what's wrong ? (loumi #6)

Le Nouvel An a été une vraie catastrophe, une partie de la soirée au moins, mais cela m'a permis de m'ouvrir un peu plus à Lou et inversement. Seulement, le problème, c'est qu'une fois rentrées à l'appartement, nous n'avons plus parlé de ce qu'il s'est passé ce soir-là. Sûrement parce que chacune de nous ignorait ce que cela voulait vraiment dire. Il y a des sentiments entre nous, quelques choses qui s'en rapproche au moins, c'est indéniable. Mais que sommes nous censées faire avec ça ? Nous vivons sous le même toit, ça ne serait pas un peu bizarre ? Et puis, il y a toujours ma peur de dire aux autres ce que je suis vraiment. Tant que je n'aurais pas progressé sur cela, rien ne sera possible. Alors pour l'instant, je continue de faire comme avant : j'essaye de garder une distance raisonnable avec Lou et je joue au faux couple avec Sacha. Maintenant qu'elle connaît la vérité, ses regards sur nous sont différents et j'ai toujours peur que les autres comprennent, surtout que naturellement, avec Sacha, on est moins proches que ce que l'on a pu faire croire au Nouvel An.

Ce soir-là, une fois le repas terminé, je suis de corvée de vaisselle. C’est mon tour cette semaine, je n’y échapperais pas. Il y a une certaine organisation à la maison afin d’éviter le chaos. Avec le temps, on commence à s’y faire. Il faut dire qu’entre ma sœur et moi, puis les enfants d’accueil, mes parents ont dû mettre en place des règles très tôt pour que chacun se sente à sa place et qu’il n’y ait pas un enfant qui aide plus que les autres. J’ai toujours connu ça, alors maintenant, je ne m’en plains plus. Une fois terminé, je jette un rapide coup d’œil dans le salon pour voir ceux qui regardent un film. J’y vois mes parents et mon frère, ce qui veut dire que Lou est partie dans sa chambre. C’est peut-être l’occasion où jamais de lui parler. Je monte à l’étage et cogne à sa porte, avant de l’ouvrir. « Je peux ? Je ne te dérange pas ? » Je ne souhaite pas m’imposer, alors si elle souhaite que je parte, je le ferais. Néanmoins, ce n’est pas ce qui arrive, alors j’entre, referme la porte derrière moi et viens m’asseoir sur son lit. « Tu ne personnalises pas beaucoup ta chambre. » Dis-je en constatant que les murs de la pièce sont encore assez vides. Elle pense peut-être qu’elle va finir par partir. Mais vu l’âge qu’elle a et comment les choses se sont passées, je ne suis pas de cet avis : elle va rester avec nous jusqu’à ce qu’elle soit majeure. « Est-ce que tout va bien ? Tu agis bizarrement depuis quelques jours. » On ne peut pas dire qu’on se fuit, ou au moins, pas comme je le faisais il y a quelques semaines. Néanmoins, ça reste tendu entre nous. Je ne sais pas si ça va pouvoir changer, il y a ce truc particulier entre nous, mais on peut toujours essayer de faire en sorte que les choses se passent au mieux.

