un fait établi qui ne t’avait jamais véritablement angoissée … jusqu’il y a peu.

Une fois n’est pas coutume, tu finis ton verre d’une traite. Aujourd’hui, tu ne ferais pas comme d’habitude. Klara non plus. En ce sens vous étiez sur la même longueur d’onde. Tu préfères te concentrer sur l’architecte plutôt que ta pauvre et complexe personne. Tes mots se libèrent plus légèrement et, visiblement, ils ont leur petit effet. Klara éclate de rire. Un peu étonnée, ton sourire lui emboite le pas, sans trop savoir pourquoi mais ravie de lui avoir décrocher cet élan de joie. « Is this a proposition ? » Ton visage se referme aussitôt en une crispation de surprise, bouche bée. Tu balbuties sans arriver à formuler bien plus que “Wh… Wait. What ?! I … No ! I mean … N.” Venant t’offrir une douce délivrance, Klara te coupe : « I’m joking. » Le soulagement n’a probablement jamais eu aussi bon gout. Ta silhouette se ramollit et ton coeur reprend son rythme habituel. “Oh boy, thank God !!” Une main venant s’écraser sur ta poitrine, l’idée que la vexation puisse découler de cette délivrance, ne te frôle pas d’un iota.

Klara observe vos verre un instant avant de les échanger de place. Elle s’octroie le vide alors qu’elle t’offre le sien presque plein. Tu regardes le petit manège sans un mot alors qu’elle reprend : « Maybe… You can forgive me. » Tu redresses le visage, venant chercher les iris de ton amie. Les tiennes sont emplies d’interrogation. « I’ve been lying to you. » Tes sourcils se froncent et une soudaine inquiétude vient te titiller le corps de manière désagréable. « Kind of. » Not helping. Mais Klara se lève du sofa et se dirige vers ton ordinateur portable qu’elle vous ramène. Elle l’allume et pianote sur le clavier. S’il n’avait pas été question de ton amie toute particulière, - jamais - tu n’aurais laissé quiconque y toucher. S’installant sur le tapis à tes côtés, elle dépose l’ordinateur sur la table basse, celui-ci affichant une liste non négligeable de films, dont toute les affiches ont un point commun. “Lucy …” Silence. « Yeah… ». Ta bouche entrouverte le reste ainsi un moment, le temps que ton esprit encaisse et comprenne la situation. Ton corps est penché en avant, yeux rivés sur les différentes images mettant toutes en avant la brune de manière plus ou moins originale. “Hm … Photoshoped much ?” Oui, c’est bel et bien là, la première phrase et la première évidence traversant la barrière de ton esprit et de tes lèvres. Tu inspires alors profondément, pivotant sur toi-même pour retrouver le contact visuel avec Klara. “She’s a pretty big deal then, right ?” Ton cerveau se repasse en vitesse rapide tous vos échanges. Vos rencontres. A voix plutôt basse et comme un murmure à toi-même, tu lâches simplement : “That would explain a lot …” Le ton cette fois un brin plus sombre, tu te contentes de pointer l’évidence comme une triste habitude : “I’ve made a fool of myself …”

“Lucy …” Devant son incrédulité, tu ne peux que confirmer avec une certaine impuissance. « Yeah… » Alors que ses yeux, à elle, scrutent l’écran de l’ordinateur, c’est la blonde que tu dévisages, en quête de la moindre réaction. Tu essayes de déchiffrer ses traits sans grand succès. “Hm … Photoshopped much ?” Cette fois-ci tu ne réponds pas. A quoi bon ? Tu la connais par coeur, Kate, tu sais qu’elle énonce l’évidence en guise d’entrée en la matière, comme un fait irréfutable derrière lequel elle peut se cacher. Et elle a raison. Certaines de ces affiches sont d’un ridicule sans nom, particulièrement celles qui datent le plus, avant que l’actrice n’ait la moindre maitrise sur son image. Avant qu’elle ne puisse exiger quoique ce soit, alors qu’elle était encore à la merci des studios.

“She’s a pretty big deal then, right ?” Tu soupires. C’est un euphémisme. Alors que la légiste finit par te regarder, tu sens la culpabilité monter, tandis que tu tentes de ne pas baisser les yeux. “That would explain a lot …” Le mélange de honte et de déception dans sa voix achève de te briser le cœur. “I’ve made a fool of myself …” Tu l’interromps aussitôt, refusant catégoriquement de la laisser se morfondre alors que tu sais pertinemment que tu es responsable de la situation. « No, no, no Kate. It’s my fault. Lucy got scared when you walked in on us, and made me believe that it would be better if you didn’t really know who she was. Less risky, she said. »  Tu lèves les yeux au ciel. C’était ridicule, idiot, débile même. Tu n’aurais pas pu préserver les apparences bien longtemps. Qu’imaginais-tu ? Que ton amie ne se rendrait jamais compte de la supercherie ?

« What’s wrong with me ? » Tu ponctues ta phrase d’une claque assénée à ta propre cuisse, qui résonne dans le silence de l’appartement. « Why do I become this… asshole… when I’m with someone ? » Ce n’est pas la première fois que tu le remarques. Tu te perds, un petit peu, quand tu démarres une relation. Rapidement, tu n’as d’yeux que pour une seule personne, et tout ce qui t’entoure, ce qui constitue habituellement ta vie, s’estompe progressivement. Tu deviens une piètre amie, peu attentive et secrète. Tu oublies certains de tes engagements, tu perds en sérieux. Tout ça pour plaire à quelqu’un qui se consume inéluctablement dans les flammes d’une relation vouée à l’échec. Tu voudrais pouvoir promettre à la blonde que c’était la dernière fois. Que tu ferais mieux la prochaine fois, que ton comportement serait irréprochable. Mais, incapable d’y croire pour de vrai, et détestant l’idée de lancer d’énièmes paroles en l’air, tu fixes tes prunelles penaudes sur un coin de la table basse.