Retour à la case départ. C'est comme si la soirée du Nouvel An n'avait jamais eu lieu. Et pourtant... on sait toutes les deux ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Le problème ? C'est que Yumi continue de jouer la comédie au lycée avec Sacha. Même si je connais la vérité sur leur petit manège, ça m'énerve quand même. Je sais pas pourquoi mais j'espérais peut-être que les choses allaient changer pour cette nouvelle année. Mais non, rien. Je crois qu'en réalité je prends trop les choses à coeur. C'est d'ailleurs bien la première fois que je réagis de cette manière. Ça me fait peur aussi, parce que je me sens vulnérable et c'est une sensation que je ne maitrise pas. Au final, c'est sans doute mieux de prendre chacune un peu nos distances. Pour ça, je peux compter sur Yumi, il n'y a pas meilleure qu'elle. La preuve en est. Depuis cette soirée-là, nous n'avons encore jamais eu l'occasion de se retrouver toutes les deux en privé. De mon côté, je ne cherche pas forcément non plus à changer les choses. Et la situation aurait pu continuer longtemps comme ça... si ce soir Yumi n'avait pas décidé de faire irruption dans ma chambre après le repas. Je suis le nez dans mon téléphone quand la porte s'ouvre, et que mon regard croise finalement le sien. « Je peux ? Je ne te dérange pas ? » Je hoche un peu la tête pour qu'elle rentre, peu convaincue. En soit, a part zieuter les dernières nouveautés sur Instagram, je ne faisais rien de bien intéressant. « Tu ne personnalises pas beaucoup ta chambre. » Mon regard suit le sien en direction des murs vides qui nous entourent. C'est vrai. Mais en même temps, ce n'est pas réellement ma chambre. La situation chez les Lane est temporaire. A quoi bon s'approprier les lieux si c'est pour finir entre les quatre murs d'un foyer dans quelques mois ? Je sais qu'à mon âge, aucune famille ne voudra de moi. Et de toute évidence, je ne veux pas d'une famille non plus. Je suis très bien comme ça. J'apprécie beaucoup les Lane, ce qu'ils font pour moi, mais je sais que ça ne sera pas une finalité en soit. « Ça ne sert pas à grand chose, et elle me convient très bien comme ça. » Ma réponse est peut-être un peu sèche mais c'est inconscient. « Est-ce que tout va bien ? Tu agis bizarrement depuis quelques jours. » Ah, parce que c'est moi qui agit bizarrement maintenant ? « Oui ça va. » Très crédible comme réponse. « Et toi ça va comme tu veux ? » Ma question est un poil sarcastique. Bon ok, pas qu'un peu en fait. Je reste volontairement fermée pour l'instant, sur la défensive. En réalité je ne sais pas exactement ce qu'elle me veut. « Tu es venue pour me demander un truc en particulier ? » Que je lui demande en plantant mon regard dans le sien.

Pour une fois, et je me surprends moi-même, je décide de faire un pas en avant vers Lou. Ça change de la dernière fois, lorsque je l'ai évité pendant plusieurs jours. Finalement, se fuir, ça n'arrange pas les choses et j'en ai maintenant pleinement conscience. Ce soir, c'est simple de me dire ça, mais tous les jours, au lycée, je l'évite un peu. « Ça ne sert pas à grand chose, et elle me convient très bien comme ça. » Comme un réflexe, je hoche légèrement la tête. Elle peut bien faire ce qu'elle veut, ça ne me regarde pas. En réalité, je ne suis pas non plus du genre à faire une décoration trop extravagante. Mais disons que là, sur le moment, c'est la seule question qui m'est venue à l'esprit. Il fallait que je parle pour éviter qu'un silence ne s'installe entre nous. « Oui ça va. Et toi ça va comme tu veux ? » Le ton de sa voix est assez sec, ce qui confirme ma première impression. Il y a quelque chose et j'ignore encore quoi, mais je ne compte pas partir sans avoir de réponse. Sa question sonne comme rhétorique, alors je ne prends pas la peine de lui répondre. « Tu es venue pour me demander un truc en particulier ? » « Non, je passais juste comme ça. » J'essaye de soutenir son regard, mais ce n'est pas facile. Nous ne sommes que deux dans cette chambre et pourtant, je ne sais pas comment agir. Je pourrais être plus libre, ne pas me soucier de ce que les gens pensent et pourtant, je me sens comme bloquée. Sûrement parce que dans l’histoire, nous sommes deux : je ne peux rien faire sans son approbation. « Est-ce que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? » Inutile de tourner autour du pot plus longtemps, elle a visiblement quelque chose contre moi. Ou alors, elle s’est juste levée du mauvais pied, mais j’ai un doute. « C’est un peu bizarre depuis, tu sais.. depuis le Nouvel An. » Je ne pense pas qu’elle va me contredire sur ce point. La première fois, ça pouvait passer pour une erreur, pour un geste spontané. Mais là, ce soir-là, je l’ai quand même embrassé deux fois. Au bout d’un moment, ça ne peut plus être considéré comme des coïncidences. « Je ne sais pas comment agir avec toi. » Que ce soit ici ou au lycée. Encore moins au lycée pour être honnête. Nous nous sommes embrassées, parce que nous en avions envie toutes les deux, mais qu’est-ce que ça fait de nous ? Nous ne nous devons rien. D’aussi loin que je me souviens, je n’ai jamais vu Lou en couple, elle n’aime peut-être pas particulièrement ça. Et puis.. est-ce vraiment quelque chose de possible entre nous ? Je n’en suis même pas sûre. À cause de moi, oui, mais aussi à cause de notre situation actuelle. Mes parents sont sa famille d’accueil, moi aussi, en quelques sortes, ça ne serait un peu bizarre ?

Je l'accueille un peu sur la défensive, méfiante. En réalité je me demande ce qui lui prend de venir me voir subitement. Genre elle a finit par se souvenir que j'existe tout d'un coup ? Je pensais un peu trop naïvement que les choses pouvaient changer après la soirée du Nouvel An, mais faut croire que je me suis plantée. Et en beauté d'ailleurs. La réalité du quotidien a repris ses droits. Et même si à présent nous nous faisons plus la guerre, c'est peut-être encore pire. L'ignorance est le pire des mépris. J'en viens même à regretter nos conflits d'avant. Nos prises de tête et nos piques volontaires pour l'une ou pour l'autre. Ouais au moins c'était amusant. « Non, je passais juste comme ça. » Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Si elle n'a rien à me demander, qu'est-ce qu'elle est venue foutre là ? Pour parler ? Ouais non ça m'étonnerait vraiment de sa part. Elle préfère m'embrasser encore et encore sans jamais vouloir en parler. « Est-ce que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? » Ou pas fait d'ailleurs, ça marche aussi. « Tu penses ? » Si elle pense ça, c'est peut-être parce qu'elle a quelque chose à se reprocher. Ou qu'elle se doute qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. En l'occurrence elle. Et son raisonnement un peu particulier. Sa manière d'agir avec Sacha, et avec le monde entier d'ailleurs. « C’est un peu bizarre depuis, tu sais.. depuis le Nouvel An. » Elle n'arrive même pas à mettre de mots sur ce qu'il s'est justement passé. C'est... déconcertant. Surtout quand on sait que c'est elle qui m'a embrassé la première lors des douze coups de minuit. Encore. « Je ne sais pas comment agir avec toi. » Un long soupir s'échappe alors d'entre mes lèvres. « Moi non plus si ça peut te rassurer. » Mon ton est toujours un poil piquant. « Un jour, tu m'embrasses. Le lendemain, tu joues les petites amies parfaites avec Sacha. » Si elle n'y arrive pas elle, c'est moi qui vais m'occuper de lui exposer la situation en bonne et due forme. « Au bout d'un moment, faut savoir. » Ça me rend dingue de la voir jouer à ce petit jeu là. C'est débile putain. « Je n'arrive clairement pas à comprendre ce qui se passe dans ta tête. » Elle a un sérieux problème quand même. « Enfin je sais pas... je pensais qu'il s'était vraiment passé un truc ce soir-là. » Quelque chose de réel, de profond aussi. Mais apparemment, je suis la seule à avoir ressenti ça. « Bref, on s'en fout. On a pas de compte à se rendre. » C'est totalement paradoxal avec ce que je viens de dire juste avant mais ça n'a pas d'importance. En réalité, je suis perdue moi aussi. Toute cette histoire est en train de me rendre complètement folle. C'était plus simple avec la Lou d'avant qui ne se souciait de rien ni personne. Et finalement, cette Lou là n'est pas si loin. Ce soir, c'est même elle qui refait justement surface.

L’ambiance dans la pièce n’est pas idéale et je m’en rends compte bien vite. Pourtant, je tente quand même. On ne peut pas rester comme ça, il faut que nous parlions un peu, même si une conversation pourrait faire plus de mal que de bien. « Tu penses ? » Bon.. Si des doutes continuaient de planer, ce n’est plus le cas maintenant : son ton est dur et j’ai l’impression qu’il y a un mur entre nous. J’essaye encore, je rame un peu si l’on peut dire, mais au moins, j’évoque le fait que je n’arrive pas à savoir comment agir avec elle, pas depuis tout ce qu’il s’est passé entre nous. Et encore, même avant ça, je ne suis pas sûre que je savais. « Moi non plus si ça peut te rassurer. » Je soupire légèrement, comme soulagée de l’entendre me dire cela. Je n’y connais rien en relation, agir comme je le faisais était peut-être bizarre. « Un jour, tu m'embrasses. Le lendemain, tu joues les petites amies parfaites avec Sacha. » Je serre les dents, alors que mon regard se pose au loin, sur l’un des murs de sa chambre. Elle semble énervée et est-ce que je peux vraiment lui reprocher ? Je l’embrasse, je me livre à elle et quelques jours après, je reprends ma vie comme si de rien était. « Au bout d'un moment, faut savoir. Je n'arrive clairement pas à comprendre ce qui se passe dans ta tête. » Je pensais pourtant avoir été clair le soir du Nouvel An, en partie au moins, je n’ai pas fait mon coming-out et pour l’instant, je ne me sens pas prête à le faire. Alors oui, il y a l’histoire de Sacha. Cette histoire de couple n’est pas obligatoire et je pourrais facilement y mettre fin, mais je ne sais pas, c’est plus simple comme cela. « Enfin je sais pas... je pensais qu'il s'était vraiment passé un truc ce soir-là. » Automatiquement, à ces mots, je tourne mon visage vers elle. Bien sûr qu’il s’est passé quelque chose ce soir-là. « Bref, on s'en fout. On a pas de compte à se rendre. » Est-ce qu’on est destinée à revenir encore et toujours au même point ? Un pas en avant et deux en arrière. « Il s’est passé un truc ce soir-là. » Je fais exprès de reprendre exactement ses mots. « Mais c’est plus compliqué que ça. » Même sans parler de Sacha, c’est assez étrange ce qu’il y a entre nous, non ? Est-ce qu’il y a même la possibilité d’un nous ? « Ce n’est pas vrai, c’est juste de la comédie. Mais tu le sais ça. » J’ai été honnête avec elle sur ce point, je ne suis pas avec lui. Mais peut-être qu’elle s’attendait à des changements. Je ne sais pas. On ne peut pas dire que la communication est notre point fort. « Depuis le Nouvel An, c’est encore plus difficile d’être à côté de toi. » J’hésite longtemps à lui dire cela. Mais si je ne le fais pas là, quand est-ce que je le ferais ? Prendre mes jambes à mon cou et fuir maintenant, ce n’est pas une bonne idée. « Avant, c’était parce que je savais que tu allais m’envoyer chier. Maintenant, c’est parce que j’ai simplement envie de t’embrasser. » Je tourne de nouveau ma tête, fuyant le regard de Lou. Lui dire tout cela, me mettre à nu face à elle,  c’est sûrement le meilleur moyen pour pouvoir avancer.

C'est un éternel recommencement. Comme un cercle vicieux qui ne cesse de se rejouer sous nos yeux. Un infime pas en avant. Trois grand pas en arrière. Ouais c'est un peu comme ça que nous pourrions résumer notre relation. Enfin "relation", tout est relatif quand même. J'en viens même à me demander si tout ça a réellement un sens (?). Pour elle en tout cas. Parce que de mon côté, c'est clair. Ou presque. Disons qu'au plus profond de moi-même, j'en suis convaincue. Mais les choses ne sont malheureusement pas aussi simples. « Il s’est passé un truc ce soir-là. » Elle l'affirme comme si c'était plus ou moins évident. Mais excusez-moi d'en arriver à tout remettre en question. Je déteste avoir la sensation de perdre le contrôle d'une situation. Et clairement là, c'est pire que ça. Je suis impuissante face à toute cette histoire. Complètement perdue. « Mais c’est plus compliqué que ça. » Je hoche un peu la tête, plus par réflexe qu'autre chose. Comme si je ne l'avais pas remarqué. Ouais merci, belle intervention. Je crois surtout qu'elle se pose trop de questions. Ça a toujours été ça son problème. Yumi est trop sur la retenue, cantonnée à l'image qu'elle veut renvoyer au reste du monde. Mais en attendant, c'est à elle-même qu'elle fait sans doute le plus de mal. Sans forcément s'en rendre compte. Et à moi aussi, mais ça, c'est un détail. Loin de moi l'envie de me montrer vulnérable ne serait-ce qu'une infime seconde. « Ce n’est pas vrai, c’est juste de la comédie. Mais tu le sais ça. » Et qu'est-ce que ça change de le savoir ? Je croyais qu'en se confiant à moi de la sorte, elle puisse avoir une sorte de déclic. Je suis bien consciente qu'elle n'allait pas le crier sur tous les toits du jour au lendemain. Mais je sais pas, les choses auraient pu être légèrement différentes. Raté. « Depuis le Nouvel An, c’est encore plus difficile d’être à côté de toi. » Je fronce les sourcils, pas certaine de comprendre exactement là où elle veut en venir. « Avant, c’était parce que je savais que tu allais m’envoyer chier. Maintenant, c’est parce que j’ai simplement envie de t’embrasser. » Mon coeur se serre dans ma poitrine. Je devrais être heureuse de l'entendre me dire ça. Et pourtant... c'est comme si ça me faisait encore plus de mal. Et pour me protéger, je dois essayer de rester de marbre. Mais clairement la tâche s'avère plus difficile que prévu. Parce que oui, ça me touche. Ça me touche même en plein coeur. Mais je ne dois rien montrer. « Et alors ? » Je hausse les épaules tout en soupirant. « Pourquoi tu me dis tout ça en fait ? » Je baisse légèrement les yeux en fuyant son regard. « C'est pas comme si ça allait changer quelque chose... » Que je laisse échapper du bout des lèvres dans un murmure. Sur le coup, je crois que je préférais quand elle me fuyait. C'était peut-être plus facile à encaisser que de l'entendre me dire ce genre de chose dans le vent. « Ça sert à rien. » Je sens comme une boule venir se loger dans le creux de mon ventre. Et ça fait un mal de chien.

Je ne sais pas vraiment ce qui m’a poussé à venir ici, surtout quand je vois comment réagit Lou, j’aurais peut-être mieux fait de me rendre dans ma chambre, sans passer par la sienne. Pourtant, sur le moment, ça me paraissait être une bonne idée. Ou c’est simplement que j’avais envie de la voir. Si j’ai longtemps utilisé la fuite en sa présence, c’est maintenant à elle d’agir de la sorte. Petit à petit, j’essaye de me rapprocher d’elle. En commençant par un sujet neutre tel que sa décoration, puis en entrant un peu plus dans le vif du sujet en évoquant notre situation, notre relation. Aussi bizarre qu’elle soit. Tout ce qu’elle me dit est justifié et j’ai beau essayé de trouver des excuses, aucune d’elles n’est valable. Peut-être que la meilleure des solutions est finalement d’être honnête avec elle ? C’est donc pour cela que je lui parle de l’effet qu’elle a sur moi, de l’envie que j’ai de l’embrasser dès qu’elle est près de moi. « Et alors ? Pourquoi tu me dis tout ça en fait ? » Parce que c’est la vérité. C’est bien la réponse que j’ai envie de lui donner, mais ce n’est sûrement pas celle qu’elle attend. « C'est pas comme si ça allait changer quelque chose... » Elle baisse légèrement la tête et je ne tarde pas à l’imiter. Je ne sais pas si elle a prononcé ces mots dans un but particulier ou si c’est ceux qui lui sont venus en premier. Est-ce que ça changerait quelque chose ? Non. Ce que la brune sous-entend ici, c’est que je suis lâche et je ne peux pas lui reprocher. « Ça sert à rien. » Finit-elle par rajouter. « Vraiment ? » Je relève la tête et pose mon regard sur elle. Sans penser aux autres, ça ne changerait vraiment rien ? Pour tout le monde, je suis en couple avec Sacha, mais avec Lou, on sait que ce n’est pas le cas, ce pourrait être suffisant d’une certaine manière. Surtout que pour l’instant, on ne sait même pas où tout cela pourrait nous mener. Il est inutile de se lancer dans de grandes choses, pas si vite. « C’est ce que tu veux ? » Même si ça reste un peu confus, je sais ce que je ressens. Ce que je veux. Mais j’ignore ce qu’il en est pour elle. Je suis venue ici dans le but de la voir, de la retrouver, cependant, ce n’est peut-être pas ce qu’elle veut. Dans un geste de dernier recours, ma main se rapproche doucement de l’une des siennes, posée sur le lit. « Si tu me le demandes, je te laisserais tranquille. » Même si c’est à contre cœur, je le ferais. Quand on y pense bien, c’est un peu étrange. Il y a encore quelques semaines, je faisais tout pour pouvoir l’éviter et maintenant, je ressens le besoin de la voir.

Je me protège, comme si le mode "auto défense" s'était enclenché automatiquement dans mon coeur. Depuis la mort de mes parents, c'est devenu presque instinctif de revêtir cette carapace. Au moins, comme ça, je ne risque rien. On ne peut pas souffrir quand on aime personne n'est-ce-pas ? Rester impassible en toutes circonstances. Et pourtant... Yumi était en train de devenir une exception. L'exception qui confirme la règle comme on dit. La seule personne capable de venir semer le trouble dans ma nouvelle dynamique. ÉTAIT. Oui, c'est important d'utiliser le passé pour en parler. Pour me persuader surtout que ce n'est plus le cas à présent. Est-ce aussi simple que ça ? Telle est la question. Mais une chose est sûre, toute cette histoire me pousse inconsciemment à me renfermer sur moi-même. A repousser et refouler tous mes sentiments d'un bloc. Pour redevenir un parfait petit coeur de pierre. Cette discussion avec Yumi est douloureuse. Faire semblant de ne pas être affectée est une tâche difficile. Mais je sais, au plus profond de moi-même, que c'est ce qui a de mieux à faire. Pour elle mais pour moi aussi. Pour l'équilibre de la famille Lane aussi. Parce que notre histoire n'a aucune issue possible.  « Vraiment ? » Yumi plante alors son regard dans le mien, et mon coeur se serre encore un peu plus. Oui vraiment. « C’est ce que tu veux ? » Ce que je veux ? Je ne veux plus jamais souffrir. Et si pour ça, je dois m'éloigner d'elle et prendre mes distances, alors oui. Je le ferais, ou du moins je peux essayer. Mais lorsque je sens sa main venir frôler la mienne, ma détermination en prend un coup. C'est dur putain. « Si tu me le demandes, je te laisserais tranquille. » Je laisse échapper un long soupir d'entre mes lèvres. « Je sais pas Yumi, je sais plus. » Je secoue instinctivement la tête de droite à gauche. « Ça serait peut-être mieux pour tout le monde que je parte d'ici. » La situation chez les Lane est temporaire, j'en suis bien consciente. Alors pourquoi rester ? Je sais que vivre sous le même toit qu'elle rend l'histoire plus compliquée. C'est d'ailleurs à cause de ça que nous en sommes arrivées là. Au lycée, avant, on se détestait et c'était très bien comme ça. Mais maintenant, tout est différent. « C'est compliqué pour toi d'être à côté de moi, ça l'est pour moi aussi donc... » C'est ce qu'elle vient justement de me confier alors oui, ça serait sans doute mieux qu'on ne vive plus ensemble. Je n'ai nul part où aller, mais ça n'a pas d'importance. Dans un foyer ou dans une famille d'accueil, le résultat sera le même. « La solution, elle est là. Il faut que je parte. » Partir d'ici, de chez les Lane, pour prendre mes distances et essayer de passer à autre chose. C'est peut-être pas ce que Yumi attendait de cette discussion mais il faut savoir se rendre à l'évidence.

En l’espace de quelques semaines, les choses ont bien changé entre nous. La haine et l’ignorance ont été remplacées par l’attirance et le désir. De mon côté du moins, je ne peux pas parler pour elle. Et autant dire que pour quelqu’un qui cache sa sexualité, c’est quelque chose de difficile à digérer. Pendant de nombreuses années, c’était si facile pour moi de me cacher et là, avec ce baiser, Lou remet tout en question. Quand nous sommes toutes les deux, les choses sont simples, mais quand il y a les autres, ce n’est plus le cas et c’est bien ça que Lou me reproche. Je le sais. Je le sens. « Je sais pas Yumi, je sais plus. Ça serait peut-être mieux pour tout le monde que je parte d'ici. » Je ne peux m’empêcher de froncer légèrement les sourcils : ce n’est pas vraiment comme cela que je voyais les choses. « C'est compliqué pour toi d'être à côté de moi, ça l'est pour moi aussi donc... » Donc ? Elle ne finit pas encore sa phrase, mais je sais déjà que la suite ne va pas me plaire. Je le sens au plus profond de moi, comme si c’était finalement prévisible. « La solution, elle est là. Il faut que je parte. » « NON ! » Dis-je très rapidement, haussant légèrement la voix sans vraiment le vouloir. « Non, ce n’est pas une bonne idée. » Cette fois-ci, je me calme un peu. « Et tu irais où ? » Elle ne répond pas et c’est bien cela qui m’inquiète. D’ailleurs, ça se voit sur son visage qu’elle n’a pas de réponse à me donner. « Dans la rue ? Vraiment ? » Si j’ai accepté de lui montrer l’un des endroits d’Urbex que je connais, ce n’était pas dans l’optique de la voir y loger plus tard. « Non, ce n’est pas une option. » Pour moi, mais pour mes parents aussi. Ils ne laisseront jamais cela arriver. D’ailleurs, ça ne fera qu’augmenter leur inquiétude et leur interrogation à notre sujet. Sans raison évidente, pourquoi est-ce qu’elle voudrait partir ? Ils vont la questionner et la jeune femme ne pourra pas mentir indéfiniment. Surtout si c’est seulement pour me protéger. « On va prendre nos distances, c’est mieux. Et ça ne doit pas être compliqué, non ? » Nous étions si fortes pour cela, il doit bien y avoir un moyen pour revenir en arrière et faire en sorte que notre relation soit de nouveau celle d’avant. Ma main, proche de la sienne, s’éloigne de nouveau et je me relève. Je dois partir, maintenant, pour éviter qu’elle ne prenne la fuite. Même si c’est confus entre nous, même si je ne sais pas quoi faire, c’est sûrement mieux qu’elle reste ici. Je prendrais sur moi et je l’ignorerais. C’est comme ça, je le dois.

Partir. C'est l'option qui me parait la plus logique. Parce que je n'ai rien à faire là. La situation chez les Lane est provisoire, je le sais bien, alors que je parte maintenant ou dans quelques mois, qu'est-ce que ça change ? Absolument rien. Et au contraire, ça peut nous éviter pas mal de problèmes. Parce que si on continue comme ça, nous allons finir par se brûler les ailes. Elle ou moi. Ou nous deux en même temps peut-être. En tout cas, sur le moment, c'est la seule solution possible. Même si, au plus profond de moi, ça ne m'enchante pas plus que ça. Je ne sais même pas où je pourrais aller. Et en réalité, je m'en fiche un peu. Ce n'est pas là le plus important. Ce qui me fait peur, c'est de me retrouver loin d'elle. Parce que même si c'est compliqué, même si elle m'évite depuis le Nouvel An, le fait de la savoir dans sa chambre, à quelques mètres seulement de moi, c'est rassurant. Ne me demandez pas pourquoi, c'est impossible à expliquer. « NON ! » Non ? Je fronce légèrement les sourcils. « Non, ce n’est pas une bonne idée. » « T'en as une meilleure peut-être ? » Que je réponds du tac au tac. « Et tu irais où ? » Je hausse les épaules comme si ça n'avait pas d'importance. « Dans la rue ? Vraiment ? » Et pourquoi pas ? Que ce soit dans la rue ou dans un vulgaire foyer, ça ne change finalement pas grand chose. « Non, ce n’est pas une option. » C'en est pourtant une pour moi. « En même temps ce n'est pas comme si j'allais rester indéfiniment ici... » Le concept de famille d'accueil n'est que temporaire. Viendra le moment où je rentrerai officiellement dans le système. Même si, à mon âge, il est peu probable qu'une famille ait envie de m'adopter. Et pour être honnête, je n'ai même pas envie de l'être. Je n'ai besoin de personne. « On va prendre nos distances, c’est mieux. Et ça ne doit pas être compliqué, non ? » Bien sur. J'ai comme l'impression d'avoir déjà entendu ce refrain. Comme un air de déjà vu. Mais je ne tente pas de la contredire non plus, ça ne servirait à rien en soit. Dans le fond, je sais que je ne pourrais plus faire comme si de rien n'était. Parce qu'à chaque fois que je plonge mon regard dans le sien, il se passe quelque chose dans le creux de mon ventre. C'est quelque chose que je suis incapable de contrôler. Comme le fait de repenser sans cesse à la douceur de ses lèvres. Ouais je continue à me faire du mal. « Si tu le dis. » Lançais-je dans une moue peu convaincante, le regard fuyant. Et si je décidais de partir quand même ? Si je le voulais vraiment, je pourrais le faire sans que personne ne s'en rende compte. Ou du moins pas avant qu'il ne soit déjà trop tard...